Caput IX
Bonsoir tout le monde !
Voici le neuvième chapitre de cette histoire : je l'adore. Ça passe tellement vite ... on a déjà atteint presque un quart de l'histoire.
Je vous laisse avec une seule et unique scène, full taekook comme on les aime.
Bonne lecture <3
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Certains s'indignent encore de la guillotine. Pourtant, rien n'a vraiment changé. La lame a pris un aspect moins brutal, et la cérémonie, plus solennelle. On décapite le roi qui trahit, plutôt par vengeance malsaine et démonstration de force que justice suprême. Là est bien le seul contre-argument contre celui qui vise à mettre l'accent sur les inégalités qu'engendre la peine de mort. Il ne faut pas être dupe : les riches s'en sortent toujours. Rares sont ceux condamnés à la sentence fatale. La plupart qui y ont péri étaient les minorités raciales ou ethniques, de manière complètement disproportionnée.
1931 : les Scottsboro Boys.
Neuf jeunes hommes afro-américains accusés à tort de viol en Alabama. Procès marqués par une absence de preuves tangibles et une atmosphère de racisme intense. Initialement condamnés à mort, plusieurs de ces jeunes hommes ont passé des années en prison avant que certains ne soient finalement libérés.
Dix ans plus tôt : Sacco et Vanzetti.
Deux immigrants italiens accusés de meurtre dans le Massachusetts. Procès entaché de préjugés ethniques et politiques, car ils étaient connus pour leurs opinions anarchistes. Bien que leur cas ait attiré une attention internationale et suscité des doutes quant à leur culpabilité, ils ont été exécutés en 1927. Une peine sordide. Pour moi, leur mort met en lumière la manière dont les dissidents politiques peuvent être injustement ciblés.
J'en ai connu un, d'anarchiste.
Je suis content qu'il ait disparu, parce que plus je grandis, plus je pense que ce monde n'est pas fait pour lui.
Nous poursuivons notre aventure dans les années 50 : Julius et Ethel Rosenberg.
Accusés d'espionnage pour l'Union soviétique, la Cour a décidé qu'ils ne méritaient pas de vivre.
Pourquoi ?
Pour une simple hystérie anticommuniste, une peur et une haine politique. La phobie des idées contre les nôtres, de cette faiblesse d'esprit qu'on pense avoir au point de se faire endoctriner.
Et enfin, l'un des cas américains les plus terribles : les Groveland Four.
Quatre hommes accusés de viol en Floride. Avant même d'avoir droit à un procès équitable, l'un d'eux a été tué par une foule en colère, et les autres ont été gravement maltraités par les autorités.
Quand la justice se fait en amont de toute procédure, voici le résultat.
La salle de classe est déserte. Seule la lumière du plafond éclaire d'un ton chaleureux les tables en bois alignées. Je suis assis à la place du professeur, derrière le bureau, non pas par pur égo mais tout simplement parce que leur assise est, de manière infortune, rembourrée.
Il est vingt-et-une heures.
Encore personne ne m'a chassé. Mon côté prudent a pris le soin de fermer la porte, mais si j'entends des bruits de clés provenir du couloir, je saurais alerter ma présence à temps pour ne pas passer la nuit ici par mégarde.
Le cliquetis de l'horloge résonne de manière stressante en moi. Les chauffages ont été éteints. C'est donc avec mon long trench beige que je me tiens de manière peu gracieuse, le regard figé vers la feuille raturée devant moi.
Des mots, il y en a partout, mais difficile de parvenir à les lire.
Ils se chevauchent les uns les autres, s'entrecoupent et se dissimulent derrière des traits désordonnés.
Je crois que le plus difficile n'est pas tant de prouver que la peine de mort est la plus grande abomination du vingtième siècle.
Non.
Le plus dur est de convaincre les autres de croire en votre combat, de vous rejoindre, et de lutter à vos côtés.
L'Ethos.
Les romains en avaient bien eu besoin pour dresser des rangs et monter une armée.
Veni Vidi Vici.
Allez réussir à toucher la volonté des hommes, tout en leur demandant de mourir dans le sentier de vos idées et de vos rêves. Ce n'est pas une mince affaire. Mais encore une fois, les grands leaders savent parler.
L'éloquence est la clé.
Et pour le Maître des mots, elle est même une arme ...
De la buée s'est formée sur les verres de mes lunettes : contraste entre la chaleur de ma réflexion intense et le doux piquant du mois d'octobre. Je les retire puis tire sur mon pull noir afin de frotter le tissu pour les nettoyer. A travers le reflet, j'aperçois ma chevelure désordonnée qui dresse parfois quelques pics sur le dessus de ma tête. Mes doigts engourdis par leur vive séance d'écriture passent à travers mes mèches afin de les recoiffer.
Je replace ma monture sur le bout de mon nez puis me lève.
Mes pas foulent le parquet qui hurle sa détresse devant l'effort qu'est de supporter mon corps tout habillé. Un frisson glacé de mon inactivité parcourt mon échine.
Je m'arrête devant la fenêtre qui donne sur la rue extérieure au bâtiment. C'est la pleine Lune. Quelques voitures passent, quelques passants marchent, quelques couples s'embrassent tandis que quelques feuilles d'automne se prélassent.
Les lampadaires tous ornés d'or propagent une douce lueur au milieu de la nuit noire.
Je me fige un instant : un homme âgé de la quarantaine, habillé d'un béret, relève les yeux vers mon étage.
Il est intrigué.
Il doit sûrement se demander qui peut bien traîner dans ce bâtiment à une heure pareille.
Ma foi, ce n'est que moi.
— Bon, je vais improviser... je parle à moi-même tout en me dirigeant à nouveau vers le bureau.
Un bruit désagréable s'élève alors que je tire la chaise vers l'arrière. Son dos frotte le tableau vert derrière moi. Le choc fait tomber une craie blanche au sol que je ne prends pas le temps de ramasser.
Des débris blancs voltigent un peu partout sur le parquet, formant un amas de poudre par endroit.
En un éclair, je pose mon pied droit sur la plateforme en bois et me hisse pour y tenir debout. Je chancèle deux seconde puis retrouve mon équilibre. J'enjambe ensuite l'espace entre le meuble sur lequel je me tiens et le bureau, puis prend ce dernier comme scène pour mon spectacle.
Ma feuille se froisse sous la semelle sale de ma chaussure, et je caresse du regard la vue panoramique de la salle sans vie qui semble si étroite à cette hauteur.
L'air s'insuffle de manière agréable à l'intérieur de mes poumons. C'est comme une bouffée vivifiante, une sensation analeptique qui se répand à travers mon être.
Mon dos se redresse, mes bras planent dans les airs en attente de suivre ma voix qui est leur cheffe d'orchestre, et je remonte ma monture d'un simple tic du nez.
J'entame alors, haut et fort, priant intérieurement pour que personne ne m'entende de l'extérieur :
— La peine de mort : ultime justice ou injustice suprême ?
Quelques secondes méthodiques servent à faire planer mes derniers mots à travers le public inexistant. J'ai articulé chaque syllabe avec exagération. Chaque intonation était plus dramatique que la précédente.
Lorsqu'un orateur prend les devants et entame son discours devant tous, il sait qu'il s'adresse aux autres avec un ridicule certain et prononcé. Il se pavane, joue de sa gestuelle et de son timbre. Il n'est pas la pour être un tant soit peu crédible dans sa représentation - l'Ethos s'en chargera - non, lui est là pour charmer. Ce n'est pas avec son naturel qu'il se présente, mais une éloquence forcée, presque de trop, presque grotesque. Plus l'avocat est bon, plus il se sait passer au-dessus d'une retenue gênée, de la recherche d'une finesse, d'une réalité et d'un classique dont l'ennui est à mourir.
Le meilleur Maître est celui qui sur-joue, qui s'amuse avec le rythme autant qu'il se divertit de l'espace qui l'entoure. Il doit l'occuper, ne laisser place à aucune ombre qui l'engloutirait.
On ne doit voir plus que lui.
On ne doit écouter plus que lui.
Tous nos ressentis ne doivent être tournés plus que vers lui : la moquerie au début, puis le choc, et enfin, l'admiration.
Elle peut mettre du temps à venir, mais elle sera présente. Ou du moins, s'il a réussi à unir les trois piliers.
— La peine de mort est le signe spécial de la barbarie, disait Victor Hugo. La justice doit être aveugle et impartiale. Mais la peine de mort n'est-elle pas trop martiale ? Quand l'erreur judiciaire fait de l'innocent une proie, devrions nous rester muets ? Face à l'irréversible, c'est comme si nous refusions de voir l'animal muer.
La vie est un droit fondamental. Sacré. Tuer pour punir est pourtant paradoxal.
Si l'État devient bourreau, où puise-t-on notre moralité ? Nous n'avons ici que la vengeance qui se cache sous le nom de légalité !
Les crimes persistent, malgré la menace de mort. Voici la brute réalité : la peine capitale ne fermera jamais ce funeste port.
Ne devrions-nous pas chercher des solutions plus justes, réhabilitant des chemins moins abrupts ? L'humanité progresse quand elle choisit la vie. Pas quand elle s'attaque à l'existence sacrée des plus démunis... Et si, au bout du compte, notre plus grande erreur était de croire que l'ultime justice pouvait se trouver dans la fin de nos souffrances ?
Le calme reprend. Ma phrase reste en suspens. Un vide intersidéral paralyse mes pensées : je n'ai aucune idée de ce que je peux bien ajouter.
Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi dire, quoi partager, quoi rétorquer à mes propres avancées. Moi qui, habituellement, déverse mon trop plein d'avis avec une facilité qu'on envie, je suis devancé par un silence moqueur.
Il s'agit du deuxième sujet qui me met en difficulté.
La raison n'est pas mon manque d'inspiration en total antinomie avec mes opinions. Au contraire, tellement de convictions me viennent en tête que je suis ignorant de celles qui m'est autorisé à révéler.
Que dois-je dire, selon eux ?
Qu'aimeraient entendre les magistrats qui se tiendront fièrement afin de juger, cette fois-ci, les mots de mon esprit ?
Je veux faire un sans faute. Mais la faute peut se trouver partout. Elle diffère d'interlocuteur en interlocuteur : ce qui était scandaleux pour l'un sera du génie pour l'autre.
Alors comment être un génie pour tous ?
Ma dernière syllabe s'est comme coincé dans ma gorge, bloqué pour toujours. Je déglutis puis baisse la tête : réaction que je m'autorise uniquement lorsque je n'ai pas de public devant lequel montrer ma faiblesse.
J'ai le sentiment d'être perdu. De ne plus savoir qui je suis. Ma personnalité se modèle en trop de facettes différentes et je ne sais plus déceler le vrai du faux. Pourtant, j'ai l'impression de toujours avoir été moi : Jungkook Delcroix, frère d'Archibald Delcroix, futur avocat, convaincu qu'il est né pour toujours se sentir aussi grand que maintenant, perché sur un bureau d'une salle de cours tout en parlant au mur qui désire quand même l'écouter au milieu de son insonorité.
C'est au milieu de ce néant que mon sens de l'ouïe, moins accaparé par ma plaidoirie, se met en alerte.
J'entends quelqu'un, derrière moi.
Il y a un son de tissu que l'on froisse, puis d'une semelle de chaussure qui frotte sur le sol. Je me concentre dessus pour être sûr de ne pas les avoir hallucinés, sans oser bouger d'un millimètre pour vérifier ma solitude brisée.
Mon coeur loupe un battement.
Une longue expiration brise le calme.
Et ce n'est pas la mienne.
Cette fois-ci, je me retourne à une vitesse qui m'impressionne, après-coup : comme un réflexe inné, primitif.
La peur a paralysé tout mon corps, terrifié à l'idée qu'on puisse me surprendre ainsi. Mes épaules se soulèvent si brusquement que tout mon être est pris dans une secousse brève mais intense. Le sang s'est davantage glacé dans mes veines lorsque ma vision floue a d'abord heurté cette silhouette derrière moi.
J'ai immédiatement reconnu ces deux yeux verts émeraude qui semblent briller.
Taehyung Kim se tient devant la porte du fond qui relie une salle de classe à une autre, à côté du tableau : celle que généralement personne n'ouvre, et que je pensais scellée. Mais elle n'est pas condamnée, et je ne l'ai pas entendu une seule seconde appuyer sur la poignée. Sa discrétion me surprend, je refuse de croire qu'il n'a pas usé du don de la téléportation.
Je dois rêver, n'est-ce pas ?
Cet homme m'intrigue. Comment peut-il se retrouver nulle part, mais en même temps partout à la fois ?
Mon imagination me joue des tours, et l'horreur que sa simple existence arrive à me procurer décide de se moquer de moi. Elle me laisse modeler son regard impénétrable et insultant partout où je suis, d'une manière presque cauchemardesque, matérialisant mes émotions au creux de mon estomac retourné.
Je purgerai tout le mal que j'ai pu faire dans ma vie s'il le faut, et accepterai ma sentence, à la seule condition que l'on cesse de toujours vouloir m'humilier en le mettant sur mon chemin.
Le professeur se dresse contre la cloison qu'il a refermé.
La première pensée qui me vient est : que fait-il habillé aussi simplement ?
Il ne porte pas son long manteau noir habituel. Seuls son pantalon large noir et un col roulé de la même couleur recouvrent son corps longiligne. Lui aussi semble s'être installé ici - enfin, dans la salle juxtaposée - pour la soirée : sûrement pour avancer sur sa thèse ou traiter les derniers dossiers de ses clients du cabinet.
Pourquoi ne rentre-t-il pas chez lui ?
Chez lui.
Je me demande dans quel lieu il habite.
Un appartement, un studio, une maison ou bien un château ?
La dernière option lui irait bien.
Il a parfois l'allure d'un prince.
Je le détaille sous la lumière chaleureuse du plafond dirigée vers lui. L'avocat est tellement grand qu'il se courbe inconsciemment lorsqu'il se trouve dans des espaces clos.
C'est avec une nonchalance loin d'être repoussante qu'il est appuyé contre le mur, d'un air toujours aussi indéchiffrable. Ses bras sont croisés sur son torse ferme. Sa montre hors de prix habille toujours son poignet délicat et sa chevalière en argent, ses doigts longs et fins.
Mon odorat se remet également en route lorsqu'il avance quelques pas vers moi.
Son mouvement amène une bouffée de fraîcheur parfumée dans mes narines.
Mes poumons se gonflent de son odeur.
Depuis combien de temps est-il ici, à m'écouter monologuer seul, comme le dernier des fous ?
— Vous ne gagnerez pas, énonce-t-il méchamment.
Je grimace, de manière impulsive, puis sens mes paumes devenir moites.
Il effectue les quelques pas qui nous séparent et je reste focalisé sur sa démarche assurée avec l'envie de lui dire de partir.
Toujours les bras croisés, il contourne les tables puis se plante devant le bureau.
Je le regarde d'en haut et il me fixe d'en bas.
Quel drôle de tableau nous devons représenter.
Je n'ose même pas descendre de là où je suis, me disant qu'il faudrait mieux rester immobile face à son imprévisibilité. Pourtant, plus les secondes passent, plus je suis clairement en train de m'enfoncer dans mon ridicule.
Il n'y a rien de normal à cette situation.
Mes sourcils se froncent et je remonte ma paire de lunette d'un mouvement tellement brusque qu'elle retombe encore plus bas sur mon nez.
— Je ne gagnerai pas ? je répète de manière dangereuse, sans réelle incompréhension.
— Oui, vous m'entendez parfaitement.
Sa voix qui puise dans les tons graves mais qui reste tout de même mélodieuse et lisse résonne à l'intérieur de moi.
Je n'ai pas le temps de lui demander d'expliciter sa conclusion qu'il ajoute :
— Pourriez-vous descendre à ma hauteur, afin que nous soyons sur un pied d'égalité ?
Je lâche un rire sans une once d'humour et marmonne :
— Regardez-le parler d'équité alors qu'il se plaît à rappeler son statut plus élevé.
Il m'a très bien entendu et compris, mais ne relève pas mon insolence qui mériterait plus d'une sanction. Je crois qu'à sa place, je me serai pris un malin plaisir à me remettre à ma place - dans la continuité de ce qu'il a fait jusqu'à présent.
Pourtant il n'en fait rien.
Au contraire, il effectue le dernier geste que je pensais voir chez lui, et qui pourtant ne lui est pas si étranger.
Sa main se tend vers moi, toujours d'un altruisme qui contredit la dureté des paroles qu'il vient de me cracher plus tôt.
Comme au Palais de Justice.
Ne pense-t-il pas que je vais accepter de serrer ses doigts après ce qu'il vient de me dire ?
C'est étrange : ma hauteur parait vraiment l'embêter. J'ai presque envie de rester ici afin de l'irriter.
Bien évidemment, j'ignore l'aide qu'il propose et m'accroupis afin de sauter.
Ayant mal calculé la distance, ma réception est mauvaise et j'atterris de façon déséquilibrée : mon manteau frôlant le pull de Maitre Kim. Je réagis dans l'immédiat et agrandis les pauvres centimètres qui séparaient nos corps qui ne devraient pas être aussi proches.
Lui n'a pas bougé d'un poil, c'est à peine s'il était dérangé par mon torse presque collé au sien. Il n'a aucune réaction pour mon rejet non plus, comme s'il s'y était attendu.
Son regard profond n'a pas quitté mes yeux qui essaient pourtant d'éviter les siens au maximum.
Je ne m'étais pas rendu compte que je reculais encore jusqu'à ce que mon postérieur cogne le bureau.
Prenant la décision de m'y appuyer à moitié, j'oriente mes bras vers l'arrière puis pose mes deux paumes de main à plat sur la surface lisse.
— Merci, prend-il tout de même le temps de m'adresser.
Mais je reste obnubilé par cette phrase qu'il a prononcée :
— Pourquoi je ne gagnerai pas ?
Aucune réponse, à la place, il me demande avec une soudaine intensité :
— Quelle est la personne qui vous est la plus chère au monde ?
Je pince ma bouche, détaillant ce visage aux proportions parfaites devant de moi.
J'admire le blanc de sa peau et les lèvres pleines qu'il remue à peine lorsqu'il parle. Il cligne rarement des yeux, mais lorsqu'il le fait, je souffre presque de ne plus pouvoir plonger à l'intérieur des joyaux qui y sommeillent. Afin d'apaiser la souffrance de cette privation, quand il se met à les rouvrir doucement, c'est comme si j'en découvrais la couleur pour la première fois.
L'orateur ne porte pas ses lunettes sur son nez : elles sont coincés à l'intérieur de ses mèches noires et lisses, sur sa tête, et c'est peut-être cette information qui justifie mon puissant intérêt pour son regard désormais libre.
J'aimerais qu'elle le fasse, en tout cas. Parce que l'attention que je porte à son physique lui est visible et m'embarrasse.
Je crois n'avoir jamais vu quelqu'un d'aussi beau que lui.
Jungkook, il t'a posé une question. Et il attend.
— Mon frère, je souffle en détournant le regard vers la fenêtre.
Je suis certain qu'il peut entendre les battements effrénés de mon organe vital, de là où il se trouve.
Il lâche un petit son d'approbation, puis réfléchis tout en continuant à me fixer.
Enfin, il commence, du même rythme avec lequel on raconte une histoire d'horreur :
— Si demain je venais à ôter la vie de votre frère, sans aucune raison, après l'avoir soumis à des tortures inhumaines, à des sévices cruels et pervers, puis à le mutiler, le dépecer comme un simple animal destiné à la congélation, réduisant chaque parcelle de son corps à un état de sang et de décomposition, et que je me tenais là, devant vous, que feriez-vous alors ?
Ma respiration se coince dans ma gorge.
Qu'y a-t-il à l'intérieur de sa tête ?
J'ai envie de lui hurler qu'il est complètement fêlé.
Une colère inexplicable monte progressivement à l'intérieur de moi. Parce qu'il a parlé de mon frère. Je n'aurais pas du lui donner les informations qu'il voulait.
Son imprévisibilité m'irrite.
Je sens mes avant-bras commencer à trembler d'une manière trop faible pour être perçue et mes muscles se contracter.
— Cette question est complètement malséante... je chuchote, toujours aussi troublé.
Un pas en avant qui réduit notre distance.
— Répondez, insiste-t-il, qu'aimeriez-vous faire de moi ?
Et encore un.
— J-je vous dénoncerai, dis-je avec évidence, vous passerez devant le juge et vous croupirez en prison pour le restant de votre vie, afin d'apprendre à distinguer le bien et le mal.
Puis, tout a commencé à prendre une autre tournure lorsqu'il a lâché :
— Ce n'est pas la vérité.
— Si !
Mon cri l'oblige à écarquiller les yeux un instant : un mélange d'étonnement et d'intérêt.
Il s'approche encore un peu plus et nos pointes de chaussures se touchent presque.
— Non et vous le savez. Alors répondez avec sincérité : là, maintenant, si je glisse une arme dans votre main et que je vous donne le pouvoir de camoufler vos actes, que me feriez-vous ?
Son torse se penche vers l'avant et il approche son visage afin de m'obliger à soutenir ses iris de serpent.
— Je vous l'ai dit, je vous amènerai à un poste de police et... je balbutie.
— Allez ! élève-t-il également la voix en me coupant d'une impatience impressionnante. Dites-le !
Quelques secondes de silence s'installent où seules nos respirations rythment la salle.
Il ne bouge pas, pourtant je suis tellement hypnotisé par ses traits que j'ai le sentiment que son visage glisse de plus en plus vers le mien.
J'articule alors les mots qu'il veut entendre depuis le début, avec un calme déroutant :
— Je vous tuerais.
Un rire. Un vrai rire.
Puis un autre.
Et enfin, plus rien.
Comme si ce que je venais d'entendre et de voir sur ses lèvres n'avait jamais existé.
L'avocat paraît satisfait de ma réponse, puisqu'il se redresse après avoir relever discrètement le coin de sa bouche. Ses bras pendent le long de son corps alors qu'il me tourne le dos. Il entreprend alors de marcher un peu partout dans la pièce, à la manière de ceux qui n'arrivent pas à tenir en place.
— Connaissez-vous l'affaire de la bête du Gévaudan ? me questionne-t-il alors qu'il s'assied finalement sur la première table devant moi.
— Non.
Encore troublé par notre précédent échange, je l'écoute d'une oreille distraite
— Il s'agit du nom donné à une créature mystérieuse qui a, au XVIIIe siècle, terrorisé la région du Gévaudan. Pour vous donner une équivalence, il s'agit aujourd'hui d'une partie de la Lozère et du sud de l'Ardèche.
— Je ne pensais pas que vous étiez friands des contes de fée.
Il sourit, mais reprend immédiatement son sérieux sans rebondir :
— On raconte que des personnes, principalement des femmes et des enfants, ont été attaquées et tuées par une créature inconnue. Les victimes étaient souvent trouvées avec des blessures graves. Certaines avaient même été dévorées. Les témoignages - peu crédibles tant ils variaient - décrivaient la Bête comme une grande créature ressemblant à un loup, mais avec des caractéristiques atypiques, comme une taille énorme, des dents et des griffes redoutables, et parfois une apparence plus humanoïde.
Il croise à nouveau ses bras contre son torse alors que mon attention légère s'est retrouvée happée par son histoire, tournée vers lui comme un fidèle et son saint.
— Face à la terreur croissante, le gouvernement local, délégué de la justice de Louis XV, a organisé des campagnes de chasse massives, impliquant des soldats, des chasseurs et même des chiens spécialement entraînés. Les efforts pour capturer ou tuer la Bête, prime à la clé, ont souvent échoué. La panique générale augmentait. L'affaire a pris une tournure étrange lorsque des témoignages ont commencé à évoquer des éléments surnaturels et des rituels. Certains prétendaient que la Bête du Gévaudan était un démon ou une créature envoyée par des forces occultes.
Il marque une pause, et son silence me permet d'interagir avec lui :
— Ils ont fini par retrouver le coupable ?
— Après plusieurs années de terreur, une grande bête a été tuée par un chasseur nommé Jean Chastel. La créature était un loup. Après cette mort, les attaques se sont arrêtées, bien que des théories et des légendes aient continué à circuler. Certaines spéculent qu'il pourrait s'agir d'une créature exotique qui se serait perdue, et non un simple loup agressif. Il y a aussi des théories moins conventionnelles qui parlent d'un prédateur fabriqué par des groupes ésotériques.
— Je ne vois pas où vous voulez en venir, lui dis-je avec toute la sincérité du monde.
Monsieur Kim s'avance à nouveau vers mon corps à moitié sur le bureau.
Plus il réduit l'espace entre nous, plus mes pulsations cardiaques s'accélèrent. Comme tout à l'heure.
Sa proximité me rend tellement nerveux, qu'à contrario, je suis soulagé lorsqu'il accroît un peu plus mon espace personnel.
— La peur a engendré une hystérie collective, insiste-t-il sur ce point, avec des exécutions et des chasses intensifiées par la terreur du peuple. Des témoins ont été accusés de mentir ou de comploter avec la Bête, à tort. Tous ont été mis à mort. Exécutés publiquement, après avoir plaidé leur innocence devant les baillages et les sénéchaussées. Certains cas sont même remontés jusqu'au Parlement royal de Paris. Voilà pourquoi vous ne gagnerez pas avec vos mots de façade.
— Mes mots de façade ?
Depuis le début, je ne fais que répéter bêtement ce qu'il me dit. Mais je n'arrive pas à faire autrement. La manière dont il s'adresse à moi me trouble tellement que je veux être sur de bien comprendre.
De bien le comprendre.
Alors je ne m'autorise aucunes autres réflexions que les siennes formulées de mes lèvres.
— La peine de mort n'est pas seulement une indignation qu'il faut pointer du doigt. Vos arguments à deux poids deux mesures ne suffiront pas. C'est plus complexe que cela.
— Camus disait que ni l'histoire, ni l'analyse, permettent de démontrer que la vie d'un homme mérite d'être prise, je lui réponds tout en baissant la tête. Ce sont aussi des mots de façade ?
— Oui. Parce qu'il ne nuance pas ses propos alors que nous avons tous le potentiel d'un assassin héroïque. Et qu'il a tort : parce que tuer a, malheureusement, fait partie des moments les plus glorifiants de notre histoire.
Sans réfléchir, je lâche les premières pensées qui me viennent à l'esprit :
— Est-ce donc parce que vous vous apprêtez à traiter une affaire de peine de mort que vous vous considérez comme un érudit en la matière ?
Aussitôt, je les regrette.
L'ambiance a radicalement changé.
Le voile noir qui vient de s'abattre sur ses prunelles me fait prendre conscience de la gravité de mes propos. Mes doigts se plaquent sur mes lèvres pour les empêcher de prononcer un mot de plus.
Misère, Jungkook, tu ne peux pas la fermer au moins une fois dans ta vie ?
Mon coeur s'arrête lorsque, d'un coup, je sens qu'une poigne ferme attrape le col de ma chemise.
Je lâche un hoquet de surprise en voyant la force impressionnante avec laquelle il vient de m'approcher dangereusement de lui. L'orateur a guidé mon corps comme si j'étais un misérable bout de chiffon.
Il est presque en train de me soulever.
Le choc se lit sur mon visage alors que la haine se lit sur le sien.
Les deux sont tellement proches que le bout de nos nez sont prêts à s'effleurer.
C'est la première fois que j'arrive à lire une de ses émotions aussi aisément. Il vient de perdre tout le sang froid qui, d'ordinaire, le caractérise.
Je veux me défaire de son emprise, reculer par peur de cette foudre qui sort de ses deux orbes, me désintégrant sur place. Mais je suis bloqué entre le bureau et son corps tendu qui n'hésite pas une seule seconde à se presser contre le mien.
— Comment l'avez-vous appris ? son timbre est incisif.
L'agressivité se sent dans sa voix. Paradoxalement, son torse se soulève de manière anormale et ses sourcils vacillent, preuve de l'inconfort et de la faiblesse que ce sujet amène en lui.
Peut-être qu'il n'est pas aussi dénué de ressentis qu'il en laisse paraître.
— Faites comme si je n'avais rien dit, je tente de me rattraper, je parle souvent sans réfléchir et vous savez que je ne vous le dirais pas.
Un rire moqueur s'échappe de sa bouche et je me sens bête.
L'apaisement lui revient au bout d'un moment passé à me dédaigner du regard. Une bataille semble avoir débuté à l'intérieur de lui.
Finalement, il abandonne l'idée de me soutirer la vérité et souffle :
— Voilà ce que j'étais venu vous dire : le fils du doyen de la meilleure Université de France participe pour la première fois au concours. Pensez-vous vraiment que vous avez une chance de le remporter ? Je vous sais intelligent et perspicace, Monsieur Delcroix. Mais érudit ou non, je crois mieux discerner le vice que vous.
Tout se mélange à l'intérieur de ma tête.
J'ai mal, extrêmement mal.
Auguste...
C'est impossible, ça ne peut pas être vrai. Il raconte n'importe quoi. Tout ne peut pas avoir été écrit d'avance.
— Je le pense, parce que j'ai foi en la justice et je sais que les jurys ne toléreront aucune forme d'iniquité ! je me braque en hurlant presque.
— Croyez-vous ça ? Vous ne connaissez rien de notre monde.
Ses doigts se resserrent un peu plus sur mon col.
À chaque mouvement de lui, je sens son odeur s'imprégner sur mes habits.
— Je le connais que trop bien, je rétorque en affrontant son regard meurtrier.
— Alors vous y investissez trop d'espoir. Votre idéal de Justice est ridicule. Ce ne sont pas vos jolis yeux, hélas trop aveuglés pour percevoir la vérité, qui vous sauveront.
Jolis yeux.
Une information cruciale me revient en mémoire. Je me souviens de cette confession d'Auguste.
Maître Kim baise avec des hommes.
Je glisse mon regard sur les veines de ses mains, contractées par la pression qu'il met en serrant mon vêtement. Elles remontent sur son poignet, mais je n'ai pas le plaisir de voir le reste camouflé par son col roulé.
J'imagine ce torse ferme et plat, que j'ai aperçu au Ritz, chevaucher un dos aussi masculin que le sien. Des perles de sueur ruisselant sur sa peau diaphane, mouillant également les mèches de cheveux noires plaquées sur son front. Sa bouche sur un biceps gonflé ou sur une pomme d'Adam prononcée. Des bruits de succion. Ses yeux verts qui roulent de plaisir. Ce nez arrondi qui se perd sur des abdominaux : de haut en bas, de bas en haut.
Il n'y aurait plus que des sons graves d'homme, des gémissements trop retenus par souci d'égo.
Je descends mes yeux sur ses cuisses élancées que je n'ai pas de mal à visualiser en train d'effectuer des vas et viens incessants entre un bassin dont il connaîtrait l'anatomie à la perfection : puisqu'elle est similaire à la sienne.
Et ces doigts...
Ces doigts qui s'enrouleraient autour de -
Un grésillement.
Le noir complet qui vient de s'installer dans la salle me coupe : les lumières de la faculté viennent de s'éteindre, nous plongeant dans la semi-obscurité.
Le rhéteur me lâche enfin et recule. Mon estomac est serré. Je monte mes doigts hésitants à hauteur de mes joues puis les touche.
Elles sont brûlantes.
— Vous devriez partir, m'informe le professeur. À moins que vous ne désiriez passer votre nuit ici.
Je ne lui réponds pas et lisse ma chemise désormais pleine de plis.
Tournant les talons, j'attrape mon sac jeté par terre et froisse les feuilles qui trainaient un peu partout. Je passe négligemment ma mallette autour de mon torse et lance les boules de papier dans la corbeille.
Avant d'appuyer sur la poignée de la porte pour sortir d'ici, je me retourne et affronte sa silhouette noire dont les traits ne me sont plus visibles.
— Je gagnerai, j'affirme sans appel.
Il tourne le regard vers la fenêtre qui laisse une vue prenante sur les immeubles illuminés de Paris, puis croise les jambes après s'être appuyé sur le bureau - dans la même position que j'étais.
— Je méprise intensément les personnes de votre espèce, se confie-t-il tout en contemplant la vue. Vous vous drapez dans une invulnérabilité illusoire, arborant une fausse assurance de vainqueur tout en flânant parmi des cercles qui ne partagent ni vos convictions profondes ni votre rang social. Vous croyez pouvoir transcender ces différences. Vous imaginez que la pure force de votre savoir et de votre génie vous élèvera au-dessus des autres. Mais c'est faux. Tout cela n'est qu'un tissu de mensonges.
Ayant attendu qu'il termine son monologue véhément sans même en prendre compte, je répète les exacts mêmes mots, tout en articulant, cette fois-ci, chacune des syllabes avec détermination :
— Je gagnerai.
Puis je sors, claquant la porte d'un mécontentement visible.
Taehyung Kim est l'être le plus exécrable et imbus de lui-même qui m'ait été donné de rencontrer. Je ne supporte pas sa suffisance, sa manière de se pavaner comme s'il dominait le monde entier.
J'ai parfois eu des ressentis plus cléments envers lui : comme de l'admiration ou de la peine en le voyant si exténué par des secrets qu'il ne dévoilera jamais.
Mais maintenant, j'en suis sûr.
Je le déteste avec passion.
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Hihi. Alors, vos avis sur ce chapitre ? :) je veux tout savoir.
Est-ce que vous avez réussi à un peu plus cerner les intentions de Maître Kim et la raison pour laquelle il agit ainsi ? J'adore mettre pleins de petits indices partout.
Le prochain chapitre sera full focus sur la relation Yoongi et Jungkook, et de nouvelles intrigues seront introduites : vous n'êtes pas prêt de tous les rebondissements, ce n'est que le début. Il ne sortira pas avant deux semaines parce que je pars en vacances demain, désolée pour l'attente.
En attendant, prenez soin de vous ! Profitez si vous aussi vous partez en vacances, sinon ce n'est pas grave, vous pouvez tout autant profiter chez vous. Un grand courage à celles et ceux qui travaillent cet été : n'oubliez jamais vos objectifs, gardez toujours votre motivation en tête, vous y arriverez !
Je vous aime <3
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