14

Décidément, ma vie semble dorénavant destinée à n'être plus qu'une succession de surprises. Après Rogue sur un scooter rouge écarlate, vient Rogue sur un mustang. D'ailleurs, je dois bien avouer qu'il dégage une certaine élégance, ainsi campé sur sa monture. C'en est d'ailleurs quelque peu énervant... Moi qui pensait pouvoir enfin me jouer d'un point qu'il ne maîtrisait pas... l'effet est quelque peu loupé. Bien que, je dois le reconnaître, cela ne me dérange pas tellement.

Je me recentre sur ma propre monture, m'installant un peu plus confortablement sur l'épaisse selle de cuir. Mes pieds bataillent avec les étriers de pareille matière, tentant tant bien que mal d'empêcher mes jambes de se tordre dans un angle anormal. Après un combat acharné, je finis finalement par observer le paysage alentour. Les champs de tabac et d'herbe drue s'étendent à perpétuité autour de nous. Le petit sentier de terre sur lequel nous évoluons est à moitié inondé par la pluie fraîche qui tombe sur nos corps saturés de chaleur. L'air lourd et humide entre dans mes poumons, dans une sensation entre le soulagement et l'étouffement.

Le cheval de Rogue s'arrête brutalement, dans la ferme intention de brouter l'herbe qui borde le sentier. Je ne peux empêcher un rire franc de s'échapper de mes lèvres en voyant ainsi mon terrible professeur dépouillé de toute autorité. Cependant, d'un petit coup sec sur les rênes, Rogue parvient à raisonner sa monture tandis que la mienne se dirige elle aussi vers l'herbe verte. Mon cheval toutefois, refuse catégoriquement d'avancer, ce qui me vaut un sourire narquois de la part de mon cher -oh oui très cher- ancien professeur.

Finalement, après que l'animal se soit désintéressé de sa nourriture, il rattrape la petite troupe au trot. Je rebondis sans douceur sur la selle à l'assise dure et mon postérieur en prend un douloureux coup.

Le guide nous mène jusqu'à une côte en pleine forêt alors que la pluie s'intensifie et nous trempe à grande vitesse. Le sol de pierre glisse, les sabots des chevaux râpent contre la roche et chaque fois, je suis effrayé à la perspective que le pauvre animal tombe et nous emporte dans sa chute. Je me contente de me pencher en avant, me collant presque à sa crinière, dans l'expectative de le soulager quelque peu, mes doigts fermement agrippés à la matière rugueuse de ses poils.

Alors qu'un véritable déluge s'abat sur nos têtes, nous arrivons finalement à une petite cahute, pourvue d'une terrasse couverte, située au sommet de la côte, faisant office de bar à point de vue sur la vallée. Nous attachons les chevaux sous le maigre couvent des arbres et les recouvrons de couvertures. Puis, nous nous empressons de nous réfugier sous le toit de paille. Les propriétaire du petit bar recouvrent le côté donnant sur le précipice d'une bâche en plastique, nous coupant ainsi du vent et de la pluie. J'entends l'eau s'abattre sans douceur contre la maigre protection. Je m'assois sur un tabouret de bois, Rogue à mes côtés.

« Alors Potter, la balade à cheval, qu'en pensez-vous ?

- Eh bien, je dirais que par beau temps, celle-ci doit être franchement superbe. Actuellement, mhhh, je vous avouerais que la pluie m'empêche de distinguer une quelconque vue. Mais sinon, ma monture est plutôt sympa.

- Voyez l'aspect positif des choses, nous ne risquons pas de nous liquéfier sous la chaleur !

- C'est certain, approuvé-je d'un petit signe de tête. »

Nous écoutons la pluie s'acharner sur la pauvre petite habitation. De temps à autre, une rafale de vent apporte avec elle une touche glacée, m'arrachant un frisson involontaire.

« Nous allons rester bloqués combien de temps ?

- Je l'ignore. Mais à en croire les habitants, cela va durer un bon moment. »

Rogue désigne les quelques hommes et femmes face à nous. Les trois propriétaires de l'endroit produisent des cocktails tandis que les autres commencent à danser par binômes.

« Voulez-vous boire quelque chose Potter ?

- Boire ?

- Potter, nous sommes à Cuba ! Ayez la décence de goûter la production locale !

- Ah, oui, c'est vrai. Eh bien dans ce cas c'est avec plaisir que je vous laisserais me guider dans cette production locale.

- Très bien. Ne bougez pas Potter, je reviens. »

J'opine faiblement, d'autre frissons s'emparant de mon corps sans que je ne puisse m'en empêcher.

Après un temps certain, Rogue revient avec deux verres d'une couleur jaune clair émoussée.

« Et voici deux Piñacolada Potter ! En espérant que l'alcool vous réchauffe quelque peu, je peux entendre vos dents grincer d'ici.

- Merci. »

Rogue s'installe en face de moi et me tend un verre. Je l'attrape avec un hochement de tête et consent à tremper mes lèvres dans la boisson avec une prudence considérable. Le goût sucré de l'ananas vient se mélanger à la douceur de la noix de coco, le tout rehaussé par une agréable touche de rhum. J'avale une plus grande gorgée et je savoure l'étrange chaleur que produit l'alcool dans ma gorge.

« Alors Potter ? Demande-t-il après avoir lui-même enfilé une bonne partie de son verre.

- C'est délicieux.

- Je ne parlais pas de la boisson. Je sais que c'est délicieux. J'ai confiance en mes goûts en matière d'alcool. Je parlais plutôt de votre fâcheuse tendance à frissonner.

- Ah, oui... Bien, pas tellement, il faut dire que je partais du principe que nous mourrions de chaud. Je ne m'attendais pas à ce qu'un déluge s'abatte sur nos têtes... »

Je jette un coup d'oeil aux personnes dansant et riant juste à côté de nous. Leurs mouvements sont désordonnés, sans doute un peu aidés par l'alcool.

« Mais peut-être que si vous m'accordiez une danse mes dents cesseraient enfin de grincer ?

- Une danse Potter ? Avec vous ? Mmmh... Cela demande encore un verre pour se donner du courage. »

Effectivement, le verre de Rogue est déjà vide. Le voilà d'ailleurs qui s'avance d'une démarche souple et élégante jusqu'au bar. Finalement, il s'enfile le contenu sur le comptoir avant d'en redemander un autre.

Rogue revient vers moi, deux verres à la main.

« Tenez Potter, un deuxième verre puisque vous avez l'air d'apprécier. »

Je remarque que ma première Piñacolada est elle aussi dépouillée de toute boisson. Je le remercie d'un hochement de tête et nous buvons en silence. Je l'observe siroter sa boisson, ses paupières à demi-closes sous l'effet de la chaleur procurée. Le mouvement régulier de sa gorge m'hypnotise et je regarde le renflement que forme sa pomme d'Adam monter et descendre d'une manière horriblement attirante. Je remarque que Rogue m'observe d'un drôle d'air et, un instant, j'ai peur d'avoir pensé à voix haute. Je détourne brutalement les yeux, mon regard ne supportant plus d'être transpercé de la sorte.

« Alors cette danse Rogue ? Relancé-je pour détourner son attention.

- Si vous tenez tant que ça à vous ridiculiser Potter... Après vous. »

Rogue me fait signe de me lever et je m'exécute. Nous rejoignons les autres personnes et nous mêlons à l'ambiance festive. La chaleur se diffuse immédiatement dans mes membres engourdis et je me sens sourire.

Les verres s'enchaînent, les gesticulations maladroites aussi. Un brouillard entoure mon cerveau et j'ai du mal à me concentrer sur quoique ce soit. Mais c'est sans importance. L'ivresse du moment est simplement à profiter, sans se prendre la tête. Je me sens bien. Libéré d'un poids incroyable. Tout à coup, les soucis me paraissent bien loin, et je me sens inatteignable. Je souris bêtement et songe à Rogue. Est-ce que lui aussi profite de la fête comme je le fais ?

Je tourne la tête dans tous les sens pour m'en assurer. Je le trouve finalement accoudé au comptoir, un verre à la main machinalement agité, le liquide tournoyant avec légèreté contre la paroi translucide. Ses cheveux ondulent légèrement à cause de la pluie et de l'eau ruisselle le long de son cou. Je m'approche de lui et suis immédiatement hypnotisé par une goutte d'eau qui glisse de façon fourbe le long de sa peau pâle. Je relève ensuite mes yeux vers lui et lui souris. Quelqu'un me bouscule et je me rattrape maladroitement au cou de Rogue. Je me redresse sans dénouer mes bras de sa nuque. Son regard noir me transperce avec une force déstabilisante. Et, sans que je ne puisse m'en empêcher, mes lèvres se posent sur les siennes.

Elles sont douces avec une légère touche sucrée que j'associe à l'alcool. L'espace d'une merveilleuse seconde, il me semble que sa bouche se fond à mon contact. Mais après tout, peut-être n'est-ce que le fruit de mon imagination car il me repousse violemment, un éclair de dégoût traversant furieusement ses prunelles sombres. Je titube, blessé.

Puis, la réalisation de mon acte me prend par les tripes. Une irrépressible envie de vomir me submerge tandis que je songe à ma sottise. Je regarde une dernière fois ses beaux yeux noirs, possédés par la répulsion. Et, ne supportant plus l'oppression qu'il font naître en moi, je transplane.

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