Chapitre 26
La fatigue terrassa Iseult peu après son retour à l'Académie. L'adrénaline du combat coula dans ses veines durant tous le voyage du retour, mais une fois sa chambre retrouvée, elle s'écroula. Soigner tous leurs camarades pesait sur sa santé, Harmonie souffrait d'une blessure à la jambe qu'Iseult ne put pas entièrement soigner. Silas n'avait rien mais sa tristesse l'étouffait. Leur chemin s'était séparé de celui des loups, puis de celui des vampires, Nathaniel l'avait quittée en lui promettant qu'il viendrait sous peu à Riftha. Elle ne se souvenait même plus de ce qu'elle avait répondu, trop fatiguée pour en être consciente. La solitude de sa chambre lui fit le plus grand bien, Hylios vint s'occuper de ses blessures, avec Bianca, une autre prêtresse d'Hëlia. Ils ne lui posèrent pas de questions, discutèrent un peu avec elle, puis se retirèrent.
Son sommeil fut lourd et sans rêves. Elle ne ressentait qu'une envie de s'y enfoncer et d'y rester. Laurÿane vint lui rendre visite, avec Kyolan, ils souhaitaient prendre de ses nouvelles. Bien qu'ils n'aient pas envie d'en parler, Iseult aborda tout de même le sujet d'Atlan. Son corps serait retourné aux dieux, il reposait pour le moment dans la crypte où d'autre mage le conservaient en parfait état, pour éviter à sa dépouille de pourrir. Le Haut-prêtre envoya des lettres à tous les chasseurs pour que ceux qui le souhaitent puissent venir lui rendre hommage une dernière fois. Sa cérémonie aurait lieu au temple de Felÿa, elle serait menée par Beorn, puis des prêtres et prêtresse d'Hëlia recueilleraient la tristesse de ses proches. D'instinct, Iseult s'était proposée pour tenir ce rôle, elle connaissait peu Atlan, mais elle se sentait coupable de ce qui lui était arrivé. De plus, elle voulait se sentir utile après avoir passé plusieurs jours dans sa chambre à ne sortir que pour prier ses déesses. Beorn avait accepté sa requête, tout comme Zélie la maîtresse guérisseuse.
La veille de la cérémonie, elle purifia son âme auprès des déesses. Sa nuit fut courte, parsemé de rêves et de cauchemars qui la laissèrent haletante. Iseult se leva à l'aube afin de se préparer. Elle gardait une cicatrice rose et boursoufflée là où Magnus avait enfoncé sa lame, quant à son bras, la morsure du loup disparaitrait après quelques soins des guérisseurs. Sa robe blanche balaya le sol et Iseult dégagea ses cheveux du tissu, la tradition voulait qu'elle les portât détachés pour la cérémonie. Pour attraper les cordelettes qui resserraient sa robe elle se tortilla devant son miroir.
- Je vais le faire, annonça la voix de Morgan.
La chasseuse n'eut pas le temps de protester qu'il se trouvait déjà dans son dos à lacer sa robe. Elle se tut. Leur dernière entrevue ne s'était pas bien passée et Iseult ne savait pas quoi dire. Les humeurs de Morgan variaient d'un jour à l'autre, elle ne parvenait plus à le suivre. Elle s'écarta quand elle sentit les doigts de son partenaire caresser sa nuque, puis elle remit ses cheveux dans son dos.
- Que voulais-tu ? finit-elle par demander incommodée par le silence.
- Cette mission a dû être difficile, répondit le jeune homme, bras croisés sur sa poitrine.
- Atlan y a laissé la vie, ce n'était pas difficile, c'était horrible.
- Tu as raison. Je veux juste que tu comprennes que je suis là pour toi Iseult, j'ai été idiot et puéril. Je te demande pardon, tu peux te reposer sur moi pour surmonter cette épreuve.
Il avança vers elle pour prendre ses bras, Iseult voulait ressentir sa compassion et sa tristesse, ce n'est pas ce qu'elle aperçut quand il l'effleura. Il y avait de la colère et de la jalousie. Quand elle levait les yeux vers son visage, elle se demandait comment il pouvait être si bon acteur.
- Les émotions ne mentent pas Morgan, fit Iseult, tu n'es pas sincère. Maintenant, pardonne-moi mais je dois y aller, je ne suis pas censé lire les émotions avant la cérémonie.
Cela serait éprouvant, il lui faudrait toute sa concentration et son énergie.
- Je fais des efforts Iseult, vraiment, mais tu ne m'aides pas.
- Parce que je ne le veux pas. C'est terminé, il n'y a que toi qui ne t'en es pas encore rendu compte. Dès que je le pourrais je demanderais au conseil de me trouver un nouveau ou une nouvelle partenaire.
Sur ses mots, elle tourna les talons saisissant au passage la couronne de fleur posée sur son bureau. Son cœur cognait dans sa poitrine avec la crainte que Morgan cherche à l'arrêter. Il n'en fit rien, elle ne l'entendit même pas la suivre. D'un pas pressé, presque extatique, elle se dirigea vers le temple où la cérémonie allait débuter. Lorsqu'elle y entra, les prêtres et les prêtresses s'étaient installés aux pieds de la statue de Felÿa. Ils terminaient de préparer le lieu pour la cérémonie. Le corps d'Atlan reposait près de sa déesse, son arme à la main et sa cape sur les épaules. Avec ses yeux fermés, il donnait l'impression de dormir. Iseult baissa la tête et rejoignit les autres afin d'éviter d'être confrontée à la mort. Elle avait insisté pour assister les prêtres et prêtresses, elle ne pouvait pas faillir maintenant. Ses doigts s'affairèrent autour des plateaux d'offrandes.
- Ta couronne est mal mise, lui fit la voix de Bianca, attends je vais t'aider.
Avec douceur, elle replaça les fleurs sur ses cheveux avec plus de dextérité que n'en avait Iseult.
- Cela doit être difficile pour toi de nous assister aujourd'hui, si tu veux te retirer personne ne t'en voudras.
- Merci, mais ça ira. Atlan était croyant, il aurait apprécié qu'un autre chasseur se charge de sa cérémonie, dit Iseult dans un souffle.
- Tu es préoccupée, fit Bianca avec un sourire.
Sa main se posa sur l'épaule de la chasseuse qui sentit un poids quitter sa poitrine. Il lui était plus courant de soulager les autres de leur fardeau que d'être elle-même soulagée. D'un mouvement de tête elle remercia Bianca, un autre guérisseur les appela afin de leur donner les dernières instructions avant la cérémonie. Iseult appréciait de se trouver parmi les guérisseurs, tous préféraient le silence et le calme du temple. Leur sensibilité pouvait les mettre à fleur de peau.
Après une demi-heure de préparatifs, le temple de Felÿa commença à se remplir. Le premier arrivé fut Silas, il s'appuyait lourdement sur sa canne, sa jambe semblait le faire souffrir. Il grimaça alors qu'il s'asseyait en massant sa cuisse. Ses traits tirés indiquaient qu'il avait peu dormi ces derniers jours. Il fut rejoint par Léana, Audrick et Harmonie qui s'installèrent près de lui. Les membres de la garde royale repartiraient le lendemain, une fois tous les hommages rendus, Iseult avait su par Laurÿane que Silas ne retournerait pas à la capitale. A présent que son partenaire était décédé, il souhaitait quitter la garde. La jeune femme ne pouvait que le comprendre, avec sa blessure et son mal qui empirait, cela devait être fardeau pour lui. Parmi les autres, elle distribua les fleurs qui pourraient servir d'offrande pour ceux qui n'en avait pas prévu. Kyolan s'était joint à eux, placé à côté d'elle, il souriait et présentait ses remerciements. Quand il y eut moins de monde, Iseult prit la parole.
- Tu n'étais pas obligé de nous aider.
- J'en avais envie, Silas était peiné de ne pas pouvoir le faire. Il ne peut pas tenir debout avec sa blessure, expliqua Kyolan.
- Je comprends, je pense que c'est bien qu'il y ait aussi des chasseurs pour l'office.
Son ami approuva d'un mouvement de tête avant de tendre un nouveau bouquet aux arrivants. Iseult capta le regard de Nathaniel qui s'était approché, ses mains s'attardèrent sur les siennes tandis qu'elle lui donnait ses fleurs. Ils n'échangèrent aucun mot, mais elle se sentit apaisée, un léger sourire naquit sur ses lèvres. En la présence du vampire elle se trouvait plus apaisée et moins rigide. Elle chassa cette pensée lorsqu'ils refermèrent les portes afin de commencer.
Debout près de la statue de Felÿa, Iseult se tenait le dos droit et les mains jointes sur le devant de sa robe. La voix de Beorn emplissait le temple, il parlait de manière distincte et posée. L'assistance l'écoutait avec attention, la jeune femme évita de fixer une personne en particulier, mais son regard naviguait entre Nathaniel et Morgan. Ce dernier s'était glissé dans le temple sans lui adresser la parole, ce qui lui convenait. Cette froideur rendrait sa décision plus facile. Sa requête pour ne plus être la partenaire du seigneur devait être présentée au conseil et au Haut-prêtre. Il était rare que ce genre de demande soit refusée. Elle étira avec discrétion ses doigts, rester immobile lui donnait des fourmis dans tout le corps. Beorn prononça ses derniers mots et acheva son supplice. Avec les autres guérisseurs présents, ils s'avancèrent. Ils devaient à présent recueillir la peine des proches d'Atlan pour qu'ils puissent faire leur deuil. Cette peine serait ensuite transmise à Hëlia qui apaiserait les esprits et prierait Luös d'accompagner le défunt dans sa dernière demeure.
Silas fut le premier à se lever, il lui fallu un peu de temps pour avancer vers eux. Il se dirigea d'abord vers le cercueil, il y déposa son bouquet et un autre objet. Il resta quelques instants debout avant de continuer son parcours. A sa grande surprise, ce fut vers elle qu'il vint. Le chasseur se mit face à elle. Iseult déposa ses mains sur ses épaules. La tristesse envahit son propre cœur, douloureuse comme un poignard logé au creux de sa poitrine mêlé à un sentiment de profonde solitude. Une des mains de Silas se posa sur la sienne.
- Merci, souffla-t-il, il aurait été heureux de savoir que tu t'occupes de sa cérémonie.
- C'était un homme bon, je suis honorée de pouvoir le faire. Je transmettrais ta peine à Hëlia, tu sais que tu peux me venir me voir si tu as trop mal.
Il comprit qu'elle parlait de sa jambe. Elle venait de le soulager d'une partie de ce poids qui la fit vaciller. Iseult fut obligée de lever son pied car la douleur qui l'assaillait était trop vive pour elle.
- Ménage-toi, lui fit-il, je ne suis pas le seul à avoir besoin de force.
La guérisseuse hocha la tête tandis que Silas se détachait et s'éloignait en claudiquant. Elle lorgna la longue file qui attendait leur bénédiction, les larmes menaçaient déjà de rouler sur ses joues et elle n'avait absorbé la peine que d'une seule personne. Iseult se prépara pour la seconde. Parmi ceux qui se trouvait au temple, elle ne connaissait pas tout le monde, certains étaient des gens de la ville qu'Atlan avait pu aider par le passé. Toutes les peines n'étaient pas égales, certains ressentaient un simple pincement au cœur, ce qui était plus simple à gérer qu'une véritable douleur. La fatigue se fit vite sentir chez les guérisseurs, les mains tremblaient et les sourires se faisaient moins sincères. Un fardeau invisible pesait sur leurs épaules. Ils étaient cinq, certains décidèrent qu'ils ne pouvaient pas prendre plus d'émotions. Ceux dont les dons étaient les plus puissants, étaient aussi ceux qui absorbaient le plus, ils se fatiguaient plus vite. Iseult décida de ne pas flancher malgré ses maux de tête et son corps qui vacillait, sa vision devint plus floue, elle se força à tenir debout et à sourire. Jusqu'à ce que Beorn s'approche et se penche vers elle.
- Il est temps que tu partes, murmura-t-il.
- Il y a encore des gens, ça sera bientôt terminé.
- C'est un ordre Iseult, tu n'es pas encore remise de ta blessure. Va au temple d'Hëlia, personne ne t'en voudras.
Son ton était à la fois doux et autoritaire, il lui indiqua la sortie. Il avait raison, aucun autre guérisseur ne s'offensa de son départ. Iseult massa ses tempes et fit glisser sa couronne de fleurs de ses cheveux. Dans le couloir, elle prit le temps d'inspirer une grande goulée d'air.
- Tu vas prendre froid, lui sourit Nathaniel qui était adossé contre un mur.
- Tu m'attendais ? demanda-t-elle dubitative.
- Non, j'aime trainer à la sortie des temples pour effrayer les fidèles.
Il se rapprocha en un battement de cœur et lui déposa une cape sur les épaules. Il l'effleura à peine mais Iseult ferma les paupières. Cela aurait été plus facile de pouvoir se laisser à une étreinte. Les sentiments des autres bouillaient en elle, des larmes avaient coulé et coulaient encore sur ses joues. Personne n'était autorisé à la toucher avant qu'elle n'ait déverser toute la peine des proches d'Atlan.
- Tu n'es pas venu donner ta peine, lui dit-elle.
- Je ne suis pas un fervent croyant, répondit-il en haussant les épaules.
Ils commencèrent à marcher vers le temple d'Hëlia, il n'y avait plus personne dans les couloirs de l'Académie. Iseult s'enfonça dans sa cape.
- Je savais que tu en ferais trop, murmura Nathaniel à son oreille.
Son bras était passé autour de sa taille et il l'aidait à avancer. La douleur de Silas se trouvait encore dans sa jambe, sans compter que ses propres blessures s'étaient réveillées.
- Je voulais le faire, pour Atlan. Je pourrais me reposer ensuite.
- Ce n'était pas un reproche, j'admire ta ténacité. D'ailleurs, avant que tu ne t'enfermes dans un nouveau temple, j'ai quelque chose pour toi.
De sa poche, il extirpa une enveloppe cachetée qui était ouverte et la lui tendit. Iseult reconnut le sceau des conseillers royaux, ses doigts tremblèrent tandis qu'elle prenait le papier à l'intérieur. Elle lut avec attention.
- Ils acceptent de nous recevoir, fit-elle avec un sourire.
- En effet, dès qu'ils seront à Riftha et avec le Haut-prêtre.
Selon Caeriel il ne s'agissait que de formalités. L'accord des mages du conseil était nécessaire si elle voulait devenir la compagne de Nathaniel, pour l'heure il n'avait pas parlé de cérémonie religieuse. Ils comptaient se contenter de s'unir à la manière des vampires, et si le conseil acceptait, Iseult pourrait donner son sang à son compagnon. Caeriel lui avait expliqué ce que cela impliquait, notamment le lien qui serait créé entre eux.
- Je vais devoir te laisser, sourit Nathaniel alors qu'ils arrivaient devant le temple.
- Je t'aurais bien embrassé, mais je n'ai pas le droit d'avoir de contact physique.
- Hëlia est cruelle, mais j'espère te voir demain soir.
Il lui fit un clin d'œil auquel elle répondit par un sourire. Nathaniel se fendit d'une révérence tandis qu'elle poussait les portes du temple. Il n'y avait que le silence à l'intérieur. Zélie, la maîtresse des prêtres guérisseurs, se tenait à genoux devant la statue d'Hëlia. Les autres l'avaient rejoint. Iseult s'avança en rajustant sa cape sur ses épaules, il faisait froid et elle n'était pas mécontente d'avoir ce vêtement supplémentaire. Elle rejoignit les autres, s'installant sur un coussin à même le sol, non loin d'Hylios. Ses mains sur les genoux, paumes vers le ciel, et le regard rivé sur Hëlia, elle commença à réciter ses prières. Autour d'elle, l'air était chargé d'émotions négatives, ce qui lui noua la gorge, mais elle tint bon. Leur office durerait jusqu'à l'aube, puis il pourrait aller se reposer. La jeune femme inspira, vida son esprit des pensées parasites, puis se concentra sur sa mission. La déesse se saisirait bientôt de la tristesse et de la peine des proches d'Atlan pour les soulager de leur fardeau.
ͼ
Deux jours s'étaient écoulés depuis la cérémonie d'Atlan, déchargée du trop plein d'émotion Iseult parvenait de nouveau à circuler dans les rues de la ville. Les émotions des autres ne l'atteignaient plus avec autant de force que les jours précédents. L'Académie, redevenue plus calme, semblait inchangée malgré les évènements. Ce constat fit de la peine à Iseult, après tout ce qui s'était passé, elle s'était imaginé qu'il y aurait quelque chose de différent. Pour elle, il ne restait qu'un grand vide et des cauchemars, déambuler dans les rues de la ville et aider au temple n'apaisait pas son mal être. Les autres avaient beau lui répéter qu'elle n'était pas responsable, elle ne pouvait s'empêcher de se voir comme celle qui avait entrainé la mort d'Atlan, celle de Kvar aussi. Elle s'était donc réfugiée dans les livres et l'aide aux autres, comme elle savait si bien le faire. Le soir, elle quittait l'Académie et se laissait glisser entre les draps de Nathaniel, il respectait son silence autant que ses paroles. C'est pour cela qu'elle l'aimait, tout était simple à ses côtés, il lui suffisait de dire ce qu'elle voulait et il écoutait. L'inverse était vrai, même s'il paraissait bien plus serein qu'elle face aux récents évènements.
Iseult quitta l'enceinte de la bibliothèque lorsque le soleil déclina dans le ciel. Le bibliothécaire de l'Académie l'appréciait et elle le salua en sortant plusieurs livres sous le bras. Après le dîner, elle devait rejoindre le conseil et Nathaniel, cette simple perspective l'effrayait autant qu'elle l'emplissait de joie. La jeune fille bifurqua vers le terrain d'entrainement pour voir si Laurÿane et Kyolan s'y trouvait encore. Ils ne tarderaient pas à repartir, aussi elle voulait profiter de pouvoir être avec eux. Ses amis ne cessaient de se chamailler néanmoins, ils n'avaient jamais été si proches. Elle était heureuse de pouvoir compter sur eux, leur faire confiance était un soulagement après tant de temps à craindre les réactions des autres. Lorsqu'elle les retrouva, ils étaient en pleine dispute avec Lorkan, Morgan et Aschan. Iseult s'empressa de les rejoindre, les choses semblaient prêtes à dégénérer comme à chaque fois que les jumeaux se trouvaient en présence l'un de l'autre. Dès qu'elle arriva, Laurÿane se tourna vers elle.
- Ne t'occupe pas d'eux, on allait manger, cracha-t-elle en direction de son frère.
- Qu'est-ce que...
- Fais moi confiance, mieux vaut partir, souffla Kyolan à son oreille.
Les regards suspicieux qu'elle leur lança ne les déstabilisèrent pas. Ses amis la poussèrent pour quitter le terrain d'entrainement.
- C'est ça, emmenez la putain loin d'ici, railla la voix de Lorkan dans leur dos.
- Pardon ? fit Iseult en se tournant vers lui.
- J'comprends même pas que Beorn vous ait emmené en mission, renchérit Aschan.
- Il aurait dû laisser les chiens et les sangsues se faire tuer, ajouta Morgan avec un haussement d'épaules.
La main de la guérisseuse se resserra sur son livre. Ils étaient pitoyables avec leurs provocations, le pire pour elle était de constater que cela fonctionnait : elle était en colère.
- C'est précisément pour ça que Beorn vous a laissé là, vous êtes une bande de gamins intolérants, lança Iseult d'une voix tranchante, c'est aussi pour ça que j'ai demandé à ne plus être ta partenaire.
Elle ajouta ces mots pour Morgan, il bouillait de rage, elle le sentait. Ses émotions étaient si fortes qu'Iseult parvenait à les ressentir.
- Parce que tu crois que quelqu'un voudra faire équipe avec toi ? Tu n'es rien ni personne.
- C'est toi dont personne ne voudra, lâcha Kyolan, tu n'es qu'un noble pourri gâté qui va pleurer dans les jupes de son père !
- Au moins, le mien ne m'a pas abandonné parce qu'il avait honte, rétorqua Morgan.
- En même temps, quand on aime les queues il ne faut...
La phrase de Lorkan fut étouffée par le bruit de son nez qui craquait sous l'impact du coup que lui infligea Kyolan. Ils s'écrasèrent sur le sol et roulèrent dans la poussière. Ils étaient violents et ne retenaient pas leurs coups. A chaque impact des os semblaient craquer. Iseult se jeta en avant pour les séparer mais la poigne de Morgan la retint. Elle dû regarder Laurÿane se joindre à la mêler. Elle jeta un regard noir à son partenaire.
- Lâche-moi ! ordonna-t-elle.
- Non, laisse-les régler leurs comptes. Tu n'es pas assez forte pour les arrêter.
Comme pour prouver ses dires, il resserra sa prise autour de son bras ce qui la rendit plus que furieuse. Laurÿane avait écrasé le pommeau de son épée contre le jour d'Aschan qui crachait du sang.
- Arrête de dire ça ! Je suis aussi capable de me battre que toi !
- Prouve-le.
La situation paraissait amuser Morgan, un sourire étira ses lèvres. Il paraissait attendre qu'elle se défasse de son emprise. Iseult serra le livre qu'elle tenait. Lorsqu'elle le leva et abattit le dos contre le visage du chasseur, il la relâcha avec un gémissement. La tête haute, elle le regarda lever les yeux vers elle. Sa force était égale à celle d'un vampire, mais il pouvait être blessé aussi facilement qu'elle, la marque sur sa joue le prouvait. Il y posa sa main, aussi surpris que choqué. Il ne devait pas s'imaginer qu'elle puisse faire cela, la rage se peignit sur ses traits, violente et sauvage. Allaient-ils eux aussi se jeter l'un sur l'autre ? Apparemment. Elle ravala sa fierté pour faire face à son partenaire. Il la dévisageait avec froideur. Quand il bondit vers elle, Iseult eut tout juste le temps d'esquiver. Son livre tomba dans la poussière, elle pivota pour ne pas se faire frapper. Plus rapide qu'elle, le chasseur revint à la charge, cette fois Iseult vacilla. La joue brulante, elle sentit le sang couler de sa lèvre. Son corps partit en avant et elle décocha un coup d'épaule dans le ventre de Morgan qui trébucha dans la poussière. La guérisseuse porta sa main à sa bouche, ses doigts étaient poisseux ce qui lui arracha une grimace. Son partenaire profita de cette distraction pour lui faucher les jambes, son épaule heurta le sol et elle lâcha un cri de douleur. Son bras portait encore des traces de morsure, la chute raviva son mal.
- Ça suffit ! hurla la voix de Beorn.
Iseult l'entendit approcher. Ils étaient tous amochés sur le sol. Les bagarres cessèrent et elle vit Kyolan cracher du sang avant de se massez le visage. Elle s'appuya sur son bras valide pour se relever, une main apparue dans son champ de vision et elle croisa le regard inquiet de Nathaniel. Ses doigts se refermèrent sur les siens puis il la releva comme si elle ne pesait rien. Il lui tendit un mouchoir en tissu bordé avec élégance qu'elle vint appuyer sur sa lèvre.
- Qu'est-ce qui vous prend de vous battre comme des chiffonniers ? continua le commandant.
- Vous autorisez ça, répondit Morgan d'une voix méprisante en jetant un regard à sa partenaire.
- Je vois, c'est donc ça ton problème, c'est pour ça que vous vous battez ?
- Tu t'allies à ces créatures et en plus tu laisses l'un d'eux manipuler l'un des nôtres ! cracha le seigneur à Beorn.
- Je suis ton commandant ! Je t'interdis de me parler de cette manière ! Tu n'es qu'un gamin imbu de lui-même. Tu seras assigné à l'Académie et de corvées pour les deux prochains mois, annonça le commandant.
- C'est plus facile de me punir moi ! Tu laisses Iseult devenir la pute des vampires parce que ça t'arrange !
Le corps de Nathaniel se tendit et elle ne le sentit pas bouger. Elle vit pourtant Morgan rouler sur le sol, le vampire près à lui asséner un coup, une main serrer sur le col de sa tunique.
- Nathaniel, intervint Caeriel.
Son compagnon s'interrompit mais ne relâcha pas le chasseur.
- Encore un mot sur Iseult, et je t'assure que je te règle ton compte, menaça-t-il d'une voix lente.
Beorn s'était rapproché mais le vampire laissa tomber Morgan dans la poussière. Ce dernier serrait les dents et peina à se redresser. Lorkan vint à la rescousse, tout comme Aschan qui leur lançait des regards de haine.
- Quand je serais commandant, ce genre de choses n'arrivera pas, cracha Morgan, tout le monde sait que tu favorises Iseult alors qu'elle n'est qu'une guérisseuse.
Les mots lui firent atrocement mal, une ultime trahison qui acheva de planter un couteau dans sa poitrine. Le rire sans joie de Beorn leur parvint, il lança un regard au chasseur qui lui tenait tête.
- Tu ne seras jamais commandant Morgan, tu n'en as pas l'étoffe et tu ne l'auras jamais, lança-t-il, tu as toujours été jaloux d'Iseult. Elle est bien meilleure que toi sous tous les aspects, tu tapes fort, mais c'est à peu près tout. Elle a travaillé plus que toi, et tu as toujours profité de ce travail.
Il prit une pause, comme pour s'assurer que ces mots atteignaient bien sa cible. Iseult ne l'avait jamais vu ainsi, d'ordinaire il prenait garde à ses paroles, il restait diplomate et bienveillant.
- Fais tes affaires, je ne veux plus te voir ici, retourne chez ton père jusqu'à nouvel ordre, ordonna Beorn. Quant à vous, ajouta-t-il pour Lorkan et Aschan, vous serez de corvée jusqu'à ce que j'en décide autrement.
Puis il se détourna de Morgan, ce dernier fulminait, son regard brillait de haine. Ses deux amis eurent la décence de baisser la tête. Ils ne pouvaient pas se permettre les mêmes largesses que le seigneur, ce dernier était protégé par son père. Iseult contempla leur chef s'approcher d'elle, il lui posa une main sur l'épaule.
- Un jour, toi aussi tu auras des décisions difficiles à prendre, lui fit-il, en attendant va te changer pour ton entretien.
Ses paroles furent assez fortes pour être entendues par les autres. De cette manière il officialisait le fait qu'il souhaitât qu'elle le remplace, un jour. Pour toute réponse, elle hocha la tête. Les larmes lui brûlaient les yeux de fierté, ce qu'avait dit Beorn lui faisait du bien. Sa main sur son épaule lui transmit une vague de chaleur paternelle. Il attendit dans un coin du terrain d'entrainement qu'ils soient tous partis. Laurÿane lui indiqua qu'elle allait à l'infirmerie avec Kyolan. De son côté elle comptait rejoindre sa chambre, Nathaniel resta près d'elle, ses doigts se nouèrent aux siens. Iseult n'avait pas besoin de plus pour sentir son amour et son soutien. Ils venaient d'avoir un aperçu de ce qu'ils vivraient au quotidien en restant ensemble, et elle se rendait compte que ça ne la dérangeait pas. Rien ne pourrait lui faire plus mal que les mots prononcés par Morgan.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top