Caput III


Hello tout le monde ! Comment allez-vous aujourd'hui ?

Un update assez rapproché pour vous faire plaisir (me faire plaisir aussi, c'est vrai). J'espère du fond du cœur qu'il vous plaira parce que SPOILER ALERT : je l'adore. Et je pense que vous allez bien l'aimer également.

Toujours un média facultatif à jouer en boucle durant le chapitre, pour ceux qui me connaissent vous avez l'habitude...

Bonne lecture, on se retrouve en bas !












Quelques secondes passent où les froissements de papier et les grincements du bois résonnent à travers la Cour, au milieu d'un silence religieux.

— Nous débutons. Service d'ordre s'il vous plaît, veuillez amener l'accusé.

Les forces de police entrent, encerclées autour d'un inculpé aux deux mains menottées.

Sa taille est immense et son dos est courbé, il marche avec peine jusqu'au box des accusés en traînant des pieds. Les contours de sa barbe sont flous, victime d'un rasage imprécis. Son teint est blafard et le regard qu'il lance à chacun d'entre nous hurle à la frénésie. Le peu de cheveux châtains qui se dressent sur son crâne forment des paquets, humides d'une transpiration qui fait briller son front. Je reste un moment fixé sur sa mâchoire longue qui accentue sa mine dépitée semblant fondre sur le sol.

Je n'aime pas dire ça, mais il possède tous les préjugés qu'on peut avoir sur un criminel.

A défaut qu'ici, ce sont les mesures de sûreté prises à son encontre qui l'ont transformé en carcasse sans âme.

Le fond existe au préalable mais la forme est façonnée par la justice.

Il tient à peine debout.

Mort de l'intérieur, rongé par la culpabilité, sachant pertinemment qu'aucune issue n'existe pour lui.

Même si je ne connais pas les raisons de son jugement, je peux voir dans ce regard sans vie qu'il sait.

Il sait tout.

Il est déjà condamné.

— Bien, Monsieur, veuillez vous avancer. Merci d'indiquer à la Cour quels sont vos noms et prénoms.

Il fait quelques pas afin de coller ses genoux contre le garde-fou. Son corps tremble et ses pupilles agitées balayent le sol sans oser affronter celles du juge qui le fixent avec intensité.

— Henri Claude Muller, Monsieur le président.

Son timbre tremble, frissonne sous le coup de la peur.

La manière dont il formule ces mots me laisse penser qu'il n'est pas parisien. Ses expressions sont empruntées aux gens de la campagne et son avocat ne manque d'ailleurs pas d'être à l'affût de ses moindres syllabes.

Il veut sûrement l'empêcher de s'enfoncer.

Parfois, se taire peut davantage vous sauver que clamer au monde entier votre innocence.

Puisqu'il suffit d'un mot, d'un geste, d'une expression pour que votre sort prenne un tout autre tournant.

Voilà pourquoi il faut les maîtriser.

— Asseyez-vous, Monsieur Muller, ordonne le magistrat.

L'accusé s'exécute immédiatement, toujours encerclé par deux hommes à l'uniforme et à la casquette bleue nuit.

— Je vais maintenant rappeler le tirage au sort des jurés de cette affaire. A l'entente de votre nom, vous voudrez bien vous placer là où vous l'indiquera madame la Huissière.

Les citoyens choisis aléatoirement forment un à un l'ensemble collégial selon l'ordre souhaité.

Après la stricte disposition, la Huissière prend finalement la parole afin de résumer les faits :

— Le deux octobre 1976, vers trois heures, les militaires de Vincennes intervenaient à Melun, le mari ayant fait usage d'une arme à feu en direction de son épouse, laquelle avait été traînée au sol et recouverte de bleus sur l'ensemble de son corps retrouvé sans vie. L'intéressé présentait alors un important taux d'alcoolémie à hauteur d'un taux de trois grammes soixante-sept par litre de sang lors de son interpellation...

Je retrace l'histoire, attentif. Je l'image même, écœuré.

La femme d'un certain âge relate l'affaire avec une exactitude assez lourde, se penchant sur les moindres détails.

De ce que j'ai réussi à comprendre, cet homme comparait aujourd'hui pour l'assassinat de son épouse, un soir sanglant où il était entré dans une rage folle après avoir découvert qu'elle entretenait une liaison secrète avec un amant.

Un crime passionnel.

Dans un état de dégradation avancé dû à l'alcool, ses doigts tremblants s'étaient emparés du fusil, dissimulé dans l'obscurité de leur cave. Les événements se sont déroulés dans un tourbillon de violence alors qu'il brutalisait sa femme, la laissant inconsciente pour enfin lui ôter la vie sans le moindre remord.

Au sein même de leur foyer.

Sous l'influence toxique de la boisson, sa perception s'était distordue et son jugement altéré. Il s'était retrouvé face aux militaires et gendarmes, mais sa réaction n'avait été que pure agression.

Incontrôlable, il a ouvert le feu, touchant un des membres des forces de l'ordre à la cuisse.

Chacun avait écouté, sans broncher.

Un meurtre décrit de la façon la plus brutale qui soit, accueilli par une impartialité des plus troublantes.

Enfin, sauf pour la famille de la victime dont les sanglots rythment encore les échos de ces murs.

Je tente un coup d'œil vers l'avocate à mes côtés qui porte la même expression vide que les autres personnes présentes autour de nous. La lourdeur de mon regard l'oblige à se tourner vers moi.

Je ne peux m'empêcher de m'indigner à l'entente de ces affirmations. J'inspire profondément, terrifié à l'idée de me retrouver dans la même pièce que ces mains ensanglantées reliées entre elles par un objet en métal. Son menton est baissé tandis que j'analyse sa moindre respiration.

Ces mêmes bras qui, de par leur force, ont commis l'irréparable se trouvent à quelques mètres à peine de moi et me débectent.

Comment ?

Comment a-t-il pu faire cela à la personne qu'il avait promis de chérir et d'aimer, jusqu'à ce que la mort les sépare ?

La mort l'avait bien trouvée, mais c'était lui qui l'avait amenée.

Et cette simple pensée suffit à faire croître ma colère.

— Je sais que c'est ton premier procès d'assise, Jungkook, mais tente un air moins... écœuré ?

Ses mots me frappent en pleine poitrine.

Je n'ai aucune idée de pourquoi ses paroles m'énervent autant.

Peut-être à cause de mon tempérament un peu trop colérique et excessif sur les bords.

La criminalité, la torture, l'horreur sont des mondes dans lesquels il est logique pour une avocate pénaliste comme elle de côtoyer, de se sentir à l'aise au point de dissimuler habilement ses émotions.

Elle prend les choses avec une hauteur nécessaire.

Pourtant, je n'accepte pas le fait qu'elle puisse réclamer de moi l'exact même détachement avec lequel elle accueille les événements.

Surtout pas lorsque tout m'affronte avec brutalité, tandis que je n'ai aucune arme pour me défendre.

Démuni.

— Alors vous auriez-pu continuer à m'emmener à de simples procès de vol de bicyclette, d'aquarium vandalisé ou que sais-je encore. Mais me demander de contrôler mon effroi est un peu trop demandé, vous ne trouvez-pas, Maitre Dubois ? Je veux dire, nous parlons d'un crime ! N'êtes-vous pas sensible à ce que vous venez d'entendre ?

Ses yeux baignés dans l'ambre de l'automne s'écarquillent d'un seul coup.

Je sens, à travers ses lèvres qu'elle pince avec retenue, que je suis allé trop loin.

Misère.

Misère, misère, misère.

Je viens de hurler.

Sans même l'avoir contrôlé ni remarqué, ma voix s'est élevée si fort dans la salle qu'on me dévisage désormais d'un air réprobateur.

Tout le monde est tourné vers moi.

Tout le monde sauf le fameux avocat aux cheveux noirs resté de dos, trop occupé à bouger son index dans les airs comme pour puiser l'énergie de sa plaidoirie dans les limbes des enfers.

Je me demande qui mérite le plus d'attention entre un étudiant trop bruyant ou bien un défenseur un peu perché.

Parce qu'il me donne cette impression là, celle de provenir d'un autre monde.

La honte s'abat peu à peu sur ma tête, m'entassant sur le banc prêt à céder sous le poids de mon embarras. J'entends les battements de mon coeur plus que les hurlements de cette nuit-là, à Melun.

— Merde, je... Maître Dubois je suis... je commence à bafouiller.

— S'il te plaît, me coupe-t-elle en chuchotant, ne laisse pas le président regretter de m'avoir permis de t'emmener ici. Jungkook, ta virtuosité théorique est incontestable. Mais il est temps d'affronter la dure réalité et de plonger dans la pratique où tu désires t'épanouir. Je te présente ce monde pour t'éclairer sur tes choix de carrière. Prépare-toi à pire, ce que tu as vu jusqu'ici n'est qu'une brise légère de l'ouragan qui t'attend. Je peux sembler impassible, mais mon cœur crie autant que le tien en ce moment, crois-moi.

— Je vous prie de m'excuser, je ne sais pas ce qui m'a pris, je reprends un peu de mon sang froid.

C'est vrai, je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris.

Pourquoi ai-je réagi aussi excessivement ?

Tout ce à quoi je viens d'assister, je l'ai déjà lu, de nombreuses et nombreuses fois.

J'ai analysé une centaine d'arrêts de cassation relatant des faits qui dépassent l'horreur de ceux-là, j'ai trié et épluché des dossiers pendant des heures où je voyais défiler des clichés de cadavre à n'en plus finir.

L'abomination.

Des preuves, des témoignages, du sang, des sévices, de l'inceste, du cannibalisme.

Je connais les bas-fonds de la condition humaine.

Je ne peux donc me permettre de tout remettre en cause aujourd'hui, pas après tous les efforts que j'ai fournis pour en arriver là. Je ne veux pas être comme ceux qui pointent du doigt, qui attendent dehors ou bien devant leur poste de télévision afin de pourfendre une sentence longuement réfléchie.

Alors j'inspire un grand coup et ferme les paupières, juste l'instant de me focaliser à nouveau sur mes objectifs, puis revêts le même masque qu'eux.

Celui qui n'est sensible à rien.

— On en discutera en sortant, se contente-t-elle d'avancer d'une douceur inégalée.

J'hoche la tête et reporte mon attention sur les témoignages des gendarmes qui ont repris quelques secondes après mon humiliation. Je n'ai pas tout suivi, mais ces derniers ne font qu'appuyer les actes retranscrits par la Huissière.

Parfois, l'Avocat Général intervient pour mieux éclairer ses réquisitions

Voyant que l'intérêt s'est tourné vers eux, je reste muet, écrivant quelques notes sur mon calepin pour me faire oublier.

— Monsieur Muller, levez-vous. Reconnaissez-vous l'ensemble des faits, aucuns faits ou certains faits qui vous sont reprochés aujourd'hui ?

— Je reconnais l'ensemble des faits Monsieur le président, mais je tiens à souligner que mes actes n'étaient pas prémédités. Je ne suis pas comme ça, je n'aurais jamais pu prévoir de tuer mon épouse avec un esprit sain et clair, Monsieur le président.

Un simple geste de main suffit pour le faire taire.

Sa dernière phrase est de trop, je l'ai senti, et son avocat aussi, d'ailleurs.

L'homme à la barbe blanche souffle, passant une main désespérée sur son visage.

— Pouvez-vous nous en dire plus sur vous, votre mariage et votre enfance, Monsieur Muller ? lui demande le juge tout en griffonnant sur le papier devant lui.

L'homme se met à palabrer sur une vie qu'il ne retrouvera plus jamais ; une mère aimante, un père violent et grossier, des filles qu'il aime mais une affection qu'il n'a jamais manifestée, une femme pour qui il pouvait mourir, au point où c'est elle qui a été sacrifiée.

Il ne cesse de répéter le mot « rage », se dédouanant presque à son profit.

Au fur et à mesure de son discours, les pleurs reprennent, chaque larme plus bruyante que la précédente.

Les témoins sont amenés à se présenter à la barre après avoir prêté serment. Parmi eux se trouvent les deux enfants de Monsieur Muller et leur voisin, tous présents au moment du crime.

« Non, je n'aurais jamais pensé autant de violence chez lui. Mon père n'était pas affectif mais il subvenait à tous nos besoin. »

« Oui, il nous mettait quelques gifles lorsque l'on n'écoutait pas mais rien d'alarmant, Monsieur le juge. »

« Peut-être que leur couple battait de l'aile, mais ils s'aimaient. »

« Il était gentil, un brave homme qui m'aidait souvent pour mes problèmes de toiture. J'étais choqué de le voir dans cet état là, m'sieur le président. »

Les sœurs de Madame Muller, elles, sont forcées d'écouter ces quelques compliments envers l'homme qui se tient assis, ne levant pas une seule fois le regard vers elles.

Je jongle entre les différents intervenants, me demandant quand un des deux avocats décidera de prendre la parole.

Mon interrogation est entendue au moment où le juge leur demande s'ils ont des questions.

Un bras long s'érige dans les airs.

Dans ses doigts où brille une chevalière en argent se trouve un crayon à papier qu'il s'amuse à tourner dans l'attente qu'on le laisse intervenir.

— Maitre Kim ? l'interroge le président.

Maitre Kim.

Voici le nom que je peux enfin poser sur le jeune homme de dos. Ce dernier se lève, déroulant une silhouette qui semble toucher le ciel. Sa stature imposante contraste avec ses agissements. Je fronce les sourcils lorsque je vois sa main approcher le crayon noir près de sa bouche. Le bout dépasse de sa joue qui ne m'est visible que d'un côté.

Lorsque je crois bien distinguer son action, mon cerveau refuse d'y croire.

Il mâchouille l'objet, comme un élève de primaire.

Son index tapote contre sa tempe et je reste stoïque lorsque ses épaules se soulèvent.

Il vient de ricaner, seul.

De toutes mes expériences dans les petits tribunaux de la ville, je n'ai jamais vu un avocat comme lui. Il est étrange. Une assurance pétrifiante dégouline de ses mouvements. Il n'a peur de rien, n'est ni impressionné par Monsieur Muller en face de lui, ni le président de la Cour qui le scrute avec soin.

Personne ne semble pouvoir le décontenancer.

Je respire à peine, accroché à l'envie d'entendre le son de sa voix.

— Merci, Monsieur le président. Je n'aurais qu'une question à poser à ce stade : pourquoi une femme sans histoire comme Madame Muller est-elle est morte ?

Enfin.

Mes lèvres s'entrouvrent légèrement.

Son timbre se distingue nettement des autres par sa cadence mesurée et son ton apaisant. Sa voix est grave, si profonde qu'elle résonne à l'intérieur de moi.

Son attaque est un pas calculé vers la victoire, calme et posée.

L'électricité plane dans la pièce.

Dans la salle d'audience, le fameux Maître Kim fixe son adversaire avec une intensité glaciale avant de déclarer :

— Page treize et déjà de fausses déclarations. Monsieur Muller avance qu'il a voulu tout d'abord « simuler un accident ». Simuler un accident, il faut le réfléchir. Alors quelle explication avez-vous à nous donner ?

Le grand sage au crâne dégarni se lève à son tour, rétorquant avec un peu trop d'émotions dans la voix :

— Ne dénaturez pas le contexte. Mon client parlait ici de l'après-drame.

— Dites-vous ? réplique immédiatement l'avocat. Une personne hors de son état qui trouve le temps de penser à simuler un accident alors que les forces de l'ordre le trouvent déjà. On a sacrifié madame sur l'autel de la paix. Un sacrifice longuement pensé et peaufiné.

Son interlocuteur se rassoie, pestant seul dans son coin avec un rictus qui ne se défait pas de son visage. Ses doigts fripés fouillent le dossier posé sur la table avec panique.

Il doit sûrement réfléchir à ses contre-arguments.

Mais le rhéteur ne s'arrête pas là, la voix maintenant empreinte d'une amertume poignante dans sa riposte. Il ne lui laisse aucun répit, pas même le temps de retrouver sa page.

J'ai compris, à ce moment-là, la raison de sa présence ici.

Maître Kim n'est pas là pour défendre.

Il est là pour détruire.

Faire triompher toute cause, même les plus injustes.

— Monsieur Muller a retrouvé la chaleur de sa raison pendant que madame trouvait la douleur de son corps. Page vingt-cinq, Maitre Lionel, lisez. Les dernières paroles de Monsieur Muller adressées à sa femme étaient « tais-toi ». Effectivement, elle se tut à jamais.

Un sanglot bruyant de la sœur de la défunte oblige Maître Kim à s'interrompre un instant.

Juste quelques secondes avant qu'il ne conclue :

— Si du côté de La Défense, nul écho ne se fait entendre, alors je m'effacerai dans son silence, me taisant avec elle.

D'un geste théâtral, il replace son épitoge à l'arrière de son épaule et se rassoie, à nouveau plongé dans la tonne de documents qui se dresse devant lui.

— Merci mais le temps des plaidoiries est bientôt à vous alors veuillez aller à l'essentiel, Maitre Kim, tranche froidement le juge.

L'intéressé ne semble pas le moins du monde troublé par cette remarque.

Il a joué avec le feu et il le sait.

Je me pense trop susceptible pour envier être à sa place. Je ne sais pas si j'arriverais à avoir le recul qu'ils ont tous. Mon expression renfrognée aurait déjà fait son apparition avant même la fin de sa phrase.

Il ne faut pas prendre les choses trop à cœur, en droit.

Interviennent ensuite les experts qui, eux aussi, apportent leur témoignage dans un soucis de vérité. Des analyses de l'arme utilisée pendant le crime sont réalisées et un membre des forces de l'ordre présente la pièce de conviction à chacun des magistrats et jurés.

Puis, vient le tour du début des plaidoiries et, afin de garantir le respect du contradictoire, l'avocat des parties civiles est invité à présenter son argumentation à la barre.

— Maître Kim, nous vous écoutons.

L'orateur se lève pour la énième fois de la matinée, lisse sa robe et marche d'un pas assuré vers le milieu de la Cour.

C'est là, qu'enfin, son visage me fait face.

Cet homme est magnifique.

Le halo de lumière qui s'échappe du lustre au dessus de sa tête met en valeur ses courbes distingués.

Ses mèches lisses tombent avec parcimonie sur son front et chatouillent la monture en plastique noire qu'il vient d'enfiler. La symétrie de ses sourcils épais m'impressionne tandis que son nez, au bout légèrement rond et arqué, donne à son visage une touche de caractère qui s'harmonise avec la géométrie de ses traits. Sur ce dernier descend sa paire de lunettes.

Je ne parviens pas à distinguer la couleur de ses yeux, trop éloigné, mais je peux voir sous ses verres qu'ils ne sont ni noirs, ni bruns.

Peut-être du vert, le même que celui qui habille les sapins.

Son expression est sévèrement douce, creusée par sa mâchoire angulaire qui, pourtant, accompagne des joues pleines.

En le contemplant, une seule pensée m'envahit avec force ; le désir ardent de devenir ce paragon de beauté.

Je veux me tenir à sa place.

Me transformer en ce diable à l'allure divine capable de dompter les attentions.

— Monsieur le Président, Honorables Conseillers, Mesdames et Messieurs les Jurés, entame-t-il sans lire ses notes. Je me tiens devant vous aujourd'hui dans l'objectif impérieux de restaurer une vérité poignante, face à un accusé qui démontre une volonté manifestement sombre à la donner.

Ses mains se meuvent au tempo de ses intonations ; gracieuses, raffinées, à la manière des cygnes blancs d'Opéra.

— Monsieur Muller, tout au long de cette audience, un terme émerge de manière insistante de votre langage, et ce malgré vos intentions de le camoufler. Ce terme, c'est la rage.

Mon cœur loupe un battement lorsque je me rends compte que, lui aussi, l'a remarqué.

Il marque une pause significative, laissant ses mots planer dans l'air.

Son poing se compresse et tremble légèrement alors qu'il le brandit devant lui.

— La rage, une force qui vous anime, et nous sommes conscients des méfaits que cette émotion peut infliger à l'humanité, la poussant parfois aux crimes les plus abominables comme celui-ci. Aujourd'hui, nous voudrions exprimer notre respect envers la douleur des victimes de cette furie que vous avez, malheureusement, échoué à contenir. Permettez-moi de m'incliner devant la famille de Madame Garnier, absente parmi nous, puisqu'elle a été la cible d'une barbarie si intense que votre regard ne peut que chercher refuge au sol.

Ses yeux divaguent vers les femmes assises sur le banc dans un semblant de prière.

Je remarque qu'il emploie le nom de jeune fille de la victime pour la première fois ; comme s'en allant progressivement vers son détachement complet avec l'accusé.

Son geste, qu'on pourrait croire anodin, redonne un peu de vie et de personnalité à la défunte.

Tout est calculé.

Il n'omet rien.

Monsieur Muller, en bon acteur, appuie les propos de l'avocat, la tête toujours aussi lourdement traînée vers le bas.

— Je poursuivrai en soulignant l'aspect crucial de cette affaire : celle de la préméditation qui ne soulève aucun doute ! Nous nous trouvons devant un individu qui ne fait preuve d'aucun remord, implacable dans ses expressions et qui, de manière orchestrée, a commis l'irréparable en ôtant la vie de sa chère épouse. Un acte d'une gravité incommensurable, perpétré avec une froide détermination. Pour cette raison, la peine demandée par Monsieur l'Avocat Général ne peut que la retenir.

Son timbre est graduellement devenu plus grave.

Il fixe l'accusé de son regard glacial, impénétrable.

La profondeur de ses yeux me donne froid dans le dos.

Durant quelques secondes, je suis heureux et soulagé de savoir que ce n'est pas moi qu'il vise de ses deux orbes meurtrières.

Sinon, je rejoindrai les enfers dans lesquels il semble lui-même avoir été tiré.

— Monsieur Muller, tout au long de cette audience, vos paroles ont oscillé entre déclarations d'amour et justifications douteuses. Un amour que vous clamez avec véhémence mais qui, à la lumière de vos atrocités, semble se dissoudre dans les méandres d'une réalité toute autre. Comment peut-on prétendre aimer avec passion, tout en élaborant avec minutie un plan visant à ôter la vie de manière définitive à sa bien-aimée ? A la mère de ses enfants ?

Ses yeux fixent un à un les membres de l'assemblée collégiale devant lui.

— Mesdames et Messieurs les Jurés, je vous invite à scruter au-delà des mots et à plonger dans l'essence des actes ! L'amour, véritable et sincère, ne peut cohabiter avec la préméditation d'un crime aussi abject. Pourtant les preuves sont présentes pour l'un mais bien absentes pour l'autre... Vous avez votre réponse sous les yeux. Nous vous demandons aujourd'hui de faire prévaloir la justice, de révéler la vérité, et d'apporter un semblant de paix à l'âme de la regrettée Madame Garnier.

La fin de son monologue semble se transformer en un vent glacial qui fouette la peau de mon visage.

Il patiente, un blanc servant à ancrer dans les mémoires les lames aiguisées de ses mots, puis souffle :

— Je n'ai plus rien à ajouter.

Le bruit de sa robe qui glisse contre le pupitre conclut son discours. Son corps regagne sa place initiale avec désinvolture, comme s'il ne venait pas d'établir la plus poignante plaidoirie à laquelle je n'avais jamais assisté.

Ses arguments sont articulés avec une précision chirurgicale et ses répliques sont une riposte stratégique dans un jeu complexe de persuasion. Sa voix, quant à elle, est loin des artifices poétiques. Elle captive simplement l'attention par sa clarté.

Un chef d'orchestre. Voilà à qui il me fait penser.

Un chef d'orchestre qui dirige habilement le flux des débats, marquant les temps forts avec une assurance inébranlable.

Ses silences méthodiques sont presque plus puissants que ses mots.

Chaque syllable est choisie avec soin, chaque phrase est un coup porté avec une efficacité redoutable.

Et dans ce ballet verbal, ce Maître impose son rythme, son tempo, jusqu'à ce que la vérité émerge, inévitable, irréfutable.

— Bien, nous allons marquer une courte pause de quinze minutes avant de reprendre l'audience. Vous pouvez disposer.

Je crois enfin l'avoir trouvé.

Le Maitre des mots.





L'eau glacée ruisselle sur mes mains, engourdissant chaque articulation. Je redresse le menton, confronté à mon reflet dans le miroir embué du palais de Justice. Les traits de mon visage paraissent plus aigus, taillés par l'angoisse.

Avec le dos de mon poignet, je remonte les lunettes qui glissent sur mon nez mouillé et m'essuie les doigts de manière fébrile. Le papier, désormais une boule humide et froissée, échappe à mes mains tremblantes et atterrit dans la corbeille sous le lavabo.

Je suis seul, enfermé dans le silence presque sacré des cabinets. Je jette un regard furtif vers les urinoirs alignés contre le mur, témoins muets de ma solitude.

Inspirant profondément, je pousse la porte et me retrouve soudainement happé par le contraste frappant des couloirs animés du palais. Des groupes discutent avec animation, d'autres reviennent à l'intérieur, leurs vices de nicotine fraîchement satisfaits.

C'est presque une banalité.

Mon cœur s'emballe. L'audience va reprendre et je ne sais toujours pas où peut bien être Madame Dubois. Nerveux, mes paumes encore humides frottent contre le tissu de mon pantalon tandis que je tire sur ma veste de costume, essayant de paraître plus composé.

Mes yeux s'abaissent vers mes vieilles derbies que j'ai polies jusqu'à leur redonner un semblant de vie. Je relève la tête, scrutant la foule en quête d'un indice, d'une direction.
Je finis par me frayer un chemin à travers la marée humaine, murmurant des excuses à chaque personne que je frôle.

Alors que je me perds dans mes pensées, cherchant un semblant de calme, une horde de journalistes fait irruption dans l'établissement.

Le chaos s'installe.

Des cris, des ordres lancés par la police et une nuée d'appareils photo se précipite dans ma direction. Paniqué, je me retourne brusquement et aperçois les avocats de l'audience à quelques mètres de moi.

C'est cocasse, eux qui paraissaient être les pires ennemis du monde à l'audience se tiennent désormais côte à côte et parlent comme de vieux amis.

Ce sont eux que les journalistes cherchent.

Ils sont la cible, pas moi.

Mais avant que je puisse me dégager, un homme avec un trépied heurte violemment mon dos. La douleur explose le long de ma colonne vertébrale et je bascule en avant.

Ma tête heurte le sol avec une brutalité qui me coupe le souffle.

Une douleur fulgurante me paralyse le cerveau.

Autour de moi, tout devient flou, lointain.

Les sons sont étouffés, comme si j'étais plongé sous l'eau.

Je tente de me relever, mais les ombres des jambes qui m'entourent m'oppressent, se précisant peu à peu. Ma main se porte à mon front où la douleur pulse violemment.

Alors que les sifflements dans mes oreilles commencent à se dissiper, j'entends une voix ferme qui rétablit immédiatement l'ordre par sa portée :

— Poussez-vous immédiatement !

Je distingue des bruits de pas.

Un.

Puis deux.

Et enfin trois.

Deux pieds dissimulés sous une longue robe noire s'arrêtent finalement devant mon visage. Je n'ose pas relever les yeux.

La honte m'envahit alors que je réalise le spectacle que je suis en train de donner.

Je lâche une insulte et tente de me mettre debout le plus rapidement possible mais trébuche.

À cet instant précis, une main se propose sous mon nez avec altruisme, et je n'ai pas le choix que de l'attraper pour m'aider à me relever.

Je redresse le menton.

La silhouette de celui qui me fait face se dévoile et mon sang se glace, raffermissant ma poigne autour de ses doigts fins.

Maitre Kim se tient devant moi, une inquiétude chaleureuse habillant ses traits auparavant figés lors de l'audience.

Peau contre peau, ma paume devient soudainement moite d'intimidation.

D'aussi près, je remarque que le dessous de ses yeux est marqué par un sommeil perturbé. A la différence de Monsieur Peppi, ce côté là chez lui n'est pas repoussant. Il donne à son regard une certaine profondeur, comme une intrigue à élucider.

Il a l'air de porter sur ses épaules le poids d'un trop lourd fardeau.

J'ai le sentiment qu'il hurle son malheur à travers ces paupières tombantes, presque fermées mais qui ne clignent jamais.

— Tout va bien ? me questionne-t-il, ses doigts toujours serrés autour des miens.

Tout va mal.

Tout va très, très mal.

Tout ne peut qu'aller encore plus mal.

J'ai envie de partir en courant, de disparaître, de ne plus jamais revenir et de hurler à en déchirer mes cordes vocales.

Spontanément et de manière peu délicate, je tire mon bras vers l'arrière pour m'extirper de sa poigne.

Je vois, dans son regard, qu'il paraît surpris de mon impolitesse et ma mâchoire me lance alors que je déglutis.

Tournant la tête vers le journaliste, cause de tous mes malheurs, je repousse l'envie de lui sauter dessus après avoir éclaté l'énorme caméra sur son crâne.

— Je vais bien, j'arrive simplement à répondre.

Me baissant, je me dépêche de ramasser ma mallette ouverte au sol. J'ai l'impression d'être une proie, un petit oiseau autour d'une horde d'aigles qui me scrutent sans retenue, affamés de chair fraîche.

Une bouffée de chaleur affole mes mouvements.

Mais alors que je m'apprête à prendre la fuite pour ne plus jamais me retourner, la voix de l'avocat, suave et mélodieuse, m'oblige à lui lancer une dernière œillade.

— Tomber a été inventé pour se relever, malheur à celui qui ne tombe jamais.

Je reconnais Les fous de l'île, de Félix Leclerc.

L'envie de lui répondre brûle mes lèvres mais rien n'arrive à en sortir. Pourtant, ce n'est pas le désir d'une nouvelle fois lui faire entendre le son de ma voix qui me manque.

Ni celui de lui souffler mon nom sans aucune raison.

Mes prunelles détaillent son expression sérieuse, ferme sur ses propos. Pas un sourire ne se dessine sur sa bouche garnie lorsqu'il formule ces mots. J'ai réussi à tenir le regard assez longtemps pour découvrir la couleur qui revêt ses iris.

Du marron clair aux nuances de vert émeraude.

Je comprends mieux Maître Dubois. Effectivement, elles n'ont rien à m'envier. Elles aspirent l'âme de celui qui risque d'y plonger trop longtemps.

Sortant brusquement de mes pensées, je bredouille des excuses incompréhensibles et m'empresse de pousser la foule agglutinée autour de moi. Ses paroles résonnent encore à l'intérieur de ma tête.

Il faut que je sorte.

Sans me soucier de rien, mes épaules heurtent les corps sur mon chemin tandis que le mien court presque vers la sortie.

Je franchis la porte d'entrée et tombe nez à nez avec la femme qui m'a accompagné, s'apprêtant à retourner à l'audience.

— Jungkook ! Où tu vas ? m'interpelle-t-elle, un cigare entamé entre ses doigts.

— Je rentre, c'est une urgence, je lance de manière précipitée.

Sans même me retourner, mes pieds dévalent à toute vitesse les escaliers aux mille et une marches.

Gâcher mon premier procès d'assise, il fallait le faire.

Je peux le cocher sur ma longue liste qui prouve ma manie à sans cesse m'embarrasser.

J'espère qu'Ofelya a de la glace.

Parce que je ne suis pas prêt de dormir pour oublier la douleur qui paralyse mon visage.











La fameuse première rencontre des histoires... qu'en avez-vous pensé ?

Elle arrive assez rapidement mais c'est parce que j'ai toujours voulu écrire une histoire qui démarre assez vite, sans trop de longueurs. On passe la cinquième comme on dit. J'aimerais aller à l'essentiel mais sans jamais brûler les étapes de la relation bien entendu, alors ne vous inquiétez pas je vais bien équilibrer le tout ! Tout ça pour dire qu'il y aura beaucoup, beaucoup, beaucoup de chapitres où les deux auront des interactions ;) (à notre plus grand bonheur, en vrai ?) ...

Des idées sur le caractère de Taehyung ?

J'aime Jungkook du plus profond de mon âme. C'est un personnage tellement complexe et ce n'est que le début.

Prenez soin de vous les amis parce que personne d'autre ne pourra le faire à votre place, et à la semaine prochaine <3

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