Chapitre 15
Une dizaine de jours s'était écoulée depuis sa rencontre avec le nécromancien et Iseult ne parvenait toujours pas à se le sortir de l'esprit. Elle avait essayé d'en parler à Morgan mais il ne lui adressait plus la parole, il l'avait réprimandé sur la manière dont elle s'était adressée à son père. La tension entre eux était palpable et son cœur s'alourdissait de jour en jour, la jeune femme préférait s'occuper plutôt que de rester avec son partenaire. Quand elle se couchait le soir il lui tournait le dos, elle faisait de même sans parvenir à trouver le sommeil. Sans ses autres amis, elle se rendait compte qu'elle était seule. Léana, la maitresse d'armes, était venue la trouver afin de lui proposer de superviser les nouveaux apprentis. Iseult se prêtait au jeu, contente d'avoir un rôle à jouer, les futurs chasseurs l'appréciaient, il lui suffisait de donner un ordre pour qu'ils obéissent. Elle mangeait avec les autres mages plus âgés et s'était rapprochée d'Hylios.
Les bras croisés, sur les quais de Riftha, la jeune femme regardait les apprentis décharger les caisses d'un navire marchand. Dès leur plus jeune âge, quelque soit leur don, les mages allaient aider la population de la ville de manière bénévole. Le but était de développer l'altruisme. C'était une part de ses fonctions qu'Iseult avait apprécié à l'époque, les gens étaient toujours heureux de les voir arriver. Parfois, ils les récompensaient même avec un repas ou une boisson. Cela leur apprenait aussi la vie qui les attendait, ceux qui ne devenaient pas prêtres dans les différents peuples aidait la population et ils ne se faisaient pas payer. L'Académie leur versait une rente et ils étaient logés. Ainsi, chacun pouvait profiter de leurs services. Elle plissait les yeux pour s'assurer que les plus jeunes faisaient bien leur travail quand la cape bleu nuit attira son attention. Un peu plus crispée elle ordonna à l'un des jeunes qui s'amusait de cesser et de reprendre le travail.
– Léana m'a dit où te trouver, commença Morgan.
– Quelqu'un est mort ? Cela doit être important pour que tu daignes m'adresser la parole, fit Iseult sans le regarder.
– Je n'aime pas quand nous nous disputons.
– Il fallait y penser avant de m'insulter, asséna-t-elle.
– Tu sais que je ne le pensais pas Iz, se justifia son partenaire.
– Donc, je vais devoir supporter à chaque fois que tu me traiteras d'idiote ou d'imbécile ? Qu'est-ce que ça sera ensuite ?
– Je suis conscient de t'avoir blessée, je te promets que ça ne se reproduira pas.
– Je suis fatiguée de tes sauts d'humeur. J'ai besoin d'être soutenu, mais depuis le début tu fais tout le contraire. Tu m'enfonces la tête sous l'eau.
– Iz, je veux juste le meilleur pour toi, souffla Morgan en avançant sa main vers la sienne.
– Pour moi ou pour toi ?
Sur ces mots elle s'avança vers le groupe d'apprentis dans lequel il y avait Tristan. Le frère de son fiancé dansait sur place et avait oublié la raison de leur présence. Iseult lui fit les gros yeux.
– Descends de là et porte cette caisse jusqu'au chariot, ordonna-t-elle.
– Et tu me donnes un bisou après Iz ? demanda le garçon tout sourire.
– Non, mais tu n'auras pas de coup de pied aux fesses, alors dépêche-toi.
Il éclata de rire et obéit. Tristan souleva la caisse comme si elle ne pesait rien, heureux de montrer ses talents de futur chasseur. La fille qui l'accompagnait souffla et leva les yeux au ciel.
– On ne peut vraiment pas changer de partenaire ? demanda-t-elle avec un regard pour Iseult.
– Je suis désolée Lysandra, mais tu devras te contenter de lui jusqu'à la fin de ton apprentissage. Mais tu verras, c'est le plus gentil des De Castel.
L'apprentie poussa un profond soupir et souleva sa propre caisse. Lorsqu'Iseult reporta son attention vers Morgan, il avait disparu. Au moins, il avait fait un premier pas vers elle, elle retournerait lui parler plus tard dans la journée. Même si elle lui en voulait, ils devaient clarifier la situation, s'il consentait néanmoins à la laisser parler et à l'écouter.
Ils restèrent encore une heure à terminer les heures de bénévolat des apprentis. Iseult les raccompagna ensuite à l'Académie où un bon repas les attendait. Telles des bêtes affamées ils se jetèrent sur leurs assiettes, sous le regard amusé de la jeune femme. Cela lui rappelait ses propres années d'apprentis, dès ses huit ans, elle avait appris à rendre service. D'autres mages ayant prit la relève, elle s'éclipsa afin d'aller au temple d'Hëlia, elle n'avait toujours pas vu Hylios alors qu'ils mangeaient ensemble d'ordinaire. Il n'y avait pas non plus Morgan, mais elle avait ouïe dire que Lorkan et Aschan étaient de retour pour quelques jours, ils devaient donc être tous les trois. Cela lui hérissait le poil de penser au meilleur ami de son partenaire, Iseult ne savait pas d'où lui venait sa répulsion pour le jeune homme.
A cette heure de la journée le temple aurait dû être ouvert, mais elle se retrouva face à une porte close. Ses sourcils se froncèrent, la chasseuse parvenait à comprendre quand tout n'allait pas bien. Sa main se posa sur le manche d'une de ses dagues, elle avait laissé son épieu dans sa chambre pour le repas. Ses doigts se posèrent sur la porte qui s'entrouvrit sans faire de résistance. Des éclats de voix lui parvinrent, peu de personne osait faire un scandale dans les temples, si cela arrivait le souci était vite réglé. Iseult s'empressa de remonter l'allée du temple, une colonne lui bouchait la vue mais elle aperçue Hylios plaqué contre le mur, et aux tuniques qu'elle voyait sur ses assaillants il n'était pas difficile de comprendre qu'il s'agissait de chasseurs. Sa colère redoubla, les poings serrés elle rejoignit le groupe. Les visages qu'elle reconnut ne l'étonnèrent pas, pourquoi s'était-elle imaginé que lorsqu'ils seraient devenus chasseurs ils deviendraient aussi matures ?
– Lâchez-le, ordonna Iseult.
Lorkan et Aschan posèrent les yeux sur elle, ils tenaient tous les deux Hylios par une épaule. Devant eux, Morgan avait les bras croisés, il se tourna vers elle et ne fit même pas mine d'être désolé.
– Iz, ce ne sont pas tes affaires, se contenta-t-il de dire.
– Vous êtes en train de vous en prendre à votre ami, notre ami, fit-elle.
A présent à sa hauteur, il la regarda, les yeux baissés vers elle. Ce qu'elle détestait quand il la regardait de haut. Morgan posa une main sur son épaule, elle en sentit tout le poids et toute la force qu'il mettait pour lui prouver qu'il était plus fort.
– Il nous a menti, fit-il en la poussant vers la sortie.
D'un geste brusque elle repoussa sa main comme s'il venait de la brûler.
– Vous n'avez donc aucune honte ? Vous vous en prenez à un prêtre, dans un temple ! protesta-t-elle.
– Iseult ! tonna Morgan comme si elle avec quatre ans. Va-t'en.
– Non.
– C'est un dégénéré, se justifia Lorkan, nous avons appris qu'il s'amusait avec Kyolan.
La mage laissa échapper un rire sans joie, moqueur. Elle se rapprocha du trio pour planter son regard dans celui du chasseur.
– Et comme tu n'as pas le courage de t'en prendre à Kyolan, tu t'en prends à un prêtre ? Vous n'êtes qu'une bande de lâches, cracha-t-elle.
– Iseult, ça suffit.
Morgan s'était approché il posa les mains sur sa taille pour l'éloigner, elle tenta de le repousser mais une force invisible l'empêchait de bouger. Elle éructa, il utilisait sa magie sur elle.
– Obéis à ton futur époux, lança Lorkan avec un regard dédaigneux. Ça vaut mieux pour tout le monde.
D'un geste furieux, elle planta son talon dans le pied de Morgan et elle put de nouveau bouger le haut de son corps. Elle s'éloigna de son fiancé, le regard d'Hylios était figé par la peur, elle voyait les larmes dans ses yeux. Il y avait du sang qui coulait de son nez. Elle ne pouvait pas supporter ça, Iseult passa une main sur son visage, la douleur du prêtre lui broyait le cœur. Elle se planta devant Morgan.
– Morgan, arrête-ça. Ce n'est pas digne de toi, ce n'est pas digne d'un chasseur.
– Il se fait prendre par un homme, il ne mérite même pas d'être prêtre.
– Stop, ça suffit. Je t'ai pardonné beaucoup de choses, je t'ai défendu, parce que nous étions jeunes. Cette fois je ne pourrais plus, pas si tu persistes.
Le visage de son partenaire devint livide, il commençait à se rendre compte de ce que signifiait ses paroles.
– Iz, je t'aime, et tout ça n'a rien à voir avec nous ou avec notre histoire.
Il l'avait prise par les épaules, son ton s'était adoucit, tout comme ses gestes. Ses yeux dorés exprimaient la crainte, tout comme son cœur. Pour la première fois, elle ressentait sa peur.
– Si, parce que je ne peux pas rester avec un homme qui s'en prend à des innocents et qui profite de sa supériorité pour ça.
– Ne dis pas d'idioties, nous allons nous marier.
– Non, répondit Iseult. C'est terminé Morgan.
Ses doigts glissèrent jusqu'à son annulaire. Avec lenteur elle en fit glisser l'anneau qu'il y avait mis quelques temps plus tôt. Elle le serra dans sa paume, sa main lui semblait moins lourde à présent. Iseult glissa la bague dans la main de son partenaire. Puis elle se détourna pour se tourner vers Hylios, les deux autres l'avaient relâché, ils étaient comme deux chiens à qui leur maître n'avait pas donné d'ordre depuis trop longtemps : perdus. Morgan se saisit de son bras pour la tirer vers lui, elle grimaça, s'il serrait plus fort il pourrait lui briser l'os.
– Tu n'as pas le droit de me faire ça Iseult, tu vas devenir ma femme, c'est ce qu'on avait dit.
– Ce que tu avais dit, ce que tu avais décidé avec ton père, pas moi, souffla-t-elle.
– Je ne te laisserais pas me quitter ! éructa Morgan.
Sur la pointe des pieds, Iseult affrontait son regard, il la soulevait presque du sol. Elle serra les dents malgré la douleur.
– Je viens de le faire.
Il la repoussa avec violence. La chasseuse trébucha, son corps heurta le sol et elle sentit son épaule cogna la pierre. Son partenaire la regarda mais n'esquissa aucun geste pour l'aider, il releva les yeux vers ses deux amis.
– On s'en va, ordonna-t-il.
Quand Morgan se détourna, la jeune femme commença à se redresser. Lorkan passa près d'elle et lui décocha un coup de pied dans la jambe. Elle se retint de se jeter sur lui pour lui arracher les yeux et la langue. Même si elle n'était pas d'une nature violente, il faisait ressortir le pire en elle. Son partenaire daigna lui accorder un regard avant de sortir.
– Ca ne se terminera pas comme ça Iz.
Dès le départ elle avait su qu'il serait difficile de lui faire entendre raison. Il s'en alla en compagnie de ses deux acolytes, sans une once de regret. Morgan n'avait jamais été violent avec elle, elle n'était pas même pas certaine qu'il se soit rendu compte qu'elle avait mal. Dans quelques heures il viendrait s'excuser, comme lorsqu'il s'emportait contre elle et que ses paroles devenaient méchantes. A la seule différence que cette fois, elle ne pourrait pas le pardonner.
Allongée sur le sol du temple, elle tourna les yeux vers la statue d'Hëlia qui semblait la regarder avec compassion. Une main vint se poser sur son épaule, Hylios l'aida à se redresser.
– Je suis désolé Iseult, je ne pensais pas que... enfin...
– Tu n'y es pour rien, ce sont des crétins.
C'était là sa réponse la plus spirituelle. Le prêtre l'aida à se relever, il faudrait qu'elle le soigne. De son côté, ce n'était pas tant son bras qui lui faisait mal que le constat que Morgan profitait encore de sa position. Les deux amis s'assirent sur l'un des bancs, Iseult n'était plus sûre de rien et pour la première fois le sentiment que les dieux n'y pourraient rien lui étreignait le cœur.
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Beorn était revenu d'Ildryle, le Haut prêtre l'avait pressé de rentrer à cause de l'affaire avec les loups. Pendant son absence de la capitale il avait affecté deux chasseurs en plus à la protection du roi. Iseult avait profité de ce retour pour demander à le voir, il n'avait pas hésité à accepter sa requête. Le commandant de l'Ordre l'attendait dans son bureau, elle était assise à l'extérieur dans l'attente qu'il puisse la recevoir. Elle tordait ses mains sur ses genoux avec nervosité. Une petite voix lui murmurait qu'elle trahissait son partenaire, mais elle ne pouvait pas passer sous silence les actes dont il se rendait responsable. La porte s'ouvrit et elle se leva, les bras derrière le dos, droite comme un « i » en attendant ses ordres.
– Je t'en prie, entre, lui fit le commandant avec un sourire.
La chasseuse s'exécuta. Le bureau de Beorn était une pièce dépourvue d'ornements, aussi sobre que lui. Iseult s'installa sur la chaise face au commandant, les mains posées sur ses genoux.
– De quoi souhaitais-tu me parler ? demanda-t-il.
– De Morgan, commença la guérisseuse, la semaine dernière, lui, Lorkan et Aschan s'en sont pris à prêtre d'Hëlia.
Les sourcils du chasseur se froncèrent.
– Tu en connais la raison ?
– Hylios aime les garçons, il a eu une relation avec Kyolan.
Le temps d'un instant, elle craignit que Beorn ne cautionne les agissements de ses chasseurs. Les sourcils de l'homme se froncèrent et il frotta sa barbe de quelques jours.
– Je vais m'en occuper. Néanmoins, ils vont comprendre que tu les as dénoncés, or Morgan est ton partenaire et ton fiancé, précisa le commandant l'air inquiet.
– Je... j'ai rompu nos fiançailles, expliqua Iseult les yeux baissés. Je ne sais plus vraiment où nous en sommes.
– Très bien, je pourrais vous affecter de nouveaux partenaires. Je sais que tu l'aimes et que cela doit être difficile, l'essentiel c'est que tu ais fait le bon choix pour toi.
Elle hocha la tête. Même si son choix était le bon, il n'en restait pas moins douloureux. Iseult ne dormait plus de la nuit, ou plutôt, plus dans sa chambre. Elle s'était endormie plusieurs fois au temple, et Hylios lui avait trouvé un lit dans le dortoir des prêtresse d'Hëlia. Même si elles étaient gentilles, la chasseuse ne s'y sentait pas à sa place.
– J'aurais une requête, fit-elle de but en blanc. J'aimerais pouvoir rester plus longtemps auprès des vampires, je veux parfaire mon apprentissage de la nécromancie, je pense que cela pourra être utile pour l'affaire des loups.
– En effet, mais il faut que le conseil et le seigneur d'Aubelointaine donnent leur avale.
– Je sais.
Passer du temps avec Nathaniel, et bien sûr Caeriel, l'aiderait à penser à autre chose que sa rupture.
– Je parlerai en ta faveur, tu es sérieuse et déterminée. Je doute qu'ils y voient un inconvénient.
– Merci, commença-t-elle, je veux dire, vous me faites confiance, cela compte beaucoup pour moi.
– Je te connais depuis longtemps Iseult, tu étais là depuis à peine six mois que je t'ai trouvé plantée devant mon bureau pour m'annoncer que tu voulais être chasseuse. Tu es l'une des apprenties les plus sérieuses que j'ai connu.
Ces mots la touchaient, Beorn avait toujours été dur avec elle. Elle n'était pas très grande, ni très forte, parfois il lui était arrivé de se décourager quand les mages de guerre la mettaient au tapis. Les autres avaient tous un pouvoir pour les défendre, elle ne savait que guérir. Être la partenaire de Morgan l'avait empêché de subir les moqueries, cela lui faisait mal de devoir le reconnaitre.
– Je ne te l'ai encore jamais dit, mais s'il devait m'arriver quelque chose, tu es l'une des candidates de ma liste pour devenir commandant, fit Beorn.
– Quoi ? Mais, je suis une orpheline, je ne saurais même pas diriger, répondit-elle choquée. C'est un poste qui conviendrait à Morgan bien plus qu'à moi.
– C'est ce que tu crois ? Ce qu'il a fait à Hylios montre toute son intolérance. Il y a des choses que l'on ne peut pas soigner, les idées ne sont pas des maladies même si elles gangrènent l'esprit. Tu as des qualités dont il est dépourvu, pour cette raison il n'est pas sur la liste que j'ai transmise au conseil.
Iseult sentit toute l'affection qu'il lui portait tandis qu'il prononçait ces mots. Elle avait vu en lui une figure paternelle, elle avait souhaité lui ressembler parce qu'il était fort et juste.
– Je vous remercie, c'est un véritable honneur que vous me fassiez tant confiance.
– Notre monde a besoin de tolérance, d'amour aussi. J'ai envie de croire qu'il y a des personnes pour changer cela et je suis certains que tu en feras partie un jour, quand on te laissera ta chance.
Ses mains se serrèrent sur son pantalon. Sa lèvre trembla, de fierté, elle voulait pleurer et même serrer Beorn dans ses bras. Son empathie de guérisseuse pouvait lui faire faire n'importe quoi.
– Assez de sentimentalisme, trancha le commandant. Va t'entrainer.
Elle hocha la tête et bondit de sa chaise. Pour la première fois, Iseult marchait dans le noir, sans savoir ce qu'allait être son avenir. C'était une sensation aussi grisante qu'inquiétante. Elle pouvait prendre ses propres décisions à présent, il lui suffisait d'essayer.
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