Caput II
Update surprise !
Faut vraiment que je me calme parce que j'ai bientôt plus de chapitre d'avance, mais je peux pas m'en empêcher.
Bonne lecture <3
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Mon cœur bat si fort à l'intérieur de ma poitrine que j'ai le sentiment de ne plus contrôler les secousses qu'il inflige à mon corps.
À l'entendre s'affoler ainsi, on dirait que je m'en vais plaider à la Cour. Alors qu'aujourd'hui, je ne serai qu'un spectateur attentif au jugement d'un seul Homme.
J'ai misé quelques espoirs sur cette audience médiatisée ; en partie parce que je brûle toujours d'impatience d'offrir une chance à cette personne qui possède toutes les cartes de persuasion entre ses mains. Si Madame Dubois m'a emmené ici, c'est pour une bonne raison, et quelque chose me dit qu'elle tait ce qu'elle sait réellement.
Une horde de journalistes se bousculent devant l'entrée du palais de Justice, se contentant d'amasser le maximum d'informations de l'extérieur. Je remarque certains suffoquer sous l'effervescence de la pression, et d'autres encercler le fourgon de police stationné sur le trottoir. Tout média a interdiction d'y entrer, d'après l'avocate, alors je comprends un peu mieux leur envie de dégoter un scoop intéressant.
Paris semble en ébullition.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, et les journalistes, eux, ne font qu'assouvir le besoin irrépressible de la société d'ouïr les plus viles horreurs.
Les gens aiment ce qui choque, ce qui est tellement grossier que ça prend aux tripes. Ils apprécient voir l'être humain matérialiser les pensées macabres qui, à un moment ou un autre, ont déjà traversé l'esprit de chacun. Pour ces insatiables, c'est un moyen de se rassurer, de se dire qu'un jour, quelqu'un de foncièrement mauvais a payé ; tandis qu'eux sont parvenus à rester à l'abri de tout bouleversement.
De tout châtiment.
Ils se sentent intouchables parce qu'ils se croient bons, et puisqu'ils sont bons, rien ne peut leur arriver.
Alors ils se permettent de juger ce qui est bêtement répété par les praticiens des scandales, d'entamer un travail de magistrat en amont sans aucune habilitation. Tant que ça ne les touche pas, à quoi bon prendre un peu de hauteur.
Mais la vérité est toute autre.
On dit que la loi est générale et impersonnelle, qu'elle s'applique à tout un chacun et qu'aucune exception ne peut être faite. Pourtant, on nous apprend de façon paradoxale qu'il est fondamental de juger d'après la personnalité de l'accusé pour lui imposer les peines les plus justes, les plus adéquates à son passif.
Les plus équitables.
Mais qu'est-ce qu'est réellement l'équité ?
Blâmer ? Lyncher ?
Ou bien dégoter les minimes moyens de défense pour les épargner ?
Les arbitres impartiaux ne connaissent rien de celui qui enfreint la loi, et la première chose qu'il lui est demandé de faire une fois entendu est de se présenter.
On l'incite à parler de son enfance, de ses ressentiments, de ses relations avec ses semblables. On finit même par appeler ces derniers à comparaître devant tous et raconter l'histoire de par leur rétine, afin de rétablir la vérité sur qui est véritablement le monstre que la majorité dépeint.
En réalité, personne n'est foncièrement mauvais, mais tout le monde peut temporairement le devenir.
Si les tribunaux suivent une procédure bien précise, c'est avant tout par précaution, afin de ne pas tomber dans un jugement divin. Il n'est pas question de cela.
Et trop se permette de le faire.
Du monde semble grouiller à l'intérieur, et lorsque j'observe de loin cette imposante bâtisse qui accentue ma petitesse face à ses hautes colonnes en pierre, je me questionne sur l'affaire qui nous attend. Mes ongles lacèrent presque le cuir du taxi au sein duquel nous nous trouvons.
Bien évidemment, c'est Maître Dubois qui tend quelques pièces au conducteur une fois la Peugeot 404 noire à l'arrêt.
Mes yeux se contentent de la regarder faire, ses gestes empreints d'une élégance telle que j'en suis obnubilé.
Les poils de fourrure de son long manteau beige caressent au même moment mon nouveau costume récupéré chez Monsieur Peppi, spécialement pour l'occasion. Nous arrivons à la fin du mois de Septembre, mais pourtant les températures ont été dérobées à celui de Novembre.
Je me demande ce qu'elle peut bien porter en-dessous.
Enfin, un ensemble de tailleur, ça je le sais.
Mais je m'intéresse à une toute autre couche de vêtements. Celle qu'elle laisse exprimer dans l'intimité de son foyer avec Monsieur Dubois, un être objectivement repoussant.
L'imaginer avoir l'honneur d'apprécier ses tenues légères fait naître en moi une pointe d'amertume injustifiée.
J'aime les femmes sûres d'elles, celles qui dominent leur interlocuteur par un simple regard brumeux. Cet ascendant qu'elle adopte naturellement sur les hommes qui l'entourent la rend intouchable.
Et c'est ce goût d'interdit qui, au fond, m'incite à entrer dans son jeu dangereux.
— Jungkook, es-tu avec nous ?
— Comment ? je panique, comme un coupable pris sur le coup. Non ! Je n'ai pas eu le temps de jeter un coup d'œil aux procès-verbaux de la semaine dernière.
— Mais que racontes-tu, encore, explose-t-elle de rire.
Je marmonne seul dans mon coin, secouant la tête après avoir chassé toutes les pensées lubriques qui me déconcentrent.
Même ses éclats de voix sont charmants. Ses cordes vocales vibrent avec franchise, laissant ses lèvres en cœur peintes de bordeaux s'entrouvrir sans retenue.
Le chauffeur me lance une œillade pleine de jugement à travers le rétroviseur intérieur.
Je sais à quoi il pense.
Ses yeux voilés du gris de la vieillesse et son sourcil blanc relevé désapprouvent mon manque de galanterie ; accompagner une si jolie femme mais la laisser payer le montant que lui-même réclame, que pouvais-je bien imaginer ?
Mais entre elle et moi se trouve un écart monstre de salaire. La preuve, à son poignet délicat sont pendus pas moins de trois bracelets en or qui valent le quadruple de ma simple existence.
Alors je peux bien accepter ses reproches silencieux s'ils me permettent d'économiser un peu.
Le monde est une arène où chacun mène son propre combat. Nous le parons d'un voile social, d'une façade éthique où l'on prône l'entraide et le soutien mutuel.
Cependant, survient un jour où certains pieds titubent et, dans un élan de préservation, sans aucuns remords, on leur ampute la main pour éviter d'être entrainé dans leur chute.
Après de brèves remerciements, j'essaie tant bien que mal de me rattraper et me précipite à l'extérieur du véhicule.
Mes pieds habillés d'une paire de souliers fraîchement cirés le contournent et s'alignent à la portière arrière.
Je l'ouvre, la poussant au maximum, puis invite l'avocate à en sortir d'un bref mouvement de bras.
Un vent frais souffle sous le ciel gris de Paris. Mais aujourd'hui, la ville ne pleure pas. Elle prend un peu de répit, pour un jour peut-être avoir le courage de briller à nouveau sous la lumière qui verdit les toits.
La femme à la longue tresse ne pipe mot, se contentant de sortir du taxi d'une manière presque triomphale. Ses doigts bagués passent sur le tissu de son pantalon afin d'ajuster sa position. Elle aligne leurs coutures délicates, tandis que ses mouvements laissent échapper les fragrances de son parfum dans l'air. Il masque un instant l'odeur insoutenable de fumée qui s'échappe du capot.
Dans sa main est exposé un sac noir et vernis ; des souvenirs du jour où elle m'en avait avoué le prix me glacèrent le dos. Une fois ses épaisses lunettes correctement placées sur son nez en trompette, nous nous mettons en marche vers l'entrée du Palais de Justice.
Ses talons claquent avec rythme sur la route pavée du premier arrondissement et j'essaie tant bien que mal de la suivre.
Nous traversons le parking sous le bruit des voitures et des klaxons, pour enfin atterrir sur le trottoir.
Du monde entre et sort du palais, grouillant de partout à ne plus savoir où regarder.
Mes mains sont moites, proies à l'excitation et l'appréhension qui bataillent à l'intérieur de moi.
On dit souvent que les avocats, la veille de leur toute première plaidoirie, font l'objet d'un tel stress qu'ils ne peuvent s'empêcher de rendre tripes et boyaux ce qu'ils ont pu avaler. Certains n'en dorment pas de la nuit, d'autres ressentent des palpitations dans tout leur corps. Ils répètent leurs arguments, encore et encore, s'entraînent à l'oral et effectuent des exercices d'articulation.
Leurs jambes fléchissent, leur respiration s'alourdit, et pourtant ils se tiennent ici, fièrement ; leur voix s'élevant au rythme élancé du scandale et de l'indignation.
J'aime les appeler les Maîtres des Mots.
Moi aussi, je veux en devenir un. Je veux connaître cette sensation délicieusement dévastatrice qui se manifeste jusqu'aux organes.
Mon aisance à l'oral ne m'a jamais fait défaut. C'est naturel, pour moi. Je m'y sens plus en joie que tout seul à mourir dans un silence trop bruyant. J'aime donner mon avis, parce que partager son point de vue avec foi et conviction fait taire l'occasion de pouvoir vous déprécier.
L'Art de s'exprimer est le seul qui me rend sensible.
Il faut user des bons mots, marquer les bons temps, et ainsi, vous devenez ce fameux Maître de la persuasion.
Les plus dangereux des Hommes sont ceux qui parlent bien.
Ils possèdent la clé, n'ont plus besoin de rien.
Chaque année depuis maintenant trois ans, mes professeurs m'inscrivent au plus célèbre concours d'éloquence de France. On l'appelle Thémis, en l'honneur de la conseillère de Zeus ; allégorie de la justice équitable. J'ai toujours l'immense fierté de pouvoir représenter ma faculté jusqu'aux finales nationales qui se déroulent ici-même, au sein de la capitale.
En trois participations, je n'ai manqué qu'une seule fois de rafler la première position.
Une seule merdique et ridicule fois où j'avais perdu mon caractéristique sang-froid.
Je m'étais reclus dans mon appartement deux semaines, le temps de digérer ma défaite.
Il faut croire que le jury n'avait pas apprécié ma prise de parole biaisée par l'idéologie d'un grand frère à la recherche des mystérieuses cités d'or. Ce genre de milieu n'affectionne pas forcément les anarchistes mercantiles aux pensées libertariennes.
C'est trop dangereux, beaucoup plus que n'importe quel criminel vagabond.
Ça tue les cerveaux, détruit la morale.
Comment pourrait-on nous contrôler, sinon ?
Voici les mots qui avaient tacheté de noir la feuille scellée sous enveloppe :
Richesse illimitée, bonheur éphémère : la course vers l'abondance vaut-elle le sacrifice de nos valeurs humaines ?
Une heures et treize secondes m'avaient suffi pour terminer de le préparer. En définitive, je l'avais très peu approfondi par manque d'inspiration. J'avais perdu face à Marie Delmas, adversaire tout à fait honorable et cinq fois Lauréate du prix.
La pilule avait un peu moins eu du mal à passer, en quelque sorte.
C'est moins ridicule de se faire écraser par plus fort que soi, ça donne l'envie de se battre. Je me convaincs que je ne suis pas en retard, bien au contraire.
J'ai de l'avance, une avance telle que j'arrive petit à petit au niveau de ceux qui ont déjà prouvé leur grandeur.
Il ne me manque plus que d'établir la mienne.
Et pour cela, j'absorberai un peu de la leur.
Cette année, je prie au moins pour tomber sur un meilleur sujet que celui-ci. Quelque chose que je maîtrise, et dont la trop grande franchise ne me conduirait pas à me faire une horde d'ennemis.
Nous montons côte à côte les dizaines de marches menant à l'entrée du bâtiment où des agents de police judiciaire sont postés. Après avoir décliné son identité, l'avocate passe le contrôle de sécurité sans grande difficulté. Quand vient mon tour, deux hommes me palpent avec nonchalance, fouillent le contenu de ma mallette seulement remplie d'un carnet à la reliure en cuir et d'un stylo à plume, puis m'indiquent enfin le numéro de la salle où se déroule le procès d'assise.
Je m'engouffre à l'intérieur du palais et ma nuque ne peut s'empêcher de se courber vers l'arrière, admiratif de la beauté qui m'entoure.
Des frissons la parcourent, un souffle glacial circulant entre les murs vierges titille ma peau.
Mes yeux parcourent les moulures des escaliers, les dalles posées au sol et la gigantesque hauteur sous plafond. Les discussions autour de nous résonnent sous la folie des grandeurs de la bâtisse. Tout est décuplé, j'ai le sentiment de ne plus rien distinguer de clair et précis. La suite des événements m'est inconnu.
Je déteste cela.
Ne pas savoir, ne rien comprendre.
Lâcher prise, ne plus avoir le contrôle.
Mon corps se tend, mes muscles se crispent.
Si je continue ainsi, mon ignorance risque de me mettre dans l'embarras à un moment ou un autre. Je le sais, je me connais.
C'est toujours comme ça, avec moi.
Il faut que je maîtrise ce qui m'entoure au risque de systématiquement effectuer un faux pas qui me coûterait cher et de libérer un état d'esprit en total contre-pied avec ceux que je côtoie.
Au risque de gâcher ce pour quoi je me bats.
Je me jure de ne plus jamais me laisser amener à une audience sans au moins une explication sur ce qui est en train de se dérouler.
Agacé par les pensées qui me viennent, je n'ai pas de mal à trouver la porte au numéro correspondant, puisqu'il s'agit de la seule encore grande ouverte et où le passage est animé.
Un deuxième contrôle de sécurité nous attend à l'entrée. Je m'exécute, cette fois-ci avant Maitre Dubois qui a pris un peu de retard après avoir salué quelques-unes de ses connaissances du palais.
Elle y nage comme un poisson dans l'eau.
Moi, je m'y sens plutôt intrus.
Le regard intrigué d'une avocate en toge et seule dans le couloir me brûle ; elle semble épuisée et son dos se laisse écraser contre le mur alors qu'elle prend une grande inspiration. Je crois remarquer un pilule dans sa main qu'elle jette rapidement dans sa bouche afin d'y verser quelques goulées d'eau.
Je me demande si, elle aussi, n'a pas dormi de la nuit.
Mes yeux l'abandonnent rapidement pour se reporter à l'intérieur de la salle. Le parquet luit sous la lumière jaune des lustres en cristal fastueux. Ils sont si imposants que j'ai l'impression de ne voir qu'eux. Je fixe les bancs au bois foncé tournés de dos et qui servent à accueillir le public.
Il n'y a pas grand monde, seulement les parties directement concernées par l'affaire qui ont été autorisées à assister à l'audience ; comme les différents témoins.
Je crois reconnaitre un journaliste au premier rang. J'imagine que la Cour a spécifiquement consenti à la présence de ce dernier parmi nous.
Les magistrats du siège se préparent à occuper leur place, surélevés sur l'estrade en arc de cercle qui leur confère un certain pouvoir.
Je n'ose pas y entrer, impressionné.
Enfin, jusqu'à ce que Maitre Dubois n'attrape mon coude pour m'y pousser.
— Dépêche-toi et allons nous installer, ça va bientôt commencer, souffle-t-elle discrètement.
— Et vous ne comptez toujours pas me dire pourquoi nous sommes ici ? je perds patience.
Son ignorance me gifle si fort que j'ai l'impression de saigner du nez.
Je la laisse me guider jusqu'à l'extrémité du deuxième rang. De là, nous pouvons parfaitement observer le procès sans pour autant être au-devant de la scène.
Histoire de passer encore inaperçu sous ces regards inculpants.
A côté de nous est assis un officier de police et je ne peux m'empêcher de loucher sur l'arme accrochée à son pantalon.
Elle m'effraie, sur le coup. Dire que cet engin peut détruire une vie s'il le veut.
Mais la chose la plus absurde est qu'on on en ait confié le contrôle à des êtres aussi imprévisibles que nous, les humains.
N'est-ce pas ironique, tout compte fait ?
Le policier me regarde, d'abord méfiant, puis finit par m'acorder un sourire que je lui rends.
Je m'assois, croisant les jambes pour caler mon petit carnet contre ma cuisse. Le col roulé que je porte en dessous de ma veste me donne soudainement chaud. Je tire sur le tissu qui recouvre ma gorge pour m'y libérer quelques secondes, puis extirpe d'un étui ma paire de lunettes de vue.
La monture, mi-noire, mi-métallique et ronde, trouve appui contre mon nez qui frissonne sous sa froideur, et ma vue se stabilise aussitôt.
L'avocate défait son manteau et ses yeux en amande se posent sur mon torse pour le détailler. Ils remontent pour fixer les miens, et leurs pupilles s'élargissent alors qu'elle formule à voix basse :
— Tes iris sont fascinantes, Jungkook, presque envoûtantes. Elles ont la couleur du saphir avec quelques subtiles nuances orangées en leur centre. Leur éclat aurait le pouvoir d'attirer l'attention même des esprits les plus distraits. Les avocats tueraient pour les avoir, tu sais ? Enfin, sauf lui, elle pointe du menton une personne que je n'identifie pas.
De qui peut-elle bien parler ?
Mon index appuie sur le pont qui relie les deux verres de mes Ray-Ban pour les remonter un peu, comme si je pouvais me cacher derrière eux.
Je déglutis, me contentant d'un rictus intimidé.
Ses orbes continuent de me reluquer lorsque je me racle la gorge. Mes doigts tirent sur le pan de ma veste afin de camoufler mon haut un peu trop révélateur. Je finis par glisser une main à l'intérieur de mon pantalon bleu marine et passer l'autre sur ma nuque.
Maitre Dubois détourne finalement le regard.
— Mesdames et messieurs, l'audience criminelle est ouverte, veuillez vous asseoir, annonce froidement le président de la Cour.
Les deux assesseurs, la Huissière, l'Avocat Général et le greffier prennent position. Il n'y a que les neufs jurys populaires tirés au sort qui patientent à la verticale.
Le juge s'installe à son tour et s'empare d'un papier qu'il analyse.
Il porte une robe écarlate à grande manches et à revers bordés d'hermine.
Là encore, on se demande où est l'éthique. Mais c'est doux à toucher, beau à contempler quelques fois dans l'année, presque royal, quand on y pense. Alors une hermine de plus ou de moins, qu'est-ce que cela peut bien changer, voyons ?
La ceinture qu'il porte autour de sa taille est faite de soie noire irisée.
Sa tenue crie à la solennité. Peut-être qu'ainsi paré, le pouvoir de décision suprême qui lui est conféré est plus facilement admissible.
Si la somptuosité façonne son esthétique, ce qu'il proclame devrait l'être tout autant.
N'est-ce pas ?
Le rouge vif qui attire le regard contraste avec l'arrivée des avocats qui, eux, ne sont tristement vêtus que de noir. C'est morne, sans originalité, ça ne donne presque pas envie de les écouter.
La hiérarchie se dessine subtilement, même si on préfère affirmer qu'il n'y en a aucune.
Mais jusqu'où la grandeur peut-elle aller, dans ce cas ?
Existe-t-il une couleur encore plus marquante que celle du sang qui vient tout juste de couler ?
Si oui, j'aimerais la porter.
Je suis du regard les deux hommes qui prennent place discrètement, chacun sur leur banc respectif.
L'avocat chargé de La Défense est chauve, dans la tranche de la cinquantaine. Il possède un bouc blanc qui lui accorde l'allure d'un grand sage. Je remarque sa mâchoire bouger frénétiquement ; il mâche un chewing-gum d'un air nonchalant.
Ses deux mains sont liées dans son dos, faisant ressortir son ventre rond qui témoigne du trop plein d'alcool dans sa vie.
L'autre, encore de dos, salue d'un mouvement de tête ses compères et s'installe aux côtés des parties civiles.
J'imagine sans aucun doute qu'il est ici pour défendre les intérêts des victimes qui sont assises à ses côtés, la tête baissée vers le sol. Il y a deux femmes aux cheveux blonds, chacune avec un châle fleuri, la mine accablée et le nez rouge à force d'avoir trop pleuré.
Si ces dernières me sont bien visibles, je n'ai pas réussi à distinguer le visage de leur fervent défenseur au rabat blanc.
Mais son aura impressionnante suffit à attirer l'œil.
Il parait assez jeune, beaucoup plus jeune que l'opposant en face de lui. Ses expressions sont trop loins pour que je puisse les analyser, mais je parviens cependant à distinguer son profil parfaitement tracé.
Son corps élancé dépasse celui trapu de l'avocat au bouc. Ses épaules sont larges et sa posture est indifférente à ce qui l'entoure.
Dans ses mains graciles se trouvent des tonnes de feuilles en désordre.
Un bordélique, sûrement.
Lorsqu'il s'assoie, dos à nous, je suis légèrement déçu d'être dans un angle qui ne me permet pas de confirmer ou non sa ressemblance avec l'énergie qu'il dégage : sûr de lui, charismatique, adulé par les femmes à côté de lui qui ont l'air de l'écouter comme un saint.
Tous leurs espoirs semblent avoir été misés sur cet homme.
Je n'ai qu'une vision fugace sur ses cheveux courts et lisses, tellement noirs qu'ils absorbent tout reflet de lumière.
Mon regard glisse sur sa peau extrêmement pâle. Je sens un frisson parcourir mon échine, comme si la douceur de ce revêtement d'ivoire m'appelait à la caresser.
Elle est d'une pâleur inquiétante.
Semblable à celle d'une âme emprisonnée...
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Des idées sur l'identité de l'avocat des parties civiles ? (pff zéro suspense, Zena...)
Alors, qu'en avez-vous pensé ?
Pour les personnes qui ne connaitraient pas du tout le déroulement du procès, voici un petit cours très grossier qui, j'espère, vous plaira et sera compréhensible.
Le juge est le président de la cour. Il dirige les débats, maintient l'ordre et veille au respect des règles de procédure. Il interroge l'accusé, les témoins et les experts et résume les faits avant le délibéré. C'est lui qui maîtrise l'audience.
Les assesseurs, deux juges professionnels, assistent le président, participent aux interrogatoires et aux délibérations pour rendre le verdict. Il s'agit un peu d'une aide pour le président durant les délibérations.
Les jurés citoyens sont neuf personnes tirées au sort sur les listes électorales et censées représenter une justice populaire et équitable. Ça pourrait être vous, comme moi. Les jurés écoutent les témoignages, les arguments de La Défense et de l'accusation et participent aux délibérations pour décider de la culpabilité et de la peine de l'accusé avec un vote final à la majorité qualifiée.
Ils font énormément débat et certains veulent les supprimer. Chose qui a d'ailleurs déjà été entamée au sein des cours criminelles départementales qui jugent les crimes passibles de 15 à 20 ans de prisons (nouveauté de 2023). Ici, pas de jury populaire.
L'Avocat Général est le représentant du Ministère Public, qui lui-même représente les intérêts de la société et défend les libertés individuelles. Le Ministère Public (ou Le Parquet) peut mettre en mouvement l'action publique et poursuivre l'auteur d'une infraction.
D'habitude, c'est le rôle du Procureur de la République, mais pour les cours d'assise, il s'agit de l'Avocat Général. C'est lui qui présente l'accusation, requiert des peines et cherche à prouver la culpabilité de l'accusé. Pour cela, il formule, à la fin du procès, un réquisitoire qui est essentiellement une demande de peine objective et indépendante basée sur des arguments et des éléments de preuves.
L'avocat de La Défense représente l'accusé, plaide pour son acquittement ou une réduction de la peine, interroge les témoins et présente des arguments pour contrer l'accusation. C'est un rôle très difficile à endosser mais qui me passionne. Il sera intéressant de le développer durant cette histoire.
Les parties civiles sont les victimes ou leurs représentants (souvent des membres de la famille). Elles demandent réparation pour le préjudice subi devant la juridiction pénale lorsque l'action publique a été mise en mouvement au préalable ou qu'il y a eu une plainte avec constitution de partie civile par exemple. Leur avocat peut interroger les témoins et présenter des arguments pour soutenir la demande de dommages et intérêts.
Le greffier tient le registre du procès, note les déclarations et les décisions de la cour et veille à la bonne tenue des dossiers et documents nécessaires au procès. En gros, il est derrière sa machine à écrire (aujourd'hui ordinateur, bien entendu) et tape tout.
L'huissier de justice assure le bon déroulement matériel du procès, maintient l'ordre dans la salle et appelle les témoins.
À noter que l'avocat de La Défense doit toujours pouvoir avoir le dernier mot lors des plaidoiries afin de respecter le principe du contradictoire. Le principe du contradictoire assure que chaque partie à un procès a la possibilité de connaître les arguments et preuves de l'autre partie et de les contester. Il garantit une procédure équitable et transparente.
Je crois qu'on a fait le tour. Si vous avez des questions ou des curiosités, n'hésitez pas, j'y répondrai avec plaisir en commentaires.
Je vous dis à très bientôt pour le prochain chapitre (vraiment, très bientôt, parce que c'est mon préféré pour l'instant et que je me gratte les veines).
Prenez soin de vous <3
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