Chapitre 22


Nathaniel enfila une chemise propre dès sa sortie du lit, sa gorge était sèche et la pointe de ses crocs devenait plus acérée. La sensation de faim pour un vampire pouvait vite devenir désagréable. Il regrettait qu'Iseult soit déjà partie, ou plutôt qu'elle ne soit pas revenue, sa présence lui permettait d'être plus apaisé et surtout moins seul. Mais à Riftha la jeune femme avait des obligations, elle ne pouvait pas passer sa journée à se prélasser dans l'attente qu'il se réveille. Puis, même si elle l'avait pu, il n'était pas certain qu'elle l'aurait fait. La guérisseuse ne supportait pas l'inaction, les seuls moments où il croyait être parvenu à la canaliser elle semblait avoir mille pensées qui lui traversait son esprit. Comment faisait-elle pour supporter cela ? Même de son vivant il ne faisait pas tant de choses, et en trois-cents ans de mort, il avait appris que se reposer et s'amuser était ce qui lui apportait le plus de plaisir. Même si parfois, il s'ennuyait.

Des pas légers se firent entendre en bas des escaliers, il n'eut aucun mal à reconnaitre la démarche envolée d'Ermeline. Il ne perçut pas Caeriel, même s'il devait être lui aussi arrivé. Son créateur était d'une discrétion qui le faisait frémir, il avait la capacité d'apparaitre derrière eux sans qu'ils l'entendent. Pourtant, Nathaniel avait l'ouïe fine et pouvait entendre toutes les conversations des clients de la taverne d'en face. Sa source entra, un sourire aux lèvres, elle fit glisser sa cape sur ses épaules pour la jeter sur le lit. Elle rejeta sa chevelure or derrière elle, il avait toujours aimé l'éclat de ses yeux, c'est pour cela qu'il lui avait proposé de rester avec lui. Leur vert ressortait à la lumière, sans compter qu'elle avait une peau d'une grande douceur. Les vampires étaient sensibles à tous ces petits détails qu'un humain n'aurait pas remarqués, car cela dépassait leurs capacités cognitives. Ermeline s'approcha de lui, ses doigts chauds caressèrent sa joue et elle l'embrassa. Il sourit contre ses lèvres, et se recula.

– Je ne suis pas certain que nous pourrons continuer à faire cela, dit-il pendant qu'elle rabattait ses cheveux sur son épaule.

– Dois-je comprendre qu'il s'est enfin passé quelque chose avec Iseult ? minauda la femme avec un immense sourire aux lèvres.

– Nous avons passé la nuit dernière ensemble, et c'était... je n'ai jamais autant désiré quelqu'un ni été aussi comblé.

Ce n'était pas tant le fait d'avoir couché avec elle que d'avoir partagé un moment avec elle. Quand il la regardait, il voyait une étoile, quand elle posait les yeux sur lui il se sentait aimé. Elle ne le craignait pas, elle ne se comportait pas comme s'il lui était supérieur, Iseult était juste elle-même. Une jeune femme qui aimait la vie et ce qu'elle faisait. Elle n'avait pas conscience de l'effet qu'elle avait sur lui. En sa présence, il flottait, il avait dû contenir l'envie irrépressible de la prendre dans ses bras et de l'embrasser dans tous les moments passés avec elle. Il savait à présent ce que signifiait chacun des battements de son cœur, du désir à la peur, en passant par le calme et des bonheurs simples. Ses sourires étaient rares, ce qui les rendait d'autant plus précieux, plus encore lorsqu'ils lui étaient destinés.

– Et bien, que de bonheur, fais attention, tu ne pourras bientôt plus arrêter de sourire, s'amusa Ermeline en prenant place sur ses genoux.

– Tu es arrivée à temps, souffla Nathaniel tiraillé par la faim.

– C'est mon travail. Cela n'a pas été trop difficile de te retenir pour Iseult ?

– Un peu, mais ça en valait la peine. Je suis assez vieux pour contrôler mes pulsions lorsque c'est nécessaire.

Même si l'envie de la mordre l'avait tiraillé durant leurs ébats. En bons prédateurs, les vampires devaient se nourrir de sang humain, plus ils étaient proches d'une source, plus leurs instincts prenaient le dessus. Ils gardaient en eux une part de bestialité, lorsqu'Iseult se trouvait près de lui désirable et délicieuse, il devait faire attention de ne pas perdre le contrôle. La veille il en était proche quand ses veines avaient palpité sous ses crocs, un appel contre lequel il avait lutté.

– Tu peux y aller, lui dit Ermeline perchée sur ses genoux.

Les mains de Nathaniel prirent celles de son amie, le cœur de cette dernière battit un peu plus fort, comme à chaque fois, l'appréhension de la morsure. Il déposa un baiser sur son cou, un rituel qu'il avait instauré, signe à la fois de respect et de tendresse. Ses crocs se plantèrent au niveau de la veine de la jeune femme qui rejeta la tête en arrière, contre son épaule. Il resserra sa prise, le liquide coulait dans sa gorge, doux et délicat, bien meilleur que n'importe quel vin qu'il aurait pu gouter. La sensation que cela lui procurait était indescriptible, il s'agissait d'étancher une soif intarissable. À chaque gorgée ses veines palpitaient de nouveau, comme si cela ravivait sa vitalité. Nathaniel caressa les mains de sa source qui haletait contre lui. Boire, c'était aussi savoir s'arrêter, bien qu'il aimât la sensation du liquide chaud sur sa langue, il ne pouvait pas en prélever trop. Il s'éloigna, sa langue glissa sur le cou d'Ermeline afin d'en retirer les traces rouges, ne laissant qu'une marque de croc. Elle prit une grande inspiration, puis resta quelques instants contre lui. Se faire prélever du sang pouvait être fatigant, d'autant plus qu'elle était venue avec Caeriel et que lui aussi l'avait probablement mordu. Il embrassa sa joue chaude et la souleva.

– Tu devrais te reposer, souffla-t-il à son oreille.

– Tu vas retrouver ta nouvelle amante ? demanda Ermeline tout sourire.

– J'aimerais, soupira Nathaniel, mais Caeriel m'a convoqué, je suppose que je ne la verrais pas tout de suite.

– Je suis certaine qu'elle viendra à toi, elle m'a l'air plutôt... mordue.

Il éclata de rire à l'entente de sa blague.

– Caeriel a une mauvaise influence avec son penchant étrange pour les jeux de mots.

Sans plus attendre, il s'éclipsa, la demeure presque plongée dans la pénombre lui paraissait bien vide sans tout le faste de la cour. Il était rare que Nathaniel se retrouve seul, toutes ses nuits étaient rythmées par les évènements de Judith. Il ne s'agissait pas toujours de grandes fêtes, certaines soirées ne servaient qu'à jouer ou à discuter, il fallait bien occuper sa mort et tromper l'ennui.

Le vampire se glissa dans le salon où l'attendait Caeriel, assit près de la cheminée, ce dernier buvait un verre de vin un livre posé sur les genoux. Il ne le releva pas la tête lorsque son fils entra, mais les serviteurs présents s'en allèrent pour les laisser seuls. Nathaniel se laissa tomber dans le fauteuil vide, ses mains se posèrent sur les accoudoirs.

– Tu as pu discuter avec Beorn ? demanda-t-il.

– Juste avant de venir. Je voulais le voir avant notre réunion de tout à l'heure.

Les nécromanciens auraient réussi l'exploit de tous les réunir dans un seul endroit.

– J'ai pu glaner des informations sur Iseult, continua Caeriel, il n'y a rien dans son passé qui puisse nous aider. Personne n'a jamais su qui aurait pu être ses parents, sa mère pourrait autant être une mage, qu'une prêtresse ou qu'une noble.

– Il doit bien y avoir une raison qui les a poussés à la choisir pour porter la pierre de mort.

Nathaniel passa une main dans ses cheveux. Les nécromanciens n'avaient pas agi au hasard, peut-être étaient-ils désespérés, mais ils n'étaient pas idiots.

– Le seigneur de Castel, fit Caeriel, j'ai appris que ce n'était pas un hasard si son fils était devenu le partenaire d'Iseult. Il l'a expressément demandé au conseil, Beorn n'a pas eu son mot à dire.

– Il voulait peut-être quelqu'un qui ne ferait pas d'ombre à son fils ? Enfin, selon ses critères, argumenta Nathaniel.

– Il pouvait choisir un petit noble, qui n'aurait fait que suivre Morgan. Sans compter qu'il ne s'est jamais opposé à leur union, expliqua Caeriel, je trouve ça étrange. Aussi gentille que soit Iseult, la mésalliance est grande. Elle n'a ni nom ni famille. Et, nous connaissons les de Castel, depuis plusieurs générations, ils sont ambitieux.

– Alors, tu penses que le seigneur de Castel a tout anticipé ? Mais, pour quelle raison ?

– L'utiliser, le fait qu'elle soit seule est un avantage. Si elle s'attachait à Morgan, il avait tout gagné. Il pensait sûrement qu'elle serait obéissante et malléable.

– Il n'a pas pensé qu'elle aurait un sens de l'honneur ni qu'elle aurait ses convictions, continua Nathaniel qui commençait à saisir l'idée.

– Quoi de mieux pour devenir plus puissant ? Elle et Morgan étaient un parfait duo, et ils auraient perpétué la lignée des de Castel à merveille, approuva Caeriel.

– Il voulait l'utiliser pour nous détruire, alors il se serait allié aux nécromanciens.

– Fort probable, mais je n'ai aucune preuve. Il serait mieux de garder le silence et de ne pas encore en parler à Iseult. Tout est déjà compliqué pour elle.

Nathaniel approuva, d'ordinaire il n'était pas pour dissimuler des informations, mais la jeune fille subissait beaucoup de pression depuis quelques mois. Ils devaient se concentrer sur l'essentiel, mettre hors d'état de nuire les nécromanciens. Ces derniers devenaient de plus en plus courageux, les disparitions de loups et de vampire ne faisaient que s'accroitre. Cela devenait inquiétant, Judith était sur le pied de guerre et plus tendue que jamais. Caeriel l'avait envoyée mener des investigations au-delà de leur territoire. Il leur fallait trouver où se situait la cachette des nécromanciens au plus vite afin de limiter les dégâts. S'il leur prenait l'envie de déchainer leurs créatures Nathaniel ne donnait pas cher de leur peau.

L'un des valets pénétra dans la pièce, une odeur de forêt lui assaillit les narines, il grimaça en reconnaissant le parfum caractéristique des loups. Il s'agissait de la meute rencontrée avec Iseult, lors de la chasse à la goule. Ils les saluèrent d'un mouvement de tête, le dénommé Rowan paraissait toujours aussi peu enthousiaste à leur contact.

– Je vous remercie de votre venue, les accueillit Caeriel.

– Il est temps que nous mettions fin à cette hécatombe, affirma l'alpha d'une voix caverneuse.

Ils n'eurent pas le temps de s'installer que Beorn fit son entrée, il était accompagné d'Atlan et de Léana. Le commandant des chasseurs savait s'entourer, Nathaniel avait déjà combattu aux côtés des trois mages et il les respectait autant qu'il les appréciait.

– J'ai envoyé des chasseurs en renfort auprès de votre meute, assura Beorn.

– Merci, fit Kvar avec un signe de la tête.

Au rictus de mépris de Rowan, il n'appréciait pas que les chasseurs leur prête main forte. Néanmoins, il ne pouvait pas se permettre de refuser leur aide, leur population décroissait, il ne leur restait que peu de guerriers. Les enlèvements devaient les inquiéter plus encore que pour les vampires.

– Avez-vous trouvé plus d'informations sur les nécromanciens ? demanda Atlan les bras croisés.

Le chasseur s'était appuyé contre la cheminé, son épée accrochée à sa ceinture, même dans cette position il ne paraissait pas menaçant, mais plutôt soucieux. Caeriel se dirigea vers la table où il avait posé différents rouleaux de parchemin, il en déroula un sous leurs yeux. L'odeur lui arracha une grimace, même si leurs archives étaient bien conservées, il pouvait sentir flotter la moisissure. Il s'agissait d'une vieille carte, elle était même plus vieille que lui, son créateur possédait des objets qui auraient pu faire pâlir de jalousie les archivistes.

– Judith enquête sur différents lieux, nous pensons qu'ils se cachent dans un vieux temple de Luös qui aurait été détruit durant la purge des nécromanciens. Ils sont représentés ici par les lunes, j'ai déjà éliminé tous ceux qui se situent trop au nord. Lorsque Magnus, celui qui s'en est pris à Iseult, est parvenu à entrer dans ses pensées, j'ai compris qu'il ne devait pas être loin. Ils sont donc forcément dans ce périmètre.

Il le traça du doigt pour le leur représenter. Trois temples s'y trouvaient, un à l'orée de la forêt, l'autre près d'un village et le dernier entre le lac et les bois.

– Qui nous dit qu'ils ne nous mènent pas en bateau ? demanda Kvar de sa voix bourrue.

Les loups-garous n'étaient pas habitués à la stratégie. Ils se défendaient et défendaient leur territoire, mais ils n'organisaient rien, ils agissaient à l'instinct.

– Ils pourraient, mais je doute qu'ils s'imaginent que l'on s'unisse contre eux. Ils pensent que nous voulons nous détruire les uns les autres, expliqua Beorn.

– Leur but est de nous diviser. D'après Iseult ils veulent créer des hybrides qu'ils pourraient contrôler grâce à elle, renchérit Caeriel.

– Dans ce cas, nous n'avons qu'à l'éliminer elle, soupira Rowan d'un air las.

Un grognement s'échappa de la gorge de Nathaniel, il ne fut pas le seul à réagir, Beorn fronça les sourcils.

– Iseult n'y ait pour rien, la défendit son commandant, des gens l'ont piégée.

– Il est inutile de blâmer une jeune femme pour des actes qui ne sont pas les siens, ajouta Caeriel.

– Il faut donc que nous nous organisions pour les prendre par surprise, résuma Kvar qui semblait vouloir ignorer la remarque de Rowan.

– Nous devons aussi prendre en compte que nous serons obligés de tuer les nôtres, ajouta le seigneur vampire.

Que cela soit les vampires ou les loups-garous, ceux qu'ils allaient trouver ne seraient pas ceux qu'ils avaient pu connaitre. Tous savaient qu'ils ne pourraient pas sauver les leurs, ils ne pouvaient qu'abréger leurs souffrances. Nathaniel avait déjà combattu des assoiffés, ces créatures ne possédaient plus de conscience, lorsqu'il en avait vu la première fois, cela l'avait terrifié. Il comprenait la nécessité de les éliminer même si cela ne le réjouissait pas.

Leur réunion dura une bonne partie de la nuit, chacun devait accepter le rôle qu'on lui attribuait. Le plus difficile fut pour les loups qui travaillaient peu avec eux et restaient entre eux la plupart du temps. Kvar était le premier alpha à tenter une alliance, cela ne paraissait pas plaire à tout le monde, mais c'était tout à son honneur. Nathaniel constata qu'il parlait avec plus de calme que ses subordonnés. Quand ils eurent terminé, chacun s'en alla, il ne restait qu'à mettre leur plan à exécution. 

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