Chapitre 29

Les embruns de la mer balayaient ses cheveux, la jupe trempée au-dessus de ses chevilles collait à sa peau. Iseult avait déposé ses chaussures au bout du sentier qu'elle remontait, son panier rempli d'algues. Elle profitait de la petite demeure au bord de la mer pour récupérer des plantes marines qu'elle faisait sécher, de cette manière elle préparait ses ingrédients pour ses onguents. Ses cheveux ramassés en chignon au-dessus de sa tête étaient humides, ils gouttaient sur ses épaules, les vagues avaient eu raison d'elle, à plusieurs reprises elle avait manqué de tomber. La quiétude du lieu lui faisait du bien, les derniers rayons du soleil balayaient son visage tandis qu'elle regardait l'horizon, un sourire sur les lèvres. Ici, son esprit n'était pas parasité par les émotions des autres, son cœur lui paraissait plus léger.

Lorsqu'elle franchit le seuil de la cuisine, une marmite bouillonnait d'une délicieuse soupe de légumes. La guérisseuse déposa son panier sur la table, les yeux de la cuisinière se posèrent sur elle. Aline et son époux s'occupaient de la maison, et la femme d'une cinquantaine d'années se chargeait de préparer leurs repas grâce aux légumes du jardin. Quand elle avait commencé à investir les lieux, Iseult avait d'abord décidé de s'occuper du jardin, un coin était réservé à ses herbes médicinales, pour lesquelles elle s'était fait des petits écriteaux, et le reste servait à ce qu'ils puissent avoir leurs propres légumes. Nathaniel et Caeriel, en lui confiant cet endroit, avaient fait le bon choix. Elle s'y sentait bien et à sa place.

– Maître Nathaniel ne va pas tarder à s'éveiller, annonça la cuisinière, vous devriez aller vous changer.

– Je dois d'abord étendre ces algues pour les faire sécher.

– Et à quoi servent-elles celles-ci ? demanda Aline peu convaincue.

– C'est bon pour le cœur et la santé. En Astraldane ils en mettent même dans leurs repas.

Le regard de la cuisinière dévia sur sa marmite puis revint sur Iseult qui souriait en étendant me fruit de ses récoltes sur la table.

– Vous ne m'en ferez pas mettre dans mon ragoût, les choses simples c'est tout aussi bien.

– Je ne comptais pas dénaturer votre ragoût, je vais les utiliser dans des tisanes et d'autres remèdes. J'en aurais peut-être besoin pour l'un de mes voyages.

Mieux valait se préparer à ce qu'elle croiserait en route. Beorn comptait l'envoyer en mission sous peu et elle voulait s'assurer d'avoir de quoi se soigner, mais aussi soigner les autres. Dans certaines régions, il n'y avait pas assez de guérisseurs pour qu'ils puissent soigner tous ceux dans le besoin. La porte s'ouvrit alors qu'Iseult disposait les algues sur le fil réservé à ses plantes. Léonore, la fille d'Aline, se présenta sur le seuil, son tablier tâché de suie, comme ses joues. Dans ses mains, elle tenait une enveloppe qu'elle triturait, elle se précipita vers Iseult pour la lui tendre.

– Ceci est arrivé par un messager de l'Académie, il est déjà reparti, mais il a dit que c'était urgent m'dame.

– Ton langage ! la tança sa mère en levant sa cuiller en bois, signe de menace.

– Tu peux m'appeler Iseult, répéta la chasseuse pour la énième fois.

Elle récupéra la missive que la jeune fille lui tendait, le cachet se trouvait être celui du Haut Prêtre qui avait dû prendre en compte sa demande pour un changement de partenaire. Iseult brisa le sceau et l'ouvrit avec précaution. Les quelques mots qu'elle lut lui serrèrent la gorge, le papier se froissa entre ses doigts crispés. La réponse ne l'étonna pas, mais cela lui laissa tout de même un gout amer.

– Quelque chose te contrarie, lança Nathaniel qui venait d'entrer dans la pièce.

– Ils ont refusé ma demande...

Le père de Morgan avait dû intercéder en faveur de son fils, ainsi qu'il le faisait à chaque fois que quelque chose contrariait le jeune homme. Elle ne savait pas ce que cherchait son partenaire en l'empêchant de travailler avec quelqu'un d'autre. Il devait encore espérer qu'elle le pardonne et revienne vers lui. Lui expliquer les choses paraissait être peine perdue, dès qu'elle le faisait, il déviait la conversation. Iseult s'épuisait à tenter de lui faire comprendre son point de vue qu'il ne prenait même pas en compte.

– De Castel est influent, je crains que nous ne puissions pas y faire grand-chose.

– J'espère surtout qu'il finira par me laisser tranquille, soupira Iseult.

– Nous chercherons une solution, Caeriel et Beorn devraient bien en avoir une.

Le vampire déposa un léger baiser sur sa tempe. L'acharnement de Morgan pesait sur son moral, comme si elle était prise en étau. Beorn devait être tout aussi déçu qu'elle de cette décision, le commandant de l'ordre lui avait assuré qu'il la défendrait. Malheureusement, son influence n'était pas aussi importante que celle du seigneur de Castel.

– Je dois finir de préparer le repas, marmonna Aline.

De la main, la domestique désigna les algues qui empiétaient sur son plan de travail. Sa gentillesse s'arrêtait lorsqu'elle ne pouvait pas exercer son travail comme elle l'entendait. Iseult se hâta de disposer ses dernières plantes sur son fil de séchage sous le regard amusé de Nathaniel, il prenait toujours un malin plaisir à la voir se faire rabrouer par Aline.

– Léonore va vous préparer un bain, continua la cuisinière, vos cheveux vont être affreux avec la mer sinon.

Les doigts d'Iseult saisirent l'une de ses mèches de cheveux, asséchées par le sel. Se laver ne serait pas de refus, il lui semblait avoir encore du sable entre les orteils. Nathaniel l'invita à se rendre dans le salon afin de laisser Aline faire son travail et terminer de couper ses légumes dans le calme. La missive de l'Académie trouva sa place sur le bureau où travaillait son compagnon quand elle lisait près du feu. Iseult ne savait qu'en faire, la garder ne changerait rien aux faits. Iseult se résolu à aller prendre un bain, peut-être que cela la détendrait. Les bras de son amant l'entourèrent et il la serra contre lui.

– Tu sens le sel et l'océan, c'est agréable, sourit-il, à quoi vont te servir ces algues ?

– Elles sont utiles pour la fatigue et les carences, elles aident à redonner de l'énergie au corps. Mais, il faut faire attention, certaines algues sont toxiques.

– Ton savoir m'épatera toujours, souffla Nathaniel en s'éloignant.

– Ce n'est rien d'extraordinaire, j'apprends ça depuis petite.

– Et moi, j'ai toujours été trop feignant pour apprendre.

– Peut-être parce que tu n'as pas besoin de te soigner, suggéra Iseult.

Elle se laissa tomber dans son fauteuil, il y avait des livres éparpillés sur la table, ce qui faisait râler Aline. Lorsqu'elle travaillait, Iseult ne prenait pas garde au bazar qu'elle laissait, elle rangerait quand elle aurait terminé. Chaque ouvrage aurait sa place dans la bibliothèque qui commençait à se remplir. Quand elle se leva, ce fut pour rejoindre Nathaniel qui, sa plume en main, écrivait des lettres.

– Que fais-tu ? demanda-t-elle, penchée par-dessus son épaule.

– J'organise notre mariage. Je commence à préparer les lettres pour nos invités, tu t'es décidé pour le temple ?

– Il y en a un non loin d'ici, la prêtresse qui s'en occupe n'est pas mage, mais elle m'a assuré qu'elle serait ravie de nous accueillir. Hylios a accepté de nous unir.

Il fallait être mage pour sacrer une union, en temps normal chaque temple était géré par l'un d'eux. Iseult s'était rendu compte que ce n'était pas le cas sur le territoire de Caeriel. La plupart refusaient d'y aller.

– Parfait, j'ai aussi reçu ça, dit Nathaniel.

D'un tiroir, il extirpa une petite boite ouvragée qu'il ouvrit. À l'intérieur se trouvaient deux anneaux simples, gravés d'une lune et d'un soleil. Iseult fit glisser ses doigts sur l'alliage en argent, c'était un travail magnifique.

– Ils sont superbes, souffla-t-elle en les admirant.

– Ravi qu'ils te plaisent, c'est un ami orfèvre qui les a confectionnés. Je lui ai dit que tu appréciais la simplicité.

– Tu as eu raison, j'ai hâte de pouvoir porter le mien.

– Tu ne regrettes pas de m'avoir fait ta demande ? fit le vampire.

– Non, à aucun moment. C'est important pour moi que nous soyons unis aux yeux d'Hëlia.

Nathaniel ne croyait pas aux divinités, cela ne l'empêchait pas de la soutenir et de la comprendre. Elle se pencha pour l'embrasser, leur baiser, tendre et amoureux la laissait toujours heureuse. Léonore vint les interrompre pour annoncer que son bain était prêt, Iseult la remercia avant de s'éclipser. Son cuir chevelu commençait à la gratter, se nettoyer serait un geste bienvenu.

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Iseult somnolait sur le divan, son livre encore dans les mains. Lors des nuits qu'elle passait avec Nathaniel, elle s'arrangeait pour rester éveillée plus longtemps. Cela faisait sourire son compagnon qui finissait par lui dire d'aller se coucher ou qui venait s'installer avec elle. Leur vie commune commençait à trouver son rythme, l'emploi du temps d'Iseult pouvait être aléatoire. Les yeux mi-clos elle percevait le bruit du papier que son compagnon tournait, ou les grattements de la plume lorsqu'il écrivait. Ce n'était pas grand-chose, mais ces moments lui étaient précieux. Elle rouvrit les yeux lorsqu'elle sentit qu'il effleurait sa joue et remontait la couverture sur ses épaules.

– Tu devrais aller dormir, souffla Nathaniel.

– Je voulais rester avec toi encore un peu.

Iseult se redressa sur le sofa et s'étira.

– Je peux venir avec toi.

– Tu as encore du travail, répondit la guérisseuse.

– Je te rejoins vite dans ce cas.

Il déposa un baiser sur ses lèvres. Elle ne pourrait jamais se lasser de leurs instants de tendresse. Puis s'éloigna vivement, dans ses yeux, Iseult vit que ça n'allait pas. Nathaniel se redressa, les sourcils froncés.

– Il y a quelque chose dehors.

Personne ne viendrait leur rendre visite aussi tard, encore moins sans être annoncé. S'il s'agissait d'un autre vampire, il n'aurait pas été si inquiet. Iseult se redressa, tout à fait réveillée cette fois-ci. Elle rajusta le châle qu'elle portait sur ses épaules.

– Une goule ? Des brigands ? demanda-t-elle.

– Ce n'est pas une créature, siffla-t-il.

La chasseuse s'était levée pour récupérer une dague qu'elle gardait cachée dans un tiroir du bureau. Même si elle n'aimait pas l'idée d'être armée chez elle, cela lui paraissait plus prudent. Avec toutes les affaires qu'elle jugeait en sa qualité de chasseuse, elle voyait bien tout ce qui pouvait arriver, même lorsque l'on se croyait bien à l'abri chez soi.

La vitre du salon vola en éclat. Le projectile roula sur le sol, suivi d'un second. Iseult agrippa le poignet de Nathaniel.

– Il faut sortir !

La fumée commençait déjà à emplir la pièce. Elle reconnaissait ces armes pour les avoir déjà utilisées. Iseult toussa, ses yeux commençaient à brûler, tout comme ses poumons. Cela n'allait pas la tuer, ce qui ne signifiait pas que ça n'avait pas d'effet. Nathaniel l'entraina dans l'entrée, il lui tendit un mouchoir pour qu'elle se couvre la bouche et le nez. Il ne semblait pas affecté par les fumigènes. La fumée se fit plus épaisse, elle venait de tous les côtés. À côté d'elle, le vampire passa un bras autour de ses épaules. Il n'inhalait pas les émanations, il n'avait pas besoin de respirer. Sa poitrine vibra, il poussa un sifflement. Elle battit des paupières, blottit contre lui. Sa vision était altérée, elle ne distinguait que des silhouettes qui confirmèrent ses craintes. Elle n'avait même pas besoin de réfléchir pour reconnaitre les capes des chasseurs, de ce qu'elle pouvait voir, ils étaient cinq ou six. À leur tête, elle reconnut sans peine Morgan, à sa démarche et à son allure.

Sa main appuya sur le tissu qui couvrait sa bouche et son nez. Du regard, elle chercha une échappatoire, sans succès. Ils étaient parvenus à les encercler. Par chance, la fumée commençait à se dissiper autour d'eux. Sa main serra son arme. Contre eux, elle n'avait aucune chance, leur seule solution était de fuir. Elle leva les yeux sur Nathaniel qui ne bougeait pas. Dans les mains de certains chasseurs, elle distingua des chaines qu'elle devina être en argent. Il ne fallait pas qu'elle réfléchisse à ce qu'ils venaient chercher. Elle devait protéger son compagnon contre la folie de ses camarades. Sans même réfléchir, elle se mit devant lui afin de faire barrage pour les empêcher de faire quoi que ce soit. Morgan ne la blesserait pas, du moins, elle l'espérait. La fumée s'était dissipée, et elle put retirer le mouchoir qui couvrait sa bouche, non sans tousser une dernière fois.

– Pousse-toi Iseult, ordonna son partenaire.

– Vous n'avez pas le droit d'être ici, répondit-elle sur le même ton.

– Je ne me répèterais pas, ne nous oblige pas à te faire du mal.

– Tu es chez moi Morgan. Alors, sortez avant que ça ne dégénère.

La main de Nathaniel se posa sur son épaule et il fit un pas en avant pour se tenir à ses côtés.

– Vous êtes sur les terres de Caeriel, vous n'avez aucune autorité ici, dit-il d'un ton calme.

– Ne nous adresse pas la parole créature ! cracha l'un des chasseurs.

Iseult scruta ceux qui accompagnaient Morgan, elle reconnaissait la plupart des visages. Certains étaient plus vieux qu'eux. Ce qui les unissait devait être leur haine des vampires. Elle s'apprêtait à prendre la parole quand une flèche perça l'abdomen de Nathaniel. La jeune femme se jeta sur lui pour l'empêcher de tomber.

– Vous allez déclencher une guerre ! hurla-t-elle.

– Et nous pourrons enfin tous les crever, ricana une voix.

– Vous êtes fous...

Le vampire retira d'un coup sec la flèche, il ne semblait pas plus affecté que ça par sa blessure. Il s'était nourri un peu plus tôt dans la soirée, il guérirait plus vite. Iseult vit Morgan faire un geste. Nathaniel la poussa sur le côté. Son corps heurta le sol, une flèche tomba un peu plus loin. La guérisseuse se redressa pour se remettre debout. Son regard se porta sur son compagnon, il se tenait encore debout, dans ses yeux elle lisait la colère. Il porta la main à son ventre, une flèche y était plantée et le sang coulait de sa plaie. Cela ne semblait pas lui faire mal.

Il arracha le projectile pour le jeter sur le sol. Iseult quant à elle récupérera sa dague, qui gisait sur le sol. Ses doigts se resserrèrent sur la garde. Son regard passa sur les chasseurs. Ils portaient un véritable arsenal, il ne s'agissait pas que des armes, mais aussi des chaines qu'ils employaient pour contraindre les créatures les plus féroces. Leur nouvelle cible désignée était Nathaniel. Elle parvint à retrouver sa place près de lui, il glissa une main dans son dos.

– Ils ont utilisé des runes pour piéger la maison, je ne peux pas sortir, expliqua-t-il.

Aucune solution ne lui venait en tête. S'ils ne pouvaient pas sortir, il n'y avait aucune échappatoire. Lors de leurs cours, les instructeurs appelaient cette technique celle du terrier. Bloquer l'ennemi dans un endroit, comme cela peut être fait pour un animal que l'on veut chasser. Cela leur servait à présent de protection pour la population quand une créature dangereuse était trop proche de la ville. Les runes ne duraient pas et la magie finissait par s'estomper. Mais il faudrait une bonne heure selon l'énergie que les chasseurs y avaient mise.

– Pars, lui souffla Nathaniel.

– Pas sans toi !

– Iseult, s'il te plait.

– Ce n'est pas à moi qu'ils veulent faire du mal, répliqua-t-elle.

À un autre moment, elle aurait pensé pouvoir faire changer Morgan d'avis. Iseult comprit que c'était impossible lorsqu'elle croisa son regard. Il y avait une telle haine dans ses yeux dorés que son cœur se serra dans sa poitrine. Lorsqu'elle décida de ressentir les émotions des chasseurs, elle ne trouva que de la haine et de la jubilation.

Le temps s'était suspendu. Ils ne bougeaient pas. Jusqu'à ce que la main de Morgan se lève et que le chaos éclate. Les flèches volèrent sur eux. Nathaniel les évita. Iseult se baissa pour éviter celle qui la menaçait. Sa seule arme était au creux de sa paume. Elle se jeta sur le chasseur le plus proche. Il vacilla, surpris de son geste. La jeune femme profita de la distraction pour saisir l'épée qui pendait à sa ceinture. L'arme pesait lourd dans sa main, plus que celles qu'elle utilisait d'ordinaire. Elle se recula avant qu'il ne la frappe, furieux. Si elle l'avait déjà croisé, elle ne s'en souvenait pas. Il était massif, ses yeux sombres s'enfonçaient, minuscules dans leurs orbites. Elle n'aimait pas son regard.

Un cri inhumain lui fit tourner la tête. L'épée de Lorkan s'était plantée dans le flanc de Nathaniel qui se dégagea, une main posée sur la blessure. Aschan était au sol, la bouche en sang. Quant à Morgan son arme était levée. Il s'apprêtait à frapper. Iseult se précipita. Leurs lames s'entrechoquèrent. Le coup fit trembler ses bras sous la force de l'impact, elle tomba presque. La douleur remonta jusqu'à son épaule. Elle l'ignora pour faire face à son partenaire. Une part d'elle voulait essayer de l'arrêter, une autre savait qu'il n'écouterait pas.

– Dégage ! lui hurla-t-il.

Iseult l'ignora, le menton relevé. Dans son dos elle entendit le glapissement de douleur de Lorkan. Elle risqua un coup d'œil. La main du vampire s'était refermée sur le bras du chasseur, il l'avait tordu dans un angle improbable et douloureux. Le regard rouge de Nathaniel flamboyait. Il ne cherchait plus à être diplomate, elle non plus. Son partenaire lui assena un nouveau coup. L'arme, trop lourde, glissa et tomba au sol dans un grand bruit métallique. Une main agrippa sa cheville et Iseult sentit son corps partir en avant. Sa tête heurta le sol et l'écho se répercuta dans son crâne. Un chasseur profita de la distraction de Nathaniel pour l'attraper par-derrière, une chaine de fer dans les mains. Sa peau brûla là où il le touchait. Il poussa un grondement sourd et s'ébroua. Son agresseur heurta le mur derrière lui.

Le regard d'Iseult se porta sur Aschan qui agrippa ses jambes pour l'empêcher d'avancer. Il la tira vers lui et elle bougea sa jambe pour lui asséner un coup de pied dans le ventre. Il grogna de douleur, mais sa poigne se fit plus ferme. Son corps était lourd, même si elle se débattait, il bougeait à peine. Le chasseur la maintenait sur le sol. Le sang coulait le long de son visage, elle glissa sa main sur sa joue. Les poings serrés elle chercha à se débattre plus fort. Nathaniel maintenait son adversaire contre un mur, il l'envoya sur le sol comme s'il ne pesait rien. La peau de son cou montrait des signes de brûlures, le bas de sa joue aussi. La chasseuse posa son front contre le sol. Il fallait qu'elle trouve une solution. La main d'Aschan se referma sur ses cheveux, il tira sa tête en arrière l'obligeant à se redresser.

– Il va mourir, et tu ne peux rien faire, murmura-t-il à son oreille.

Ils étaient trois autour de Nathaniel. Ce dernier arracha une fléchette plantée dans son bras.

– Non, souffla-t-elle, laissez-le.

La colère grondait en elle sans parvenir à sortir. Sa gorge la brûlait et l'empêcher de hurler. Tout comme le nœud au fond de son estomac. Seules des larmes roulaient le long de ses joues. Son compagnon s'affaiblissait, les autres utilisaient le tranquillisant qu'ils réservaient aux créatures les plus dangereuses. Au tréfonds de ses tripes, elle sentait les relents de la haine. Son regard changea. La main d'Aschan tenait sa gorge et l'autre ses cheveux. Le pouvoir gonfla dans ses veines. Toute la colère contenue en elle explosait dans son sang. La mort n'était pas encore parmi eux, mais elle sentit la morsure du froid. Chacun de ses battements de cœur était un appel à la mort. Son pouvoir se déversa en Aschan qui hurla en le rejetant en avant. Iseult se rattrapa sur ses deux bras pour se relever. Les mains du chasseur laissaient apparaitre des veines noires qui commençaient à s'estomper. Elle l'avait cru fort. Mais face à la mort, il n'était pas différent des autres : faible. Iseult sentait la puissance résonner dans son corps, l'envelopper comme une armure. Elle se sentait forte. Même si elle mourait cela ne changerait rien. Elle était puissante. C'est ce que lui promettaient les murmures qui chantaient à ses oreilles. Alors elle laissa le pouvoir l'envahir complètement.

– Laissez-le, fit-elle d'une voix posée et forte.

Le chasseur qui enchainait Nathaniel leva les yeux vers elle et lâcha un rire. Il ne la prenait pas au sérieux. Il arqua un sourcil, le regard chargé de dédain.

– Tu n'es même pas armée, ricana-t-il.

– Tu es ridicule Iseult, fit Morgan en un soupir.

– Et vous êtes pitoyables...

La mort venait d'entrer dans la demeure. Un sifflement retentit dans son dos, suivi d'un hurlement. Les deux chasseurs redressèrent la tête. Ses armes n'étaient pas faites de fer ou d'acier. Mais elles n'en étaient pas moins mortelles. Ils ne feraient pas de mal à Nathaniel. Elle le protégerait. Un corps roula sur le sol juste à ses pieds. Le chasseur était encore en vie, il haletait. L'un de ses bras déchiquetés. Une partie de son corps dévoré. Il mourrait dans quelques instants. Morgan et l'autre chasseur reculèrent. Une créature glissa à côté d'elle. La goule rampait sur le sol poussant des sifflements stridents. Son esprit sous emprise ne lui donnait qu'un but « protéger Nathaniel ». Iseult se passait ce mantra en boucle pour l'envoyer à la créature dont les griffes venaient de se planter dans le corps inerte à ses pieds.

– Iseult, souffla son compagnon, arrête... s'il te plait...

La goule éloigna les chasseurs qui sortirent leurs armes pour l'empêcher de les dévorer. Une part d'Iseult voulait écouter Nathaniel, quant à l'autre, elle prenait plaisir à montrer qu'elle n'était pas sans défense. Ses pouvoirs dépassaient les leurs. Elle s'approcha et se mit à genoux devant Nathaniel, elle retira les chaines qui l'entouraient, ses doigts glissèrent sur son visage blessé.

– Je vais te protéger, promit-elle.

– Pas à ce prix Iseult, jamais.

– Je t'aime, murmura la jeune femme.

Les doigts de Nathaniel enveloppèrent les siens. Il se redressa et posa ses lèvres sur les siennes.

– Je t'aime aussi, mais là, ce n'est pas toi. Arrête.

Son énergie crépitait en elle. Elle pouvait l'utiliser pour renforcer la goule qui gémissait par terre. D'autres pouvaient venir l'aider. La poigne de Nathaniel se fit plus ferme sur ses mains. Il plongea ses yeux dans les siens.

– J'aime la guérisseuse qui craint d'utiliser ses pouvoirs par peur de blesser les autres, la femme raisonnable qui connait ses limites.

Les larmes roulèrent malgré elle sur ses joues, le doigt de Nathaniel les essuya et elle vit sa main poisseuse de sang.

– Ça va te détruire aussi... fit-il.

Iseult trembla. Prise d'un soubresaut de lucidité. Qu'était-elle en train de faire ? Son compagnon l'attira contre lui. Il la serra dans ses bras comme s'il s'agissait de la dernière fois. Une main caressant ses cheveux. Il s'accrocha à elle.

La goule poussa un dernier cri.

Son corps de contracta.

Elle sanglota.

Nathaniel murmura à son oreille.

Il la poussa si fort sur le côté que son épaule heurta le sol dans un craquement.

Son fiancé lui sourit.

Une épée plantée dans sa poitrine.

Le sang noir imbibant sa chemise.

Elle cria.

On la retint.

Morgan se redressa.

L'éclat de son épée l'aveugla.

Elle hurla.

Hurla encore.

La main tendue en avant.

La tête de Nathaniel roula sur le sol.

Elle se débattit.

Griffa.

Hurla.

Mordit.

La douleur lacérait sa poitrine. La souffrance écrasait son cœur à coup de lame. Ses poings s'abattirent sur les mains de celui qui la tenait à la taille. Elle griffa ses doigts. Frappa ses jambes. Ses hurlements déchiraient l'air silencieux. Des griffes invisibles serraient sa poitrine pour faire exploser son cœur. L'indicible douleur se propageait dans son corps comme une maladie qui la dévorait. Un feu invisible consumait sa poitrine. Sa seule vision était celle de la mort. La sensation de froid se mêla à la chaleur brûlante. Corps et cœur mêler dans une seule douleur insaisissable. Iseult supplia. De toutes ses forces.

Morgan s'approcha d'elle. Il posa son front contre le sien.

– Je t'ai sauvée.

La guérisseuse sentit tout con corps se contracter. De dégout. De colère. De rage. De haine. Elle rejeta sa tête en arrière, et envoya son front dans le nez de Morgan.

– JE TE HAIS ! MONSTRE ! VA CREVER ! hurla-t-elle.

Il lui lança un regard chargé de pitié. Elle planta ses ongles dans les mains de celui qui la tenait. Derrière elle, elle reconnut la plainte étouffée du chasseur qui la maintenait. Lorkan se trouvait maintenant aux côtés de Morgan. Elle évita de regarder ce qu'il tenait dans sa main. La colère se décupla.

– Crevez tous... murmura-t-elle.

Qu'importe qu'elle se détruise où qu'elle tue.

Son don l'absorba. La mort en fit son pantin.

Elle la propagea.

Le chasseur dans son dos hoqueta. Incapable de la lâcher. Chaque veine de ses bras devint noire. Puisqu'il était pourri, il pourrirait de l'intérieur. Son regard se planta dans celui de Morgan. Elle s'agrippa à l'autre qui tomba à genoux dans son dos. Iseult tenait encore ses mains.

– Elle utilise la nécromancie... fit Lorkan horrifié.

– Iseult, lui dit Morgan.

Le chasseur émit une dernière plainte étouffée. Il toussa et cracha sur le sol des gerbes de sang noir que la nécromancienne ne vit pas.

– Tu voulais tant me toucher Morgan, vas-y.

Iseult tendit la main vers lui. Une offrande empoisonnée. À sa grande surprise, il s'en saisit. Ses doigts se refermèrent sur son poignet et il l'attira contre sa poitrine.

– Désolé, Iz, murmura-t-il à son oreille.

Dans son cou, elle sentit la morsure d'une piqure. Ses muscles tremblèrent. Ses jambes ne la portaient plus. Ses yeux se posèrent sur la fléchette que tenait Morgan. Il la retint pour ne pas qu'elle tombe. Puis, le néant l'engloutit et plus rien n'exista autour d'elle. 

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