15

Le gosse transplane. Mon dégoût s'accentue de façon significative et je trébuche sous sa puissance. À moins que ce ne soit dû à l'alcool. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Le monde tournoie en une masse floue et terne. Les rires, les cris, tout ce bonheur m'oppresse un peu plus chaque seconde. Cependant, ce tintamarre me paraît lointain. Les clameurs de la fête ne sont qu'un pâle fond sonore en comparaison avec la clarté des faits qui m'obsèdent.

Le gosse m'a embrassé. Ce petit crétin a osé. Mais le plus abominable est que, pendant une fraction de seconde, j'ai failli lui céder. Merde, je ne peux décidément pas toucher Saint Potter de cette façon. Je ne peux pas me permettre de souiller plus qu'elle ne l'est son âme fragile.

Albus s'est bien foutu de ma gueule. Ce vieux fou manipulateur doit encore ricaner de son machiavélisme. L'amour. C'était donc ça. Ce pouvoir mystérieux qui était supposé forcer le gosse à se remettre sur pied. Mais comment a-t-il pu croire qu'aimer un tel homme pourri par la noirceur pouvait être sain de quelconque façon ? Comment a-t-il pu ne serait-ce que cautionner l'obsession du gosse au lieu de tenter de la réprimer ? Comment peut-il accepter que je corrompe une personne de plus sur cette foutue Terre ? Comment peut-il confier une autre vie frêle entre mes mains destructrices ?

Est-ce pour me faire payer ? Est-ce une punition ? L'accomplissement de ma rédemption ? Une mort de plus sur la conscience ? Est-ce réellement là ce qu'il souhaite ? Me mettre sur le dos le titre d'assassin de l'idole du monde magique ? Dans quel but ?

Je ne sais pas ce que Albus espérait. Mais le résultat de sa machination est désastreux.

Non seulement j'ai sur les bras une dizaine de personnes à oublietter, mais j'ai également un gosse au coeur blessé, déjà psychologiquement instable, l'esprit sûrement retourné et désespéré, qui peut potentiellement errer dans tous les recoins existants de cette foutue planète. Et le pire dans tout ce désastre, c'est peut-être que mon dégoût envers moi-même n'est pas assez puissant pour masquer la vicieuse inquiétude ainsi que les remords déplacés qui m'accablent.

Je trébuche et me rattrape de justesse contre le comptoir. J'inspire avec difficulté et me force à rester calme. Finalement, au bout de quelques instants, je parviens à retrouver un semblant de contenance. Je sors ma baguette d'un geste sec et raide. Puis, je jette un sort de confusion sur chacun des moldus présents. Il faut dire qu'avec la quantité d'alcool absorbée, il n'auront aucun mal à croire que tout cela était dû aux brumes d'un abus de boisson.

Je sors sous la pluie battante, la laissant fouetter mon corps fatigué. Je presse mes paupières les unes contre les autres, réfléchissant à l'endroit où Potter aurait potentiellement pu se rendre. Normalement, si le gosse est aussi prévisible qu'il en a l'air, cela ne devrait pas être bien compliqué. Ce qui le sera en revanche, c'est quoi dire face à ses émeraudes débordantes de malheur.

C'est sur cette pensée loin d'être réjouissante que je transplane sous l'orage.

Après l'horrible sensation dasphyxie, mes poumons s'emplissent finalement d'un air lourd de chaleur. Mes yeux se rouvrent sur une plage étincelante, le sable blanc irritant mon regard de sa soudaine clarté. Retour en Thaïlande. Je me sèche d'un informulé et commence à déambuler sur le sol brûlant, les yeux plissés par la concentration. Je ratisse la plage de long en large avant de me rendre à l'évidence : Potter n'y est pas.

Je soupire fortement. Finalement, peut-être me suis-je trompé à son sujet. Peut-être son côté Gryffondor a-t-il miraculeusement refait surface et qu'il est bel et bien allé se jeter au creux de lieux insolites, avide d'endroits inconnus afin de s'y lamenter en paix.

Je m'apprête à renoncer, à me résigner à parcourir l'entièreté du globe à la recherche d'un foutu gamin, à prier pour que la chance soit de mon côté et que mon instinct me souffle la voie à suivre. Seulement, à quelques kilomètres de là, perché au sommet d'une falaise, j'aperçois le minuscule point d'une silhouette au bord du précipice. Je décide de tenter ma chance et transplane directement.

Je réapparais avec le 'crac' sonore habituel.

Potter est là. Au bord du gouffre. Aussi bien physiquement que mentalement. J'inspire un grand coup pour me donner contenance et m'approche de sa silhouette frêle. Je pose une main ferme sur son épaule pour empêcher tout mouvement indésirable. Au violent sursaut qui parcourt son corps, je suis d'autant plus satisfait de mon initiative. Il tourne un bref regard angoissé vers moi, avant de détourner les yeux avec brusquerie, ces-derniers se brouillant de larmes aussitôt. Il les essuie d'un geste rageur et se contente de fixer son regard dans les remous imprévisibles de l'eau. Je prends place à côté de lui, m'asseyant sur la roche avec une prudence infinie.

« Qu'est-ce que vous faîtes là ? Demande-t-il d'un ton atone.

- Je pourrais vous retourner la question. Mais il est important que votre cerveau limité comprenne que je suis là pour vous.

- Pour moi ? »

Un ricanement amère s'échappe de ses lèvres et je ne peux empêcher un frisson de parcourir ma colonne vertébrale. Ce concentré de vécu ne devrait pas sortir d'une bouche aussi jeune que la sienne.

« Et pour quel raison voudriez-vous me courir après Rogue ? Pour me cracher votre dégoût ? Merci mais je crois que je préférerais encore être seul plutôt que mal accompagné.

- Sur ce point-là vous avez raison Potter. Ma compagnie est néfaste pour vous. Et je-

- Alors qu'est-ce que vous attendez ?! Crie-t-il. Laissez-moi !! Pourquoi vous acharnez-vous à me sauver si c'est pour me cracher à la gueule la seconde suivante ?! Je ne vous comprends pas Rogue. Et pourtant... Putain, malgré toute la merde que vous faîtes je vous aime si fort... Oui je vous aime. Voilà, c'est dit. Alors maintenant laissez-moi en paix, souffle-t-il »

Les mots résonnent dans ma tête, exprimant tout haut la crainte que j'avais tout bas. Un violent vertige me prend et je ne sais si c'est dû à cette confirmation terrifiante ou aux dangereuses vapeurs d'une trop forte consommation d'alcool.

Pourtant, parmi ce brouillard flou de sentiments et de tourments, je sens cette horrible part de moi qui ne peut s'empêcher d'espérer. Et je la hais. Pour tout ce qu'elle engendre. Je la hais si fort à cet instant que je serais capable de me jeter du haut de cette falaise pour forcer sa chute avec la mienne. Mais elle est toujours là. Invincible. Elle continue d'engendrer cet attachement hautement déplacé que j'ai pour le gosse. Je veux m'arracher le coeur à pleine main, lacérer ma poitrine pour la faire taire. Je ne la supporte pas. Je ne me supporte pas.

Dans un instant de lucidité, je lâche du bout des lèvres :

« C'est déplacé Potter...

- Haha, mais à qui le dîtes-vous ? Ricana-t-il avec amertume. Vous croyez que je ne me suis jamais demandé ce qui n'allait pas chez moi ? Pourquoi je ressentais une telle attirance pour un homme comme vous ? Pourquoi il fallait que j'aime l'homme qui me méprise et me hait plus que quiconque ? Le seul qui reste foutrement inaccessible de par son aversion et son dégoût pour moi ? Sincèrement Rogue, si j'avais pu choisir, j'aurais choisi une option moins douloureuse... Mais je ne choisis pas. »

Seul l'écume accueille ses paroles houleuses.

« Maintenant laissez-moi s'il vous plaît. Juste... laissez-moi. »

Le bruit de ses pieds dansant avec le vide, atténue quelque peu ma haine viscérale. Si je pars, le gosse saute. Je le sens. Et je sais que je ne peux pas laisser une telle chose arriver. Pour trop de raisons. Et la part de moi qui aime résolument le foutu gamin l'emporte pour cette fois. Bien que je refuse de l'admettre. Je suis vaincu. Sans aucune issue possible. Je rends les armes, sachant pertinemment que la route que j'emprunte ne sera que souffrances. Mais je n'ai pas le choix. Et peut-être qu'au plus profond de moi, délibérément enfouit, je ne le veux pas.

« Je comprends... commencé-je d'une voix lente. Vous-tu... moi non plus je ne choisis pas... Harry. »

Il relève son regard vert dans ma direction et mes yeux se heurtent à des émeraudes si innocentes, si pleine d'espoir.

« Que voulez-vous dire ? Demande-t-il avec un air méfiant malgré la clarté de ses prunelles. »

Je le regarde intensément et pose mes mains sur ses joues. À l'aide de mon pouce, j'effectue une brève caresse circulaire sur sa mâchoire.

Et sans un mot de plus, je pose mes lèvres sur les siennes, l'amour l'emportant sur la haine qui me ronge intérieurement.

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