Chapitre 3

La nuit était tombée, et seules les bougies éclairaient le temple d'Hëlia. Agenouillée sur le sol, Iseult observait l'impressionnante statue de la déesse. Être dans ce lieu la rassurait, ses angoisses s'apaisaient. Depuis qu'elle était enfant, Iseult priait la déesse de la guérison, on lui avait appris à faire ses offrandes et à prendre celles des pèlerins. Il lui semblait parfois avoir un lien privilégié avec Hëlia, ce qui était sûrement de la vanité de sa part. La jeune femme déposa aux pieds de la statue un dryle (1), dans un petit panier prévu à cet effet. Les temples de l'Académie étaient ouverts la journée aux habitants de la ville, Hëlia était une déesse très appréciée, notamment car elle était dédiée aux soins. Néanmoins, à l'heure à laquelle Iseult s'y trouvait, les portes étaient fermées. Elle y était donc seule, les guérisseurs avaient dû prier avant le repas ou le feraient avant de se coucher. Quant aux apprentis, ils privilégiaient le matin.

Les paupières closes et les mains jointes, elle récitait ses prières. Pour l'heure, elle voulait surtout comprendre la raison pour laquelle on ne lui avait pas accordé le don de la guerre pour son opale. Iseult partait du principe que chaque évènement avait une raison, les Dieux ne laissaient rien au hasard. Cela l'aidait à expliquer l'imprévu auquel elle devait faire face. Le haut prêtre lui avait annoncé qu'elle rencontrerait les membres du conseil le lendemain.

– Tu as déjà prié ce matin, fit remarquer la voix de Morgan.

Il se mit à genoux à ses côtés. D'un geste précis, il lança une pièce dans le panier avant de se tourner vers elle.

– J'ai prié Felÿa ce matin, j'avais besoin d'apaiser mes angoisses, expliqua-t-elle.

– Ce qui apaiserait tes angoisses, ce serait de te changer les idées, proposa son ami.

– Vous voulez toujours aller à la taverne ce soir ?

Leur petit groupe s'était décidé à aller fêter la fin de leur apprentissage. Iseult ne s'était pas prononcée, elle aimait le calme du temple et de sa chambre. Les doigts de Morgan agrippèrent les siens et il les porta à ses lèvres pour y déposer un baiser. Il respectait sa foi et ses choix, même s'il la poussait à sortir de sa zone de confort.

– Nous allons nous amuser, puis cela ne pourra pas te faire de mal, lui dit-il.

– Il y a du bruit, et des gens, la dernière fois quelqu'un a renversé sa bière sur ma chemise, bougonna Iseult.

Son partenaire éclata de rire, elle avait râlé tout le lendemain et avait peiné à retirer l'horrible odeur du vêtement.

– Le pauvre homme a cru que tu allais le foudroyer sur place. Je t'assure que tout se passera bien, on va juste s'amuser.

– Vous pouvez y aller sans moi, tenta-t-elle.

– Nous pouvons.

Morgan se tourna vers elle, sa main glissa sur sa joue, puis caressa sa nuque avec tendresse.

– Mais qu'est-ce que je ferais sans ma partenaire ? Puis, je ne veux pas que tu restes toute seule.

Il l'attira contre lui pour poser ses lèvres sur les siennes. Son bras entoura sa taille pour la serrer plus étroitement, Iseult se laissa aller à cette étreinte. Morgan savait comment l'amadouer pour obtenir ce qu'il voulait, et elle se laissait faire. Elle soupira contre ses lèvres.

– Je viens, mais je ne pense pas rester longtemps, souffla-t-elle.

Un sourire se dessina sur les lèvres de son partenaire, il déposa un nouveau baiser sur sa joue. La jeune femme se redressa pour s'adresser une nouvelle fois à la déesse, afin de la remercier de l'attention qu'elle lui portait. À ses côtés, Morgan attendait qu'elle ait terminé, les prières l'ennuyaient et il ne cacha pas sa satisfaction de pouvoir sortir du temple. Il priait Felÿa parce que cela était nécessaire à leur ordre et il n'était pas aussi dévot qu'elle pouvait l'être.

Ils repassèrent dans leur chambre afin de se changer. Cela ne leur ferait pas de mal de porter des tenues plus festives. Morgan gardait ses habitudes de noble et il appréciait de porter des vêtements plus nobles que ses habits de chasseur. Il opta pour une chemise brodée aux manches et au col, ainsi qu'un pourpoint pourpre. D'un regard il jugea la tenue d'Iseult qui avait remplacé sa chemise d'entrainement par une autre plus épaisse. Avec un profond soupir, son partenaire alla fouiller dans ses affaires malgré ses protestations. Il lui lança une robe en plein visage.

– Mets plutôt ça, on sort faire la fête, pas chasser du vampire, s'amusa-t-il.

– C'est moins pratique.

– À moins que tu ne comptes courir après une proie ou l'égorger, une robe fera l'affaire.

Iseult le regarda avec une moue boudeuse. Il n'avait peut-être pas tort, elle n'était juste pas habituée aux vêtements de fête. Elle voulut protester, mais capitula à la vue du regard décidé de son ami. Ils étaient capables de se regarder ainsi toute la nuit sans qu'aucun d'eux ne change d'avis. La chasseuse enfila donc la robe bleu clair, c'était l'une des seules qu'elle avait, ses possessions étaient maigres. Le peu d'argent que leur donnait l'Académie lui servait à entretenir ses tenues de chasseuse. Cela était néanmoins un joli vêtement brodé de fleurs au niveau du buste. Elle la mettait le plus souvent pour les fêtes religieuses.

– Tu devrais laisser ma mère te faire confectionner de nouvelles tenues, tu sais qu'elle en serait heureuse, lui dit Morgan tandis qu'elle coiffait ses cheveux châtains.

– Quand pourrais-je les porter ? Nous passons la plupart de notre temps à nous battre et à chasser. Sans compter que je ne suis pas noble, cela ne m'irait pas.

Morgan la contempla, elle terminait de mettre de l'ordre dans sa chevelure rebelle. Il lui répétait toujours qu'elle était plus jolie les cheveux détachés, par moment quand il la regardait elle ne savait quoi penser. Comme en cet instant où il semblait vouloir quelque chose sans qu'elle ne parvienne à savoir quoi.

– Tu pourrais le devenir, un jour, souffla-t-il en posant une main sur sa joue. Si tu m'épouses, tu seras à l'abri de tout.

– Tu épouseras une fille bien plus belle que moi et avec une dot assez élevée pour satisfaire les ambitions de ton père, s'amusa Iseult.

– Mais elle ne sera jamais toi.

– Bien sûr que non, je suis la seule à pouvoir te faire entendre raison quand tu te comportes comme un crétin, et aussi à pouvoir te mettre à terre.

– Seulement parce que tu triches ! Tu me déstabilises à chaque fois.

– Évidemment, je n'ai aucune chance contre la magie de la guerre.

Son partenaire esquissa une moue boudeuse qu'elle apaisa en passant les bras autour de son cou. Sa magie décuplait sa force et ses sens, sans compter l'opale d'un rouge profond à son cou. Si elle ne rusait pas, Iseult n'avait aucune chance de le battre dans un combat singulier. Elle déposa un petit baiser sur ses lèvres et s'éloigna.

– Nous devrions y aller, les autres vont nous attendre !

Laurÿane était impatiente, et Kyolan devait avoir envie de courir après quelques mâles. Il se plaignait toujours qu'il était difficile de trouver de bons partenaires. Peu d'hommes avouaient leur homosexualité, cela n'était pas bien vu en Ildryläne, mais les mœurs des mages étaient plus libres que ceux des gens du peuple. Surtout chez les chasseurs, passer tout son temps avec une personne pouvait rapprocher. Comme elle avec Morgan, ils avaient seize ans lorsqu'ils avaient commencé à coucher ensemble, d'abord pour découvrir, puis ensuite parce qu'ils appréciaient ces moments à deux. Elle savait que son partenaire avait des conquêtes à la cour et même quelques-unes à l'Académie. Certaines venaient même glousser sous son nez, Iseult n'avait jamais saisi l'intérêt pour les femmes d'être en compétition, même si cela semblait répandu chez les nobles. De son côté, cela lui importait peu que Morgan voie d'autres femmes, ils étaient des amis qui se faisaient du bien mutuellement. Cela semblait difficile à saisir pour les autres amantes du jeune homme.

Dans le hall, les autres les attendaient. Ils étaient une petite dizaine à remonter l'allée de l'Académie pour rejoindre le centre de Riftha. Laurÿane enroula un bras autour des épaules d'Iseult, contente de pouvoir se plaindre, selon elle Kyolan était insupportable, il ne cessait de jacasser sur le manque de conquête diverse. Il avait eu du succès auprès de demoiselles de l'Académie, il appartenait à la noblesse de Rom'nekon comme en témoignaient sa peau sombre et ses cheveux crépus, c'était une terre voisine de la leur avec laquelle ils étaient en conflit, selon les périodes. Ses parents l'avaient envoyé en Ildryläne, car leur royaume, s'il acceptait la magie, préférait annihiler les dons des mages. Kyolan avait accepté ce qu'il appelait son exil et aimait se faire passer pour un martyr.

Les rues de la ville étaient calmes, ils croisèrent quelques badauds qui ne les regardèrent avec méfiance. Même sans leurs attributs de mages, les chasseurs avaient gardé leurs armes. Puis les auras de Kyolan, Morgan et Lorkan étaient dissuasives. Puis, si quelqu'un tentait quoi que ce soit, ils portaient tous leurs armes. Iseult avait glissé une dague dans sa botte, et elle s'en sortait au combat à mains nues. À côté d'elle, Laurÿane portait ses armes avec fierté, avec pantalon et chemise. À quelques pas d'elle, près de Lorkan, Diana souriait avec timidité au chasseur. Il était étrange de voir ce dernier faire la cour à une jeune fille aussi douce et gentille, aux antipodes de lui.

Quand ils entrèrent dans la taverne, Iseult sentit l'air quitter ses poumons. Tout était saturé autour d'eux, il faisait déjà chaud dans la grande pièce. Le brouhaha résonna à ses oreilles et elle eut l'impression d'étouffer. Laurÿane la tira par le bras vers une table au fond de la taverne. C'était là qu'ils avaient pris l'habitude de s'asseoir. Les discussions se calmèrent lorsqu'ils entrèrent, plusieurs personnes les saluèrent avec de grands sourires et des signes de mains. La plupart des gens de Riftha connaissaient leur visage depuis des années. Ils assistaient aux offices religieux, et les apprentis de l'Académie proposaient leurs services, de manière bénévole, aux habitants de la cité. Les bières ne tardèrent pas à arriver, Morgan se laissa tomber à côté d'elle, une main sur sa cuisse tandis qu'il riait avec Hylios et Lorkan. Iseult trempa les lèvres dans sa pinte, elle appréciait le gout un peu sucré du breuvage.

– Nous devrions avoir nos affectations en fin de semaine, c'est ce que m'a assuré Beorn, lui confia Laurÿane en se penchant à son oreille.

– Je croise les doigts pour que vous ayez ce que vous avez demandé, assura Iseult avec un sourire pour son amie.

– Cela ne devrait pas poser de problème, d'après Léana peu de chasseurs demande à être près du front, assura Kyolan qui s'était assis sur la table.

Ses deux amis avaient demandé à être sur la côte sud-est, où ils essuyaient les attaques régulières du continent de Sha'Yel. La prolifération de cadavres et la misère des camps militaires pouvaient attirer des créatures, pour certaines dangereuses. Ils discutèrent quelques minutes de ce qu'ils imaginaient pour la suite de leur carrière. Jusqu'à ce qu'Iseult sente la pierre contre sa poitrine devenir froide, ses oreilles bourdonnèrent et le bruit se dissipa autour d'elle, tout comme les conversations. Des murmures lui parvinrent, des voix qui chuchotaient à son oreille, un frisson remonta le long de son échine. Les appels se firent plus fort, ils étaient mêlés les uns aux autres dans une sinistre cacophonie. La jeune femme chercha à se concentrer sur ses compagnons sans parvenir à s'y raccrocher, sa gorge était sèche. Une main secoua son épaule et elle releva les yeux vers Morgan.

– Tu te sens bien Iz ? Hylios demandait ce que tu voulais boire, on va chercher d'autres boissons.

Les voix avaient disparu de son esprit. Elle déglutit et le rassura d'un sourire.

– J'étais ailleurs, je vais aller chercher ça, j'ai besoin de me dégourdir les jambes.

Elle se leva et s'extirpa de sa place. Chacun lui donna sa commande et elle nota dans son esprit ce qu'ils voulaient, ce n'était pas très compliqué, la taverne n'offrait pas un choix de boissons très diversifié. Morgan lui glissa quelques dryles dans la main, il n'avait jamais de mal à payer sa tournée, il lui fit un clin d'œil tandis qu'elle s'éloignait. Iseult prit une profonde inspiration, si le brouhaha de son esprit avait disparu, il laissait une trace douloureuse dans son crâne. La taverne était pleine et elle zigzagua avec habilité entre les tables, puis évita les personnes les plus ivres. Ce n'était pas rare que les marchands viennent se souler après une journée de travail. La jeune femme était néanmoins soulagée de pouvoir être sur ses deux jambes et elle alla s'accouder au bar pour commander. À son grand désespoir, il y avait peu de femmes, même si c'était l'une des tavernes les plus réputées et que les voyageurs y venaient pour gouter la meilleure bière du continent, selon les dires du tavernier. L'un des hommes la bouscula tandis qu'elle essayait d'attirer l'attention de la serveuse, elle fit un pas en arrière en pestant. Son coude heurta quelque chose de dur et elle se tourna avec vivacité. Ses yeux tombèrent sur une veste auréolée de vin, Iseult eut un air horrifié et leva le regard vers la victime de sa maladresse.

– Je suis désolée ! Je ne voulais pas ! s'excusa-t-elle.

L'homme esquissa un lent sourire et la jeune fille se figea. Ils se contemplèrent le temps de quelques secondes qui lui semblèrent une éternité. Les yeux d'un rouge flamboyants la dévisageaient, la peau de son interlocuteur était pâle et blanche, aucune trace de couleur quelconque, il était le reflet d'une perfection inhumaine.

– Il faut croire que je vais devoir boire autre chose, s'amusa l'homme sans la quitter des yeux.

– Vous seriez mal avisé de vous en prendre à moi, vampire, souffla Iseult.

– Je ne demande qu'un dédommagement.

Iseult le sentait trop proche d'elle, elle serra les poings et il éclata de rire.

– Ne t'inquiète pas, ce n'était qu'un mauvais vin et une veste voyage, dit-il en posant son verre vide et en faisant signe à la serveuse.

– Que faites-vous là ? demanda Iseult sur la défensive.

– Je suis en voyage d'affaires, répondit-il. Et toi ? Les guérisseuses vont donc dans ce genre d'endroits...

La jeune femme sentit un frisson la traverser, le vampire ne semblait pas le moins du monde inquiet. Il avait tout à fait le droit d'être là, les lois interdisaient que son espèce se nourrisse sur des humains non consentants, pour le reste ils étaient libres, même à Riftha.

– Je suis une chasseuse, contra-t-elle.

– Je sais. Tu étudies mes mouvements depuis tout à l'heure, c'est une torture de les ralentir, tu sais.

La serveuse les interrompit, elle se pencha en avant, ses yeux papillonnaient, fixés sur le vampire. Il esquissa un sourire charmant, le regard posé sur la femme qui minaudait dès qu'elle ouvrait la bouche. Du menton, il désigna Iseult.

– La demoiselle voulait qu'on lui prenne sa commande.

Iseult se sentit rétrécir sous le regard déçu de la femme qui lui demanda ce qu'elle souhaitait. La chasseuse énonça sa commande et déposa l'argent sur le comptoir. Son interlocutrice poussa un profond soupir puis s'éloigna. Elle reporta son attention sur le vampire, il l'observait avec attention sans se défaire de son sourire. Ses cheveux d'un blond très clair encadraient son visage fin. Il était beau, Iseult due se faire violence pour se souvenir qu'il s'agissait d'un prédateur, son espèce attirait les proies.

– Tu es belle, lui dit-il sans autre forme de politesse.

– Je... vous.... C'est... Je n'ai pas à discuter avec un vampire, annonça-t-elle en se tournant vers le bar.

– Ton cœur dit merci. Ses battements se sont accélérés.

– Je vous défends d'utiliser vos pouvoirs sur moi ! protesta la chasseuse.

– J'ai juste l'ouïe fine, je n'y peux rien. Tu es amusante, tu ne ressembles pas aux autres chasseurs que j'ai rencontrés.

– Comment ça ? ne put s'empêcher de demander Iseult.

– La première fois, ils ont tendance à montrer les crocs. Enfin, les armes, c'est moi qui montre mes crocs.

La chasseuse ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, amusée par la remarque.

– Peut-être se sentent-ils menacés ? suggéra-t-elle.

– Est-ce ton cas ?

Il s'était penché un peu plus vers elle, la main sur le comptoir.

– Non, même si vous êtes le premier avec qui je discute.

– Qu'est-il arrivé aux autres ? demanda-t-il comme s'il savait déjà la réponse.

– Ils ont perdu la tête, dit Iseult en plantant son regard dans le sien.

– Cela pourrait-il m'arriver ?

Son ton se fit badin, la serveuse venait de lui resservir un verre et le vampire y trempa ses lèvres. Iseult ne pouvait s'empêcher d'être fascinée, il y avait chez lui une aura qui l'attirait, au-delà de ses charmes de prédateur.

– Tout dépend, si vous mordez quelqu'un je devrais réagir.

– J'ai des principes, je ne mords que les humains consentants, fit-il en avalant une gorgée de vin. Ceci dit je veux bien que vous me fassiez perdre la tête, je vous laisserai me chasser avec plaisir.

Iseult était à peu près certaine qu'il ne parlait pas d'une véritable chasse. Son cœur s'accéléra dans sa poitrine, elle pouvait dissimuler ses réactions, mais pas les battements dans sa poitrine, ni le rouge sur ses joues. Il parvenait à la troubler en quelques paroles, il lui fallait toute sa volonté pour se souvenir qu'il était une créature assoiffée de sang. À côté d'elle, le claquement du plateau contre le comptoir la fit sursauter, la serveuse semblait contrariée. Iseult regarda les consommations, consciente qu'elle devait rejoindre les autres. Une part d'elle était déçue de devoir arrêter leur interaction là.

– Iz ! Notre gosier se dessèche ! se plaignit Kyolan qui arrivait sur elle en repoussant la foule.

– J'arrive, vous n'allez pas mourir de soif, répondit-elle avec un soupir.

Son camarade se jeta presque sur elle, son bras au travers de ses épaules. Il allait ouvrir la bouche lorsque son regard se posa sur le vampire. Un sourire barra son visage.

– Oh, je vois... je dis aux autres que tu es occupée ?

– Non ! s'exclama-t-elle. Enfin, j'allais arriver.

Elle s'empressa de se saisir du plateau tandis que Kyolan lorgnait sans vergogne le vampire.

– Il ne faut pas faire attention à elle, elle est un peu grincheuse. Mais, de mon côté je suis ouvert à toute proposition.

Le coude d'Iseult s'enfonça dans les côtes du chasseur. Pourquoi fallait-il toujours qu'il se fasse remarquer ? Elle lui lança son regard le plus noir et il éclata de rire.

– Ce fut un plaisir de vous rencontrer, j'espère que vous passerez un bon moment à Riftha, Monseigneur d'Aubelointaine, fit Kyolan avec un clin d'œil.

– Que... quoi ? demanda Iseult.

Le chasseur arqua un sourcil et désigna le blason sur la veste tachée du vampire. Iseult se sentit mortifiée, elle connaissait par cœur toutes les armoiries d'Ildryläne, comment avait-elle pu ne rien remarquer ?

– Nathaniel, je laisse le titre de seigneur à mon père, dit le vampire avec gentillesse.

– Je suis Kyolan, et voici Iseult. Je crois que nous allons rapporter ça aux autres, sinon Laurÿane va tuer Lorkan et Morgan va débarquer en gueulant, soupira Kyolan avec un air désolé.

Iseult avait toujours envie de se taper la tête contre le comptoir quand ils commencèrent à s'éloigner.

– Bonne soirée, Iseult, susurra le vampire.

La manière dont il dit son nom la fit frissonner, sa gorge était sèche et ses mains tremblaient. Jamais elle ne s'était laissé distraire à ce point. Kyolan lui prit le plateau des mains, il devait sentir son trouble.

– Par tous les Dieux, tu as vu comme il est beau ? Et son regard ? dit le chasseur avec une moue charmée.

– Tais-toi, il va t'entendre ! le morigéna Iseult.

– Tu crois ? demanda Kyolan dont le sourire s'était agrandi.

La jeune femme jeta un regard en arrière, les yeux du vampire étaient toujours braqués sur elle. Il leva sa coupe de vin dans sa direction et elle se détourna, les joues rouges. Il fallait qu'elle oublie ce vampire, qu'importe à quel point son regard la déstabilisait. Son but était de jouer avec elle. Ce n'était pas le moment de se mettre à désirer un vampire. Ils rejoignirent les autres en se faufilant au milieu des danseurs, Kyolan fit le service pour chacun. Iseult se dirigeait vers sa place quand Morgan la prit par la hanche et l'attira sur ses genoux, il referma ses bras autour d'elle. La jeune femme arqua un sourcil et il se contenta d'embrasser le creux de son cou. À côté d'elle, elle vit Laurÿane lever les yeux au ciel.

– Un vampire faisait du charme à notre petite Iz ! s'exclama soudain Kyolan.

Iseult sursauta et se promit qu'elle allait le noyer dans sa pinte de bière. Il dû le sentir, car il enfonça son nez dedans avec un air satisfait. Lorkan tiqua et Morgan resserra son emprise autour d'elle.

– C'est vrai ? demanda-t-il dans un souffle.

– Nous avons juste discuté, c'est un diplomate de la famille Aubelointaine, répondit-elle avec un haussement d'épaules.

– Il a surtout beaucoup de charme, et une envie certaine de s'amuser, dit Kyolan d'un ton enjoué.

D'un geste, Laurÿane lui envoya sa main dans la jambe pour le faire taire.

– Les hommes et maintenant les vampires mâles ? Tu n'as donc aucune décence ? cracha Lorkan.

– Tout en moi est indécent, même ma beauté, annonça Kyolan en passant une main dans ses cheveux.

– Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à apprécier une personne, quelque soit son genre ou son espèce, essaya de le défendre Iseult.

– Les hommes sont faits pour aller avec les femmes, et les humains avec les humains. Qui aurait l'idée de désirer un cheval ? dit Morgan avec animosité.

– C'est con ce que tu dis, les vampires n'ont rien à voir avec les chevaux, ils sont comme nous, défendit Kyolan.

– Ils sont morts ! s'écria Lorkan.

– Des morts qui marchent, qui parlent et qui pensent, il y a pire, répondit l'autre, exaspéré.

Les doigts d'Iseult caressèrent ceux de Morgan. Ils avaient leurs désaccords, surtout sur ce genre de sujets épineux.

– De toute façon, on sait tous que les mœurs Rom'nekon sont différentes, ricana son partenaire. Mais dis-moi Kyolan, tu préfères faire l'homme ou la femme ?

Sa tentative pour changer de sujet était maladroite et inappropriée, Iseult fronça les sourcils.

– Elle est sérieuse ta question ? Qu'est-ce que ça veut dire ? s'énerva le garçon.

– Qu'un homme doit être au-dessus s'il veut garder sa virilité, continua Lorkan sur le ton de la provocation.

– C'est bon, ça suffit, vous vous comportez comme des gamins, fulmina Laurÿane qui s'était levé du banc. Je préfère aller danser que d'écouter vos conneries.

– Elle a raison, vous êtes irrespectueux et mauvais, ajouta Iseult.

Elle voulut se relever, mais Morgan la retint, elle lui jeta un regard noir.

– C'était juste pour rire, Iz, essaya-t-il d'expliquer sans grande conviction.

– Quoi ? Tu la laisses aller au-dessus ? ricana Lorkan.

– T'es qu'un gros connard !

Iseult repoussa Morgan et se leva d'un bond. Lorkan eut la bonne idée de se reculer avant qu'elle ne lui mette sa main dans la figure. Sa main prit celle de Laurÿane et elle l'entraina vers les danseurs. Elle vit le geste obscène de son amie en direction de Lorkan qui avait croisé les bras, vexé. Kyolan avala une grande gorgée de sa bière, et elle remarqua qu'il jeta un regard à Hylios qui se détourna, la mâchoire serrée. Leur ami s'éloigna d'eux, contrarié et énervé, Iseult hésita à le suivre, mais Laurÿane l'en dissuada.

– Plus tard, il a besoin de calmer sa frustration, murmura-t-elle.

La chasseuse comprenait ce besoin, l'alcool lui faisait tourner la tête, mais pas assez pour qu'elle oublie le monde qui l'entourait. Elle dansa avec son amie qui avait elle aussi besoin de se défouler. Dans la foule, elle repéra le vampire avec qui elle avait discuté, il était appuyé contre une table et en pleine discussion avec un homme, ce qui ne l'empêcha pas de lever les yeux vers elle. Iseult s'empressa de se détourner, Kyolan avait raison, c'était un bel homme au corps élancé et gracieux.

Une main se posa sur son bras. Morgan les avait rejoints, il lui proposa de danser, il s'agissait de sa manière de se faire pardonner. Laurÿane n'objecta pas et lui fit un clin d'œil malgré ce qu'elle devait penser. Son amie n'appréciait pas la relation qu'elle entretenait avec Morgan, plusieurs fois elle lui avait répété qu'il était trop possessif et autoritaire. Ce qui était vrai, même Iseult ne pouvait le nier, mais elle le pardonnait. Les binômes de chasseurs étaient formés de manière à créer un équilibre dans leurs caractères. Elle était la balance de Morgan, elle ne craignait pas son rang dans la société et lui tenait tête quand il se comportait mal. Sa présence l'obligeait à se calmer, de son côté il la rendait plus sociable et il lui offrait un sentiment de sécurité.

La danse les rapprocha. À son oreille il murmura des excuses pour les mots de Lorkan. Sauf qu'Iseult savait que ce dernier avait visé juste. Quand elle y pensait, Morgan menait toujours leurs ébats, peut-être était-il temps de changer ? Il ne serait pas aisé d'amener le sujet avec le garçon qui pouvait avoir une vision étriquée de ses relations aux autres.

Fatiguée de tous les évènements, Iseult se laissa emporter par la musique, son corps se détendit et elle suivit le rythme qu'imposait Morgan. Ses doigts autour des siens. Ses lèvres qui frôlaient les siennes. Leurs regards l'un sur l'autre. La promesse qu'elle pouvait baisser sa garde et se laisser aller à un instant d'oubli.

(1) Le dryle est la monnaie d'Ildryläne 

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