Caput XIV
Bonsoir tout le monde ! Comment allez-vous ? Oui je sais, je suis désolée, ça fait tellement longtemps.
Alors je me fais pardonner avec un chapitre qui, j'espère, vous plaira. Sur un fond de Aznavour en plus, que demande le peuple.
On se retrouve en bas, bonne lecture <3
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J'ai arrêté de comptabiliser les minutes passées ici à partir du moment où mon ventre a commencé à crier famine. D'autres pensées me sont venues en tête. C'est d'ailleurs assis sur un banc, au sein de cette cellule de garde à vue minable toute colorée d'un bleu ciel insipide et écaillé, que je regrette les plats d'Ofelya.
Dans un élan d'une nouvelle folie naissante, je parviens à humer ces bonnes odeurs que j'ai manquées d'avaler par paresse, révisions, ou tout simplement parce que les recettes n'étaient pas à mon goût. Maintenant je prends conscience de la chance que j'aie d'avoir une voisine aussi attentionnée envers moi, et je me promets de ne plus jamais faire la fine bouche.
Enfin, sauf pour l'immondice qu'est sa ratatouille.
Un autre grognement s'échappe de mon estomac et j'y trace quelques petits cercles de la paume froide de ma main.
Je ne sais même pas quelle heure il est, je crois que six sont passées depuis l'événement dramatique qui me retient ici.
Un autre officier de police judiciaire, collègue de Damien, a pris le relais afin de surveiller les gardés à vue. Beaucoup moins clément, il aspire à réincarner les grands bourreaux guillotinaires. Parmi ses passes-temps, celui qui consiste à venir secouer ses clés toutes les dix minutes contre les barreaux de la cellule afin de nous empêcher de fermer l'œil m'est particulièrement irritant.
J'ai du me retenir de parler au moins cent fois, pour ne serait-ce que garder mon infime chance de ne pas voir ma séquestration prolongée.
Étant dans l'impossibilité de fermer l'œil, je m'allonge sur la banquette ferme, vêtu d'un pantalon à pinces trop grand puisque ma ceinture a été confisquée, et d'un col roulé déformé par Monsieur Dubois.
L'arrête de mon nez me fait toujours aussi mal.
Je sens que ce dernier est gonflé mais ne dispose pas de miroir pour le vérifier. En revanche, plus aucune croûte de sang n'est restée après les quelques soins médiocres de Damien. Je lui ai vraiment fait pitié, il faut croire.
Mon crâne est prêt à exploser alors qu'une senteur nauséabonde de transpiration émane de la cellule contiguë. Mon voisin ronfle comme un mort. Il peut bien profiter de ses quelques moments de répits, parce qu'au retour du policier, sa fin de nuit risque d'être un peu moins reposante.
J'attrape mes lunettes légèrement tordues puis essuie les carreaux rayés avec le tissu en coton de mon haut. Je suis bon à les emmener en réparation. Ce n'était vraiment pas ce qui était prévu dans mes dépenses de ce mois-ci. Je peux faire mes adieux aux douches chaudes.
Il parait que le froid est bon pour la fermeté de la peau.
Mes doigts plaquent vers l'arrière les longues mèches de mes cheveux. Un long soupir exaspéré et bruyant s'échappe d'entre ma lèvre fendue à une de ses commissures.
Je n'ai même pas d'élastique, puisque lui aussi m'a été subtilisé à mon arrivée.
Sérieux, un élastique. Je ne comptais pas les étrangler avec, si c'est ce dont ils avaient eu peur.
Mes deux mains suffisaient.
Le bruit d'une démarche lente mais assurée résonne soudain dans le couloir. Les cliquetis de ferrailles qui se cognent entre elles l'accompagnent. Bientôt, le policier de mes cauchemars apparait, entrecoupé par les fins piliers qui me retiennent en cage.
J'ai du mal à réaliser qu'il est en train d'insérer une clé dans la serrure, jusqu'à ce que la porte s'ouvre dans un grincement abominable.
Cette dernière martèle le mur du couloir.
Les mains accrochées à sa ceinture qui exhibe fièrement son arme et sa matraque, il me lance avec acrimonie :
— On vient de recevoir un appel du Procureur. Il a décidé de mettre fin à ta garde à vue. Manque de preuves il parait. T'as de la chance, les gars comme toi, j'en fais mon affaire d'habitude.
Son accent du Nord chatouille mes zygomatiques.
Il a une belle moustache. Le genre peignée qui rebique d'une boucle parfaite des deux côtés. Ca doit être un sacré entretien.
Bien trop exténué pour me réjouir de cette nouvelle, je me contente de le regarder dans les yeux et mon effronterie silencieuse semble lui déplaire. Il soupire et enserre mon biceps de ses mains larges afin de me repasser les menottes. Mon corps se fait trainer avec une haine à peine dissimulée jusqu'à l'accueil.
Je contiens un cri de douleur lorsqu'il me tire les coudes en arrière pour m'ôter le tas de ferraille. Je ne vois pas bien l'intérêt de me les avoir enfilées si c'était pour me les enlever cinq secondes après.
C'est à peine si j'arrive à lever les bras tant les muscles de mon corps sont crispés.
L'OPJ finit par me restituer mes biens sans grande valeur : les lacets de mes derbies, ma ceinture, mon chouchou, mon manteau, ma montre et mon porte-monnaie troué.
Un patrimoine que plus d'un envierait, à mon avis.
Après avoir massé mes poignets, je franchis la porte du commissariat sans même un regard en arrière.
L'air frais de dehors m'accueille et j'ai le sentiment de ne pas avoir respiré depuis une éternité.
Complètement déphasé, je peine à me rendre compte que l'aube est actuellement en train de s'installer. Le ciel, encore sombre d'une nuit à laquelle je n'ai pas pu assister, a érigé un orange foncé agréable pour couver les habitants. Pas un chat ne se trouve dehors, il fait si sombre et brumeux que le fond de la ruelle m'est inconnu.
Je n'ai jamais vu un Paris aussi calme et mystique, alors j'en profite un peu.
Mes jambes endolories prennent la direction de la bouche de métro la plus proche. Je vérifie l'heure pour être sûr qu'il soit ouvert : 5h17. J'ai de la chance, encore quelques minutes et je n'aurais pas à marcher bien longtemps.
Mes chaussures claquent à un rythme régulier contre le pavé froid, franchissant le brouillard glacé de l'aube. Je slalome entre les potelets du trottoir d'un amusement que je ne me connais pas. Je pense être heureux, parce que pour la première fois de ma vie, il m'est arrivé quelque chose qui m'a un peu sorti de ma routine assommante.
Je veux dire, habituellement je me serais enfermé dans ma chambre de bonne avec une bonne lecture juridique, et mon existence aurait été aussi morose que le silence lourd dans lequel j'aurais été plongé.
Mais là, j'avais vécu une sensation d'adrénaline que je n'étais pas prêt d'oublier.
Alors c'est donc cela, le sentiment qui naît de l'interdit ?
Je cours un peu, puis m'arrête. Ce n'est pas le peu d'exercice que j'ai réalisé au commissariat qui m'a permis de me défouler, alors j'extériorise comme je peux. Les lampadaires diffusent une lumière agréable.
Je ne sais même pas où je me dirige, mais me dis que je finirai bien par tomber sur ce que je recherche.
C'est étrange. Je n'ai même pas envie de rentrer.
Les bars et cafés sont fermés, aucune soirée ne semble se dérouler dans les environs.
Je me mets à siffler un air inventé, avec une gaieté qui m'étonne. A me regarder, personne ne pourrait deviner que je viens de passer ma nuit dans une cellule.
Moi, Jungkook Delcroix, le bon petit étudiant en droit qui aurait pensé fouler l'entrée d'un commissariat uniquement dans le but de rejoindre un de ses clients.
Quelle ironie.
Soudain, j'entends le bruit d'un moteur venir au loin. Les phares d'un véhicule éclairent les bâtiments qui bordent la route. J'arrête mes zig-zags incessants de peur qu'on me prenne pour un homme étrange et alcoolisé. Parce que je suis sûr que c'est ce que je suis en train de dégager.
Les mains enfoncées dans mon manteau, j'attends que la voiture me dépasse pour retrouver la solitude qui me plaisait.
Pourtant, cette dernière arrive à ma hauteur puis ralentit.
Je panique un instant, sentiment intensifié lorsque je constate que la Jaguar XJ noire finit par complètement s'arrêter. C'est une belle voiture, un modèle souvent conduit par les bourgeois de la capitale. Je regarde sa plaque et y lit le numéro « 77 ». Elle vient de la Seine-et-Marne, à l'Est de Paris.
Nous y avions habité, Archibald et moi, dans cette magnifique maison que nos parents nous avait légués. Puis, lorsqu'il avait disparu, j'avais appris qu'il l'avait vendue sans même m'en parler. C'est peut-être cette somme qui l'a poussé à s'en aller pour une vie meilleure.
En attendant, je ne sais toujours pas ce qu'elle devient.
J'espère que ses nouveaux propriétaires en prennent soin.
J'ai parfois pensé à y retourner, mais n'en ai jamais eu le courage.
Toujours est-il que le conducteur inconnu a coupé le moteur. Je me dis qu'il doit vouloir me demander le chemin. Mon corps s'immobilise à son tour lorsque la porte avant s'ouvre sous mes pupilles agitées.
Le propriétaire du véhicule pose un pied au sol, puis un autre.
Une seconde m'a suffi pour le reconnaitre, encore une fois.
Maître Kim sort de sa voiture et je ne suis même pas étonné de le retrouver ici.
C'est comme si tout était sculpté pour former une logique presque parfaite : ma détresse, mon appel, son aide et, comme le point final d'un joli poème, son corps devant moi, aussi simplement vivant qu'il soit.
Il porte un pantalon noir et son fameux pull gris, mais cette-fois ci sans chemise en-dessous. Son bomber en cuir foncé est ouvert sur son torse fin et élancé. On sent qu'il a enfilé les premiers vêtements qui se trouvaient à proximité, mais il n'en reste pas moins charmant.
Pour la première fois, je remarque un pendentif en or avec un assez gros médaillon ovale. Il ne doit pas le porter souvent.
Je l'aurais remarqué bien avant, sinon.
Je remonte enfin mon regard vers le sien, impassible sous sa paire de lunettes. Il pose une main sur le dessus de sa portière et sa montre brille dans l'obscurité.
— Veuillez monter, je vous ramène.
Son injonction est loin d'être tranchante, mais il a formulé ses mots d'une façon telle que je n'ai même pas l'impression d'avoir le droit de refuser. Ils sont comme des paroles enchanteresses qu'on vous insufflerait.
Mais une honte particulière picore mes joues déjà rougies par le froid. Celle qui résulte de la détresse que je lui ai servie sur un plateau d'argent et de l'accoutrement avec lequel je me pavane : une fragilité et un visage abîmé que j'aurais préféré ne jamais lui montrer.
— Je vais rentrer en métro, ne vous en faites pas pour moi, je lui réponds tout en reprenant ma route.
J'ai à peine le temps de faire un pas en avant qu'il renchérit :
— Il me semble que la politesse commence par un simple « merci » et qu'une aide ne se refuse jamais. C'est une sacrée manie, chez vous, que de toujours rechigner à saisir une main tendue, n'est-ce pas ?
Quelques mots de sa part ont suffi à me figer sur place. Mais, sans changer, ma pensée fuse avant la raison :
— Et vous, que de toujours prendre plaisir à m'humilier.
— Allons, Monsieur Delcroix, je vais finir par verser une larme, lâche-t-il avec une ironie évidente. Peut-être qu'au fond, c'est ce que vous cherchez, n'est-ce pas ?
Sa phrase me décontenance à tel point que j'entrouvre la bouche.
Un immense sourire mesquin se forme sur son visage pâle et contrasté. Je peux voir, sous la lumière du lampadaire qui borde le trottoir, qu'une certaine fatigue rend ses traits un peu moins vivants que d'habitude. Si ses cernes font partie intégrante de son physique, cette fois-ci, j'ai l'impression qu'il n'a pas dormi depuis plusieurs jours.
Mon corps s'approche de lui. Seule la portière de sa voiture nous sépare.
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis soulagé de le voir, même si je ne lui montre pas.
— Vous savez très bien que j'en ai horreur, je rentre encore une fois dans son jeu. Parce qu'il vous plait, à vous, de courber l'échine au gré des volontés de quelqu'un d'autre ?
— Tout dépend des raisons qui nous poussent à ployer le genou. Il est des soumissions qui ont leur charme.
Il s'adosse contre la structure en métal noir et je détaille sa carrure charismatique.
Je fronce les sourcils, perdu.
Qu'est-il en train d'insinuer ?
— Montez, me coupe-t-il avant même que je ne lui pose la question, s'il vous plaît.
Maitre Kim a ajouté sa dernière parole sans toute cette arrogance avec laquelle il me parle depuis le début, comme s'il avait baissé les armes. C'est presque s'il me supplie de céder et d'approuver son secours sans toute cette complexité et cette hargne.
Dans ses yeux brille la lutte et le désir de simplicité. Oui, je crois que l'orateur aimerait se défaire de la difficulté. Alors, pour une fois, et bien trop éreinté à l'idée d'un nouveau combat, je me laisse emporter par le courant de ses pensées.
Je contourne son véhicule et il me suit. Je suis surpris de voir qu'il m'ouvre la porte côté passager, mais encore une fois reste silencieux et accueille son geste distingué.
L'avocat me fixe et je détaille son visage parfaitement proportionné, puis laisse mon corps s'écraser sur le siège. Une grimace déforme mon expression en réaction à la douleur qui m'est instantanément montée au niveau de ma colonne vertébrale.
Je sais qu'il l'a remarqué, mais évite ses deux orbes verts et me contente d'un sifflement évacuateur, les paupières fermées.
Monsieur Kim ferme la portière et part lui aussi s'installer.
Un fois dans l'intimité de l'habitacle, je prends le temps d'analyser ce qui m'entoure.
Sans grand étonnement, sa voiture est la continuité de son être. Mes pieds écrasent des tonnes de feuilles jetées à même le tapis, en boule ou encore intactes. J'essaie de les éviter le plus possible mais il y en a tellement que ça me parait compliqué. Des dossiers sont éparpillés sur le tableau de bord et je n'ose pas me retourner pour voir ce qui est accumulé sur les sièges arrière.
Il se penche vers moi et je retiens mon souffle un instant.
Son bras se tend afin d'attraper ce qui traine près de mes chaussures et balance la paperasse vers l'arrière avant de reposer ses mains sur le volant.
— Merci, j'articule de manière exagérée tout en le fixant, pour tout. Est-ce ce que vous vouliez entendre ?
Il me regarde à son tour et je ne peux m'empêcher de repenser à ces paroles, au Jardin Botanique. A ces conseils sur la manière dont je dois me tenir et à ce monde qu'il voudrait voir m'appartenir.
Je décide donc de ne pas baisser le menton et de confronter la profondeur de ce vert si noble.
— Seulement s'il est sincère, parle-t-il d'une voix plus douce que d'habitude.
— Il l'est, je gratte ma nuque, embarrassé. Comment avez-vous fait pour me sortir de là ?
Un petit sourire relève un peu ses lèvres pleines et il pose ses yeux devant lui.
— Le Procureur est un bon ami à moi. Je l'ai appelé pour lui expliquer la situation. Un coup de fil de Madame Dubois a également fini par le dissuader.
Alors Maître Dubois avait fini par prendre ma défense ?
Je garde la remarque inutile qui m'est venue à l'esprit et il démarre le véhicule.
Sa main se dirige vers la poche de sa veste et il en sort une pomme rouge.
Sans me regarder, il la lance en hauteur et je l'attrape par réflexe.
Mes pupilles se dilatent à la vue de nourriture. J'ai l'impression de ne pas avoir mangé depuis trois jours. Sans même réfléchir, je croque dedans, et pousse un son de satisfaction sans le vouloir tout en fermant les yeux. Le sucre du fruit chatouille mon palais tandis que mon estomac accueille ce qui, sur le moment, semble être le met le plus délicieux auquel j'ai pu goûter
Je pose ma tempe sur la vitre puis tourne mon visage vers lui, la pomme suspendu à mes lèvres recouvertes de son jus.
Il est concentré sur la route et je suis toujours aussi surpris de voir que ses cernes sont plus creusées que d'habitude.
— Avez-vous dormi ? je lui demande sans aucune gêne.
— J'ai abandonné le concept abstrait de sommeil depuis longtemps. Où habitez-vous ? me demande-t-il de sa voix suave.
Le voir ainsi épuisé me ferait presque de la peine.
Je ne savais pas qu'il était tracassé au point d'enchaîner les nuits blanches. Ou peut-être que c'est son travail qui l'oblige à ne pas fermer l'œil de la nuit.
J'ai envie qu'il prenne le temps de se reposer.
Il serait si bien, là, les yeux clos et la tête reposée contre l'appui derrière lui.
— A Ménilmontant, je lui réponds en sortant de ma rêverie.
Il hoche la tête, puis ajoute :
— Je croyais que vous étiez de ceux qui suivent les règles.
— Il faut croire que non, je me plais même à les enfreindre, je marmonne en exhalant un long soupir.
Son rire berce agréablement l'atmosphère et je ne peux empêcher mes joues de remonter bêtement.
— Voilà bien le sort de ceux qui s'égarent à courtiser les femmes déjà promises.
Je ne me souviens pas lui avoir détaillé mes entrevues avec Madame Dubois. Je vois que les nouvelles vont vites, ici.
L'air avec lequel il m'a lancé cela m'irrite.
— Il est vrai qu'elles ne sont pas vos principales préoccupations, je lâche de manière spontanée.
Aussitôt, je regrette mes propos.
C'est la première fois que j'ose parler de son attirance pour les hommes avec lui. Si en tant normal, ces élucubrations se développent uniquement dans ma tête sous la forme de pensées imagées assez étranges, elles pourraient se concrétiser maintenant, dans l'attente d'une confirmation de sa part.
Après tout, Auguste est un idiot qui est prêt à inventer des mensonges pour se rendre intéressant.
Qui me dit que cette nouvelle répandue est vraie ?
Je me prepare à ce qu'il s'énerve, me remballe ou m'ordonne de sortir de son véhicule.
Mais pas à ce qu'il profite d'un feu rouge afin de tourner le regard en ma direction et m'accorder un sourire ravageur qui ferait tomber plus d'un.
— Vous avez tout juste. Pour ma part, je me suis depuis longtemps orienté vers des... horizons moins compliqués, et disons plus à mon goût.
Il le sait.
Il est au courant des rumeurs qui circulent sur lui. Maître Kim est loin d'être dupe. Il est même assez perspicace. Sinon, jamais il n'aurait osé me l'avouer de cette façon.
Il a toujours une longueur d'avance.
— Alors vous aussi, vous ne suivez pas les règles, j'affirme avec dédain. Badiner avec les hommes, c'est là un bel acte d'illégalité.
Je n'ai aucun problème contre le fait qu'il puisse coucher avec des hommes. Il s'agit de son corps et de ses pratiques.
Je me demande juste : comment ?
Comment supporter le regard du public ? L'illégalité de l'acte ? Comment trouver un amant sans avoir peur qu'il ne soit pas intéressé par nous ? Sans être terrifié à l'idée qu'il nous dénonce ?
Comment flirter avec naturel ?
Tout doit être si compliqué.
Mais surtout, comment peut-on être sexuellement attiré par ce qui nous ressemble ?
Je veux dire, Maître Kim est beau. Même plus que beau. Il a cette aura autour de lui qui vous donne le sentiment d'être enivré de sa présence.
Mes yeux descendent vers son torse ainsi que ses cuisses écartées sur le siège de l'automobile.
J'ai eu l'occasion d'apercevoir son torse nu. L'avocat a un corps gracieux et élancé. Il n'a rien des muscles qu'on peut retrouver dans les magazines mais pourtant, sa taille immense et son côté svelte lui accorde une masculinité incontestable.
Pour ma part, il s'agit uniquement d'une envie de lui ressembler. Et non d'une quelconque attirance charnelle comme lui le ressent parfois avec d'autres hommes. C'est certain.
N'est-ce pas ?
Alors voilà pourquoi je me questionne sur comment il est possible d'être comme lui.
— Mais je n'ai jamais prétendu le contraire, Monsieur Delcroix, tranche-t-il plus sévèrement. Et c'est là, justement, que réside toute la différence entre vous et moi. J'ai compris depuis longtemps que chercher à les respecter ne vous mènera nulle part. Non, pour avancer, il faut d'abord les connaître en profondeur, puis tout faire pour les contourner.
— C'est pour cela que vous faites un excellent avocat, Maître Kim. Aussi efficace manipulateur que mystérieux. Vous me fascinez, j'adresse ces derniers mots à moi-même.
— Je vous fascine ?
Le feu passe au vert et notre contact visuel est rompu. Mon coeur tambourine à l'intérieur de ma poitrine.
J'espère qu'il ne l'entend pas.
Une simple interrogation de sa part a réussi à me faire perdre mes moyens un instant. Mais je garde la face et lui avoue alors, les orbes suspendues à ses lèvres foncées :
— Oui.
— Moi qui croyais vous répugner quelques secondes plus tôt.
— N-non, je bégaie, pris au dépourvu, vous faites ce que vous voulez. Votre intimité ne me regarde pas. C'est juste que... ce n'est pas commun.
Je vois que mes clarifications lui importent peu. Il a l'air plutôt amusé par ma maladresse sur le sujet qu'autre chose.
— Vous vous posez trop de questions, reprend-il comme si de rien était. Je suis persuadé qu'une d'elles vous taraude l'esprit en ce moment même.
J'analyse le trognon de ma pomme, perdu dans mes pensées tout en tentant d'oublier ce qui me parasite l'esprit : Maître Kim avec un amant.
Puis, je finis par entamer un long monologue afin de faire taire les voix dans ma tête :
— « Qui je suis ? », je souffle tout en marquant une pause. Mon corps flotte dans l'espace avec l'attente irrépressible de percuter une étoile pour exploser avec elle. Je m'efforce à m'attribuer des goûts, des couleurs, un style propre à moi. Mais je désire être tout le monde à la fois.
Le regard accroché à la route qui défile, je continue tout en murmurant contre la vitre :
— Lorsque je me crois courageux et que l'assurance monte peu à peu pour me bercer dans l'illusion d'être capable de l'impossible, une embûche sur mon chemin vient tout balayer en une fraction de seconde. Je m'enfonce et me réduis au silence. Parce qu'après tout, pourquoi parler lorsqu'on n'est pas entendu. À qui s'adresse-t-on ?
Comme si c'était une évidence, il me répond :
— À nous, la personne que nous ne connaissons pas encore.
Je tourne ma tête vers lui. Il en fait de même vers moi. Je décide donc de lui demander :
— Et vous, qui êtes-vous ?
Contraint à analyser le chemin, notre intense échange est brisé une nouvelle fois.
— Moi, je suis celui qu'on veut que je sois. Le but d'une vie n'est pas de savoir qui on est, Monsieur Delcroix. Arrêtez-vous maintenant, vous n'obtiendrez jamais de réponse.
J'encaisse ses mots et me mure dans une profonde réflexion. Monsieur Kim l'a remarqué puisqu'il n'ajoute rien, et un silence léger prend place entre nous deux.
Je n'aime pas cette expression.
« Le but d'une vie ».
La vie n'a aucun but, ou en tout cas aucun que nous puissions avoir en commun. Chacun fait ce qui lui plaît en fonction de sa propre définition de la réussite.
Je dirais que le but d'une vie est justement de ne pas savoir où on va.
Mes yeux risquent quelques coups en direction du conducteur. Je fixe son front sur lequel tombe quelques pics de ses mèches lisses et noires, puis l'arrondi de son nez. Ses lunettes y sont posées assez bas.
Rapidement, je reconnais derrière lui l'arrivée dans mon quartier.
Il fait un peu plus jour, assez pour me rappeler la clarté de sa peau de porcelaine. Monsieur Kim est tellement beau et soigné qu'il fait tâche, ici, sur la route qui encercle la place Maurice Chevalier.
— Vous pouvez vous arrêter ici. J'habite à une minute, je l'avertis d'une petite voix.
L'avocat acquiesce sans poser de questions et stationne au bord de la chaussée. Je suis soulagé de voir qu'il n'insiste pas afin de m'amener à l'adresse exacte.
Ménilmontant est un quartier charmant, il n'y a rien à dire.
Mais une certaine honte me vient à l'idée qu'il sache où j'habite. L'immeuble a un cachet ancestral prononcé et n'est pas très bien entretenu. Rien à voir avec l'apparence que j'essaie de garder à l'université. Je me dis que lui doit habiter dans une de ces immenses maisons a au moins deux étages, je ne sais même pas s'il sait à quoi peut ressembler la vie sous un toit.
Ma crainte est ridicule, pourtant je n'arrive pas à penser autrement.
— Je ne sais pas comment vous remercier, je lâche afin de briser la gêne installée.
— Vous pourriez par exemple ne plus jamais finir dans un commissariat, ni blesser ce si joli visage ? Je ne vous sauverai pas deux fois.
Je rougis violemment.
— Et je vous ne solliciterai pas deux fois, soyez-en sûr, je lâche un léger rire afin d'oublier son compliment.
— Alors on est quittes.
Maître Kim pivote son torse vers moi et sa beauté sublimée par les quelques lueurs orangées de l'aube me lance soudain un pic au coeur. Je détourne finalement le regard, intimidé, puis pose une main sur la poignée intérieure de la porte.
Mais, juste avant de l'ouvrir, je décide d'entourer mes doigts de l'élastique noir qui se trouvait à l'intérieur de ma poche.
Mes phalanges passent dans mes cheveux longs et épais afin de les recoiffer un peu mais, lorsque mes coudes se lèvent afin de les attacher, une douleur lancinante paralyse tout mon dos.
Immédiatement, je baisse les bras et plie mon torse vers l'avant. Je laisse échouer mon front sur le tableau de bord devant moi. La mâchoire serrée, je ne peux me retenir d'échapper un juron :
— Putain.
Cette fois-ci, Misère ne suffisait pas.
Prenant sur moi, je parviens à me redresser, et ce sont mes esprits à peine récupérés que j'entends Maître Kim me demander :
— Je peux ?
Mes iris s'ancrent aux siens alors que ma tête, sans même que je puisse la contrôler, bouge de haut en bas en un mouvement lent.
Le corps de l'avocat s'approche vers moi et j'hume son parfum agréable.
Son index s'approche de ma main droite sur laquelle il vient récupérer l'élastique. Je sens y passer son doigt à l'intérieur tout en appuyant sur ma peau.
Son contact retient mon souffle.
Il pose alors sa main sur mon épaule pour m'obliger à me tourner dos à lui.
Un frisson traverse ma colonne vertébrale lorsque je sens sa présence et son souffle à quelques centimètres de ma nuque.
Maître Kim plonge ensuite ses doigts dans mes mèches et c'est à ce moment précis que j'ai perdu pieds.
Les yeux fermés, je ne ressens plus que la sensation chaude de ses main en train de démêler mes cheveux avec une douceur que je ne lui aurais jamais pensé. Mon estomac est retourné et une sensation de picotement grignote mon être tout entier. C'est la première fois qu'on prend autant soin de moi.
Que c'est bon.
Je n'ai pas eu ce sentiment de confiance et d'attention depuis une éternité. Je me demande même si je l'ai un jour ressenti avec autant d'intensité.
Je sens qu'il essaie de faire de son mieux. Ce n'est pas un professionnel.
Mais une fois la masse de ma chevelure rassemblée dans sa poigne, deux tours suffisent pour la faire tenir entre le chouchou.
Et c'est à contre-coeur que je le laisse baisser les bras une fois son oeuvre terminée, avec encore la tendresse brûlante de son contact qui courent dans les moindres parties de mon corps : mes joues en première ligne.
Lentement, je lui fais face à nouveau, et récupère le trognon de pomme sec que j'avais enroulé dans un mouchoir puis posé entre mes cuisses. J'attrape alors son poignet puis apporte sa main à hauteur de mon torse tout en le forçant à la mettre à plat.
Je me saisis de la fin de la pomme et ses pépins noirs puis pose le déchet à l'intérieur de sa paume, comme son être prétentieux l'avait fait quelques semaines plus tôt, plongé dans l'obscurité d'une chambre du Ritz.
Enfin, alors que j'évitais tout contact - parce que je sais que la rougeur de mes joues lui est sûrement visible - je prends mon courage et plonge mon regard dans le sien. Je souffle alors, à une vingtaine de centimètres de son visage :
— Comme ça, on est vraiment quittes.
Pour la première fois, une vive émotion habille les pupilles de l'orateur : une multitude de bribes scintillantes et pétillantes. Un sentiment s'apparentant à celui de la passion.
Il reste silencieux, comme hypnotisé par mes iris bleus, un lac alpin où la couleur de la verdure se mélange à l'eau, et je décide de sortir du véhicule avant de découvrir la suite des événements.
Parce que je ne le veux pas.
Parce que j'ai peur de ce qui pourrait bien arriver.
Maître Kim sonde ce qui lui est plaisant avec une telle intensité.
Il est si difficile de faire la séparation entre son rôle d'orateur et ce qu'il pense réellement. Un excellent avocat comme lui ne doit pas être facile à côtoyer dans la vie de tous les jours. Je me demande quelles expressions animent son visage toujours aussi austère lorsqu'une émotion incapable à camoufler lui vient et pas n'importe laquelle : l'amour.
Il est impossible de reproduire l'amour, de jouer l'amour, de berner l'amour. Il aura toujours un coup d'avance, peu importe les précautions que vous prendrez. Et ce, même pour lui.
Si une telle passion peut réveiller en nous les plus belles facettes de notre personnalité, elle devrait pouvoir se lire à travers ses traits comme un texte sacré. Et l'orateur analyse ce qui l'entoure avec une grande profondeur, alors je n'ai pas de mal à imaginer les regards qu'il lancerait.
Je pense que si amour il devait y avoir chez lui, il se lirait en premier à travers ses iris, jardins de menthe sauvage. Oui, j'en suis persuadé, maintenant.
Maître Kim embrasse avec les yeux.
❈
Hihi.
Bon, j'arrête. Plus sérieusement, qu'en avez-vous pensé ?
Y'a un petit indice caché mais je ne sais pas si vous allez le trouver. Il est visible que par moi je crois MDRRRR. Pour les plus perspicaces d'entre vous si jamais...
Le prochain update risque d'être encore un peu long à arriver je suis désolée. J'ai mes colles de mi-semestre dans 2 semaines et je ne sais pas si j'aurais le temps d'écrire d'ici là même si le prochain chapitre est déjà à 2000 mots. Merci pour votre patience, je vous aime du plus profond, profond, profond de mon cœur.
À très vite et prenez soin de vous.
Zena.
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