Chapitre 1
Alignés dans la salle de repas, les jeunes mages attendaient avec impatience que l'on vienne les chercher pour la cérémonie qui confirmerait leur statut. Le brouhaha se répercutait sur les murs de pierre et tout n'était qu'une immense cacophonie. Ils avaient tous vingt ans et s'apprêtaient à franchir la dernière étape de leur formation. Du bout des doigts, Iseult caressa l'opale encore translucide autour de son cou. Dans quelques instants, elle confirmerait sa magie de la guerre, cela faisait six ans qu'elle s'entrainait pour cela. Comme les autres, son don principal devait être complété par un autre, il pourrait ensuite revêtir officiellement les couleurs de leur ordre. La main de Morgan saisit la sienne et ils échangèrent un regard, il était son partenaire depuis le début de leur apprentissage, ils pouvaient compter l'un sur l'autre.
La cloche de l'Académie se mit à retentir et les porte se refermèrent. Le haut prêtre entra, suivi par les Maitres de chaque branche de l'Académie. Le silence se fit, ils avaient tous les yeux rivés sur l'estrade. On les avait séparés selon leurs ordres : les chasseurs, les élémentaristes, les mages de l'esprit et les guérisseurs, la famille qu'ils s'étaient choisi à leur treize ans. Les mains du haut prêtre attirèrent leur attention afin qu'ils l'écoutent.
– Mes chers apprentis, vous allez aujourd'hui passer la dernière étape de votre formation. Nous allons vous tirer au sort, un par un, afin que vous passiez la cérémonie officielle qui confirmera votre rang de mage. Sachez que nous sommes fiers de vous, et heureux que vous rejoigniez nos rangs.
Les applaudissements emplirent la pièce. Les urnes avec leurs noms furent apportées et les maitres commencèrent à appeler les apprentis. Ils furent autorisés à s'asseoir, la cérémonie se déroulait entre un mage confirmé et l'apprentie. Il fallait donc attendre que chacun puisse passer, ce qui pouvait prendre toute la journée. Les maitres quittèrent la pièce et les discussions allèrent bon train tandis qu'on les appelait un par un. Iseult discutait avec les autres apprentis chasseurs. Quand ils seraient confirmés, ils obtiendraient leur affectation, ils étaient la seule ordre à fonctionner en binôme. La chasse était une activité dangereuse, les créatures étaient bien souvent plus fortes qu'eux, même avec leurs dons. Les partenaires devaient avoir confiance l'un en l'autre, ils se protégeaient et passaient leur temps ensemble. Leurs six années d'apprentissage leur apprenaient à se connaitre et à s'apprivoiser. Cela ne fonctionnait pas toujours, mais Iseult était heureuse d'avoir Morgan, ils étaient assez proches pour tout se confier. Même lorsqu'ils passaient la saison chaude chez les parents de ce dernier, ils se retrouvaient à dormir ensemble. Ils avaient pris l'habitude de partager un lit, ainsi que leur vie et il leur était difficile de vivre l'un sans l'autre. Cette alchimie arrivait à la plupart des chasseurs, lorsqu'ils avaient le bon binôme.
L'excitation commença à s'étioler dans la salle pour laisser place à la fatigue et à l'impatience. Iseult regarda ses camarades quitter la pièce, petit à petit, ils ne furent bientôt plus qu'une poignée. Le soleil déclinait et Morgan était déjà passé depuis plusieurs heures. Ils avaient interdiction de se retrouver avant la fin de la cérémonie, la jeune femme commença à faire tourner l'une de ses dagues sur la table. Une élémentariste de l'air s'approcha d'elle, Diana s'assit à ses côtés, il n'y avait plus qu'elle deux dans la salle.
– Crois-tu que cela puisse rater ? demanda-t-elle d'une voix timide.
– Cela est arrivé, mais c'est rare, tu n'as pas à t'en faire, la rassura Iseult.
La jeune fille triturait les bords de sa robe grise de cérémonie, le symbole de son ordre y était brodé sur sa poitrine.
– Tu n'as jamais peur ? continua Diana.
– Si, bien sûr, mais cette cérémonie est plus un rite de passage, nous n'avons pas à nous en faire. Nous fêterons bientôt tout ça avec les autres.
Sa camarade poussa un profond soupir. Iseult n'était pas inquiète, on leur avait expliqué mainte fois le déroulé de la cérémonie. Cela échouait rarement et ce n'était pas arrivé depuis dix ans. Il s'agissait plus d'une formalité pour eux.
– Tu as raison, je ne devrais pas m'inquiéter pour ça, c'est juste que j'ai si peur de décevoir ma famille, soupira Diana.
Iseult esquissa un sourire. C'était un sentiment qu'elle ne pouvait pas comprendre puisqu'elle n'avait personne à décevoir. Diana quant à elle venait d'une famille noble, ils misaient sur ce que la jeune fille pourrait leur apporter une fois qu'elle serait un mage accompli. C'était un privilège de naître avec des dons, leur devoir était de servir et de protéger la couronne. C'est ainsi que fonctionnait leur Ildryläne, leur royaume, quatre mages formaient un conseil qui guidait le souverain dans ses décisions. Lorsque l'on était une orpheline, comme elle, pouvoir entrer à l'Académie était une bénédiction. Chaque jour elle remerciait les Dieux pour le don qu'ils lui avaient fait, et elle n'oubliait jamais de les honorer.
Diana fut appelée et Iseult se retrouva seule. Elle contempla les murs puis s'allongea sur le banc, elle n'avait jamais été doté d'une grande patience. Alors quand elle y était contrainte, elle tournait vite en rond. Son corps tout entier voulait bouger, elle passait de la position assise, à ses deux jambes en espérant que l'on mettrait fin à cette attente interminable. La nuit était tombée, la lumière des torches était la seule chose qui l'accompagnait. Quand la porte s'ouvrit, Iseult se planta sur ses deux jambes, le dos droit. Beorn, le commandant des chasseurs, esquissa un sourire et lui fit signe.
– C'est à ton tour Iseult, annonça-t-il.
Avec un hochement de tête, elle ne se fit pas prier pour le suivre. Il la conduisit jusqu'à une porte close et posa une main sur son épaule.
– Lorsque tu sortiras, tu seras une chasseuse, et l'une des meilleures j'en suis certain, affirma-t-il.
Iseult échangea un regard avec son commandant. Elle était la seule guérisseuse à avoir décidé de devenir chasseuse. Le haut prêtre, ainsi que Beorn, avaient hésité avant de lui accorder ce privilège. Il fallait passer un test pour parvenir à entrer dans l'ordre et elle l'avait réussi, malgré son manque de force, sa détermination avait convaincu les mages. Iseult avait donc choisi de compléter sa magie de guérisseuse avec celle de la guerre. Ces six dernières années elle s'était entrainée à la maitriser, à aiguiser ses sens et à développer sa force. Elle allait enfin pouvoir canaliser cette magie et la porter avec fierté autour du cou.
La porte s'ouvrit pour la laisser entrer dans une pièce circulaire dépouillée de tous ornements. Un mage l'attendait, des runes avaient été tracées sur le sol, elles représentaient les différents points cardinaux énergétiques. Iseult regarda l'homme et le salua sans dire un mot. Elle qui n'avait pas eu peur jusqu'à présent sentait ses mains devenir moites. Son cœur cognait contre sa poitrine et elle devait se répéter que ce n'était rien et qu'elle pouvait le faire. L'atmosphère était pesante, Iseult ne reconnaissait pas le mage qui devait confirmer sa pierre, s'il venait d'Ildryle, la capitale, elle n'avait pas dû le croiser lors de ses visites.
– Installe toi, lui dit-il en désignant le milieu du cercle de runes.
Obéissante, la jeune femme prit place, à genoux au centre des runes. Il faisait chaud dans la pièce étroite et elle sentait la sueur coller sa chemise à son dos. Iseult plaça ses mains sur ses genoux tandis que le mage faisait brûler de l'encens.
– La magie de la guerre, c'est bien cela ? demanda-t-il en s'installant face à elle.
– Oui.
Il commença à réciter une prière pour Myrwïn, le dieu de la guerre. Iseult ferma les yeux, ses paumes vers le ciel, elle adressait sa propre prière aux Dieux. Leur présence la réconfortait. Le mage s'approcha d'elle, son doigt froid se posa sur son front, il y dessina une rune.
– Promets-tu d'utiliser ton don afin d'honorer les Dieux et de protéger ton peuple ?
– Je le promet, souffla-t-elle.
– Donne moi ta main.
Iseult obéit, le mage sortit un poignard rituel de sa ceinture. La lame était courbe, et le manche finement ouvragé de runes et d'arabesques. La morsure de l'acier la fit sursauter. Elle n'était pas au courant qu'elle devait faire une telle chose, Beorn ne leur avait peut-être pas tout dit pour ne pas les effrayer plus que certains ne l'étaient. Le mage lui fit presser sa main au-dessus d'un bol en étain. Les gouttes de sang coulèrent dans le récipient, Iseult saisi ensuite le mouchoir qu'on lui tendait pour le presser contre sa paume. Ses mains tremblaient légèrement sous le coup de l'émotion. Elle suivit les directives du mage qui lui indiqua de canaliser sa magie. La jeune femme déploya les sens qu'elle avait appris à développer. Chaque son de la pièce lui parvenait, du battement de cœur du mage à sa respiration rapide, l'odeur d'encens agressa ses narines et elle ferma les yeux pour en pas être aveuglée. Dans sa main, le mouchoir lui sembla rêche, elle sentait le picotement de sa peau et la douleur de sa blessure. Ses sens aiguisés n'étaient pas naturels, il lui avait fallu du temps pour les parfaire et les travailler. Une fois que la magie aurait imprégner son opale, les efforts à faire seraient moins fatiguant pour son corps.
Face à elle, le mage commença à psalmodier dans une langue qu'elle ne connaissait pas. Iseult maitrisait la première langue, à laquelle on attribuait les langues, mais il en existait beaucoup d'autres qu'il était difficile de dater. La plupart des mages n'en apprenait qu'une seule, les runes permettaient de canaliser une énergie dans un but précis, mais elles étaient rarement aussi puissantes que le don d'un mage. Iseult inspira pour se concentrer, elle rouvrit les yeux tandis que le mage s'était arrêté de parler. L'air autour d'eux était devenu plus froid, l'apprentie frissonna et eut un sursaut, le contraste avec la chaleur du début la surprit. L'homme leva la dague rituelle au-dessus d'eux, Iseult ouvrit la bouche avec effroi avant de se rendre compte que son corps ne lui obéissait plus. Il fit glisser la lame sous sa gorge et la trancha d'un coup net. Le sang éclaboussa le visage de l'apprentie qui hurla de surprise et de peur. Contre sa poitrine, l'opale se mit à osciller et à se réchauffer, la pièce était à présent glacée et les ombres dansaient sur les murs. Iseult se jeta sur la porte, elle s'acharna sur la poignée mais cette dernière ne bougea pas. De toute ses forces, l'apprentie frappa contre le bois, elle cria à s'en user les cordes vocales. Les larmes roulaient le long de ses joues, elle voulait sortir de là.
Des volutes noires s'enroulèrent autour de ses poignets, elle recula d'un pas en agitant les bras pour les faire partir. Les ombres se firent plus grosses et l'apprentie se retrouva projetée au sol. Son dos heurta la pierre au milieu du cercle de runes. Elle retint sa respiration, les veines du cadavre près d'elle étaient noirs, tout comme ses yeux et le pourtour de ses lèvres. La peur la faisait claquer des dents, Iseult porta une main à sa bouche en sanglotant. La forme d'ombres siffla dans une langue inconnue avant de se jeter sur elle. La jeune femme ferma les paupières, la respiration haletante. L'opale brula contre sa poitrine. Elle hurla en s'arcboutant sur le sol, son cœur allait imploser, l'air qu'elle inspirait était si glacé qu'il brulait ses poumons. Tous ses muscles étaient tendus et plus aucun son ne passait ses lèvres. Elle rejeta la tête en arrière. La douleur écartelait son corps. Ses os donnaient lui donnait l'impression d'être brisés par un étau qui enserrait chaque partie d'elle. Iseult se recroquevilla dans son cercle, des cris lui vrillèrent les oreilles, des supplications venues d'elle ne savait où. Elle plaqua ses mains contre ses oreilles.
Le temps s'écoula, les minutes semblèrent durer des heures. La souffrance se dissipa laissant une trace douloureuse dans son corps. Lorsque la porte s'ouvrit à la volée elle n'eut même pas le courage de lever les yeux. Des mains empoignèrent ses épaules et elle commença à se débattre, elle ne voulait pas qu'on lui fasse de nouveau du mal. Ses yeux rencontrèrent ceux de son commandant, et Iseult eut honte de ses larmes et de sa faiblesse. Beorn passa une main sur son front. La jeune fille regarda les autres maitres qui s'étaient avancé. Puis, ses yeux tombèrent sur le cadavre et l'apprentie s'agrippa aux mains de son commandant.
– Je n'ai rien fait ! Il s'est tranché la gorge ! Je ne savais pas ! Je vous jure ! Je... je... essaya-t-elle d'expliquer tandis que les sanglots étouffaient sa gorge.
– Calme toi Iseult, c'est terminé. Nous savons que tu n'y es pour rien, la rassura Beorn de sa voix bourrue.
La maitresse guérisseuse s'approcha d'elle, son touché était plus doux que celui du chasseur. Sa main pressait son épaule de manière à l'apaiser et à la détendre pendant qu'elle l'examinait. Elle regarda ses doigts, son front, ses paumes et son cou.
– Alors Zélie ? demanda Beorn qui s'était penché vers le cadavre.
– Elle est en état de choc, je ne vois aucune blessure grave, mais, vous devriez venir voir ça.
Les yeux d'Iseult papillonnèrent, tous les maitres étaient penchés sur elle, elle sentait presque l'haleine du haut prêtre tant il était près de son visage. L'homme se mit à blêmir tandis que les autres échangeaient des regards sans la lâcher des yeux.
– C'est impossible, marmonna Laurÿa la maitresse des élémentaires du feu.
– Il faut la ramener dans sa chambre, intervint Zélie.
– Nous devons l'interroger, s'interposa Agnör le maitre de l'esprit.
Ils continuèrent à parler et à donner leur point de vue. Les larmes d'Iseult redoublèrent, son corps lui faisait mal, sa tête aussi, elle n'arrivait même plus à penser ou à écouter. Sa main pressa sa tempe gauche dans l'espoir d'apaiser sa migraine.
– Ça suffit ! lança le haut prêtre de sa voix ferme et autoritaire. Elle n'est pas en état de répondre à nos questions, Zélie va la ramener à sa chambre. Apaisez son mal, et faite la dormir s'il le faut, nous lui parlerons lorsqu'elle ira mieux.
D'autres ordres furent donner, mais Iseult n'écoutait plus. Ils l'aidèrent à se relever. Ses jambes lui donnaient l'impression d'être un nid d'épingles que l'on enfonçait dans sa chaire à chaque pas. L'apprentie grinça des dents, elle s'appuya sur la guérisseuse, Agnör les accompagna. Iseult pensait retourner au dortoir des apprentis chasseurs, mais ils l'accompagnèrent jusqu'à une aile privée, réservée aux maitres. Son regard balaya le long couloir, les immenses fenêtres donnaient sur les jardins luxuriants entretenu par leur magie. Ses mâchoires claquèrent tandis qu'on l'installait dans le lit. Zélie l'enroula dans une couverture et Agnör apporta une bassine d'eau tiède. Ils entreprirent de nettoyer son visage, les mains d'Iseult s'agitait, le sang sur son visage changeait l'eau clair en un bouillon rougeâtre. Elle avait déjà vu pire, mais tuer une créature ce n'était pas voir un homme mourir. La guérisseuse la força à s'allonger, ses doigts pressèrent son front et ses tempes. C'était une sensation chaude et rassurante, les mains de la femme commencèrent à palper son corps. La douleur se fit moins vive. Les larmes cessèrent de rouler sur les joues d'Iseult. Elle avait soudain sommeil. Ses paupières devinrent lourdes, quelques instants elle lutta contre son envie de dormir mais celle se fit plus forte. La jeune fille s'en voulu, mais elle finit par tomber dans un sommeil calme et sans rêves. C'était comme si tout cela ne s'était jamais produit.
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