1. REPOS FORCÉ (Partie V)

— Je voulais simplement... vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour nous, me libérai-je finalement en posant mon sac sur la table.

Le coup d'œil en biais qu'il lança à mon père ne m'échappa pas.

— Vous étiez à l'enterrement ? embrayai-je, sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit.

Il me semblait avoir remarqué son absence, mais je n'en étais pas très sûre. Je n'étais pas parvenue à me montrer très attentive au monde qui m'entourait à ce moment-là.

— Non, je suis désolé. J'avais une urgence, et du coup, je n'ai pas pu venir. Mais ça ne change rien. Toutes mes pensées sont pour vous, aujourd'hui, assura-t-il en lançant une nouvelle œillade à mon père.

Je me tournai rapidement vers Lage. Elle se dandinait d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise. Elle profita du silence pour s'interposer.

— Leave, je... je ferais mieux de rentrer. Je te laisse les affaires sur l'établi. On se voit demain.

Et elle s'éclipsa. Je ne pus réprimer un haussement de sourcils devant son attitude fuyante. Avait-elle senti elle aussi que quelque chose ne tournait pas rond ? Je reportai donc mon attention sur mon père, qui esquiva mon interrogation silencieuse.

— Bon, Nate, je vais vous laisser, s'excusa à son tour le médecin en reposant sa tasse de café presque pleine sur la table de la cuisine. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit. Et ça vaut également pour toi, Leaven.

Autant que je pus en juger, le Docteur Pierce prenait la fuite — je ne l'avais jamais vu aussi embarrassé. Il ramassa discrètement une enveloppe que je n'avais jusqu'ici pas remarquée sur la table, geste que ne manqua pas mon père. Je pus presque lire du soulagement sur ses traits fatigués.

— Merci, Grayson.

— Je connais le chemin de la sortie. Soyez forts, nous encouragea-t-il avant de tourner les talons et de quitter la maison.

La porte d'entrée eut à peine le temps de claquer que je fusillai mon père du regard.

— Que se passe-t-il, papa ?

— Que veux-tu dire ? fit-il mine de ne pas comprendre en pivotant vers l'évier et en vidant sa tasse, avant de la rincer et de la poser sur l'égouttoir.

— Pourquoi Grayson Pierce est-il venu ?

— Il voulait simplement voir comment j'allais. Il était confus de ne pas avoir pu se libérer ce matin.

— Et cette enveloppe ?

— Quoi ?

— Et cette tasse à peine touchée ? insistai-je en désignant le récipient abandonné par le médecin.

— Ça veut dire quoi, cet interrogatoire, Leaven ? protesta-t-il tout à coup en élevant la voix.

— Papa, fis-je en m'approchant de lui et en l'obligeant à me faire face. Dis-moi ce qu'il se passe, je t'en prie. Ne me fais pas de secrets. Il n'y a jamais eu de ça entre nous, n'est-ce pas ?

Mon visage ne se trouvait qu'à quelques centimètres du sien. Il était certes un peu plus grand que moi, mais je parvins néanmoins à planter mon regard dans le sien. Je ne pus m'empêcher de remarquer les profonds sillons qui avaient creusé sa peau récemment.

La tristesse lui avait dessiné un nouveau masque à la place de l'expression radieuse que je lui avais toujours connue, du moins jusqu'à ces deux dernières années. Je lus une fatigue innommable dans le pauvre sourire qu'il m'adressa. À cet instant, la porte d'entrée s'ouvrit et Dane nous rejoignit dans la cuisine.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? nous questionna-t-il en fronçant les sourcils.

J'étais un peu ennuyée, je ne voyais pas comment me justifier auprès de lui. Ses yeux étaient rouges, comme s'il avait pleuré pendant un long moment. Je compris qu'il nous avait probablement entendus depuis l'extérieur.

— Alors ?

Mon père s'empara de mes deux mains et baissa la tête en signe de défaite. Mon cœur se mit à battre plus vite. Il s'apprêtait à nous révéler un secret et quelque chose me disait que je n'avais pas du tout envie d'être mise dans la confidence. Mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. J'avais insisté.

— Vous devriez vous asseoir, assura mon père en désignant la table. Que l'on puisse parler tranquillement.

— Papa ? paniquai-je devant son air de résignation.

Il hocha imperceptiblement la tête, m'incitant à obéir. Je me laissai donc tomber sur l'une des chaises en bois. Dane afficha une moue indécise avant de s'exécuter.

— Je ne sais pas trop par où commencer, s'embrouilla mon père. Je ne sais pas non plus comment vous dire ça sans...

— S'il te plaît, papa. Ça a un rapport avec le Docteur Pierce, c'est bien ça ? l'aidai-je. Il y a quelque chose sur maman que tu ne nous as pas dit ?

Il enfouit quelques instants son visage dans ses mains jointes avant de prendre une profonde inspiration.

— Non, ça me concerne, lâcha-t-il finalement.

Le monde s'arrêta brusquement de tourner, mais les murs de la cuisine, eux, poursuivirent leur valse lente. Ma tête heurta le sol dans un bruit sourd avant que je ne comprenne ce qu'il était en train de se passer. Je regrettai de m'être montrée si insistante. Lage avait raison — ça faisait déjà beaucoup pour une seule journée.

— Leaven ! Leaven ? s'affola mon père en s'agenouillant à côté de moi.

Aïe ! fut tout ce que je pus répondre. Mon vertige avait cessé comme il était venu et je me redressais sans attendre.

— Doucement, me conseilla Dane en m'aidant à me rasseoir sur ma chaise.

— Tu es sûre que ça va ? demanda mon père en triturant mon crâne douloureux, à la recherche d'une éventuelle blessure.

— Oui, oui, le rassurai-je. Continue.

— Hors de question, refusa-t-il. On reparlera de tout ça plus tard.

— Non, maintenant, papa ! exigeai-je en posant mes coudes sur la table et mon menton dans mes mains. J'ai besoin de savoir. Si tu crois que je vais pouvoir trouver le sommeil après ça, tu te trompes.



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