Chapitre 30
Son cœur se souleva quand elle se redressa. Iseult ne sentait qu'une immense douleur qui se propageait dans tout son corps. Une main fraiche se posa sur son front. Elle poussa un gémissement, incapable d'ouvrir les yeux en cet instant. Elle sentit l'eau couler sur ses joues et la douceur d'un contact. La souffrance de ses muscles s'apaisa, son corps se détendit et elle put prendre une profonde inspiration. Iseult ouvrit les yeux avec difficulté, le visage d'Hylios se dessina au-dessus du sien. Ses poings se serrèrent sur la couverture, la douleur remonta jusqu'à sa gorge et elle eut tout juste le temps de se redresser pour tousser. Sa main devant sa bouche Iseult avait l'impression qu'on lui arrachait la trachée. Le guérisseur s'était assis près d'elle, il lui tendit un mouchoir. Les larmes roulèrent le long des joues de la jeune femme qui peinait à respirer entre deux toux. Le sang brûlait son œsophage et remontait, dans sa bouche il y avait un goût métallique désagréable. Sa poitrine se soulevait au rythme de ses respirations saccadées. Elle posa sa main libre contre son front brûlant. Puis se laissa retomber sur le lit pour reprendre son souffle.
Dans son cou, Hylios appliqua un linge humide et frais. Cela n'apaisa pas la douleur, mais au moins avait-elle moins chaud. Lorsqu'elle fut prête, Iseult se redressa. Son esprit embrumé et ses yeux voilés l'empêchaient jusque-là de voir l'endroit dans lequel elle se trouvait. Une cellule aux murs de pierres, la seule fenêtre donnait sur un extérieur dont elle ne percevait que le ciel gris. Le lit dans lequel elle était allongée, bien que peu confortable, avait été agrémenté de couvertures duveteuses et chaudes. Son ami l'aida à rester assise.
– Où suis-je ? articula-t-elle malgré sa gorge douloureuse.
– Morgan dit t'avoir enfermée pour ton bien, le temps que tu guérisses. Ton esprit aurait été empoisonné.
Même quand il le disait, cela se sentait qu'Hylios n'y croyait pas. Il baissait les yeux comme s'il débitait un texte qu'on lui avait demandé d'apprendre par cœur. Peu à peu, les bribes de mémoire d'Iseult s'assemblèrent. Tout ce qui s'était passé, l'attaque, les morts et... le simple fait de pensée à Nathaniel lui fit étouffer un sanglot de douleur. Ses mains tremblèrent.
– Il l'a tué, sanglota-t-elle.
– Je suis désolé Iseult, tellement désolé...
La main de son ami se posa sur son dos. Une douce chaleur l'envahit mais elle le repoussa d'un coup vif et hargneux.
– NE ME TOUCHE PAS ! hurla-t-elle les yeux brûlants de larmes.
Elle refusait que l'on apaise sa peine, que l'on prenne la douleur lancinante qui calcinait son cœur dont il ne restait qu'un tas de cendre. Iseult ne regrettait pas d'avoir tué, mais de ne pas avoir tué plus. Ils l'avaient assassiné. Comme un vulgaire animal. Son sang ne fit qu'un tour à cette pensée. La haine qu'elle éprouvait à leur égard s'intensifia. Elle voulait tous les tuer. Les éliminer. Venger Nathaniel pour qu'il ne reste d'eux qu'un tas de cadavre fumants et que personne ne pleurerait.
Iseult frappa la couverture de toute ses forces. Puis elle hurla. Jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales. Jusqu'à ce que plus un son ne puisse passer sa gorge. Jusqu'à ce qu'elle soit épuisée. Elle hurla. Toute sa douleur. Toute sa rage. Toute sa haine. Cela lui fit mal. Cela la détruisit de l'intérieur. Mais elle hurla. Jusqu'à ne plus rien avoir à hurler.
En retrait, Hylios la regarda faire. Impuissant face à sa douleur. Si elle ne voulait pas qu'il l'aide, il ne pouvait rien faire d'autre qu'être un spectateur de sa peine et de sa souffrance. Il finit par prendre Iseult dans ses bras. Elle appuya sa tête contre son épaule et se mit à sangloter. Les larmes roulaient le long de ses joues, incontrôlables. Le guérisseur ne chercha pas à apaiser son mal, il la laissa déverser sa souffrance en frictionnant son dos.
A peine la jeune femme eut elle usé ses larmes que la porte de la cellule s'ouvrit. Hylios la serra plus fort, mais ils furent obligés de se détacher l'un de l'autre pour faire face aux nouveaux arrivants. Son ami se dressa entre elle et Morgan, il tremblait presque mais relevait le menton et se tenait droit.
– Iseult a besoin de repos, elle a encore de la fièvre, expliqua-t-il.
– On t'a pas demandé ton avis, le guérisseur, cracha une voix derrière son partenaire.
– Laisse nous Hylios, trancha Morgan.
Iseult força son corps engourdit à bouger pour pouvoir se lever. Son ami, quant à lui, resta à la même place, elle sentait son indécision et ses craintes. Rien n'empêchait les chasseurs de le jeter dehors. Son regard se posa sur Morgan, de son cœur elle voulait se jeter sur lui pour le frapper jusqu'à n'en plus pouvoir. Elle était consciente que cela ne changerait pas ce qu'il avait fait. Rien en elle ne pourrait jamais lui pardonner son geste.
– Ramène-moi à l'Académie, ordonna-t-elle.
– Dès que tu seras guérie, annonça Morgan d'une voix plate.
– Tu crois que m'enfermer va me guérir ? Rien, absolument rien, ne pourra jamais soigner ce que tu m'as fait !
Sa main s'accrocha au poignet d'Hylios, son corps était prêt à vaciller, elle devait tenir bon. Le guérisseur lui insuffla un peu de son énergie. Elle le remercia d'un regard.
– Je t'ai aidée ! Même si tu refuses encore de l'admettre !
– Aidée ? Aidée ? Tu as de la chance que je ne puisse pas te tuer ici et maintenant ! hurla Iseult.
Elle s'était rapprochée, si près que si elle avait eu une dague elle lui aurait enfoncé dans le cœur.
– Tu ne sais pas ce que tu dis. Tu es encore sous son emprise et...
La gifle partie d'un coup. Elle pleurait à chaude larmes essayant de comprendre de quelle manière Morgan voulait justifier un geste aussi atroce que celui qu'il avait commis. La colère revenait, écœurée, Iseult ne parvenait même plus à regarder son ancien meilleur ami. Il la dévisageait comme s'il la voyait pour la première fois, lui aussi était en colère.
– Hylios, dehors, cracha-t-il comme si le guérisseur n'était rien de plus qu'un chien.
– Je ne crois pas que... commença ce dernier.
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que des mains l'empoignaient pour le mettre dehors. Il protesta et tenta de se dégager de l'emprise des chasseurs, sans succès. La porte se referma sur lui, il frappa contre le bois. Iseult eut un regard dans sa direction, même si ses lèvres ne bougeaient pas, elle le remerciait. Cette fois, elle se trouvait bel et bien seule au milieu de chasseurs qui, pour la plupart, la haïssait. Dans le regard de Morgan elle vit qu'il ne lui viendrait pas en aide. Il comprenait enfin que ce qu'il avait brisé entre eux ne reviendrait jamais, le fossé creusé ne ferait que les séparer un peu plus. Une main empoigna ses cheveux, Iseult vacilla vers l'arrière, incapable de réagir. La fatigue et la fièvre l'empêchaient d'utiliser ses dons, contre sa poitrine sa pierre brûlait, lui ordonnait de se saisir de son pouvoir. Si elle cédait, elle y laisserait la vie, son corps ne le supporterait pas.
Des doigts rugueux se posèrent sur son cou pour éloigner le col de sa chemise de nuit. Elle déglutit, trop consciente de ce contact qu'elle ne voulait pas. Iseult ne bougea pas, quoi qu'elle fasse, cela serait inutile, autant qu'elle économise ses forces.
– Elle n'a pas de morsures, constata le chasseur.
– Les vampires ne mordent pas qu'au cou, crétin, répliqua la voix de Lorkan.
L'autre renifla de dédain à l'égard du jeune homme qui ne se démonta pas. Il se sentait toujours aussi supérieur aux autres. Le chasseur commença à empoigner le bas de sa chemise de nuit. Par réflexe, Iseult lui envoya son coude dans le visage, il recula.
– Espèce de... commença-t-il.
– Ne la touche pas, l'interrompit Morgan.
– Si tu veux mon avis, tu es beaucoup trop sentimental, intervint l'un des chasseurs.
Iseult le reconnut, c'était l'un des plus vieux, elle revoyait son visage le soir où il avait aidé à tuer Nathaniel. Jusqu'à présent à l'écart, il s'avança, les bras croisés.
– Elle a été corrompu par les vampires, continua-t-il, il faut employer la manière forte.
– Pour le moment, on ne sait même pas s'il l'a mordu, tenta Morgan.
Sa détermination vacillait. A sa manière de serrer et de desserrer les poings elle comprit qu'il luttait contre ses propres sentiments. Il ne pouvait pas se permettre de perdre la face devant les autres, sauf qu'il l'aimait. L'homme empoigna son bras pour le tirer en avant et remonter sa manche.
– Il faut regarder les endroits où les veines sont les plus importantes, soupira-t-il.
Son doigt passa sur la marque encore fraîche qu'avait laissé Nathaniel au creux de son coude. Il appuya dessus lui arrachant un cri de surprise plus que de douleur.
– Le conseil a approuvé notre union, tout comme le commandant, quand ils sauront...
– Beorn n'est pas là pour te protéger cette fois ! éructa Lorkan, tu es sa petite préférée mais il ne peut rien pour toi.
– Le conseil est corrompu par les vampires, trancha le plus vieux d'entre eux, il lèche les bottes de leur seigneur. Quant à Beorn, je me fiche bien de ce qu'il pense, il est lâche et faible. Rien qu'accepter une guérisseuse parmi nous était une erreur de sa part. Votre empathie dégouline tellement que vous ne voyez même plus le mal, c'est pour ça que les prêtresses sont mieux dans les temples.
– Pourtant, je n'ai aucune empathie pour vous, juste un profond dégout. Vous n'avez aucun principe, vous êtes juste des assassins.
Le coup qu'elle reçut au visage la fit tomber au sol. Iseult sentit le sang qui coulait de sa lèvre laisser un gout métallique dans sa bouche. Elle l'essuya d'un revers de manche, maculant le tissu blanc de rouge.
– Cette nuit-là, tu as tué mon partenaire, conclut le chasseur accroupit devant elle, finalement je me demande qui de vous deux est le vrai monstre, nécromancienne. Eprouves-tu seulement le moindre regret ?
Iseult lui cracha au visage. Un mélange de bave et de sang dégoulina sur la joue du chasseur qui ne prit même pas la peine de l'essuyer.
– Oui, affirma Iseult, le regret que tu ne sois pas mort aussi.
Le mensonge fut plus facile qu'elle ne le croyait. En réalité, tuer deux hommes lui laissait le gout amer de la culpabilité. Elle ne prierait jamais assez les Dieux de pardonner son geste, répugnée parce qu'elle était capable d'accomplir sous le coup de la colère. Le chasseur l'empoigna pour la forcer à se relever et leur faire face. Iseult aurait dû avoir peur. Elle ne ressentait rien d'autre que le vide face auquel la plongeait la douleur de la perte. L'homme la fit pivoter pour qu'elle soit face à Morgan, ce n'était pas elle qu'ils testaient.
– Donne le premier coup, lança-t-il au noble.
– Brieuc, je pense que...
– Si tu n'en es pas capable, ce n'est pas grave, tu peux sortir.
Iseult sut à l'instant où la décision de Morgan fut prise. Elle n'eut pas le temps de réagir avant qu'il ne lui assène un premier coup dans le ventre. Tout l'air de ses poumons fut expulsé, il retenait sa force, sans ça, il lui aurait brisé des os ou pire. Ce fut le geste qu'attendait les autres. Même si elle cherchait, la jeune femme ne voyait aucune porte de sortie, aucune arme à utiliser. Ses genoux heurtèrent le sol quand on la poussa en avant. Iseult voulut se relever mais un nouveau coup la cueillit au visage. Elle cria de douleur. Sa vision se troubla. On la redressa. Des mains l'empêchaient de s'écrouler. Des poings s'abattaient sur elle. A plusieurs reprises elle tenta de se dégager pour s'échapper de leur emprise. Son corps ne lui appartenait plus. Les visages face à elle étaient flous, elle ne parvenait plus à les distinguer, ils s'entremêlaient. Des rictus cruels. Des masques lisses aux regards vides.
Son esprit se dissocia de sa chair. La douleur l'empêchait de réfléchir ou de réagir. Par moment elle distinguait ses cris et ses sanglots dans ce chaos. La haine dirigée vers elle faisait exploser son cœur, certains de ses os craquèrent. Le sang brouillait sa vision. Chaque fois qu'elle tentait de lutter la douleur n'était que plus forte. Alors, elle abandonna. Elle relâcha ses muscles. Une poupée de chiffon qui ne comprenait même pas ce qui lui arrivait. Iseult ne pouvait qu'entendre, sans en saisir le sens, les insultes, les rires. Puis vint la joie, la joie malsaine des animaux qui se déchainent. Jusqu'à ce qu'à la fin il n'y ait plus rien.
Le néant l'enveloppa. Les chasseurs mirent quelques minutes à se rendre compte qu'elle avait perdu connaissance. Devenue sans intérêt car elle ne cherchait plus à se débattre.
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Le soleil, perchée haut dans le ciel, brillait de tout son éclat. L'océan scintillait sous ses rayons. Iseult ne comprenait pas pourquoi le froid faisait frissonner son corps enveloppé dans un châle. Ses mains frictionnèrent ses bras. Jusqu'à ce que l'on vienne l'envelopper de chaleur, elle posa la tête contre la poitrine du nouvel arrivant pour se laisser aller à cette étreinte pleine de tendresse. Il déposa un baiser sur sa tempe et elle leva les yeux vers lui.
– J'ai fait un cauchemar, souffla-t-elle.
– Je sais mon amour, répondit Nathaniel.
Il la fit se tourner vers lui, dans ses yeux elle lu la tristesse. Il posa une main sur sa joue, ses prunelles n'étaient plus rougeoyantes, elles étaient d'un bleu magnifique, très clair. Iseult leva la tête vers le soleil. Puis elle comprit.
– Ce n'était pas un cauchemar...
– Non, fit son compagnon.
– Ce n'est qu'un rêve... tu n'es pas... tu es...
Les larmes ne venaient pas, même si Iseult voulait pleurer. Nathaniel referma ses mains autour de ses épaules. Il se pencha pour embrasser son front.
– Je suis là. J'ai utilisé mes dernières forces pour m'accrocher à ta magie. C'est tout ce qu'il reste de moi.
– Pardonne-moi... c'est ma faute... sans moi tu...
– Chut, Iseult, ne dit pas une telle chose, murmura-t-il en l'attirant contre lui.
– Tu es mort.
– Je ne le regrette pas. Parce que je t'aime, rien que pour ça, ça valait le coup.
Si seulement elle pouvait rester là indéfiniment. Elle profiterait de la chaleur que dégageait Nathaniel. Ils pourraient vivre là, dans cette petite demeure au bord de la mer, et il ferait beau.
– Je pourrais... commença-t-elle.
– Non, ne cherche pas à me ramener. Je vais t'offrir ce qu'il me reste de force, Hylios essaie de te réveiller, nous n'avons plus beaucoup de temps.
– Je ne veux pas que tu partes... Je ne supporterais pas... Je ne pourrais pas...
– Tu y arriveras. Tu es une battante Iseult, une chasseuse. Moi, je veillerais sur toi, de loin. Vis pour moi mon amour, vis.
Ses mains s'agrippèrent à la veste de son compagnon. Il la serra plus étroitement, fit glisser ses doigts dans ses cheveux. Sa chaleur se fit plus lointaine. Iseult voulu le supplier de rester. Nathaniel lui échappait. Il s'empara de ses lèvres une dernière fois. L'embrassa. Puis le soleil disparu. Aspirée Iseult hurla, un poids sur la poitrine, incapable de respirer.
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L'air empli ses poumons quand elle se redressa. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Les larmes mouillaient encore ses joues. Chaque centimètre de peau la faisait souffrir, elle se pencha en avant, la gorge prise de sanglot. Sa respiration était douloureuse, les gestes qu'elle faisait ne provoquait que de la douleur. Hylios posa ses mains sur ses épaules, elle ne l'en empêcha pas cette fois, car ce n'était pas son cœur brisé qu'il cherchait à apaiser. Il murmura quelques paroles à ses oreilles. Ses yeux virent enfin les runes qu'il avait tracé à l'encre sur ses bras, les guérisseurs s'en servaient sur les cas les plus graves, elles étaient déconseillées car elle pouvait entrainer le coma ou même la mort si l'on n'y prenait pas garde. Les doigts de son ami serrèrent les siens.
– C'est un miracle, murmura-t-il, ta pierre est devenue blanche pendant quelques secondes. Hëlia t'a sauvée.
Iseult baissa les yeux sur l'opale qui pendait sur sa poitrine. Nathaniel, il avait apaisé la douleur de son corps, peut-être était-ce la volonté des dieux.
– Tu avais la plupart des côtes cassées, Iseult, j'ai cru que tu allais mourir... Si Morgan n'avait pas fait venir d'autres guérisseurs...
Evidemment, il était incapable de la laisser mourir. Iseult plissa les paupières, puis palpa ses côtes, elles étaient intactes bien qu'encore douloureuses. Son regard tourna dans la pièce, il n'y avait plus de cellule miteuse, mais une belle chambre dont la fenêtre offrait une vue imprenable sur la forêt. Hylios se tourna vers la porte comme s'il craignait quelque chose, amaigrit et les yeux cernés il ne pouvait cacher sa nervosité.
– J'allais t'emmener, avoua-t-il, j'allais te porter pour te sauver.
– Je doute que tu puisses aller bien loin, mais je suis réveillée, sauf que Morgan doit tout faire surveiller.
– J'ai endormi les chasseurs, fit Hylios, je devais faire quelque chose. J'ai surpris une conversation, Morgan a demandé à Aschan d'effacer ta mémoire.
– C'est interdit...
– Ce n'est pas ce qui va l'arrêter, il est convoqué par le roi et le conseil des mages. Ils pensent que toi aussi tu es morte. Morgan a peur.
Sa tête tournait, une affreuse migraine serrait son crâne dans un étau. Iseult tentait de réfléchir à toutes les informations que venaient de lui donner Hylios. Le guérisseur leur faisait gagner du temps, mais pas assez. Elle tapa contre son front de frustration, son esprit encore embrumé par la douleur et les plantes qu'on avait dû lui faire ingurgiter. Son ami ne tarda pas à sortir des vêtements d'un sac.
– Je t'ai trouvé des vêtements, et j'ai trouvé quelqu'un pour nous ouvrir une porte à l'arrière de la demeure.
Il l'aida à sortir du lit, Iseult s'appuya contre lui. Même en mettant de la force dans ses muscles elle peinait à tenir debout. Hylios posa sa main sur la sienne pour lui donner de l'énergie.
– Arrête, tu vas t'épuiser.
– Il faut que tu puisses au moins marcher.
Le fait qu'il ait raison rendait les choses bien plus complexes. La jeune femme poussa un profond soupir puis saisit les habits qu'il lui tendait. Il s'agissait d'une tenue de domestique plus ou moins à sa taille. Cela ferait l'affaire, les bottines, au moins, étaient confortables. Son corps vacillait comme une chandelle. Ses doigts agrippèrent sa pierre, elle leva les yeux vers le ciel pour prier les dieux. S'il la mettait à l'épreuve, elle voulait au moins avoir une chance de se défendre. Hylios fit grossièrement le lit avec des coussins avant de la prendre par le bras. Il lui confia qu'il avait mémoriser les plans de la demeure, il connaissait même les passages dérobés qui servaient pour les serviteurs. Un bras autour de la taille d'Iseult, il l'aida à progresser dans les couloirs silencieux. La peur s'insinua dans les veines de la guérisseuse. Tout allait trop vite. Elle reprenait à peine conscience qu'elle se retrouvait à crapahuter dans une demeure inconnue pour garder sa mémoire intacte. Elle regrettait sa petite vie paisible à ramasser des algues et des plantes.
La jeune femme se traina plus qu'elle ne marcha, obligée de faire des pauses car son corps la faisait souffrir. Sans Hylios, elle se serait écroulée au milieu d'un couloir, c'est lui qui faisait le plus gros du travail. Il la tira avec lui entre les murs dissimulés, jusqu'à un vestibule réservé aux domestiques. Ils s'arrêtèrent avant d'y pénétrer. Des voix firent frémir Iseult, elle se plaqua contre le mur et retint sa respiration. Le guérisseur plongea dans la gueule du loup.
– T'es encore là toi ? fit la voix de Lorkan.
– Je suis le seul à pouvoir soigner Iseult, je te rappelle.
– Tu ferais mieux de la laisser mourir, m'enfin c'est que mon avis. Tu sais pas où sont les autres ? Wallace et Brieuc ? Ils devaient monter la garde.
Hylios haussa les épaules et prit un air las.
– Je ne surveille pas vos faits et gestes. Maintenant, tu m'excuseras, j'ai des choses à faire.
– Quoi ? Tu vas fricoter avec le palefrenier ? ricana Lorkan, c'est avec lui que tu traines dans les couloirs ?
Contre le mur, Iseult se fit encore plus petite, recroquevillée sur le sol. Si Lorkan la trouvait elle ne voulait pas imaginer ce qu'il était capable de faire. Hylios ne répondit pas et l'autre poussa un soupir accompagner d'un « vraiment pas d'humour » avant de disparaitre. La pression redescendit. Assise par terre, Iseult osa étendre ses jambes. Son ami revint la chercher, et lui glissa une fiole dans la main.
– C'est pour apaiser ta douleur, ça va aussi te donner un coup d'adrénaline. La redescente ne sera pas agréable, mais nous n'avons pas le choix.
D'un mouvement de tête, la jeune femme approuva. Elle déboucha la fiole pour la porter à ses lèvres. Le liquide pâteux coula dans sa gorge, Hylios, malgré ses efforts, n'était pas parvenu à en retirer le goût âcre et désagréable. Iseult en avait déjà gouté quand elle apprenait à en faire, la plante utilisée était rare et ne se trouvait qu'en Astraldane. Le remède, difficile à préparer, ne se donnait pas à la légère. La jeune femme l'avait déjà utilisé pour des personnes dont le cœur faiblissait de manière dangereuse, dans son cas, cela servirait à l'empêcher de s'écrouler. Ce qui était sans compter sur les effets secondaires, mais mieux valait qu'elle n'y pense pas. Hylios lui tendit une cape dont elle rabattit le capuchon sur son visage. La peur suffisait à accélérer les battements de son cœur. Elle devait surmonter la douleur qui remontait le long de ses jambes et qui lui donnait envie de se laisser tomber sur le sol. Ses entrainements avaient soumis son corps à des situations périlleuses, mais rien à voir avec ce qu'elle vivait. A pas rapide, le guérisseur l'entraina vers la forêt, jetant des coups d'œil discrets à la demeure derrière eux.
Ils s'agrippaient l'un à l'autre, conscients que même dissimulés par les arbres, on ne tarderait pas à s'apercevoir de la disparition d'Iseult. Elle marchait à pas rapide, portée par la chaleur qui pulsait dans ses veines et l'énergie décuplée qui circulait dans son corps. Cela n'empêchait pas sa souffrance, elle l'apaisait tout au plus. Des cris leur parvinrent. Ils échangèrent un regard. Sans même parler, ils savaient ce qu'ils devaient faire : fuir. Malgré ses réflexes de survie, Iseult se sentait diminuée, incapable de réfléchir elle ne parvenait qu'à penser aux battements frénétiques de son corps. Les chasseurs les rattraperaient vite. Leurs chaussures laissaient des empreintes visibles dans le sol sans compter qu'ils faisaient du bruit. La discrétion paraissait impossible. Monter dans les arbres était inenvisageable dans son état.
– Dis-moi que tu sais où nous sommes et où nous allons, souffla-t-elle à Hylios.
– Dans une demeure des de Castel, entre Riftha et le territoire des vampires. Morgan ne pouvait pas t'emmener loin. Je pensais rejoindre l'Académie.
Iseult se mit à réfléchir à toute vitesse. Son esprit lui paraissait soudain plus lucide, plus clair, mais des bribes lui échappait.
– Non, nous allons vers chez les vampires. Caeriel aura protégé son territoire, Morgan pensera tout de suite que nous allons à Riftha. Ceci dit, il nous aura rattraper dans quelques minutes si nous ne trouvons pas de solutions.
Ils continuèrent de s'enfoncer entre les arbres, la forêt devenait plus dense. Hylios peinait à la suivre, Iseult était dans son élément au milieu des arbres et du calme. Elle repensa à Nathaniel, lorsqu'ils avaient fait le jeu de la chasse dans la forêt. Une idée lui traversa l'esprit.
– L'eau... est-ce que tu sais s'il y a un cours d'eau par ici ? demanda-t-elle.
– Il est censé y en avoir un loin non loin d'ici, mais il y a des rapides et des cascades.
– On y va.
Se décider vite leur permettrait de survivre, de la sueur coulait le long de front d'Iseult. Sa respiration se faisait plus saccadée à mesure que les battements de son cœur s'accéléraient. Le produit faisait effet, elle ne sentait presque plus la douleur, par contre, elle était prise de bouffées de chaleur. La soif tiraillait sa gorge à présent, et elle commençait à avoir faim. Elle repoussa toutes ces sensations pour se concentrer sur son objectif : les rapides. Ils avaient toutes les chances d'y laisser leur peau, mais l'eau effacerait leur trace. C'était toujours mieux que de se faire effacer la mémoire.
Ils se rapprochaient quand elle entendit des bruits de pas dans leur dos. Iseult pressa la marche, sa vision se brouillait, se concentrer devenait plus difficile. Hylios la poussa pour qu'elle avance.
– Vas-y, souffla-t-il, je vais les ralentir.
– Non, si tu fais ça ils s'en prendront à toi.
– Ils ne peuvent pas, ma famille reste noble, Iseult fais moi confiance.
Elle hésita, elle ne pouvait pas le laisser là. Néanmoins, sa décision semblait prise, il glissa dans sa main une sacoche.
– Il y a des anti douleurs, une carte et un peu de nourriture. Pars maintenant.
– Tu n'avais pas prévu de m'accompagner.
– Pars Iseult, maintenant !
Hylios la poussa sur le chemin, des voix se rapprochaient d'eux. Elle le vit se saisir d'une branche avant de s'éloigner. S'il faisait un choix elle ne pouvait pas l'obliger à la suivre. Quand elle déboucha sur le cours d'eau, elle fit glisser la sacoche sur son épaule et s'y accrocha. Elle s'enfonça jusqu'au mollet. C'était froid, glacé même. Les cris se firent plus pressés et elle accéléra le pas. Son pied dérapa. Elle tomba le nez dans l'eau, se redresser fut une torture. Elle boitilla pour continuer sa course.
– Iseult ! la voix de Morgan la fit frémir.
La guérisseuse accéléra encore. C'était trop dur. Elle n'y arriverait pas. Son partenaire s'était déjà engagé dans l'eau.
– Iseult, fit une voix plus douce.
L'eau prit peu à peu forme humaine. Une femme apparue sous ses yeux, magnifique avec sa peau bleutée et ses cheveux qui ondulaient tels des vagues.
– Madeline, qu'est-ce que tu...
– Ne crains rien, nous allons t'aider.
Sa course s'était arrêtée sans qu'elle s'en rende compte. Morgan se trouvait à quelques mètres, il donnait, en vain des coups d'épée dans l'eau. Elle le vit tomber à genoux, incapable de se redresser. Sur la rive, les autres chasseurs se trouvaient aux prises avec des racines et des branches capricieuses.
– Prends ma main, fit la nymphe des eaux.
Iseult obéit sans hésiter. Les doigts froids se refermèrent sur les siens, elle se sentit pousser jusqu'au bout de la rivière qui débouchait sur un ravin. Quand la voix de Madeline lui ordonna de sauter, elle n'hésita pas un seul instant. Elle s'accrocha à la nymphe à l'étreinte douce comme un cocon protecteur. La chasseuse se laissa tomber dans le vide.
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