1. REPOS FORCÉ (Partie X)

Une dizaine de minutes plus tard, nous nous étions installés dans le salon — nous avions décidé de mettre les choses à plat. J'avais rapidement préparé une sorte de plateau-repas avec quelques sandwichs coupés en triangle, des biscuits salés et une bouteille de soda. Je savais que ni Nate ni moi ne serions capables de toucher à cette nourriture, mais peut-être que Dane aurait faim quand il rentrerait. Mon père s'inquiéta d'ailleurs de ne pas le voir revenir.

— Tu sais où est ton frère ? me demanda-t-il, alors que je posais le plateau sur la table basse.

— Je n'en ai aucune idée, avouai-je à regret. Je vais essayer de le joindre.

Ramassant mon portable sur la table de la cuisine, j'enfilai le premier blouson qui me tomba sous la main et sortis sur le perron. Une fois à l'extérieur, je frissonnai. Le manteau dégageait une odeur de fumée et je réalisai que j'avais emprunté celui de mon père. Je ne pus m'empêcher de souligner l'ironie de la situation.

Nate avait sauvé nombre de vies et personne, aujourd'hui, n'était capable de sauver la sienne. Je caressai machinalement l'emblème cousu sur l'épaule du blouson épais, symbole de ce qui l'avait toujours rendu si fier, son métier de pompier. Mon père avait intégré la brigade de Great Falls, dix-neuf ans plus tôt. Il avait rapidement choisi de travailler à Cold Host et faire une demi-heure de route pour se rendre à son travail ne l'avait jamais dérangé.

C'était dans cette bourgade égarée entre Great Falls et une ville fantôme du nom de Silver Night qu'il avait rencontré ma mère, alors que sa brigade avait été appelée pour un incendie dans une épicerie du centre. Il avait alors immédiatement demandé sa mutation.

Songer à Nidy me fit monter les larmes aux yeux. Je chassai donc ces pensées de mon esprit et me concentrai sur ce que je devais faire. Je cherchai le numéro pré-enregistré de mon frère et attendis qu'il décroche. Je tombai sur son répondeur et c'est agacée que je lui laissai un message.

— Dane, c'est Leave. Rappelle-moi, s'il te plaît, ou rentre à la maison. Il faut qu'on parle, c'est important.

Après quoi je raccrochai et décidai de tenter ma chance auprès de Lage. Elle me répondit aussitôt.

— Leave ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— Lage, excuse-moi de te déranger, mais... tu n'aurais pas vu mon frère ?

— Non, pourquoi ? Il y a un problème ?

— Oui... non... enfin... il faut que je le voie. Ce n'est pas grave, excuse-moi encore de t'avoir dérangée.

— Attends, m'interrompit-elle. C'est à moi de m'excuser pour être partie comme une voleuse, tout à l'heure. Je ne sais pas, j'ai senti que quelque chose n'allait pas. Alors, j'ai préféré m'éclipser. Tu ne m'en veux pas ?

— Bien sûr que non, la rassurai-je. Au contraire...

— Tu veux dire que j'ai vu juste ?

— Oui, je te raconterai. À plus tard.

— C'est ça, à plus.

Ma conversation à peine terminée, oncle Sam apparut dans mon champ de vision. Il avançait dans ma direction, une main tendue, l'autre dans la poche de son costume.

— Ne t'enfuis pas, me supplia-t-il.

Je lui jetai un regard assassin et disparus à l'intérieur de la maison, en prenant soin de lui claquer la porte au nez. Je regagnai ensuite le salon où mon père me dévisageait d'un air interrogateur.

— Alors ?

— Désolée, il ne répond pas. Je lui ai laissé un message, on verra bien.

Je m'installai à ses côtés dans le canapé et adoptai une position bien raide au moment où oncle Sam pénétra dans la pièce.

— Sam ? s'interloqua mon père. Tu es trempé !

— Ça ne fait rien, ça m'éclaircit les idées.

— Ça tombe bien que tu sois encore là, enchaîna Nate. J'ai l'intention de tout mettre au clair avec les enfants, alors je me suis dit que tu pourrais rester avec moi.

— Je n'y vois pas d'inconvénient. Mais si tu permets, je vais d'abord monter me sécher et changer de vêtements. Je vous rejoins dans quelques minutes.

Il s'éclipsa rapidement, sans m'accorder le moindre regard et grimpa les escaliers jusqu'au premier où se trouvait la chambre d'ami. J'attendis sa disparition totale pour me détendre.

— Si tu as des questions, lâcha tout à coup mon père, profites-en.

— Eh bien, j'en ai tellement que je ne sais pas trop par où commencer, répliquai-je en m'emparant d'un cracker et en ramenant mes genoux contre moi.

Je n'avais pas la plus petite envie de manger, mais je me sentais le besoin de m'occuper les mains et de me donner une contenance. Une seule idée me trottait dans la tête, pleurer et taper du poing sur la table. Mais j'aurais eu l'air bien bête de piquer une crise d'adolescent typique, incapable de gérer ses émotions, même s'il s'agissait précisément de ce que je ressentais.

— D'abord, pourquoi... pourquoi tu n'as rien dit à maman ?

J'avais conscience que ma question suintait l'inutilité. J'en connaissais parfaitement la réponse, mais il fallait bien que je débute par quelque chose et c'était ma façon de me jeter à l'eau.

— J'ai vraiment besoin de t'en donner la raison ? répondit d'ailleurs mon père. J'aurais été le dernier des hommes si je lui avais annoncé que j'allais mourir. Elle se serait rongé les sangs et cela n'aurait fait que précipiter sa mort. Tu vas certainement me dire que j'aurais pu lui en parler et que, peut-être, elle aurait eu moins peur de partir, puisqu'elle aurait su que bientôt, je la rejoindrais. Mais je n'ai pas eu envie de ça. Je n'ai pas eu envie de la voir pleurer pendant des jours au lieu d'en « profiter » jusqu'au bout, plaida-t-il en me mimant les guillemets. Tu comprends ?

J'acquiesçai. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle. Je m'apprêtais à lui poser une autre question lorsque la porte d'entrée s'ouvrit. Dane apparut dans le salon, à peine mouillé. Soit il n'était pas allé loin, soit il avait emprunté la voiture de mon père — il avait revendu la sienne quelque temps plus tôt.


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