Seuls les cailloux ignorent la peur.


Pascale Roze


La meute de loups était restée en alerte jusqu'à que L'ombre remue dans son sommeil. Toujours coincée entre les bras du chef de meute, la femme sans âge ouvrit les yeux avec toutes les peines du monde. Ce qu'elle aperçut au-dessus de ces cils encore collés lui tordit les tripes. Adrian n'avait jamais au grand jamais eu le visage aussi défiguré d'inquiétude. Lui qui considérait que la seule mort valable était celle sur-le-champ de bataille et qui n'enterait jamais les corps, encore moins ceux partit des suites d'une grave blessure. Lui, qui ne souriait jamais, qui ne laissait jamais rien transparaître était ravagé d'angoisse. Cela se voyait. Cela lui fit atrocement mal.

À l'instant où le chef de meute comprit que son délicat fardeau se réveillait lentement, son visage se figea de nouveau. Il redevint lui-même en une fraction de seconde. Ce roi au visage balafré et à la couronne fissurée reprit de sa superbe sans se douter qu'elle l'avait réellement vue.

- Loup. Tous les loups restants formèrent un cercle autour d'eux.

Quand ils sortirent de l'eau plusieurs minutes plus tard, l'étau de protection se resserra encore plus autour d'elle.

C'est ainsi et dans le plus grand des silences qu'ils prirent le chemin de leur Monastère en mesurant chaque pas et en étant attentifs au moindre bruit.

Pas après pas, L'ombre reprenait vie. Son corps en entier lui faisait mal, son esprit ne cessait de jouer la violente attaque qu'elle avait subie et surtout dans un recoin de son crane des sombres pâtes cavalaient toujours a tout rompre.

- L'monstre, cracha avec peine la femme sans âge qui s'évertuait à utiliser ses cordes vocales abimées.

- Mort.

- Steeve ?

- Monastère. Chez eux, répondit le chef de meute en anticipant la prochaine question. Je ne sais pas, conclut le vieux loup qui semblait encore plus âgé d'un coup.

En effet, L'ombre allait lui demander ou était les loups de Louis et ou était Gal. Plus ou moins rassuré elle s'autorisa à fermer les yeux, en son for intérieur elle savait que rien ne pourrait lui arriver tant que cette meute veillerait sur elle.

Steeve tournait en rond, même son compagnon d'armes ne parvenait pas attirer son attention assez longtemps pour que son esprit décroche de son obsession. L'ancien militaire ne cessait de fixer la forêt, son loup grondait et griffait la paroi de son antre. Rongé entre le désir de rejoindre son plus vieil ami et le besoin d'obéir aux ordres de son chef de meute, le Premier bêta se rendait malade de haine et de désir.

- T'aurait pas pu le prévoir, lui assura pour la énième fois son compagnon d'armes.

- Elle a manqué d'y passer.

- Elle est vivante.

Steeve ne sut quoi répondre, oui elle l'était, mais pas grâce a lui. Dans son esprit c'était à cause de lui qu'elle avait été aussi proche de la mort.

- Ils sont là.

- Reste.

Sans un mot de plus Steeve laissa les loups du monastère à son compagnon de combat pour rejoindre son chef de meute. Son loup, Alof, piaffait de plus en plus fort en lui si bien qu'il éclata ses affaires pour prendre la place de son humain. Quand le loup arriva devant les siens, il baissa son énorme tête en signe de respect.

- Va et ne revient qu'avec lui.

L'ordre d'Adrian venait de lui hérisser les poils, ce qu'il venait de lui ordonner était bien plus sombre qu'il n'y paraissait : reviens avec lui mort ou vif.

Alof opina du chef, au fond de lui, Steeve serrait les dents à s'en détruire la mâchoire. Tout en avançant le loup ne cessait de fixer L'ombre. Elle ne paraissait pas plus petite ou fragile dans les bras de son chef de meute. Elle paraissait morte.

- Viens loup, viens regarder par toi-même.

Ce fut presque timidement que cet énorme loup s'approcha de cet être à qui il tenait peut-être un peu trop.

Sa truffe froide se colla doucement sur son épaule nue et aussi blanche qu'il l'avait toujours connue de ce drôle d'être. Le loup et L'homme reprirent leur respiration en même temps quand ils se rendirent compte qu'elle ne faisait que dormir.

- Maintenant, va. Claqua le chef de meute qui se sentait soudainement envahi. Il ne voulait la garder que pour lui, pas comme une femelle, mais comme un jeune loup précieux.

Alof partit sans demander son reste, il partit si vite et dans un silence si parfait qu'un novice aurait pu croire a de la magie.

Ce vieux loup utilisait tous ces sens pour repérer son plus vieil ami.

- La pleine ! réalisa d'un coup Steeve dans l'antre de son loup.

Ce dernier avait déjà pris cette direction, il courrait si vite qu'il paraissait voler au-dessus de cette terre pleine de feuilles mortes.

Nero, le loup sombre, et son humain ne s'autorisèrent à reprendre leur souffle que quand ils réalisèrent qu'ils étaient sur cette fameuse pleine. Celle où l'eau de la cascade et la terre y seraient à jamais mortes. Ses énormes pattes cédèrent sous on poids, il n'était pas si épuisé que ça, ni si essoufflé. Seul son cœur, tout aussi mort que cette terre, lui faisait un mal de chien.

- Gal, Nero c'est moi, pas besoin de grogner. Lui dit Steeve qui venait tout juste d'arriver.

Son loup avait beaucoup rechigné à lui rendre sa place, lui mieux que quiconque savait à quel point un loup en détresse était un loup dangereux.

Nero s'approcha de lui sans recouvrir ses dents, son grognement sourd faisait résonner des peurs ancestrales qui dormaient au plus profond de l'ancien militaire. Il ne souhaitait pas l'attaquer, juste lui faire comprendre qu'il n'était pas apte à laisser son humain reprendre sa place. Chose que le premier Beta compris sans peine, si le loup sombre avait voulu l'attaquer il l'aurait déjà fait d'autant plus qu'il était persuadé que ce dernier l'avait entendu arriver.

- Nero, j'ai des ordres du chef, je dois vous ramener, mais il n'a pas précisé sous quelle forme ni quand.

Le loup sombre claqua ses crocs en guise de réponse, ce son fut si glaçant que l'échine de Steeve se hérissa pendant que son loup gronda dans son antre.

Ce dernier prit le parti de s'assoir sur le sol pour paraitre moins intimidant.

- L'ombre va bien, elle est au monastère et le chef veille sur elle, jusqu'à ton retour. Dut'il rajouter rapidement quand Nero se mit à grogner plus fort.

Le loup sombre s'éloigna de l'ancien militaire en lui tourant ostensiblement le dos, tout en se dirigeant vers la cascade il l'entendit soupirer.

Au fond de lui, Galaad hurlait tout l'air de ses poumons, injuriait, promettait sur sa vie tout en la maudissant sans prendre le temps de reprendre son souffle. Il s'en voulait, se haïssait bien plus que l'entendement ne pouvait le tolérer.

Il aurait dû veiller sur elle, bien plus que les autres, la coller, prendre des coups a sa place ! tout se mélangeait dans son esprit, il ne se souvenait plus qui devait protéger qui. Qui était qui, pourquoi elle leur était apparue.

Toujours au sol, Steeve et son loup ne se fièrent pas au calme apparent du loup de son ami. Ils sentaient la tornade au fond d'eux tout faire voler en éclat. Il resta ainsi plusieurs heures, aucun des deux ne bougeait, pourtant tout ce qui était invisible aux yeux des autres s'entrechoquait avec une rare violence dans leurs âmes.

Tout en haut, sur la lune, La Déesse tremblait de rage. Si elle agissait contre le Dieu maudit et manipulateur son Ombre ne serait plus. Quand la brume quitta peu à peu son esprit, son regard se dirigea de lui-même sur terre. En Bulgarie plus précisément, là-bas, tout en bas, des loups d'une même meute souffraient chacun de leur côté. Elle savait depuis toujours que l'Alpha de cette meute était un être particulièrement dur, mais pas égoïste. À sa façon.

- Mon Ombre... murmura-t-elle en la voyant allongée sur un lit avec un loup devant sa porte et plusieurs autres dans les couloirs ou devant sa fenêtre.

Adrian venait de se réfugier sur le toit de leur immense maison, il faisait souvent ça pour veiller sur les siens et pour être plus près de la Mère de tous les loups.

Lyma soupira, en son for intérieur elle regretta de ne pas avoir le sang-froid d'Oranda et l'empathie d Hanna. Elle soupira une autre fois tout en laissant ses épaules s'affaisser, ses enfants aveints besoin d'elle. Elle devait donc agir.

Elle laissa couler un peu de son pouvoir jusque sur ce toit, le vieux loup aux mille cicatrices accueillit cette onde avec délice.

- J'suppose que ça veut dire que ça ira ? demanda à voix basse l'Alpha qui venait de lever son visage vers le ciel.

Une autre vague pleine de magie l'entoura de nouveau, Adrian soupira d'aise et reprit son observation nocturne. Même s'il ne laissait rien paraitre, il était inquiet. Inquiet pour tout et de tout.

- Ombre ? Tenta La Déesse qui venait d'apparaitre dans sa chambre.

Cette dernière remua dans son lit avec paresse. Tout son corps lui faisait souffrir et son esprit torturé ne l'aidait en rien. Tout se mélangeait en elle, l'atroce douleur qu'elle avait ressentie, sa peur, leur peur, les cris... tout.

La Déesse ressentait tout son désarroi, tout en serrant les dents elle s'assit a ses côtés et fit apparaitre un orbe aussi transparent que coloré. Tout en douceur elle la fit pénétrer sous sa peau et avant que L'ombre n'ouvre les yeux La Déesse disparut de nouveau.

- T'aurais au moins pu attendre que je me réveille... pépia la femme sans âge qui regardait son plafond.

Quand elle revint pour de bon a elle, tous les loups de cette meute le ressentir. Ce fut si puissant, si apaisant que la plupart se mirent à hurler à la lune sans que le chef de meute ne les y invite.

Les deux Bêtas ressentirent eux aussi la vague de bienêtre. Nero, le loup sombre, se releva d'un coup et se mit a cavalé a toutes pattes en direction de L'ombre, Alof reprit a son tour sa place pour aller aussi la rejoindre. Les deux loups poussaient toujours plus fort sur leurs muscles pour gagner en vitesse quitte à ne plus distinguer correctement leur environnement. Seul un instinct très primitif les guidait.

Seul le besoin vital de la voir vivante guidait leurs pas à travers la forêt. 

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