Chapitre 16
Le silence, c'était tout ce dont Iseult avait besoin en cet instant. Il n'y avait pas un bruit autour, si ce n'est le chuchotement de sa respiration. Les mains sur ses genoux, elle tentait de faire le tri dans les murmures qui lui parvenaient. Ils bourdonnaient à ses oreilles comme une nuée d'abeilles. Elle se concentra sur l'un d'eux, s'en saisit pour l'entendre plus distinctement, il lui fallait oublier le reste. La voix s'intensifia pour devenir plus distinct, un frisson glacé remonta le long de son échine. Il s'agissait d'une femme, elle pleurait, elle appelait quelqu'un. Iseult sentit son cœur se gonfler de tristesse, elle avait perdu son enfant, et elle le cherchait dans le noir. Cette simple pensée lui donna envie de pleurer, les émotions de la femme se mêlèrent à sa voix, ses pleurs devinrent des cris. C'était insupportable, la chasseuse plaqua les mains contre ses oreilles pour ne plus rien entendre, en vain. La voix devint stridente, et se répercuta dans son crâne. Des mains froides se posèrent sur ses épaules, le calme revint petit à petit, puis il n'y eut plus que le silence et ses sanglots. Ses paumes étaient posées à plat sur la couverture que Caeriel avait étendu par terre, il y avait des bougies autour d'eux pour qu'Iseult ne soit pas plongée dans le noir.
Elle se redressa un peu, l'esprit encore embrumé par les cris. D'un revers de manche, elle essuya ses joues humides. La crypte était l'endroit le plus sûr pour qu'elle s'entraine, de cette manière, elle ne risquait pas d'attirer des indésirables, sans compter qu'elle ne perturbait pas la vie de la demeure. Même si le lieu était froid, elle le trouvait apaisant. Caeriel lui avait avoué qu'il y avait peu de corps qui y reposaient, la plupart des vampires de sa famille – qui n'étaient pas nombreux – étaient encore en vie. Comme Nathaniel et Judith.
– Ca va aller ? lui demanda doucement le vampire.
– Oui. Je n'arrive juste pas à trier les émotions et les voix. Je ne fais aucun progrès, constata-t-elle en poussant un profond soupir.
– C'est faux, la semaine dernière tu ne parvenais même pas à écarter les autres voix. A présent, tu dois composer avec ton empathie de guérisseuse. Laisse-toi du temps.
Il avait raison, à l'Académie ils apprenaient que tout était une question de temps et de maîtrise. Iseult n'avait pas maîtrisé ses dons du jour au lendemain. Mais cette fois, cela était différent, c'était un pouvoir qu'elle ne connaissait pas et qui pourrait lui coûter la vie si elle l'employait de la mauvaise manière.
– J'aimerais juste pouvoir les faire taire et ne plus jamais les entendre, marmonna la jeune femme.
– Tu pourrais, mais elles finissent toujours par revenir. C'est pour cela qu'il est conseillé d'apprendre à les contrôler plutôt que de les repousser. Les morts ne dorment pas.
– Moi non plus ces derniers temps, avoua-t-elle.
– Qu'est-ce qui te tracasse ? Tu ne parles pas de ce qui s'est passé à l'Académie pour que tu décides de venir ici. Non pas que cela me dérange, mais tu sembles apprécier ce que tu fais.
Iseult ramena ses genoux contre sa poitrine et y posa son menton. Ses rêves étaient peuplés par des nécromanciens qui essayaient de la tuer et de s'approprier son pouvoir. Ce qui était impossible, normalement, elle espérait que cela soit vraiment le cas.
– J'ai rencontré un nécromancien, c'était terrifiant. Il a utilisé sa magie contre moi, il a dit que je devais accepter ce pourquoi on m'avait créée, avoua-t-elle.
– Quoi qu'il t'ait dit, tu feras tes propres choix Iseult, nous y veilleront. Est-ce qu'il t'a dit ce qu'il attendait de toi ?
– Ils veulent que je contrôle les créatures de la nuit, pour que l'on puisse leur imposer notre volonté. Mais, je n'ai jamais voulu m'en prendre à vous.
– Tout le monde n'est pas aussi bien intentionné. Que cela soit chez les humains ou chez les créatures. En attendant, tu dois te concentrer sur tes dons et leur maîtrise.
Iseult hocha la tête. C'était la seule chose qui devait la préoccuper pour l'instant. Elle épousseta son pantalon quand Nathaniel fit irruption dans la crypte, il souriait et s'appuya sur la tombe au centre de la pièce.
– Tu n'as pas passé l'âge de rôder pour écouter les conversations ? le sermonna son créateur.
– Je n'écoutais pas, je venais voir si tout se passait bien.
– Tu mens très bien, mais je ne te crois toujours pas, sourit Caeriel. J'allais justement annoncer à Iseult que nous n'allons pas nous entrainer demain.
– Comment ça ? demanda la concernée. J'ai besoin de m'entrainer.
– Nous organisons une fête pour le solstice d'hiver, c'est important pour les fées et les nymphes, expliqua Nathaniel.
– Je m'entrainerais pendant que vous ferez la fête, ça ne me dérange pas.
– Tu travailles beaucoup Iseult, ce n'est pas un jour de repos qui décidera de ton avenir. Tu devrais prendre du temps pour toi aussi, lui dit Caeriel avec douceur.
La jeune femme baissa la tête, elle n'aimait pas l'idée de passer une journée à se reposer. En même temps, elle était fatiguée. S'entrainer était une manière d'oublier tout le reste, ainsi que les problèmes auxquels elle devrait faire face tôt ou tard, elle soupçonnait Caeriel de l'avoir compris. C'était un instructeur bienveillant et attentif, s'il découvrait ses limites avec elle, il ne la pousserait jamais au-delà.
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La nuit tombée, Iseult lisait un livre d'Histoire, assise près du lac qui bordait la demeure de Caeriel. Le kiosque donnait une vue imprenable sur l'étendue d'eau, une petite lanterne pendait juste à côté d'elle. Sa journée s'était écoulée au rythme de la vie autour d'elle, levée à l'aube, elle aidait les domestiques avant de s'entrainer avec son épieu pendant une heure ou deux. Cet après-midi, là, Ermeline lui avait demandé de l'accompagner au village avec deux domestiques. La chasseuse avait profité de ce moment pour s'acheter des herbes et quelques autres ingrédients pour ses remèdes. Puis, une fois rentrée, sa pause lecture avait débuté, un plateau encore posé par terre à côté d'elle, Iseult avait profité d'une collation avec du thé aux bleuets ainsi que des petits biscuits. Caeriel lui prêtait sa bibliothèque avec plaisir, cela était devenue une habitude pour la jeune femme d'en profiter. Certains livres étaient si anciens qu'ils auraient fait pâlir d'envie le bibliothécaire de l'Académie. Le vampire lui avait expliqué qu'il prenait grand soin de sa collection, cumulée au fil des années, certains lui rappelaient sa jeunesse tandis que d'autres n'étaient que de vieux livres de recettes. Quoi qu'il en soit, Iseult y trouvait son bonheur.
– Tu es en retard, souffla une voix.
Lorsqu'elle releva les yeux, Nathaniel se tenait de l'autre côté du banc. Le rouge de ses iris brillait presque dans la nuit, Iseult avait apprit à reconnaitre quand un vampire venait de se nourrir.
– J'étais en train de lire, j'ai perdu toute notion du temps, fit-elle en refermant son livre.
– Judith te cherche partout, il paraît qu'elle à une robe pour toi.
– Elle m'en a parlé hier, c'est pour la fête de cette nuit.
La perspective de participer à cette fête la stressait, elle connaissait tous les habitants de la maisonnée, elle les appréciait même, pourtant elle ne se sentait jamais à l'aise noyée dans la masse. Iseult préféra changer de sujet.
– J'étais juste plongée dans la lecture. Tu savais qu'à l'époque de la Traque, ils tuaient les nécromants en épinglant leurs corps au-dessus des temples ? dit-elle en lui montrant l'ouvrage.
– Si j'avais su un jour que pour passionner une femme je devrais parler de cadavres avec elle, j'aurais employé tout de suite cette technique, s'amusa Nathaniel. Oui, je le savais, j'ai vécu cette période. Ce n'était pas la plus agréable.
– Je dis seulement que le sujet est intéressant, remarqua Iseult.
– Tu sais que tu aurais juste à demander pour que l'on te raconte tout ça ?
– Je voulais me renseigner sur ce qui arrivait aux nécromants. Ce n'est pas une partie de l'Histoire que nous apprenons à l'Académie et les livres qui traitent du sujet sont aux archives.
Avant, le sujet ne l'intéressait pas, ou plutôt personne ne lui en avait parlé, sauf de manière brève au détour d'un cours. Les instructeurs de l'Académie expliquaient principalement les dangers de la nécromancie, ainsi que les raisons qui avaient poussés leurs ancêtres à condamner une telle magie. Iseult n'avait pas réfléchi, pour elle les autres mages avaient raison, inutile donc de remettre en question leurs préceptes. Mais, à présent, elle s'interrogeait sur cette part d'Histoire oublié sciemment. Nathaniel glissa vers elle pour étudier la couverture de l'ouvrage.
– Pourquoi t'intéresser à un tel sujet ? C'est du passé, dit-il.
Peut-être était-ce vrai, mais le passé pouvait lui servir pour comprendre le présent. Sans compter qu'elle ne savait pas encore quoi faire de ses nouveaux dons. Le Conseil pouvait tout aussi bien changer d'avis à son sujet. La guérisseuse baissa la tête.
– Et s'ils décidaient que je ne pouvais pas posséder un tel pouvoir ? murmura Iseult. S'ils voulaient moi aussi m'épingler la tête en bas à l'entrée d'un temple ? ou me démembrer ?
Les mains froides du vampire se posèrent sur les siennes et il lui arracha le livre des mains. Son regard rencontra le sien, il avait changé et ne s'amusait plus.
– Je ne les en empêcherait, lui répondit-il, personne ne te fera du mal Iseult.
Jusque-là, elle n'avait pas remarqué que Nathaniel était si proche. Ses joues rosirent, les mots du vampire paraissaient sincères. Elle ressentit comme une vague de chaleur qui remonta jusqu'à son visage, son cœur battait plus fort dans sa poitrine. Cela devenait récurrent lorsque le vampire se trouvait près d'elle.
– Eloigne-toi plutôt que de me faire ses yeux là, lui dit-elle.
Ses deux mains posées sur les épaules du vampire elle tenta, sans succès, de le repousser en arrière. Cet essai le fit sourire.
– Vous les humains, vous êtes adorables, tes joues sont toutes rouges, se moqua-t-il en posant les doigts sur son visage.
– On appelle ça des émotions, répliqua Iseult.
– J'ai des émotions aussi.
– Peut-être, mais tu ne rougis pas, ton cœur ne change pas de rythme et tu n'as pas l'air d'un parfait imbécile quand ça arrive.
Nathaniel se rapprocha encore et elle recula, manquant de peu de tomber du banc. Ses yeux étaient plongés dans les siennes.
– Tu es superbe quand tu rougis, murmura-t-il à son oreille.
Il était si proche d'elle que c'en était indécent. Sa bouche était sèche et ses mains moites. Il glissa un bras autour de sa taille pour l'attirer contre lui, ils étaient presque allongés sur le banc. Son corps touchait le sien. Iseult était brulante alors qu'il était glacé. Ses mains se crispèrent sur les épaules du vampire. Nathaniel se rapprocha encore. Jusqu'à ce qu'une boule lumineuse se mette à voleter autour d'eux, une deuxième vint lui prêter main forte, puis une nuée. La chasseuse se redressa, les yeux écarquillés, émerveillée par ce qu'elle voyait. Son visage s'illumina, le vampire s'éloigna pour la laisser observer.
– Ce sont des fées ! s'exclama-t-elle alors qu'un petit être aux ailes bleues avait saisi une de ses mèches de cheveux.
– Tu n'en as jamais vu ? demanda Nathaniel qui s'était rassit.
– Non, j'ai surtout vu des goules, mais les fées, c'est exceptionnel.
– Elles commencent à sortir pour ce soir, expliqua-t-il. Ensuite, elles hiberneront. C'est le seul endroit où elles peuvent être en paix.
Les petites créatures voletaient autour des fleurs comme des lucioles, sauf qu'elles piaillaient dans un langage incompréhensible. La fée qui jouait avec ses cheveux vint se frotter contre sa joue avec un petit ronronnement. Il était rare d'en voir, elles craignaient les goules et les spectres, sans compter qu'elles étaient la nourriture favorite des volatiles. D'autant que les humains les chassaient pour leurs ailes et la poussière qu'elles produisaient.
– Une loi devrait interdire que l'on s'en prenne à elles, elles sont si adorables, dit Iseult qui regardait les fées danser autour d'elle.
– Je suis d'accord.
– Tu ne trouves pas cela idiot ? Morgan dit que je suis idéaliste et trop naïve, répondit-elle, peinée.
– C'est altruiste, cela montre que tu as de l'empathie. Tu ne dois pas en avoir honte, il est bien que certains chasseurs se souviennent qu'ils sont aussi là pour protéger.
Iseult tourna la tête vers lui, il avait tendu la main et une fée vint s'y blottir. Le calme et la bienveillance se dégageait du vampire, elle se sentait apaisée en sa présence, il lui rappelait aussi les valeurs qu'elle défendait. Un rire échappa à la jeune femme quand une fée se posa sur la tête de Nathaniel et se laissa glisser sur ses mèches blondes, il haussa les épaules, amusé de la situation.
– Je crois qu'elles t'aiment bien, gloussa la guérisseuse.
– C'est mon charme naturel qui les attire, fit-il avec un clin d'œil.
Alors qu'elle observait le ballet des fées, Iseult fit un pas en arrière et trébucha. Le vampire la rattrapa, entrainé dans sa chute il se retrouva allongé par terre. Tombée sur lui, elle se redressa à moitié, l'un des bras de Nathaniel entourait sa taille. Ses lèvres si proches des siennes, dessinées par un léger sourire, lui donnait envie de l'embrasser. Il la fixait avec une telle intensité que sa poitrine s'embrasa et sa bouche devint sèche. La main de Nathaniel remonta le long de sa hanche jusqu'à sa joue, il donnait l'impression d'être lui aussi à bout de souffle alors qu'il ne respirait même pas. N'y tenant plus, Iseult posa ses lèvres sur les siennes. Son contact la fit soupirer de plaisir et elle le sentit sourire. Elle éloigna son visage du sien, toute penaude.
– Personne ne t'a dit que l'on n'embrassait pas les gens sans leur consentement ? souffla-t-il.
– Je suis désolée... je... je...
Gênée et ayant l'impression d'être une parfaite idiote, Iseult essaya de se redresser mais le bras de Nathaniel la retint. Il la fit rouler sur le sol pour se retrouver au-dessus d'elle.
– Tu penses vraiment qu'une humaine puisse faire tomber un vampire ? s'amusa-t-il.
– Je... tu... que.... Tu l'as fait exprès ! s'exclama Iseult.
– Il se peut que j'aie donné un coup de pouce au destin pour pouvoir faire ça.
Ses lèvres s'emparèrent des siennes d'une manière bien moins chaste. Iseult enroula ses bras autour du cou de Nathaniel, elle sentait ses crocs contre sa bouche, et sous sa langue. Leur baiser était si intense qu'elle se sentait se consumer. C'était la première fois qu'elle désirait une personne avec tant d'ardeur.
– Je te veux, murmura-t-elle à son oreille.
– Alors prends moi, répondit-il.
Ses yeux brillaient alors qu'elle retournait l'embrasser, elle ne savait pas de quelle manière s'y prendre avec un vampire, mais à l'évidence cela ne dérangeait pas Nathaniel qui s'était penché pour déposer un baiser sur son cou. Iseult allait reprendre la parole quand elle entendit une voix les appeler.
– Cela fait une heure que je vous cherche ! Iseult doit se changer, et prendre un bain apparemment, souffla Judith.
Leur position ne sembla pas déranger la fille de Caeriel qui leva les yeux au ciel. Nathaniel redressa à peine la tête.
– Tu es sérieuse ? Tu vois bien que nous sommes occupés.
– Epargne-moi ta scène de mâle blessé et range tes crocs. Allez, du balai !
La vampire agita les mains pour faire partir son frère qui poussa un léger grognement. Judith fit claquer sa langue, Nathaniel secoua la tête puis s'éloigna avec prudence d'Iseult.
– Parfait, ma chère, il est temps d'aller te préparer. Vous aurez tout le temps de badiner plus tard.
– Nous ne badinions pas ! s'exclama Iseult.
– Tes cheveux et tes vêtements sont couverts de poussière, sans compter que vous étiez en train de vous dévorer la bouche – sans mauvais jeu de mot – j'ai quatre cent et quelques années de plus que toi d'expérience chérie.
Même un chasseur savait qu'il fallait parfois savoir capituler. Iseult se leva et lança un regard désolé à Nathaniel. Il paraissait déçu mais Judith n'en tint pas compte. La jeune femme se rendit compte que son cœur se serrait dans sa poitrine, un sentiment de colère – qui disparut presque aussitôt – la traversa. Elle voulait rester seule avec Nathaniel pour le reste de la nuit, mais cela semblait compromis. Avant qu'elle ne parte, il lui saisit la main et y déposa un baiser.
– Tout à l'heure, nous pourrons faire ce que tu m'as promis, annonça-t-il avec un clin d'œil.
Iseult chercha un instant ce qu'elle avait promis avant de comprendre. D'un air déterminé elle se dirigea vers la demeure espérant que la pénombre et l'air frais dissimulaient ses joues.
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