Chapitre 19
L'air autour d'elle lui donnait l'impression de suffoquer, Iseult plaqua une main contre sa poitrine. Le sol était glacé sous ses pieds, pourtant son front était en sueur, comme si elle faisait un effort qui lui demandait de l'énergie. La lumière des torches vacillait et éclairait un dédale de couloirs. Elle ne reconnaissait pas les lieux, des fresques ornaient les murs, la jeune femme plissa les yeux, incapable de déchiffrer ce qui était écrit, elle voyait flou et les lettres se mélangeaient. Le sens comme les formes lui échappaient.
– Il n'est pas possible de lire dans un rêve.
Une voix s'éleva dans l'ombre. Un frisson la parcourut et elle se recula. Iseult n'avait rien pour se défendre, elle ferma les paupières pour s'intimer l'ordre de se réveiller.
– Tu n'as rien à craindre, je veux juste te montrer, fit une nouvelle fois la voix. Tu ne peux pas partir, pour l'instant.
Quand elle rouvrit les yeux, elle reconnut le nécromancien rencontré à l'Académie. Ses yeux étaient fixés sur elle. Iseult sentit sa gorge se nouer, comme dans un cauchemar elle cherchait à imposer à son esprit de fuir et de se réveiller, en vain. L'homme lui fit signe.
– Suis-moi, je veux te montrer quelque chose, fit-il.
– Comment faites-vous cela ? Manipuler mes rêves.
– Comme vous, nous avons appris à maîtriser un autre don que le nôtre. Nous avons des alliés à l'Académie, expliqua le nécromancien.
– La magie de l'esprit... il est interdit de l'utiliser sur un autre mage.
L'éclat de rire de l'homme lui procura un sentiment de malaise. Iseult avait l'impression que plus elle s'enfonçait dans ces couloirs, plus le froid saisissait ses os.
– Crois-tu que cela puisse m'arrêter ? Je n'ai que faire de vos règles, je suis déjà un hors-la-loi.
– Il pourrait en être autrement, si vous discutez avec le Haut prêtre et le conseil. Les temps ont changé, les nécromanciens peuvent s'intégrer.
Ils étaient face à une porte, Magnus fit volteface vers elle, il tendit une main vers son visage. Iseult le repoussa.
– Tu n'es qu'une gamine naïve, ils t'acceptent, toi, parce que tu es le parfait reflet de ce qu'ils sont. Ne jamais désobéir à un ordre, ne pas réfléchir lorsqu'on te demande quelque chose, le parfait petit soldat. Ton empathie est aussi agaçante que ta bienveillance, cracha le nécromancien.
– Vous perdez donc votre temps avec moi, rétorqua Iseult.
– Non, parce que tu as fait une chose à laquelle je ne m'attendais pas : tu t'es liée avec les vampires. Ce qui est aussi idiot qu'imprudent, alors je vais te montrer ce qu'ils sont réellement.
De la main, il désigna la porte close. Ils se trouvaient dans ce qui ressemblait à des cachots, une suite de cellule. À présent qu'elle était attentive, Iseult distinguait des râles et des gémissements à glacer le sang.
– Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
– Dans mes souvenirs, ce lieu existe, et j'ai vécu cet instant pour pouvoir te le montrer. Que tu comprennes la raison pour laquelle nous devons dompter les créatures de la nuit. Entre.
Lorsqu'il poussa la porte, Iseult dû faire un effort pour distinguer ce qui se cachait dans l'obscurité. Magnus tenait une torche avec laquelle il balaya la pièce. La chasseuse tremblait de tous ses membres, si son esprit était aux prises avec celui du nécromancien, il devait être en train de lutter, ce qui expliquer sa nausée. Il n'aurait pas dû être capable de s'introduire dans ses pensées pour y instiller sa présence. Cela signifiait qu'elle n'était pas aussi protégée qu'elle l'imaginait. Un feulement attira son attention, accroupie sur le sol, une bête grattait une forme sur les pierres. Le nécromancien l'éclaira. La créature darda son regard rouge sur elle, ses yeux brillaient d'une lueur intense et animale. Ses crocs déformaient sa mâchoire, ses traits émaciés laissaient entrevoir ses os sous la couche blafarde qui lui servait de peau. Un vampire qui n'avait plus rien d'humain, ses mains étaient terminées par des griffes couvertes de sang. Ses cheveux encadraient son visage, sale et emmêlé.
La main de Magnus se referma sur son bras et il la força à avancer. La forme sur le sol était un corps, un cadavre déchiqueté, on devinait à peine la silhouette féminine allongée dans une mare de sang. Iseult avait vu bien des choses terribles, mais cette vision la révulsait, mélange de colère et de haine. Les sentiments de Magnus empoisonnaient les siens. La créature bougea pour se pencher en avant et laper le sang sur le sol.
– Qu'est-ce que vous lui avez fait ? souffla-t-elle.
– Rien, c'est ce qu'ils sont en réalité, que crois-tu qu'il se passera quand ton tendre ami aura faim ? Il pourrait t'arracher tous tes membres et te dévorer.
Les doigts du nécromancien saisirent son visage, il appuya sur ses joues pour la forcer à le regarder.
– Il ne restera alors plus rien de ton joli visage, le seul moyen de lutter, ta seule défense, ce sont tes dons. Tu pourrais les empêcher de faire ça, de détruire des vies, de dévorer des innocents.
– Ils ne sont pas comme ça, vous avez créé cette créature ! C'est vous le monstre !
Iseult serra les poings et lui envoya une droite en plein visage. Magnus la relâcha, mais son emprise mentale se renforça, des griffes glacées percèrent son esprit.
– Tu n'es qu'une petite idiote ! Es-tu vraiment assez sotte pour l'aimer ? Pour croire qu'il t'aime ?
– Laissez-moi partir ! Je vous interdis de rester dans mon esprit !
– S'il boit ton sang, il deviendra plus fort, c'est pour ça que les siens dévoraient les mages ! Notre sang renforce leur puissance ! ne veux-tu pas comprendre ?
– LAISSEZ-MOI !
Son hurlement fit tourbillonner la pièce. Les murs devinrent une fumée épaisse, la voix de Magnus parut plus distordue à ses oreilles, et sa silhouette s'évapora. Il hurlait des choses qu'elle ne parvenait plus à comprendre. Iseult se débattit contre l'obscurité et les ténèbres qui comprimaient sa poitrine.
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Ses yeux s'ouvrirent et Iseult repoussa la couverture à renfort de grands gestes. Sa main heurta un obstacle dur, sa respiration saccadée ne lui permettait pas de reprendre son souffle. Des doigts froids s'étaient refermés sur ses poignets, elle tenta de se débattre, sans succès.
– Iseult ! Iseult !
La voix de Nathaniel l'interpella. La jeune femme cessa de bouger, pour découvrir entre ses mèches qu'il l'observait avec inquiétude. Ses yeux étaient devenus d'un bordeaux si profond qu'ils paraissaient noirs. Elle déglutit afin de reprendre son souffle, puis regarda autour d'elle, elle se trouvait dans la chambre de Nathaniel, dans son lit, et il était à ses côtés. Prise de sanglots, elle se jeta à son cou. Il frictionna son dos.
– Ce n'était qu'un cauchemar, souffla-t-il.
– Non, murmura-t-elle, il est entré dans mon esprit.
– Qui ? demanda le vampire.
– Magnus, le nécromancien. Il m'a fait voir une chose horrible !
Elle sentait encore la présence poisseuse de ses sentiments mêlée aux siens. Son corps se serra un peu plus contre celui de son ami qui ne la lâcha pas. Puis la porte s'ouvrit sur Caeriel, ses yeux scrutèrent la pièce, comme s'il cherchait quelque chose.
– J'ai entendu crier, expliqua-t-il.
– C'était Iseult, répondit Nathaniel en se tournant vers son père, dans son sommeil.
– Je suis désolée, je ne voulais pas vous inquiéter, murmura la jeune fille en essuyant ses yeux d'un revers de manche.
– Il faut aller inspecter les environs, le nécromancien est entré dans son esprit. Il n'a pu le faire qu'en étant à côté, expliqua son ami.
Un sifflement échappa au seigneur des vampires, puis il darda son regard sur Iseult. Un battement de cil et il se tenait près d'elle.
– Nathaniel, va prévenir Judith qu'elle y aille, si elle le trouve, qu'elle me l'amène. Il a outrepassé les lois de notre territoire en plus de celles des mages. Je reste avec Iseult.
– Caeriel, je...
– Tout de suite, ordonna le seigneur.
À regret, Iseult lâcha la main du vampire qui embrassa son front avant de quitter le lit. Elle ramena les couvertures contre elle, sa tête tournait encore, Nathaniel lui fit un sourire avant de quitter la pièce. Caeriel resta un instant sans rien dire, il lui laissait le temps de reprendre ses esprits, il allait sûrement lui demander de raconter ce qui venait de lui arriver.
– Je suis désolé, commença-t-il, je suis censé assurer ta sécurité, ça n'aurait pas dû arriver.
– Ce n'est pas votre faute, ce nécromancien, il veut absolument que j'adhère à ses idées. J'ai ressenti ses émotions, ce n'était que de la haine et de la rancœur.
– Je veux bien te croire, fit le seigneur, il ne t'a pas blessée ? Je peux vérifier qu'il n'a rien laissé dans ton esprit ?
– Je vais bien, c'est juste que ce qu'il m'a montré, c'était affreux.
Elle le laissa poser une main sur sa tempe, la guérisseuse sentit comme une piqure dans son crâne. Ce n'était pas agréable, mais pas intrusif non plus. Lorsque Caeriel retira sa main, le soulagement se lisait sur son visage.
– Il n'y a rien, je vais tout de même faire parvenir un message au conseil et à Beorn. Et, si tu te sens prête, j'aimerais que tu me dises ce qu'il t'a montré.
– Bien sûr, mais je ne crois pas que ça soit très utile. Il voulait surtout me montrer la bestialité des vampires, il n'apprécie pas le lien que j'ai avec les vôtres.
Iseult entreprit de lui raconter ce qui s'était passé avec autant de détails qu'elle pouvait. Même si cela lui paraissait injuste d'imposer à Caeriel l'état dans lequel se trouvait le vampire de sa vision. Les traits figés du seigneur ne lui permettaient pas de lire en lui, quant à ses sentiments, il devait les maitriser à la perfection parce qu'elle ne parvenait pas à les discerner. Cela aurait été pareil s'il n'y avait eu personne devant elle.
– Je crois savoir où ils étaient, mais cela reste encore à prouver.
– Qu'allons-nous faire ? s'enquit Iseult.
– Pour le moment, continuer ton entrainement. Il serait bien que tu retournes à l'Académie quelque temps, tu y seras plus en sécurité, lui dit Caeriel.
– Bien, répondit-elle.
– Tu n'essaies pas de contester mes ordres ? demanda-t-il un sourire aux lèvres.
– Vous êtes mon supérieur, tout comme Beorn, le conseil ou le haut-prêtre. Si c'est ce que vous jugez juste, je le ferais.
– Si Nathaniel était si facile à convaincre, cela m'éviterait de longues minutes de débat, soupira le vampire.
– Pourquoi vous contredirait-il ?
– Parce qu'il voudra rester avec toi. Je le connais par cœur, je l'ai mordu, nous avons un lien lui et moi. C'est la première fois qu'il ressent quelque chose d'aussi fort pour une personne, si bien que ses instincts prennent le dessus, expliqua Caeriel.
Pour le moment, Iseult n'avait pas encore réfléchi aux sentiments qu'elle partageait avec Nathaniel. Tout semblait si facile qu'elle en oubliait leurs responsabilités respectives, leur histoire n'avait commencé que la veille, elle n'avait pas encore eu le temps de songer aux problématiques que cela pourrait engendrer.
– Si vous préférez que je m'éloigne de lui je...
– Surtout pas, ce n'est pas ce que je veux Iseult. Personne n'a le droit de se mettre entre vous, que votre histoire dure quelques mois ou quelques années. Je veux simplement que vous soyez heureux, mais pour le moment nous devons songer à ta sécurité en priorité. Le nécromancien rôde, et je commence à comprendre qu'il n'est pas étranger à ce qui se passe avec les loups.
– Comment ça ?
– Le vampire que tu as vu, c'était un assoiffé. Il peut s'agir de deux choses, un vampire qui n'a pas été nourri depuis longtemps ou alors un vampire qui a perdu son humanité en se transformant.
– Cela peut arriver ?
– Oui, mais nous les éliminons, les assoiffés sont dangereux, ils tueraient tout et n'importe quoi. Cet homme doit faire des expériences sur les nôtres, et il veut t'utiliser.
Magnus avait été clair. Il voulait qu'elle utilise ses pouvoirs pour contrôler les vampires, ce qu'ils savaient déjà. Pour cela il devait donc la convertir à ses idées, celle que les créatures de la nuit étaient néfastes et mauvaises. Pensée à laquelle elle ne pouvait se résoudre. Caeriel pressa son épaule et lui assura qu'il la laissait se changer, le repas était prêt en bas et elle pourrait y aller quand bon lui semblerait. Iseult le remercia d'un sourire. Il sortit pour la laisser tranquille et elle se laissa retomber sur le lit. Beaucoup d'éléments lui échappaient encore, mais son esprit était en ébullition. Quand elle se leva, ce fut pour se déshabiller et se laver avec l'eau chaude posée dans la salle de bain attenante à la chambre.
Le baquet était encore fumant, elle avait dormi toute la journée. Iseult s'était réveillée dans l'après-midi, mais nauséeuse après la prière elle avait retrouvé le lit. Un serviteur avait dû aviver le feu et apporter l'eau, de son côté elle ne se sentait pas mieux, elle n'était pas certaine d'avoir la force de s'entrainer. Ses membres étaient courbaturés, elle effleura son front sans sentir la moindre trace de fièvre. Rien, tout paraissait normal, l'alcool devait encore être dans son corps, au moins, elle se rappelait pourquoi elle n'appréciait que peu la boisson.
Une robe propre sur le dos, elle descendit pour rejoindre les autres au salon. Fait assez rare pour être noté, tout était calme, Iseult percevait des conversations, mais il n'y avait pas l'ombre d'une fête. Quand elle entra dans la pièce, Caeriel se tenait sur son trône, et échangeait avec deux autres vampires qui hochaient la tête. À côté de lui, Nathaniel fronçait les sourcils, il semblait contrarié. Son visage changea quand elle s'approcha, il n'esquissa pas un mouvement pour la rejoindre, elle l'en remercia, elle ne voulait pas attirer l'attention plus que de raison. Il leva néanmoins la main pour prendre la sienne, et y déposer un baiser.
– J'annonçais justement que tu allais retourner à l'Académie, fit Caeriel.
Les doigts de Nathaniel se crispèrent et elle vit un rictus fugace déformer ses traits.
– Mais tu peux rester, si tu veux, s'empressa d'ajouter son amant.
– Caeriel à raison, il faut que je retourne à l'Académie, je ne peux pas me cacher ici indéfiniment. Je dois tenir le haut prêtre et le conseil informés de mes progrès, fit-elle avec un sourire. Mais je te promets que je reviendrais vite.
– Nathaniel, Théodor et Romaric te raccompagneront. Judith a envoyé d'autres vampires en reconnaissance pour vérifier qu'il n'y avait rien de suspect.
– Vous n'êtes pas obligés d'en faire tant, tout ira bien nous avons déjà fait le chemin plusieurs fois.
– Je préfère rester prudent. Ce nécromancien est beaucoup trop aventureux à mon gout, marmonna Caeriel.
– Ne vous inquiétez pas, cela ne nous dérange pas, sourit l'un des deux vampires. Pour une fois qu'il y a un peu d'action ! Puis, je n'ai vu Riftha qu'une seule fois.
– Romaric, nous ne parlons pas de faire une visite de la capitale des mages, le sermonna celui qu'elle devinait être Théodore.
Les deux vampires semblaient ne pas être contre le fait de les accompagner. La main de Nathaniel caressa son bras, et elle se tourna vers lui pour lui sourire. Elle refusait qu'il s'inquiète pour elle, en temps normal il était toujours très détendu, presque désinvolte, cela faisait étrange de le voir autrement. Alors, pour essayer, elle se pencha et déposa un baiser sur ses lèvres. Il parut surpris, mais ne fit rien pour l'en empêcher.
– Les autres vont se faire des idées tu sais, sourit-il.
– Et quelles idées ? demanda Iseult en se redressant.
– Que je fricote avec une chasseuse.
– C'est exactement ce que tu fais ! s'exclama-t-elle.
– Exact, mais je préfère te prévenir. Les autres sont curieux, tu sais.
– Ne fais pas comme si tu avais été discret, ricana Romaric qui les épiait.
– Excuse-moi, c'est une conversation privée, rouspéta Nathaniel.
– Alors, fais-la en privé, nous sommes à deux pas de toi, et ta mièvrerie est telle que je la sens couler sur moi.
Le vampire lui renvoya un regard noir, cela ne sembla pas perturber Romaric qui paraissait même fier de lui. Il redressa le menton et esquissa un sourire moqueur. Cela rappelait à Iseult ce qu'elle vivait à l'Académie avec ses camarades, Laurÿane et Kyolan lui manquaient, mais ils étaient sur le front et elle ne savait pas quand il reviendrait. Elle allait dire à Nathaniel qu'elle devait manger, quand elle vit les vampires se redresser, après eux elle perçut les bruits qui venaient de l'entrée.
Aloysius entra dans la pièce avec une telle fureur qu'elle sentit l'air s'épaissir autour d'eux. Ses yeux brillaient de rage, il se dirigea droit sur eux. Caeriel s'était levé encadré par Romaric et Théodore. Le regard du vampire se braqua sur elle, Iseult sentait toutes les émotions négatives qui le traversaient.
– Ils ont enlevé mes amis ! hurla le vampire en le montrant du doigt.
– Qui ? demanda Caeriel qui conservait son calme.
– Les chasseurs, nous n'aurions pas dû leur faire confiance ! éructa Aloysius.
Le seigneur vampire fit un geste en direction de l'assemblée. Tous les membres de sa cour commencèrent à s'éclipser, la conversation serait privée autant qu'elle pouvait l'être. Iseult fit un pas en avant.
– Il doit y avoir une raison, nous n'agirions pas sans avoir des ordres, expliqua la jeune femme.
– Une raison ? UNE RAISON ? La seule que vous avez, depuis toujours, c'est de nous craindre et de nous haïr.
Ses traits déformés par la colère la firent sursauter, il semblait prêt à lui sauter à la gorge.
– Aloysius, ne t'en prends pas à elle, prévint Nathaniel.
– Pour quelle raison ? Parce que tu veux qu'elle couche avec toi ? Rends-nous service, prends-la et tue-la ensuite, lança Aloysius.
– Si des chasseurs s'en sont réellement pris aux vôtres, ils seront punis, fit Iseult.
Cela ne servait à rien qu'il s'énerve tout, elle sentait que son ami bouillonnait et qu'il était prêt à se jeter sur l'autre pour lui arracher la tête. Caeriel approuva d'un hochement de tête.
– Nous allons tirer cette histoire au clair, nous retrouverons ceux qui ont disparu, assura-t-il.
– Gildas a raison, tu es faible ! Tu veux tellement éviter la guerre que tu préfères fermer les yeux sur les agissements des mages ! Maintenant, ils peuvent même se pavaner parmi nous !
Iseult sentit son cœur se contracter dans sa poitrine. Les sentiments du vampire l'étouffaient, toute sa haine était dirigée contre elle. Elle revit la silhouette sur le sol, la manière dont elle avait été déchiquetée. Pour la première fois depuis qu'elle se trouvait là, elle avait peur. Elle serra sa robe pour cacher ses tremblements et maitriser la terreur qui s'emparait d'elle.
– Ne dis pas de choses que tu pourrais regretter, gronda Caeriel, tu n'as rien connu de la guerre qui nous a opposés aux mages. Je suis ton seigneur et maître, ne remets plus jamais ma parole en doute.
Sa voix était devenue plus grave, les intonations donnèrent à Iseult envie de s'agenouiller, elle comprit que c'est ce qu'il imposait à Aloysius. Ce dernier paraissait lutter contre la volonté de son seigneur. Sa rage était un tourbillon qui l'emportait et dont il ne pouvait pas sortir. Elle se retint de s'approcher, il voulait la tuer, ses envies étaient limpides pour elle. Il céda, néanmoins, face à Caeriel, un genou à terre et sifflant entre ses crocs.
– Je ne suis pas d'accord avec toi...
Cette simple phrase paraissait être douloureuse à prononcer, ses lèvres tremblaient. Le seigneur ne bougea pas, observant son vassal de toute sa hauteur. Iseult eut à peine le temps de voir Aloysius bouger, il avait dû utiliser toute sa force pour se libérer de la force de l'ancien vampire. Il bondit sur elle si vite qu'elle n'eut pas le temps d'esquiver. La chasseuse sentit son dos percuter le mur derrière elle, la main de son adversaire appuyait sur le haut de sa poitrine.
D'un seul mouvement, il pouvait lui briser les os. Ses crocs sortirent et sa mâchoire plongea sur la gorge d'Iseult qui eut tout juste le temps de s'entendre hurler. Ses mains agrippèrent le visage d'Aloysius. Sa pierre devint si brulante qu'elle brula sa poitrine, son pouvoir coula dans ses veines, dans sa panique elle ne parvint pas à la contenir. Ses ongles s'enfoncèrent dans la peau pâle de son adversaire dont le geste avait été arrêté à quelques centimètres de sa gorge. Il poussa des grognements rauques, mélange de douleur et de plaintes. Ses yeux étaient injectés de sang noir, tout comme les veines qui parcouraient sa peau.
Une force inouïe le projeta sur le sol où il se prit le visage avec un hurlement déchirant. Romaric et Théodore se précipitèrent sur lui pour le maintenir au sol tandis qu'il tentait de nouveau de bondir sur elle. Iseult se trouvait étrangement calme, la magie qui parcourait ses veines lui donnait une assurance nouvelle. Elle crépitait tout autour d'elle comme un bouclier qui la protégeait des attaques extérieures. Les mains le long de son corps elle s'approcha du vampire.
– Arrête, ordonna-t-elle.
Les yeux d'Aloysius s'étrécirent comme deux billes noires. Son esprit luttait contre le sien, à l'inverse de Caeriel et Nathaniel, il n'avait pas de dons, juste sa volonté pour lui. Elle n'eut aucun mal à lui insuffler ses ordres. Il s'arrêta, les bras ballants, ils trainaient sur le sol. Iseult fit un nouveau pas vers lui. Une exaltation nouvelle la parcourait et lui procurait de délicieux picotements. Le pouvoir lui appartenait, Aloysius lui était soumis, il ne pouvait plus lutter contre elle. Son esprit était emprisonné entre les griffes invisibles qu'elle était parvenue à se créer.
– Tu ne feras plus de mal à personne, souffla-t-elle.
Le vampire se recroquevilla sur le sol. Il la craignait, il baissa les yeux.
– Oui, maitresse, répondit-il dans un couinement.
– À présent, je veux que tu...
– Arrête, intima la voix de Caeriel.
Il s'était approché d'elle, Iseult l'apercevait à ses côtés. Elle leva sur lui un regard noir qu'il soutint comme s'il ne s'agissait que d'une broutille.
– Est-ce que c'est vraiment ce que tu veux Iseult ? Lui ordonner de se tuer ?
– Oui, affirma-t-elle, mais la question affaiblissait déjà sa détermination.
– Je ne vais pas t'en empêcher, mais je sais que ce n'est pas toi. Ton pouvoir parle à ta place, tu n'es pas un assassin.
Son regard se reporta sur le vampire qui gémissait sur le sol bredouillant des excuses entremêlées d'autres choses qu'elle ne comprenait pas. Si elle lui demandait de se tuer, il le ferait. Elle voulait qu'il le fasse. Une voix lui murmurait que c'était ce qu'elle souhaitait. Mais était-ce vraiment elle ? Non, elle était une chasseuse, elle ne tuait pas sans raison. Il l'avait attaquée. Elle l'avait neutralisé. Il méritait de mourir. Elle pouvait le lui demander. Ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Iseult ferma les yeux. Non, elle ne pouvait pas faire ça. Cela ne lui ressemblait pas. Qu'Hëlia lui vienne en aide si de telles pensées envahissaient son esprit. Elle était une guérisseuse, elle avait appris la tolérance et le pardon auprès de la déesse. Même Felÿa, que les chasseurs vénéraient ne tolérait pas le meurtre de sang-froid. Qu'était-elle en train de faire ? Iseult fit un pas en arrière.
– Je... non... je... je ne veux pas qu'il meure, bredouilla-t-elle.
– Je sais, maintenant tu dois le libérer Iseult, expliqua Caeriel.
– J'en suis incapable, je n'ai pas appris ça.
– Je vais te guider, donne-moi ta main.
Sans réfléchir, elle obéit. Les doigts froids de Caeriel emprisonnèrent les siens. Elle sentit son pouvoir gronder et tenter de repousser le seigneur qui s'insinuait dans son esprit. Elle dompta cette envie primaire pour lui laisser un chemin, comme il le lui avait appris. Le vampire l'aida à défaire le lien dans lequel elle avait emprisonné Aloysius, les griffes se rétractèrent, peu à peu pour le libérer.
Le gout du sang dans sa bouche lui fit prendre conscience que son nez saignait. La nécromancienne sentit le froid qui parcourait ses veines, lorsque Caeriel la lâcha, son corps vacilla et Nathaniel la rattrapa avant qu'elle ne touche le sol.
– Tous les pouvoirs ont leur limite, murmura-t-elle consciente qu'elle vivait le contrecoup de ses dons.
Pour chaque pouvoir de mage, elle le connaissait, quand elle guérissait, elle ressentait la douleur de ses patients. Mais pour la nécromancie, elle ne savait pas encore, il fallait qu'elle le découvre avant de trop puiser dans son corps.
– Tu dois te reposer, je vais m'occuper de toi, lui souffla Nathaniel.
– Je suis un monstre, souffla Iseult.
Son regard s'était posé sur Aloysius dont la peau était si translucide que ses veines noires ressortaient. Des larmes de sang coulaient sur ses joues, son corps paraissait coincé dans la douleur.
– Ce n'est pas ta faute, la rassura son ami, tu t'es défendue.
Iseult se laissa entrainer hors de la pièce. Nathaniel pouvait dire ce qu'il voulait, c'était elle qui avait terrassé Aloysius. Son pouvoir avait senti une toute petite faille et c'était engouffré dedans, serpentant jusqu'à lui faire perdre la raison. Elle ne pouvait pas laisser de tels évènements se reproduire, car cela signifierait que Magnus avait raison.
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