L'Ombre

"Cher journal,

La mort est-elle une fin en soi ? Serais-je libre une fois que mon esprit aura quitté mon corps ? Ressentirais-je encore la douleur ? Les verrais-je encore dans mes rêves ? Rêverais-je encore ? Ou bien, est-ce que je retournerais simplement en poussière ? La vie est-elle dénuée de sens, ou est-elle seulement le début d'une souffrance éternelle ? On parle des enfers, j'ai pourtant l'impression d'y vivre. Faites que tout s'arrête, par pitié."

Une nouvelle maison, un nouveau départ. Lucas n'avait pas particulièrement envie de quitter ses amis, sa vie d'avant, mais il fallait bien qu'il continue à suivre ses parents. Malheureusement pour lui, la majorité n'était pas encore arrivée et il ne pouvait rester dans son ancienne ville.

Son père, un banquier, ancien banquier, avait tout perdu. Il avait fallu qu'ils repartent à zéro ailleurs, là où il ne serait pas suivi par la défaite, par l'amer goût de l'échec. Sa mère, professeur des écoles, avait tenu quelques mois, mais en voyant qu'il n'arrivait pas à repartir avait décidé de le pousser à repartir de zéro.

Leur nouvelle maison n'était pas bien grande. Pourtant, Lucas se sentait un peu perdu à l'intérieur. Il avait perdu tous ses repères, mais il avait l'impression que quelque chose d'autre rendait cette maison lugubre. Ses parents lui avaient dit qu'il se faisait des films et qu'une fois qu'il serait plus habitué, il s'y sentirait comme chez lui.

Mais il y avait autre chose, cette page de journal qu'il avait retrouvée. Il avait eu un peu de mal à lire, le papier semblait vieux et l'écriture était petite. Elle s'effaçait même par endroit. Mais il avait réussi à déchiffrer ce qui y était écrit. Ça ne lui parlait pas, mais une chose était sûre, ça l'intriguait. Qui avait bien pu écrire ça ? Pourquoi ? Que lui était-il arrivé ? Était-ce lié à la maison ? A cette impression bizarre qui s'en dégageait ?

Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'ils s'étaient installés et la sensation ne partait pas. Lucas avait même du mal à dormir. Comment pouvait-il dormir lorsqu'il avait l'impression de voir les ombres bouger autour de lui ? D'être observé dans son sommeil ? Il ne se sentait pas en sécurité chez lui, encore moins la nuit. Cependant, la fatigue commençait à se faire sentir.

Cette nuit-là, le sommeil l'avait cueilli très tôt et pour une fois, il avait l'impression de bien dormir. Rien n'était venu le déranger dans son sommeil. Ou presque rien. C'est à 2h53, que Lucas se réveilla en sursaut, avec la forte impression d'être observer. La porte de sa chambre était fermée, mais la lumière du couloir était allumée et il pouvait voir une ombre se dessiner sous le pas de sa porte. Un long frisson le parcouru. Il voulait savoir qui était de l'autre côté de la porte, mais il se sentait tétanisé. La peur l'empêchait de bouger. S'était sûrement son père ou sa mère qui s'était levé et vérifiait qu'il dormait bien. N'est-ce pas ?

L'ombre finit par faire demi-tour, après un long moment de silence. Cependant, le jeune homme ne retrouva pas le sommeil de la nuit. Comment aurait-il pu se rendormir après ça? Quelqu'un, ou quelque chose, avait attendu pendant de longues minutes devant la porte de sa chambre. Lui qui se sentait déjà mal à l'aise ne pouvait que se sentir un peu plus effrayé.

Le lendemain, Lucas essaya d'en savoir plus, mais ses parents ne se rappelait pas avoir passé un moment devant sa chambre. Ils s'étaient levés pour aller aux toilettes, certes, mais restaient persuadés que leur fils avait juste fait un mauvais rêve. Après tout, il se faisait pas mal de films sur la maison, son cerveau avait très bien pu vouloir retranscrire ses idées délirantes dans ses rêves.

Le début de la nuit suivante fut similaire. Le jeune homme tomba de sommeil dans son lit. Il était épuisé par sa courte nuit et le peu de repos qu'il avait eu ces dernières semaines. Cependant, à 2h53, Lucas se réveilla en sursaut, avec l'horrible impression d'être observer. La porte de sa chambre était ouverte et la lumière du couloir éclairait partiellement sa chambre. Partiellement, car, dans l'encadrement de sa porte se trouvait une forme humanoïde, totalement dans l'ombre, la lumière arrivant dans son dos.

Le jeune homme aurait voulu se redresser, crier, s'enfuir, se défendre, n'importe quoi, mais il n'arrivait pas à bouger et aucun son ne sortait de sa bouche, si ce n'était le bruit de sa respiration saccadée. Le temps sembla passer au ralenti et rien ne se passa pendant de longue minute. Il ne pouvait discerner les yeux de l'ombre mais il savait qu'elle l'observait intensément.

Incapable de reprendre son souffle, Lucas resta là à contemplé la chose qui se tenait devant lui, jusqu'à ce que sa tête commence à tourner. C'est à ce moment qu'il ferma les yeux, fortement, comme si cela pouvait l'aider à reprendre une respiration plus normale, plus profonde. Et il y arriva, mais quand il rouvrit les yeux, la porte de sa chambre était fermée et il ne restait plus la moindre trace de l'ombre. Ce n'est pourtant pas ça qui aurait permis au garçon de refermer l'œil. Et le reste de la nuit passa lentement, ne laissant rien de reposant derrière elle.

Persuadé que ses parents ne prendraient ça que pour un mauvais rêve cette fois encore, le jeune homme choisit de ne pas en parler. A la place, il passa une grande partie de la journée à préparer de quoi filmer cette nuit, au cas où la chose reviendrait. Il fallait qu'il est une preuve s'il voulait qu'on ne le prenne pas pour un fou.

Et comme les nuits précédentes, la fatigue le tiraillant, il avait sombré dans le sommeil rapidement, mais pas sans avoir branché sa caméra, prête à l'emploie, espérant que la carte mémoire soit suffisante pour enregistrer toute la nuit. Et comme les nuits précédentes, il se réveilla en sursaut, toujours à la même heure.

De nouveau, la porte de sa chambre était ouverte et la lumière du couloir l'éblouissait. Il osa à peine lever les yeux vers sa porte, sachant pertinemment qu'il risquait de nouveau de voir l'ombre. Mais cette fois, son regard la rencontra plus vite qu'il ne le pensait. Elle se tenait là, debout au pied de son lit.

Un long frisson parcourut le jeune homme. Même aussi proche, il n'arrivait pas à distinguer quoi que ce soit de l'ombre. Elle avait forme humaine, semblait faire à peu près sa taille, mais à part ça, rien n'allait. Il ne distinguait pas son visage, comme si elle n'en avait pas. Ses membres semblaient s'étendre de manière étrange, comme s'il la voyait à travers un miroir déformant. Ses doigts étaient longs, bien trop longs. Même sa posture lui semblait étrange, trop droite, trop statique, rien ne bougeait, même pas d'un millimètre, loin de ressembler à un être vivant lambda.

La peur serrait la gorge du garçon, l'empêchant de respirer correctement. A nouveau, le temps passa, laissant Lucas se sentir de plus en plus mal, jusqu'à ce que son corps semble ne plus le supporter et qu'il finisse par fermer les yeux pour calmer la nausée qui le prenait à la gorge. Et comme précédement, lorsqu'il rouvrit les yeux, il était de nouveau seul, dans le noir.

Le lendemain, il était encore submergé par la fatigue lancinante d'une nuit sans repos, mais l'espoir de pouvoir prouver à ses parents qu'il n'avait pas rêvé et que quelque chose venait l'empêcher de dormir lui redonnait de l'énergie. Cependant, lorsqu'il regarda l'enregistrement de la nuit, ce dernier se coupait juste avant l'heure fatidique. Pour être exact, il ne lui manquait qu'une petite minute pour prouver que quelque chose lui rendait visite la nuit.

Il ne savait plus quoi faire, allait-il devoir subir ça toute les nuits, jusqu'à ce que son corps le lâche suite à la fatigue ? Ou pire ? Que lui voulait cette chose ? Et puis, une idée lui traversa l'esprit. Et si, et si il trouvait la réponse dans ce journal. Après tout, il avait trouvé une page et elle semblait demander à ce que quelque chose s'arrête. Peut-être que quelqu'un avait déjà vécu la même chose que lui. Ou peut-être qu'il regardait trop de films d'horreur et qu'il cherchait une logique là où il n'y en avait pas. Dans tous les cas, il n'avait rien à perdre, n'est-ce pas ?

"Cher journal,

Pourquoi personne ne remarque rien ? Suis-je soudainement devenue transparente ? N'y a-t-il pas au moins une personne pour qui je compte ? Qui pourrait le remarquer, s'inquiéter ? Le plus douloureux n'est pas physique, c'est de se sentir comme un fantôme."

Une semaine était passée. Chaque nuit se passait exactement comme la précédente. Lucas avait retourné toute la maison à la recherche de ce qui pourrait être un journal. Finalement, tout ce qu'il avait pu trouver était une vieille feuille à moitié vide, griffonnée à la hâte probablement.

Encore une fois, le journal ne faisait pas mention de la créature à laquelle il devait faire face, cependant, il se sentait de plus en plus proche de l'écrivaine. Il l'imaginait d'à peu près son âge, vivant à peu près la même chose que lui et ne le supportant plus. Il ne le supportait déjà plus non plus. Ne pas pouvoir dormir, passer ses journées à somnoler et quand enfin il tombait de sommeil, se réveiller en étant observer par cette chose. Dieu seul savait ce qu'elle pourrait lui faire.

La nuit suivante fut différente. Comme à son habitude, le jeune homme tomba de fatigue au début de la nuit et se réveilla en plein milieu. Il paniquait toujours lorsqu'il voyait cette chose au pied de son lit, éclairé en contre jour par la lumière du couloir. Mais cette nuit-là, la chose bougea pour la première fois. Elle s'approcha lentement de son lit, d'une démarche chancelante, comme si ses jambes avait du mal à soutenir son poids. Elle finit par s'asseoir à ses côtés, passant doucement le bout de ses doigts sur ses bras.

Le garçon ne pouvait toujours pas bouger, il avait du mal à respirer et sa respiration se hacha un peu plus lorsque la douleur remonta le long de ses bras. Il y jeta un coup d'œil anxieux pour voir de longues traces rougeâtres se dessiner sur ses avants-bras. Et malgré les larmes qui commençaient à perler à ses yeux, une idée lui traversa l'esprit. Au moins, il avait une preuve matérielle de ce qui se passait depuis maintenant trop longtemps chaque nuit. Ses parents ne pourraient décemment plus parler de cauchemar.

Une fois de longue marque tracées sur le bras du jeune homme, l'ombre resta là, assise à l'observer. Lui aussi l'observait, il ne pouvait de toute façon rien faire d'autre. Le reste de la nuit se passa habituellement. De longues, très longues minutes d'observation, un vertige causé par l'hyperventilation et la disparition de l'ombre.

Le lendemain, Lucas se leva, optant pour un t-shirt, choisissant de mettre ses bras en évidence, cherchant une réaction chez ses parents. Il s'attendait à ce qu'ils lui demandent ce qu'il s'était fait et qu'il puisse leur expliquer. Cependant, le début de la journée se passa comme si de rien n'était, comme si ses parents ne remarquaient rien. Il avait même essayé d'attirer leur attention, mais rien n'y faisait.

Alors, fatigué de ce petit jeu, énervé de ce manque d'intérêt, Lucas avait choisi de sortir. Prendre l'air lui ferait du bien. Il avait besoin de faire un tour, de toute manière, il étouffait dans cette maison.

Le bus passa quelques minutes après son arrivée à l'arrêt et il s'installa confortablement, choisissant encore sa destination. Il observa les gens monter et descendre le temps de quelques arrêts. Il fut coupé dans son observation lorsque quelqu'un s'assit à côté de lui. Il y avait pourtant de la place, mais non. Son regard se porta sur son nouveau voisin de bus et sa respiration se coupa violemment, presque comme s'il avait reçu un coup de poing dans l'estomac. Assis à ses côtés, l'ombre de ses nuits.

Il ne put que laisser échapper un glapissement étouffé. Il réussit tant bien que mal à reprendre son souffle, jaugeant ses chances d'échappatoire. Il n'y en avait pas. Et même sans ça, il avait de nouveau l'impression de ne plus pouvoir bouger. Cette chose lui faisait quelque chose, mais quoi ? Alors il jeta un regard désespéré aux autres passagers. Personne ne semblait faire attention à lui. Comme si, à partir du moment où l'ombre était apparue, il avait cessé d'exister. Leurs regards passaient presque à travers lui, mais aucune aide ne vint.

Alors pour chasser la chose, il ferma les yeux le plus fort et le plus longtemps possible. Jusqu'à ce que le bus arrive à son terminus, jusqu'à ce qu'il fasse demi-tour, jusqu'à ce qu'il arrive de nouveau chez lui. Lorsque ses yeux se rouvrirent, il se rendit compte qu'il s'était aussi bouché les oreilles, se prostrant dans son siège. Chose qui n'avait pourtant pas semblé inquiéter qui que ce soit. Cependant, la chose était bel et bien partie.

Il descendit du bus et courut se réfugier dans son lit, refusant de sortir de sous sa couette, jusqu'à l'heure du dîner. Et évidemment, la nuit suivante se répéta, exactement comme la précédente, laissant de nouvelles marques sur ses bras. Et les journées s'enchainent, avec de plus en plus d'apparitions de l'ombre.

Sa vie était devenue insupportable. Il ne dormait presque plus et même en pleine journée, il n'était plus tranquille. Il avait l'impression d'étouffer à longueur de journée, en plus de la fatigue qui le tiraillait constamment. Il passait le plus clair de son temps dans son lit à somnoler en espérant que la chose ne revienne pas. Et à chaque fois, elle revenait.

"Cher journal,

La vie m'est insupportable. Je ne vois plus de sens à vivre. Je ne vois plus de raison de continuer. Je n'ai qu'une seule chose à dire. STOP STOP STOP STOP STOP. J'en ai ma claque, je n'en peux plus. Ce soir, tout sera fini."

Peut-être que si Lucas avait vu cette dernière page de journal, il aurait été on ne peut plus d'accord. Ou peut-être aurait-il cherché un moyen de ne pas finir de la même manière. Cependant, il ne la vit jamais, parce qu'il avait cessé de chercher. Et cette nuit-là, les choses furent différentes.

Il s'endormit, se réveilla, l'ombre de nouveau à ses côtés. Elle s'approcha de nouveau et dessina encore une fois de longues entailles sur ses bras. Plus profonde cette fois, laissant le sang couler en douceur sur ses bras. Et pourtant, Lucas était calme ce soir-là. La douleur le tiraillait, mais il n'hyperventilait pas. Il ferma même les yeux, comme cherchant à nouveau le sommeil. Peut-être que s'il l'ignorait, elle partirait.

Il sentit alors un poids sur son estomac, mais ne rouvrit pas les yeux. Il sentit ensuite quelque chose de froid venir doucement enserrer sa gorge, mais il ne rouvrit pas les yeux. On força de plus en plus sur sa gorge, coupant doucement son souffle, mais il ne rouvrit pas les yeux. C'était le seul moyen de la faire partir. Alors quand son corps commença, pour la première fois, à se débattre pour chercher de l'air, il ne rouvrit pas les yeux.

Le lendemain matin, Lucas fut retrouvé pendu dans sa chambre, de longues entailles sanglantes sur ses bras. Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas ignorer.

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