Caput XVII
Bonsoir tout le monde ! Et bonne année 2025 !!
Il y a beaucoup de choses dans ce chapitre (spoiler : je l'adore mais j'ai beaucoup crié) ... j'ai un peu peur mais en même temps je suis trop contente de le poster.
La véritable intrigue commence à doucement se mettre en place. Tout est déjà prévu de A à Z. Ça va être insane j'ai prévu tellement de rebondissements j'ai trop trop hâte. Je vous réserve un riche scénario, j'aimerais tout vous révéler maintenant.
Toujours une musique d'ambiance en média pour vous accompagner.
Bonne lecture <3
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J'ai séché le dernier cours de réthorique avant les vacances.
Pas parce que j'étais gêné à l'idée de revoir Monsieur Kim ou de jouer un autre rôle que le mien, devant lui.
Non. Loin de ça.
Mais bien parce que j'étais tombé malade.
Un rhume mal avenu, certes, mais que j'étais heureux d'accueillir comme un bon alibi : le nez qui coule, la gorge serrée, une toux grasse que seules les infusions au miel d'Ofelya ont réussi à calmer.
En somme, une merveilleuse excuse pour m'empêcher de le revoir.
Alors Décembre s'est déjà bien entamé et plus deux semaines se sont écoulées depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, en bas de chez moi.
L'Université a fermé ses portes pour les vacances, suivie des bibliothèques et autres de mes coins de prédilection.
Paris est en effervescence.
Les fêtes se préparent doucement, les rues sont décorées d'illumination de Noël et les gens sont drôlement heureux. Je veux dire, pour des français. Plus particulièrement des parisiens.
C'est un peu l'illusion d'un bonheur commun et illimité qu'on pourrait avoir si nous n'étions pas, le reste du temps, tués à petit feu par le quotidien.
Le Ritz, lui, est deux fois plus bondé que d'habitude. Entre ceux qui sortent leurs dernières économies pour impressionner leurs accompagnants le temps d'un chaleureux repas, les plus aisés, qui ont fait le voyage jusqu'ici pour passer des fêtes en famille, ou les solitaires à la recherche d'un peu de folie sans savoir où dépenser leur argent, mes nuits de travail sont loin de tout repos.
Je déteste cette période plus que tout au monde.
Déjà, parce qu'elle me relie sans cesse à Archie, nos batailles de boule de neige, nos courses dans les plaines près de Fontainebleau, le vieil accordéoniste de la ligne 2 qui est décédé en 1976, le gel sur les fenêtres de notre maison mal isolée, le papier peint rose clair de la cuisine et les marrons chauds qu'il m'achetait une fois dans l'année.
Ensuite, parce je n'ai absolument aucune motivation pour réviser les examens qui m'attendent à la rentrée, que l'année 1981 approche et que je n'ai pas accompli tout ce que je voulais.
Donc j'alterne entre mon petit studio, l'appartement d'Ofelya lorsque le froid rend bleus mes doigts, les sorties au bar avec Yoongi, Marcelo, Giovanni et Adama, puis encore ma chambre de bonne, dont je connais le moindre centimètre par coeur maintenant.
Allongé sur mon lit une place, j'ai délaissé la pile de cours à réviser qui engloutit mon bureau pour passer ma journée à fixer le plafond.
Ma main droite lance une boule rebondissante qui me revient aussitôt : seul jouet d'enfance que j'ai réussi à emmener avec moi, avant de rejoindre les parois austères de l'orphelinat.
Elle est rouge, avec quelques traces noires d'usure par endroit.
J'ai le biceps qui brûle à force de plier et d'élancer mon bras depuis des heures maintenant. Mais la balle cogne contre le mur et me retrouve toujours, peu importe l'intensité avec laquelle je la lance.
Elle me fait penser un peu à Maître Kim. Plus je la rejette avec hargne, et plus sa riposte me fait mal.
Plus j'aimerais ne jamais l'avoir connu. Plus sa moindre marque d'attention m'empêche de penser à autre chose que lui : son corps, son esprit et ce regard qui me brise.
Je veux qu'il sorte de ma tête. Au moins une journée. Juste le temps d'un instant, afin d'avoir un peu de répit.
Mais c'est impossible.
Je repense à ces doigts fins sur mes hanches et sur ma gorge, à ce sentiment de chaleur intense qui consumait l'intérieur de mon corps à chaque fois qu'il me regardait. A ces mots que je lui avais adressés sans même réfléchir. Ces paroles que je regrette amèrement aujourd'hui.
Misère mais qu'est-ce qu'il m'a pris de lui dire tout ça ?
J'abandonne la balle au bord de mon lit et elle tombe, rebondissant sur le parquet jusqu'à la porte d'entrée.
Mes doigts se mêlent à mes cheveux pour les tirer tandis que je ferme violemment les yeux.
Je tape mon crâne de mes poings puis répète :
— Sors de ma tête, sors de ma tête, sors de ma tête. Je te déteste. Sors de ma tête !
Soudain, je me redresse puis me dirige vers la maigre pile de vêtements à côté de ma table de chevet. Je veux aller courir jusqu'à en perdre haleine, ne plus sentir mon corps sous l'effort. J'aimerais que mes poumons me brûlent comme à chaque fois que le mercure descend sous zéro.
Je désire les sentir me trahir pour le souffle glacial de l'hiver sans jamais diminuer mon élan.
Alors je cherche mon ensemble de sport au milieu de tous ces pulls à l'allure trop cordiale.
Après l'avoir trouvé, je me déshabille puis enfile un t-shirt blanc, mais des coups à ma porte m'empêchent de me vêtir du bas de survêtement que je tiens dans ma main droite.
Il n'y a qu'Ofelya pour venir me déranger à une heure pareille.
J'ai deux options qui me viennent : soit elle vient me donner une gifle similaire à celle qu'elle m'avait offerte après avoir appris ma petite escapade en garde à vue, soit se trouve dans ses bras une assiette de ragoût aux mille et uns légumes plus écœurants les uns que les autres. Une de ses expériences nucléaires où se cache une nouvelle source de vie sous ses sauces en ébullition.
Sans réfléchir, je marche vers l'entrée, ramasse la balle et la repose sur mon bureau. J'y retourne ensuite et ma main se pose sur la poignet puis ouvre la porte d'un geste un peu abrupt.
Misère.
Je n'étais pas forcément préparé à voir ça.
— Bonsoir Jungkook ! s'élève une voix drôlement enjouée.
Je déglutis avec difficulté :
—B-bonsoir, Madame Dubois ...
Ma paume se dirige automatiquement vers mon entre-jambe recouvert d'un caleçon noir pour le cacher et je l'observe en train de sourire.
— La vue ne me dérangeait pas tu sais.
Reprenant mes esprits, j'enlève donc mes doigts et lève les deux bras en l'air, comme un coupable pris en flagrant délit.
Le coin de mes lèvres remonte et je précise :
— Alors je peux l'enlev -
Mais je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que deux bras encerclent ma taille et qu'un visage se loge dans le creux de mes épaules.
Je mets du temps à réaliser que Madame Dubois vient de m'enlacer. Que son corps est contre le mien, de la manière la plus bienveillante qui soit.
Ma poitrine s'emballe d'un sentiment rassurant. Doucement, je baisse les mains puis les laisse divaguer sur son dos. J'inspire un grand coup et mes larges doigts recouvrent une bonne partie de sa taille fine contre mon torse deux fois plus épais.
Pour autant, je n'ose pas les bouger, fixant avec de grands yeux l'ouverture de la porte qui donne sur le hall d'entrée.
Elle sert encore plus fort son embrassade et je l'entends souffler, contre moi :
— J'ai tellement eu peur la dernière fois. J'ai cru qu'il allait t'arriver malheur. S'il te plaît Jungkook, arrête de toujours vouloir te mettre dans le pétrin. Reste en un seul morceau, pour moi.
Qui est-elle, au juste ?
Une mère ? Une maîtresse ? Une patronne ou bien une amie ?
Je ne suis moi-même pas certain d'en avoir la réponse.
Sa voix est faible et cache une certaine émotion. Je décide de poser mes doigts sur ses épaules pour la contraindre à se reculer. Elle comprend ma demande et décolle sa joue de ma clavicule.
Ainsi, j'ai vu sur son visage et ses expressions.
Mon index dégage une mèche sur son front. Ses cheveux, habituellement toujours tirés à la perfection, sont regroupés en une tresse faite à la va vite qui pend dans son dos. C'est un peu comme si les bosses de sa coiffure défaite donnaient un indice sur ses états d'âmes.
Mes iris bleus caressent ses sourcils relevés d'inquiétude et son nez en trompette rougi par le froid.
Souhaitant la rassurer et effacer ce profond souci qui m'est destiné, je lui offre mon plus large sourire.
— Mais ce n'est pas moi qui veux m'y mettre, Élise. C'est lui qui me cherche, et qui pourtant ne gagne jamais.
Son léger rire apporte un peu de joie dans le studio et je suis fier de l'avoir provoqué.
Elle frotte ses yeux brillants du revers de sa main et je prie pour qu'elle n'ait jamais versé une seule larme en pensant à moi.
Mes cuisses nues revêtent une multitude de frissons lorsqu'un courant d'air les caresse, et je la dépasse pour fermer la porte d'entrée.
— Si... je commence avec délicatesse. Si vous me le permettez, j'aimerais prendre juste deux petites secondes pour m'habiller.
Elle rit encore plus fort cette fois-ci, trahissant toujours, avec son timbre cassé, la peine qui l'avait habitée quelques instants auparavant.
— Je te le permets.
Je trottine vers mon piètre dressing et enfile un pantalon noir à la vitesse de l'éclair. Je manque de trébucher en y passant la seconde jambe mais sautille à cloche pied pour retrouver mon équilibre. Ensuite, je m'empresse d'arranger la couette de mon lit en deux temps trois mouvements, puis balaie de mon avant bras mon bureau encombré de feuilles froissées.
Je tire la chaise pour l'inviter à s'asseoir puis cache, sous mon sommier, les tasses de cafés sales posées au sol en les poussant avec mon pied.
— Je suis navré. C'est un peu petit ici. Je crois que c'est la moitié de votre cuisine.
Madame Dubois marche et ses talons claquent sur le parquet. Elle se débarrasse de son manteau puis analyse les lieux, les bras croisés.
Son observation ne dure pas longtemps.
Son regard se dirige vers la grande fenêtre et sa banquette. Elle délaisse ses chaussures et je glisse une œillade sur ses mollets délicats.
Trois pas suffisent pour qu'elle la rejoigne et s'y assis, repliant ses genoux contre son torse. Sa jupe noire à volant est relevée sur ses genoux, laissant ses jambes seulement recouvertes d'un collant opaque de la même couleur.
Sans un mot, je la rejoins. Mon dos s'appuie contre le rebord d'en face et j'imite sa position.
— Ce ne sera plus ma cuisine, bientôt, informe-t-elle tout en soupirant.
— Pourquoi vous dites ça ?
Les avants-bras calés sur les genoux, je la contemple se perdre sur les toits de Paris.
Il fait nuit et il n'y a que les chats qui dominent les rues, perchés sur les tuiles.
Madame Dubois ignore ma question, sort un étui métallique de sa poche de gilet gris, puis y extirpe une cigarette. J'ouvre un peu la fenêtre afin que sa main puisse se faufiler à l'extérieur et y jeter les cendres.
Alors qu'elle l'embrase, je la lui vole et en prends une longue bouffée. Je souffle et la fumée se répand sur les carreaux de mes Ray-Ban rafistolées, pour ensuite atteindre son visage.
Satisfait, je lui rends le bâton et elle m'imite aussitôt.
— Je ne suis pas sûre que tu aies le droit de faire ça.
Mes dents emprisonnent ma lèvre inférieure et je tapote sur le carreau en rythme.
— Vous savez, des poumons intoxiqués, des poumons calcinés. Ce ne sera jamais pire que des poumons glacés.
Elle lève les épaules, l'air de dire que je n'ai pas tout à fait tort, puis lâche :
— J'ai demandé le divorce.
Quelle bonne nouvelle.
Sincèrement. Je crois n'avoir jamais été aussi heureux pour elle.
Un rire s'échappe d'entre mes lèvres, malgré moi.
J'en connais un qui doit être dans un sacré état.
— Excusez-moi si je ne cache pas ma joie, je lui avoue. Votre mari est un enculé de première.
— Non, tu ne saisis pas l'enjeu Jungkook. Je risque de tout perdre, maintenant.
Je reste silencieux, ne comprenant pas où elle veut en venir.
Après avoir pris une dernière inspiration, elle écrase sa cigarette à l'extérieur de la fenêtre.
— Perdre quoi ? je demande spontanément. Ces marques bleues sur votre cou ? Cette peur permanente dans votre regard ? Il y a des fardeaux qui méritent d'être délaissés. Sans rien, vous serez plus riche encore que lorsque vous aviez tout. Vous serez libre.
Elle évite mon regard qui pourtant cherche ardemment le sien.
Son attention est seule focalisée sur ses doigts qui tiennent sa cigarette et la vue depuis mon appartement sous les toits.
— Tu ne peux pas comprendre je ... Je suis une femme, Jungkook. Une femme de notre époque qui s'approche doucement de la quarantaine et qui sera bientôt divorcée, tu ne vois pas le souci ? Je me fiche d'être seule jusqu'à ma mort parce que je voue une haine viscérale aux hommes, je ne veux plus jamais être enchainée à l'un d'entre eux. Mais tout le monde va me tourner le dos et... et tout ce que j'ai construit ces dernières années va s'effondrer !
Elle a formulé ces mots avec une telle détresse que je ne peux m'empêcher d'avoir un pic au cœur.
Des larmes dévalent ses pommettes saillantes puis tombent de sa mâchoire pointue pour s'écraser sur les volants de sa jupe. Elle les essuie avec précipitation.
Sans réfléchir, mes doigts s'enroulent autour de ses deux poignets pour les baisser et je m'approche à quelques centimètres seulement de son visage.
— Regardez-moi, je lui ordonne doucement.
Je lâche un de ses avant-bras pour appuyer ma paume sur l'arrière de sa tête. Dans cette position, nos fronts se collent presque.
Ses prunelles embrouillées se heurtent aux miennes et j'essuie leur coin de mon pouce désormais mouillé.
— Tout ce que vous avez, aujourd'hui, est le fruit de votre dur labeur, de votre intelligence et de votre débrouillardise. Vous êtes l'une des plus grandes avocates de Paris, admirée de ses collaborateurs, uniquement par la force de vos mots. Je n'ai aucun souci sur la manière dont vous allez rebondir. Vous êtes courageuse.
Je tends mon bras pour ramasser ma petite balle rouge, sur le bureau, puis reprends ma position initiale.
Laissant un espace entre ses pieds et les miens, je place le jouet en hauteur et le lâche. Il rebondit et revient immédiatement dans mes doigts, qui se sont resserrés pour l'attraper.
Maître Dubois fixe la boule dans ma main, hypnotisée, et je conclus :
— Comme cette balle.
Je la place en perspective afin qu'elle recouvre sa tête, puis la décale à droite et affronte un regard brillant d'espoir.
— C-comment tu peux être sûr de ça ?
— Parce que moi je sais qui vous êtes. Vous avez toujours été Maître Vallée. Sœur d'Ofelya Vallée. Si ce n'est qu'un nom de famille emprunté qui a le pouvoir de tout détruire, alors rendez-le lui avec toute la vengeance qu'il mérite. Mais ne le laissez pas gagner.
— Jungkook je... Merci, se contente-t-elle de dire, les yeux à nouveaux larmoyants.
— S'il faut tout recommencer, alors on recommencera, je termine. Pour que Madame Vallée, membre du Conseil de l'ordre des avocats de Paris, puisse à nouveau briller. On y arrivera.
Je me lève et seule la lumière tamisée de ma lampe de chevet éclaire nos corps. Avec élégance, je lui tends ma main et elle l'attrape pour, à son tour, se mettre à la verticale.
Madame Dubois arrange sa longue jupe emmêlée dans son collant. Ses bras se croisent et elle me sonde de manière intense.
— Arrête de me regarder comme ça, Jungkook.
— Alors arrêtez aussi.
— Mais tes yeux ils... ils me dévisagent comme si...
Je fais un pas en avant, la dépassant de quasiment une tête de plus.
— Comme quoi ? Quelqu'un qui veut prendre un nouveau départ ?
— Je ne pensais pas que désirer un peu de liberté, pour les femmes de mon âge, signifiait coucher avec un étudiant en se pensant encore dans la fleur de la jeunesse.
Mes doigts se posent sur ses hanches et les siens, sur mon visage.
— J'ai bientôt vingt-trois ans, et vous êtes magnifique, forte, inspirante. Ne pensez pas que la vie s'arrête après les trente.
— Et imaginons que je le fasse parce que j'ai décidé d'écouter mes envies les plus fulgurantes, comme ça, dans l'immédiat. Toi, quelle en est la raison ?
Commandant ma mâchoire, elle rapproche nos lèvres sans pour autant les laisser se toucher.
— J'aimerais me distraire l'esprit, je formule, obnubilé par son regard. Oublier ce qui l'obsède. Retrouver un peu de sérénité. De normalité.
— Et qu'est-ce qui le préoccupe au point de devoir aller jusque-là ? De devoir te punir d'être anormal ?
— Une personne à qui il m'est interdit de penser, conclus-je avec une voix grave et sérieuse.
— Ce n'est pas très élégant de dire ça à une femme, rit-elle.
— C'est vrai. Mais c'est honnête. Je vous aurais prévenue, au moins, souris-je près d'elle.
L'instant d'après, sa bouche se pose sur ma joue. Je souffle, satisfait, puis écrase mes lèvres sur les siennes avec intensité.
Elle pousse un son étouffé et rejoint mon baiser.
Ce dernier s'enflamme en quelques secondes, ne devenant plus qu'un échange bestial de coups de langue et de chocs de chair.
Je ne pense plus à rien. J'explose juste, et ça fait tellement du bien.
Tout se déroule assez vite : mon corps qui s'approche du tiroir de mon bureau pour y prendre un préservatif. Mes doigts qui se faufilent sur ses épaules pour faire glisser son gilet et les siens, en dessous de mon t-shirt pour le retirer. Son corps nu allongé sur mon lit, sous le mien tout aussi peu habillé. Mon dos développé qui touche le plafond rampant suivant la pente du toit, alors que je me tiens sur les genoux, entre ses jambes qui, quelques minutes avant, portaient ses collants. Les ombres et la lumière orangée qui subliment ses traits. Son regard toujours aussi sévère mais qui perd de sa résistance lorsque la pulpe de mes mains découvre certains endroits inexplorés.
Un gémissement. Puis un autre.
Des ongles qui griffent ma peau. Des soupirs haletants qu'elle semble autant apprécier que moi.
Et puis, enfin, uniquement le blanc de ses yeux et le rouge mes joues lorsque nous nous unissons.
J'ai honte.
Tellement honte.
Parce que quand son contact me faisait perdre pied, que sa dominance féminine, parfois, se montrait, que ses doigts fuselés avaient glissé lascivement contre ma pomme d'Adam et que mon orgasme avait contracté tous les muscles de mon corps, j'avais gardé les yeux fermés.
Et ce n'était ni son visage, ni ses mains que j'avais imaginés.
Misère, quel personnage méprisable je suis. Un vrai déchet.
Je me fais violence pour tout arrêter, ne plus penser à lui ni rêver qu'il soit en train de me toucher à sa place. Mais c'est impossible : je n'arrive pas à résister à cette envie.
Alors, les traits torturés, je me laisse hanter par sa voix suave, son cou aussi blanc que la neige, ce col de chemise blanc imprégné de son parfum et ces yeux ...
... ces yeux taillés dans l'émeraude.
Et je gémis une dernière fois, beaucoup plus bruyamment que tous mes sons d'avant, le front contre le sien.
Non. Non. Non... Je t'ai pourtant dit de sortir de ma tête, putain !
— T'as dit quoi ? me questionne l'avocate, encore dans les vapes.
— Rien... je grommelle, épuisé.
Sans trouver la force de nous lever, nous restons là, allongés sur mon matelas. Peut-être une bonne heure.
Toujours en tenue d'Adam, ma tête repose contre sa poitrine, sur le côté, alors qu'elle est allongée sur le dos. Son bras est calé derrière sa nuque et l'autre pend dans le vide, allumant parfois une cigarette qu'elle fume dans le lit.
Je pense beaucoup. Un peu trop, je crois.
C'est à peine si j'arrive à me concentrer quand elle me parle, même si je le veux. Ainsi près d'elle, le côté droit de mon visage accueillant la douce chaleur de sa peau, je ne parviens pas à profiter du calme qui règne.
Mon cerveau n'a jamais été aussi bruyant.
Parfois, elle passe ses doigts dans mes cheveux et c'est comme si j'étais retourné en enfance.
— Je ne savais pas que tu étais devenu proche de Monsieur Kim.
— Comment ça ? je marmonne, la joue écrasée de par ma position.
— C'est grâce à lui que le Procureur a mis fin à ta garde à vue. Il m'a appelé et je lui ai tout raconté. Je ne pensais juste pas que vous vous connaissiez au point où il se déplace de chez lui pour te sortir de là.
De chez lui ?
Alors il habite aussi loin ? Peut-être en dehors du centre de Paris ?
— C'est juste que ... j'inspire et expire bruyamment, il est la première personne que je pensais pouvoir m'aider.
Un long moment passe où le bruit d'une sirène de police fend le silence.
— Jungkook, je peux te dire quelque chose ?
Je lâche un son étouffé qui signifie que je l'écoute.
— Fais attention. Je ne dis pas que Taehyung est une mauvaise personne. Mais ... mince je n'arrive pas à trouver mes mots.
Ça me fait bizarre.
Je veux dire, qu'elle l'appelle par son prénom.
Je ne le connais que par ces différentes appellations : « Maître Kim », « L'avocat du Diable ». Sans oublier celui que je préfère.
« L'Orateur ».
Alors j'avais presque oublié que, Monsieur Kim aussi, porte les syllabes qu'une mère avait choisi pour lui. Et cette idée le rendrait presque un peu humain.
— Il n'a pas d'empathie et se moque bien de son espèce, reprend-elle,. Les personnes comme lui sont prêtes à tout, n'ont peur de rien. Lui seul compte à ses yeux et j'exagère à peine. Il ne voit, dans les autres, qu'un apport, un bénéfice, quelque chose qui l'aiderait pour atteindre ses objectifs qu'il ne perd jamais de vue. Tout est calculé. Il en veut toujours plus, rien est assez pour lui. Et le pire...
— Parce qu'il y a pire ? j'avance avec une légèreté devant la situation.
Je la sens acquiescer puisque le haut de son corps bouge légèrement.
— Oui. C'est qu'il réussit toujours tout ce qu'il entreprend. Parce qu'il sait comment s'y prendre, qu'il appâte ses proies à la perfection. Personne ne peut le berner. Il est fort, très fort. Même beaucoup trop. Les témoignages sont nombreux. Les gens l'admirent autant qu'ils sont effrayés de découvrir, un jour, de quoi il est réellement capable.
Je me relève sur les coudes puis la regarde.
— T'as faim ?
— Tu me tutoies maintenant ?
— Alors, réponds ? j'insiste en souriant.
— Jungkook, tu n'as même pas de réfrigérateur.
Mon bras se tend et je pointe du doigt ma porte d'entrée tout en chuchotant, comme un secret :
— Il est juste en face, chez Ofelya. On pourrait lui faire croire qu'on s'est croisés dans les escaliers ?
— T'as la tête de quelqu'un qui vient de... enfin tu m'as comprise.
— J'ai toujours la tête de beaucoup de choses. Elle ne le remarquera pas. Allez, viens.
Sans prévenir, je me lève et emporte avec moi la fine couette afin de l'enrouler autour de ma taille.
Le hurlement de Madame Dubois causé par le froid qui la paralyse est recouvert par mon rire, pur et franc. Je m'habille rapidement et lui ramène ses vêtements, jetés sauvagement à même le sol, sans être le moins du monde troublé par ses aveux que je préfère ignorer.
Parce que tout ce qu'elle vient de me dire, je le sais déjà.
Et ce, depuis bien longtemps.
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— T'as besoin que je te passe d'autres cours à recopier ? me demande Paul, un soda à la main.
— Non merci, je n'ai loupé que ceux-là. Je me dépêche de les reprendre et je te les rends dès que j'ai fini.
Je saisis, dans ma main, les feuilles à carreaux regroupées avec un trombone. Je les soulève ensuite une à une, puis balaye du regard les différentes notions. Parmi elles se trouvent les notes du cours de rhétorique de Monsieur Kim.
J'essaie de lire entre les lignes mais un paragraphe attire mon attention.
« Oscar Wilde est l'un des plus grands écrivains de son époque. Il fut emprisonné en 1895 pour grossière indécence à cause de sa relation avec Lord Alfred Douglas, surnommé « Bosie ». Après deux ans d'incarcération dans la sinistre prison de Reading pour y effectuer des travaux forcés, Oscar Wilde, dévasté par la trahison de son amant, lui écrivit une lettre longue et poignante intitulée De Profundis. Une réflexion sur leur relation, ses erreurs et la souffrance. De Profundis signifie « Des Profondeurs » et se réfère au verset biblique « Des profondeurs, je crie vers toi ».
Dans cette lettre, il exprime à la fois sa douleur et son amour, tout en s'adressant à lui avec une distanciation douloureuse. Il reconnaît la beauté et la destructivité de leur relation et l'impact qu'elle a eu sur sa vie. Wilde cherche à pardonner, mais aussi à comprendre la nature de sa propre souffrance et à se libérer des illusions de l'amour qu'il avait nourries. »
— Vous avez travaillé sur Oscar Wilde ? Quel est le rapport avec la rhétorique ? je demande, troublé.
— Il a dit que c'était une oeuvre où il exprimait toute sa maitrise du langage pour montrer sa douleur, son amour et sa quête de rédemption. L'appel à l'émotion avec le Pathos, l'autorité morale de Wilde quant à son homosexualité avec l'Ethos, et la richesse stylistique qu'elle contient.
— Oscar Wilde quand même ... il fallait oser, je conclus sans même le regarder.
— Oui, c'est Auguste qui était content. Il n'arrêtait pas de faire des remarques déplacées et Monsieur Kim lui a dit de sortir. Plus personne n'a osé parler après ça.
D'un coup, je relève mon menton en sa direction.
— Il l'a viré ? je répète avec incrédulité.
— Ouais ... Il est courageux parce que connaissant Auguste, cette affaire va vite remonter aux oreilles de son père.
Quel connard celui-là.
— Il va avoir des problèmes, je souffle pour moi-même. Je ne suis pas sûr que son étude de De Profundis fasse l'unanimité auprès du conseil de l'Administration.
— Surtout s'ils apprennent les rumeurs qui courent sur lui... ajoute le blond.
Un soupir exaspéré passe la barrière de mes lèvres.
Je passe les notes d'après pour tourner la page et y découvrir quelques citations entre guillemets.
« Mon garçon à moi, Votre sonnet est tout à fait adorable, et c'est prodige que vos lèvres rouges comme des pétales soient faites non moins pour l'ivresse de la musique que pour l'ivresse des baisers. Votre svelte âme d'or se promène entre la passion et la poésie. »
Je crois comprendre que celle-ci provient d'une précédente lettre entre les deux, bien avant le drame, puis lis le prochain extrait, tiré lui de sa dernière composition.
C'est drôle. Si l'on m'avait dit que c'était Maître Kim qui l'avait écrit, j'y aurais cru sans hésiter.
« Et c'était inévitable. Dans toutes nos relations avec les autres, nous devons trouver quelque moyen de vivre. Dans notre cas, il me fallait ou m'abandonner à toi ou t'abandonner. Il n'y avait pas d'autre choix. A cause de mon affection pour toi, profonde, bien que mal placée, à cause de ma grande pitié pour tes défauts de caractère, à cause de mon indulgence proverbiale et de mon indolence celtique ... »
Une remarque de Paul entre parenthèses sur le fait qu'il ne comprend qu'un mot sur deux, d'où les trois points de suspension, me fait doucement sourire.
Enfin, mon index caresse le papier à mesure que je formule, dans ma tête, cette dernière phrase :
« La plupart des gens ne sont pas eux-mêmes. Leurs pensées sont les opinions des autres, leur vie une imitation, leurs passions une citation. »
Brusquement, je replie correctement le tas puis le pousse sur le côté, étrangement agacé.
Je remercie tout de même le ciel de m'avoir rendu malade le jour où il a abordé cette thématique. Je crois que je n'aurais pas supporté le voir répéter tous ces mots de sa voix envoûtante.
C'est un usage pernicieux de son charisme. Je n'aurais attendu que l'heure de la répétition.
Nous sommes dans un bar quelconque près du Quartier latin. Noël se tiendra dans deux jours et les parisiens s'empressent de finaliser leurs derniers achats. La salle est presque remplie, pourtant il n'est que treize heures.
Pour une fois, Paris est sous la protection de quelques rayons de soleil venus faire fondre le gel sur son architecture.
Un poste de télévision Thomson est posé en hauteur, sur une étagère, et diffuse le JT de TF1 qui vient de commencer. L'image grésille parfois et tous les consommateurs ont les yeux rivés vers l'écran bombé, à l'affût des moindres nouvelles qui pourraient égayer un peu leur journée.
Si évidemment elles sont bonnes.
J'apporte, à mes lèvres, mon verre de chocolat chaud, puis en bois quelques gorgées.
— Putain j'y crois pas, regarde ! s'écrie Paul brusquement.
Son bras me passe devant le nez et je m'étouffe, surpris par sa soudaine action.
Mon regard suit son index qui pointe la télévision.
Lentement, je tourne mon visage et mes yeux s'écarquillent lorsque je lis le bandeau d'information :
« La France s'apprête à accueillir son premier procès encourant la peine de mort depuis 1977, alors que le débat parlementaire sur son abrogation fait rage. »
Une image de Maître Kim apparaît. Les couleurs sont fades mais on arrive facilement à deviner celle qui habite ses yeux perçants, sous sa paire de lunettes.
Ils sont vides, dénués d'émotions. Comme un homme revenu d'entre les morts qui n'a plus rien à perdre si ce n'est instaurer le chaos.
Sa robe d'avocat met encore plus en valeur son visage. Ses cheveux noirs sont toujours aussi bien taillés et je remarque même qu'il a passé un peu de cire sur quelques mèches, séparées par sa raie du milieu.
Une horde de journalistes l'entourent et je me concentre pour entendre ses paroles malgré le bruit ambiant.
— Nous déployons tous nos efforts pour garantir au prévenu, dans ces circonstances d'une gravité exceptionnelle, un ultime espace d'anonymat et de dignité. Ce qu'exige la justice dans son essence la plus noble. Bien que l'écho de cette affaire s'amplifiera à mesure que s'annoncent les semaines de procès, nous demeurons fermement engagés jusque-là. Nous veillerons, avec toute la rigueur et la probité requises, à honorer les idéaux les plus élevés portés par notre Garde des Sceaux qui, comme vous le savez, bataille à abroger la peine de mort. Et, au-delà de cela, nous répondrons à cette responsabilité historique : celle de préparer la société à tourner la page sur ce qui pourrait bien être, enfin, la dernière mise à mort de l'histoire de notre République.
Après cela, un homme lui pose une question :
— Maître, comment vous justifiez, humainement et moralement, le fait de défendre un homme qui risque la peine capitale, alors que personne ne connaît encore ses actes, mais que la gravité de l'accusation semble déjà tout dire ?
Un frisson dévale mon corps alors que Maître Kim tourne son regard vers le journaliste. Un sourire diabolique se dessine sur ses lèvres et je suis hypnotisé par ses gestes.
On croirait vraiment un démon au physique trop parfait pour le soupçonner.
Il reste silencieux, comme tous les autres hommes autour de lui, d'ailleurs. Mais son expression en dit déjà beaucoup.
Enfin, il se retourne, partant sans rien ajouter. Et un constat se dresse :
Il a gagné, sans même répliquer.
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Je suis toute shy. Alors, qu'en avez-vous pensé ? Il vous a plu ? Quel est votre moment préféré ?
J'adore ce chapitre, je trouve qu'il est rempli de symboles puissants. J'ai tellement hâte d'écrire les prochains les amis, je vous laisserai aucun moment de répit !
PS : je le rectifie ici mais le nom de famille d'Ofelya ce n'est pas Dubois mais bien Vallée. Je me suis trompée mais je le modifierai ! Il fallait bien que je fasse une gaffe quelque part, comme la mer à Séoul dans Redamancy... Zena n'est pas Zena, sinon.
À bientôt et prenez soin de vous.
Mucho love :)
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