Chapitre 11
La nuit était tombée sur le village. Iseult et Morgan avaient passé la journée à s'assurer que tout était en ordre, ils devaient repartir le lendemain afin de regagner l'Académie. Ils en profiteraient pour ramener la jeune femme qu'ils avaient condamnée à Riftha. Certains villageois avaient montré leur mécontentement au fait qu'il n'y ait aucune peine de mort, mais ils n'auraient pas osé contester les ordres des chasseurs. Même s'ils aidaient la population, certaines rumeurs couraient à leur sujet, parfois farfelues d'autres fois plus sérieuses, mais qui n'étaient pas avérées. La plupart du temps ils décidaient de les ignorer.
Leur repas était terminé depuis plus d'une heure, et Iseult avait caressé l'espoir de pouvoir aller se coucher, mais ils étaient condamnés à faire une ronde. Un jeune homme avait aperçu d'étranges mouvements dans la forêt et était rentré apeuré. Ils étaient donc contraints de vérifier qu'il n'y avait aucune créature dans ces bois. Iseult laissa échapper un bâillement, ils n'avaient rien trouvé et elle aspirait à retrouver le lit pour dormir. À ses côtés, Morgan inspectait les environs. Un frisson remonta le long de l'échine de la jeune femme, comme une main glacée qui se saisissait de sa colonne vertébrale. Ses scrutèrent les alentours à la recherche d'une présence. Contrairement à son partenaire, ses sens n'étaient pas accentués par la magie. L'avantage de la magie de la guerre était de voir ses sens accrus, tout comme sa force et Morgan étaient l'un des plus doués dans cet art. Il lui agrippa le poignet pour la faire reculer avant de lui faire signe de le suivre. Ils s'étaient éloignés du sentier pour s'avancer dans la pénombre de la forêt. Iseult referma sa main sur son épieu et le dégaina en silence.
Il ne leur fallut pas plus d'une minute pour déboucher sur un sentier cabossé, au milieu de celui-ci ils distinguèrent une silhouette allongée sur le sol ainsi qu'une bête penchée dessus. Le loup releva son museau et poussa un grognement pour les dissuader d'avancer. Ses yeux brillaient d'une lueur rouge inquiétante. Elle lança un regard vers le ciel et constata que ce n'était même pas la pleine lune. Ses sourcils se froncèrent. Morgan s'était déjà élancé, et elle le suivit. Le loup se jeta sur eux en poussant un rugissement qui fit s'envoler les oiseaux. Ses babines se retroussèrent et il baissa la queue, ses yeux rivés sur eux. Il se jeta sur Morgan qui dégaina son arme, les crocs de l'animal passèrent à quelques centimètres de son visage. Les mains serrées sur son arme, Iseult s'élança, son épieu en avant. Elle parvint à écorcher les côtes de l'animal qui poussa un jappement de douleur avant de se tourner vers elle. Ses griffes raclèrent le sol et il fit claquer ses mâchoires pour l'attaquer. Il n'eut pas le temps de bondir que la lame de Morgan l'empalait au niveau du dos. Le corps de la bête s'affaissa et son regard se vida. Iseult déglutit.
– Ce n'est même pas la pleine lune, fit-elle remarquer.
– Les loups ne peuvent pas se transformer quand il le souhaite, continua son partenaire. Tu as remarqué quelque chose d'étrange ?
– Ses yeux, ils étaient rouges. Or, je n'ai jamais lu une telle chose, pas chez les loups-garous en tout cas.
Iseult prenait plaisir à apprendre les bestiaires par cœur, elle se souvenait de chaque petit détail. Son manque de force était ainsi compensé par ses connaissances, là où Morgan se contentait d'informations succinctes dont la plupart consistaient à savoir comment tuer une créature. Ils s'approchèrent du cadavre, Iseult eut un sursaut de surprise. Le corps n'avait pas été déchiqueté au niveau de l'abdomen, comme cela aurait dû être le cas. De larges traces de morsures s'étendaient sur la gorge de l'homme tué.
– Il a bu son sang, murmura-t-elle.
– Qu'est-ce que ça signifie ? grogna Morgan.
Elle n'eut pas le temps de répondre qu'un hurlement les obligea à se tourner. Le loup s'était éveillé, ses yeux brillaient de nouveau, et il tentait d'avancer malgré la lame fichée dans son corps. Sans réfléchir, Iseult empoigna son arme, d'un coup sûr et maîtrisé elle abattit le côté tranchant de l'épieu sur la nuque de la bête. Il lui fallut s'y reprendre à trois reprises pour que la tête se détache du corps. Elle eut un haut-le-cœur à chaque projection de sang, l'odeur était infecte et le liquide qui s'écoulait du corps du loup était noir.
– C'est impossible, un vampire ne peut pas transformer un loup-garou, fit Morgan en examinant les restes de l'animal.
– Si ce n'était pas un loup-garou ? Mais un simple loup ? releva Iseult.
Le corps était moins impressionnant que celui des créatures surnaturelles, de plus ce n'était pas la pleine lune.
– Nous devons envoyer une missive à l'Académie, ainsi qu'une au seigneur d'Aubelointaine, conclut-elle.
– Pourquoi veux-tu mêler les vampires à ça ?
– C'est leur domaine, tu ne crois pas ? De plus, les accords conclus avec lui stipulent que tout incident lié aux vampires doit lui être rapporté.
Morgan eut un rictus de dégoût qu'Iseult préféra éviter. Il récupéra son arme et la rangea, la jeune femme fit de même et se tourna vers le cadavre de la victime. Ils devaient le ramener au village, mais ils devaient aussi récupérer le corps de la bête pour l'étudier. Ils commencèrent par le villageois, Iseult le prit par les épaules tandis que Morgan se saisissait de ses jambes. Durant le trajet, la jeune femme fouilla dans sa mémoire à la recherche d'information sur une telle créature, sans succès. Lorsqu'ils arrivèrent, plusieurs personnes se précipitèrent sur eux. Une femme poussa un cri en se jetant sur le cadavre.
– C'est mon fils, hurla-t-elle.
Sans leur laisser le temps de réagir, elle se jeta sur le corps, secouée de sanglots. Ses cris de douleur avaient alerté une partie du village et d'autres personnes commencèrent à se joindre à eux, dont le bourgmestre. Les questions fusèrent sans qu'ils puissent y répondre, trop lents pour le flot qui les submergeait. Jusqu'à ce que Morgan lève les mains en leur intimant le silence de sa voix assurée et autoritaire. Immédiatement la rumeur cessa, le silence s'abattit sur le village comme un couperet. Le chasseur expliqua que l'homme avait été attaqué par un loup et qu'ils s'en étaient occupés. Parfois, les gens n'avaient pas besoin de tout savoir, mieux valait préserver la paix plutôt que de cultiver la peur. Les gardes emportèrent le corps et invitèrent les gens à rentrer chez eux. De leur côté, les chasseurs se décidèrent pour aller chercher la carcasse de la bête qui avait attaqué le pauvre homme. Le loup était plus lourd qu'il en avait l'air et ils se retrouvèrent poisseux de sang. Le cadavre de l'animal fut déposé dans une pièce dans les prisons. Iseult fut soulagée de pouvoir remonter dans leur chambre où elle et Morgan durent retirer le sang sur leurs bras et sous leurs ongles. Quand elle fut propre, elle s'assit et prépara deux missives, une pour Beorn à l'Académie, et l'autre pour Caeriel. Toutes les affaires concernant les vampires devaient passer par le seigneur afin qu'il puisse juger les siens.
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Contraints de rester dans la petite bourgade, les deux chasseurs avaient entrepris de mener leur enquête. Avec deux gardes, ils étaient partis sur les traces du loup, il ne fut pas difficile de retrouver le lieu de l'accident, le sol était encore imbibé de sang. Ils avaient inspecté les environs, mais leurs recherches furent vaines. Un loup ne pouvait pas se transformer en vampire par lui-même, il devait avoir un créateur, mais ce dernier demeurait introuvable. La jeune femme étudia la dépouille de l'animal, mais sa carcasse commençait déjà à pourrir. Dès qu'ils auraient un retour de Beorn et de Caeriel, ils la brûleraient.
Leurs inspections de la journée étant infructueuses, ils décidèrent de retourner au village. Cette décision sembla rassurer les gardes qui ne tenaient pas à rester dans la forêt la nuit. Iseult se retint de leur faire remarquer que même les chasseurs ne faisaient pas une telle chose, à moins d'y être obligés, il y avait trop de créatures prêtes à déchiqueter les humains pour prendre des risques inutiles. Une fois à l'auberge, ils se défirent de leurs capes et se laissèrent tomber sur des chaises à l'écart pendant qu'on leur préparait un repas. Les chasseurs étaient logés et nourris par les villes et villages où ils allaient porter leur aide. Aucun n'avait jamais refusé de leur offrir le gîte et le couvert, leur rôle était trop important pour cela et personne ne voulait se mettre à dos les mages.
Ils finissaient leur ragoût, accompagné d'une bière qui fit encore grimacer Morgan, lorsque le secrétaire du bourgmestre entra dans l'auberge et se précipita vers eux. L'homme était essoufflé, il remonta ses bésicles.
– Un homme du seigneur d'Aubelointaine est arrivé, il s'entretient avec le bourgmestre et souhaiterait-vous voir, annonça-t-il.
– Bien, merci de nous avoir prévenus, remercia Iseult.
À côté d'elle, Morgan poussa un grognement mécontent. Cette visite ne semblait pas l'enchanter.
– Pourquoi sommes-nous obligés de travailler avec ces créatures ? fit-il avec dédain.
– Si tu laissais tes préjugés de côté, pour une fois, s'amusa sa partenaire.
– Je n'en aurais pas si je ne risquais pas de me faire dévorer.
– Rassure-toi, vu ta mauvaise humeur, tu dois être immangeable.
Il lui jeta un regard outré, Iseult afficha son plus beau sourire et se leva.
– Tu te moques de moi, grommela Morgan, vexé.
La jeune femme leva les yeux au ciel. À force de le côtoyer, elle avait appris qu'il ne fallait pas toujours prendre à cœur ce qu'il disait. Les vieilles familles nobles ne comptaient pas parmi les plus tolérantes et pour avoir entendu le père de Morgan parler elle savait que son fils était plus tolérant.
Le bourgmestre les attendait dans son bureau. Il paraissait nerveux et jouait avec une plume posée sur son bureau. Dos à eux se tenait un homme qui se tourna à leur approche, Iseult se força à dissimuler que son souffle se fût suspendu le temps d'une seconde. À chaque fois, elle oubliait la beauté inhumaine des vampires, cela la frappa d'autant plus quand les yeux de Nathaniel croisèrent les siens. Elle se détourna, la tension de Morgan près d'elle était palpable. Son animosité à l'égard des vampires n'était rien comparé à celle qu'il semblait ressentir pour celui-ci en particulier. Nathaniel se leva pour les saluer, Iseult avait l'impression qu'il ne cessait jamais de sourire, son visage était doux et avenant.
– Bonsoir, je suis arrivé aussi vite que j'ai pu. Caeriel m'a demandé d'examiner la bête, expliqua-t-il.
– Je ne savais pas que vous étiez soldat, grogna Morgan, ce qui lui valut un coup de coude dans les côtes.
– Judith est sa commandante, je ne suis là que pour inspecter les lieux et comprendre ce qui s'est passé.
– Nous allons te mener au cadavre, mais il commence à pourrir, expliqua Iseult.
– Parfait, nous le brûlerons dès que je l'aurais examiné.
– Nous attendons d'abord l'aval de notre commandant, fit Morgan avec une pointe d'agressivité.
Nathaniel plongea la main dans sa veste et en sortit une missive estampillée avec le sceau de l'Ordre.
– Je dois vous remettre ceci de la part de Beorn.
Il tendit le papier à Morgan qui le fixa avec dédain. Iseult soupira, lassée de ses enfantillages, et se saisit de la missive pour la lire, ses doigts effleurèrent ceux de Nathaniel. La froideur de sa peau la fit frissonner. Elle décacheta le message puis le parcourut, elle finit par la donner à Morgan qui cette fois l'accepta.
– Beorn nous dit de laisser cette affaire à Nathaniel, expliqua-t-elle.
Son partenaire avait déjà rangé la missive qu'il glissa dans la poche de sa veste. Iseult fut soulagée, car il y avait une autre partie au message qu'elle ne souhaitait pas dévoiler pour le moment, afin d'éviter tout incident diplomatique avec Morgan.
– Votre aide est la bienvenue, bien entendu, fit le vampire.
– Je crains qu'il n'y ait pas grand-chose à voir, dit Iseult. Nous n'avons rien trouvé d'autre que le loup.
Tout en discutant, ils se dirigèrent vers la pièce où était entreposée la carcasse de la bête. Ils allumèrent les torches et laissèrent le temps à Nathaniel d'examiner la dépouille. Il ne sembla pas surpris, il resta un instant à contempler les poils de l'animal. Il était concentré sur sa tâche, ses sourcils se froncèrent, puis il se redressa.
– J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, commença-t-il.
– Tu sais ce qui se passe ? demanda Iseult.
– En quelque sorte, la bonne nouvelle c'est qu'il s'agit certainement d'un acte isolé. Cela arrive de temps en temps qu'un vampire s'amuse à transformer des animaux, mais ceux-ci ne vivent jamais bien longtemps, car leurs corps ne sont pas faits pour supporter la transformation.
– Je suppose qu'il s'agit de la bonne nouvelle, hasarda Iseult.
– La mauvaise, c'est que nous ne pouvons pas identifier son créateur. Le loup est mort depuis trop longtemps, impossible de sentir l'odeur du vampire qui l'a transformé.
– Vous avez une odeur ? s'étonna la jeune femme.
– Vous ne pouvez pas le sentir, pas même pour ceux dont les sens sont les plus développés, expliqua Nathaniel. Chaque vampire à une marque, une odeur qui lui est propre et qu'il laisse sur celui qu'il a transformé. Cela nous permet aussi de savoir s'il appartient à une lignée puissante ou ancienne.
Iseult se rendait compte du manque flagrant d'informations dans les bestiaires. Ce qu'ils savaient des vampires se résumait aux techniques pour les traquer et les tuer, ainsi qu'aux modes de chasse de ces derniers. Derrière elle, Morgan se tenait en retrait, il paraissait décidé à ne pas prendre la parole.
– Donc, nous ne pouvons rien faire ? demanda-t-elle.
– Non, nous pourrons si nous voyons que ce genre d'incidents se répètent, mais je crains que pour le moment nous n'ayons rien de plus à faire.
– Alors, allons brûler cette dépouille. L'odeur me donne envie de vomir pour être honnête.
Nathaniel approuva. Il faudrait qu'ils s'enfoncent un peu plus profondément dans la forêt pour le brûler en toute sécurité, et empêcher les curieux de se mêler de cette affaire. Iseult n'eut le temps de rien que le vampire et le chasseur avait déjà saisi chacun un morceau de la carcasse. Morgan s'était tourné vers la partie la plus lourde, le corps. La jeune femme fut amusée par ce combat de coqs mené par son partenaire, Nathaniel semblait hermétique à cette provocation. Ils déposèrent les restes du loup sur un tas de feuilles mortes et de branchages. Iseult avait apporté la torche, à défaut d'être utile à autre chose, et elle enflamma la carcasse. Elle s'était mise à côté de Morgan et lui jeta un regard, ils étaient tous absorbés par la flambée qui avait lieu devant eux. En silence, ils attendirent que le loup soit entièrement calciné pour éteindre toutes les flammes, ainsi que les braises, et s'en aller. Sur le chemin, Nathaniel les avait distancés, et Iseult supposa qu'il avait compris ce qu'elle allait faire.
– Il y avait autre chose dans la missive, commença-t-elle.
– Comment ça ?
– Beorn me dit de retourner sur le domaine de Caeriel avec Nathaniel pour mon apprentissage.
– Il a dit que cela serait tous les mois, il profite juste que nous soyons là pour avancer la date.
Iseult se mordilla l'intérieur de la joue, c'était la suite qui n'allait pas plaire à Morgan.
– Il veut que j'y aille seule et que tu rentres à l'Académie, expliqua la jeune femme.
Son partenaire s'arrêta brusquement pour braquer son regard sur elle.
– C'est une blague ?
– Non, il dit que cela est mieux pour toi, car tu te sens mal à l'aise en leur présence, essaya-t-elle avec délicatesse.
– Je ne vais pas te laisser partir seule avec lui, c'est hors de question ! s'offusqua Morgan.
– Morgan, je n'ai rien à craindre, si Beorn a donné son accord c'est que tout va bien.
– Cela montre juste qu'il est aussi inconscient que toi ! s'énerva son partenaire.
Iseult poussa un profond soupir, consciente qu'il serait difficile de convaincre son meilleur ami de la laisser seule.
– Ne rend pas les choses compliquées, je t'en prie, tout ira bien je t'assure, fit-elle en posant une main sur son bras.
– Parfois je me demande si tu es stupide !
Sa gorge se serra. Lorsqu'il commençait à crier, elle voulait se faire toute petite pour pouvoir se cacher dans un trou et attendre que sa passe. Ses poings se serrèrent et sa mâchoire se contracta.
– Si je puis me permettre, intervint Nathaniel avec douceur, Iseult n'a rien à craindre avec nous. Tout s'est bien passé la dernière fois, il n'y a pas de raison que ça ne soit pas de nouveau le cas aujourd'hui.
D'un regard, Iseult le remercia. Sa douceur lui fit du bien et elle parvint à se détendre.
– Personne ne vous a demandé votre avis ! s'emporta Morgan. Vous n'êtes qu'un suceur de sang !
– Insulté tout le monde n'aide pas à avoir une discussion. Vous devriez juste écouter Iseult, cela serait un bon début.
La jeune femme sentait venir l'orage, les élans de colère de Morgan pouvaient être violents et soudains. Elle savait qu'il finirait par venir s'excuser et la prendre dans ses bras, mais pour l'heure elle se sentait coupable et cela lui faisait mal.
– Tu sais quoi ? Débrouille-toi toute seule, mais tu ne viendras pas te plaindre s'il t'arrive quoi que ce soit ! Je ne serais pas là pour t'aider cette fois !
D'un geste, elle tenta de le retenir, mais il la repoussa. Morgan se détourna d'eux sans cacher son mépris. Même si elle savait que ce n'était que passager, le regard qu'il lui lança et ses mots la blessèrent. Quand elle fut remise de ses émotions, qui se débattaient en elle comme un ouragan, elle leva les yeux vers Nathaniel.
– Je suis désolée, souffla-t-elle. Je vais aller m'entrainer un peu.
Ses mains la démangeaient et elle avait besoin d'utiliser ses armes. Il lui arrivait aussi d'aller prier, mais cette fois Iseult sentait qu'il fallait qu'elle se défoule. La chasseuse s'avança donc un peu plus dans la forêt, elle n'était qu'à quelques pas du village et elle ne resterait pas longtemps. La solitude était apaisante, elle n'avait pas à être assaillie par les émotions des autres. Une brise fraiche caressa son visage, Iseult ferma les yeux un instant pour savourer cet instant. Elle se défit de sa cape trop lourde et la laissa sur une branche. Dans sa main, elle prit son épieu, le manche s'allongea, elle contempla la lame, la lune s'y reflétait. Son premier coup se dirigea contre un arbre, le choc fit remonter un tremblement jusqu'à son épaule. Elle dégagea son arme pour mieux la reprendre en main et enchaina les coups contre l'écorce. Parfois, il était bon de se laisser aller à la colère qui bouillait dans ses veines, même si elle ne savait pas ce qui l'énervait tant. Les réactions de Morgan, le fait qu'il l'insulte dès qu'il n'était pas d'accord, ou encore qu'il prenne toutes les décisions à sa place. Face à lui, son envie de se battre et de répondre semblait disparaitre, dès qu'il ouvrait la bouche elle était démunie, sachant qu'elle n'allait pas avoir le dernier mot.
– Je crois que cet arbre est innocent, fit une voix à l'orée de la clairière.
Iseult se tourna vers Nathaniel qui se tenait à quelques pas d'elle. Son regard était bienveillant et elle se sentit honteuse de se montrer ainsi. Sans compter qu'elle était en sueur et en train de reprendre son souffle. Elle passa une manche sur son front.
– Je ne t'ai pas entendu, se justifia-t-elle.
– Je sais être discret, je suis un prédateur, répondit-il avec un clin d'œil.
– Et, tu viens chasser ?
– Chasser un chasseur ? Cela me paraît plutôt imprudent. Je venais voir comment tu allais.
Il s'était rapproché, Iseult était toujours étonnée de se sentir apaisée quand il était près d'elle. Sa colère semblait s'être dissipée, elle était plus sereine.
– J'ai l'habitude, Morgan s'emporte facilement. Il faut juste le laisser se calmer.
La guérisseuse haussa les épaules comme si cela n'était rien, mieux valait ne pas montrer que les mots de son partenaire la touchaient plus qu'ils auraient dû.
– Cela ne me regarde pas, mais il n'a pas à se comporter comme cela avec toi.
– Il était énervé, le défendit-elle.
– Ce n'est pas une raison. Il t'a insultée.
– Sa colère lui fait dire des choses qu'il ne pense pas.
Nathaniel le fixa comme s'il cherchait quelque chose, il approcha une main de son visage et repoussa une mèche de cheveux. Un frisson parcourut Iseult, il était glacé.
– Tu te préoccupes beaucoup de lui, mais est-ce qu'il se préoccupe de toi ?
– Bien sûr, sa famille s'est toujours occupée de moi, il... il...
Ses mots se perdirent sur le bout de ses lèvres. Morgan se souciait d'elle, il s'inquiétait pour son avenir, il organisait tout et voulait juste la protéger. Alors pourquoi avait-elle autant de mal à articuler quelques mots ? Un poids sembla s'écraser sur sa poitrine, ses mains se mirent à trembler. Iseult ne parvenait plus à assembler des pensées cohérentes, tout son corps était crispé. Les larmes roulaient sur ses joues sans qu'elle puisse les retenir. Toute en délicatesse, Nathaniel prit ses mains dans les siennes.
– Iseult, l'appela-t-il doucement, regarde-moi.
Ses grands yeux pourpres la fixaient, il n'y avait aucun jugement dans son regard. Le vampire pressa un peu plus ses doigts. Une douce chaleur remonta le long de ses bras, c'était apaisant. Les pouces de Nathaniel traçaient des cercles sur le dos de ses mains. Iseult reprit une longue inspiration afin de reprendre ses esprits. Quand sa respiration fut moins laborieuse, il l'attira contre lui pour la serrer dans ses bras. En confiance, la jeune femme se laissa aller à cette étreinte, elle glissa même ses bras autour de la taille du vampire. Même si son corps était froid, elle n'avait pas envie de rompre cet instant, elle s'y trouvait bien. Nathaniel ne la lâcha pas, à son grand soulagement.
– Se préoccuper d'une autre personne, commença-t-il avec douceur, c'est aussi prendre garde à ses sentiments, et ne pas la blesser, que l'on soit en colère ou non.
Elle le savait, Laurÿane le lui avait répété à plusieurs reprises. Son amie n'appréciait pas Morgan et la manière qu'il avait de s'adresser à elle. De son côté, elle excusait son comportement parce qu'elle le comprenait, bien qu'il soit cruel avec elle par moment. Il pouvait aussi se montrer doux et attentionné. Iseult se recula pour quitter l'étreinte de Nathaniel, il la laissa faire, elle n'eut même pas le temps de reprendre sa respiration qu'il lui tendait un mouchoir.
– Un vrai gentilhomme, souffla-t-elle amusé.
– J'ai plus l'habitude que l'on me traite de dandy, mais j'accepte le compliment.
En temps normal, elle aurait eu honte de s'être ainsi laissé aller devant une autre personne, mais Nathaniel ne lui faisait pas ressentir qu'elle aurait dû se retenir. Au contraire.
– Et si nous nous entrainions ? proposa-t-il.
– J'ai une arme qui contient du fer, je risque de te blesser.
– C'est mignon que tu penses pouvoir me blesser, quant à la morsure du fer, je l'ai toujours trouvé délicieuse. Selon qui l'infligeait, fit Nathaniel avec un sourire amusé.
– Qu'est-ce que ça signifie ?
– Nous ne sommes pas assez intimes pour que je t'en parle.
Les joues d'Iseult s'embrasèrent, elle n'était pas certaine de savoir ce que cela signifiait ni de vouloir le savoir. Pour toute réponse, elle empoigna son arme qu'elle avait laissée de côté.
– Tu as des règles à donner ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
– Aucune, mais un conseil, tu peux utiliser ta magie, sinon tu ne me verras pas venir.
– Comment...
Elle avait à peine battu des cils que Nathaniel avait disparu. Iseult scruta les alentours, il n'y avait que le murmure du vent dans les arbres et quelques bruits d'animaux. Elle se tourna avec vivacité lorsqu'une main se posa sur son épaule, derrière elle tout était toujours aussi calme et silencieux. Le vampire lui avait précisé d'utiliser sa magie, ses leçons lui revinrent en mémoire. Même s'il était mort, elle pouvait sentir l'énergie de son corps, il lui fallait un peu de concentration. Iseult inspira, sa magie lui donnait l'impression d'être un muscle qu'elle pouvait modeler afin de faire ce qu'elle désirait. Bientôt, elle put sentir la vie autour d'elle, c'était l'une des premières choses qu'ils apprenaient en tant que guérisseur. Cette fois cependant, il y avait autre chose, comme une ombre, une énergie qu'elle ne ressentait pas avant. Iseult sentit le mouvement de Nathaniel, elle se jeta en avant, son épieu bien tenu dans sa main. Elle n'effleura même pas le vampire.
– Au moins, tu m'as repéré, lui souffla-t-il à l'oreille.
Jusqu'à présent elle n'avait combattu qu'un seul vampire, et il venait de se transformer. Nathaniel avait plus de trois cents ans, il était rapide et agile. Si elle sentait sa présence, il était insaisissable. Iseult tenta plusieurs attaques, en vain, à chaque coup il esquivait, ce qui, en plus, le faisait rire. Il s'amusait avec elle tandis qu'elle ne parvenait pas à l'avoir. Elle détestait la frustration, Iseult réussissait toujours ce qu'elle entreprenait, quoi que cela soit. Elle ne perdait jamais.
À la dernière attaque, elle sentit le corps de Nathaniel derrière elle. La jeune femme allait se retourner, mais il empoigna son épieu. Ses mains se posèrent à côté des siennes et il la ramena contre lui. Son dos contre son torse, elle expira tout l'air de ses poumons.
– On dirait que j'ai gagné, s'amusa le vampire.
– Tu as dit que tu n'aimais pas te battre.
– C'est vrai, mais je n'ai pas dit que je ne savais pas.
Iseult essaya de le repousser sans y parvenir, les sourcils froncés.
– La chasseuse est prise au piège, susurra-t-il.
Ses lèvres étaient tout contre son oreille. Le cœur de la jeune femme se mit à battre plus fort dans sa poitrine. Ses joues s'embrasèrent.
– Lâche-moi, râla-t-elle.
– Ne me dit pas que tu es vexée ? rit-il.
– Je n'aime pas perdre, expliqua Iseult.
Cette déclaration sembla amusante, car le vampire explosa de rire. La jeune femme jeta un regard à ses mains.
– Tu n'as pas mal ? Il y a des filaments de fer dans le manche.
– Tu t'inquiètes pour moi ? ronronna-t-il.
– Bien sûr.
Nathaniel relâcha sa prise. Il lui montra ses mains, c'est à peine s'il y avait des traces. La jeune femme rangea son arme, elle était épuisée. Elle s'étira et bâilla, il était tard. Le vampire lui proposa de la raccompagner, ce qu'elle accepta avec plaisir. Ils ne parlèrent pas sur le chemin du retour, elle était trop perdue dans ses pensées. Il était agréable d'avoir une personne avec qui rester silencieuse, il ne l'obligea pas à parler.
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