Chapitre 10 : Alessandro

Je coupe le contact et sors du 4x4.

La porte claque derrière moi et je prend mon téléphone dans la poche de ma veste pendant que le reste du groupe suit mon exemple.

Sur mon écran allumé, les chiffres électroniques affichent 21h29.

Bien. On est pile à l'heure.

Lorsque tout le monde est sorti, Bastien les regroupe devant lui pour leur rappeler rapidement ce qu'ils doivent faire, même si je doute fort que ce soit réellement utile vu le nombre de fois que ces professionnels ont fait ce genre de choses...

Tu te comptes parmi eux ou pas ? Non mais c'est juste pour vérifier hein ...

Oh ta gueule toi.

N'ayant rien de mieux à faire pendant son petit débriefing puisque je connais déjà toutes les consignes par cœur, je me mets à l'observer comme à chaque fois.

Il fait à peu près ma taille, peut-être deux centimètres de moins, et ses cheveux blonds en bataille lui masquent une grande partie du front. Il a des yeux bleu électrique qui, pour mon plus grand malheur, pétillent constamment de malice et ses lèvres sont en permanence fendues en un sourire idiot.

C'est le genre de mec qui fait tout le temps le con, ce qui me tape très franchement sur le système.

Mais heureusement, dans les moments importants, il sait devenir sérieux.

Comme maintenant.

Il parle d'une voix forte et assurée à une vingtaine d'hommes habillés tout de noir portant chacun une mitraillette à la main et un revolver à la ceinture qui se fond dans leurs vêtements.

M'éloignant un peu du groupe, je scrute les environs, vérifiant au passage que nous sommes bien seuls.

Le « rendez-vous » se tient dans une petite crique peu connue des touristes et surtout difficile d'accès ce qui réduit les chances de rencontrer qui que ce soit, mais mieux vaux être trop prudent que pas assez.

Protégé par des falaises, on peut deviner un sentier parmi les rochers un peu plus loin qui remonte vers les hauteurs. Mais, depuis la plage, on ne peut pas voir venir un intrus et ça, c'est chiant.

Après avoir vérifié plusieurs fois que personne ne s'y trouve, je m'approche de l'océan qui luit sous la lune. L'eau s'avance sur le sable mouillé dans un léger remous et, tout en contemplant ses allées et venues, je me rends compte que nos hommes se sont déjà mis au travail.

Il ne manque plus qu'eux...

Mais ils ne se font pas attendre bien longtemps car bientôt le bruit d'un moteur se fait entendre, rapidement suivie de l'ombre d'un petit bateau de pêche qui s'avance vers la crique.

Il s'approche le plus possible du rivage et, lorsque le ronflement du moteur s'apaise pour ne devenir qu'un léger ronronnement, « mes » hommes se rassemblent au bord de l'eau.

Cinq d'entre eux s'avancent dans l'océan ayant mis leurs armes à l'épaule et, lorsque l'eau leur arrive au niveau des hanches, ils s'arrêtent . Ils sont très vite rejoints par les marins du bateau de pêche qui transportent de larges caisses de métal.

Tous ont formé une chaîne humaine qui remonte jusqu'à la plage et ainsi toutes les boîtes sont transportées, passant de main en main pour finir dans les coffres des Range Rover garées plus haut dans le sable.

Lorsque toutes les caisses ont été déchargées du bateau, les marins remontent à son bord tandis que les hommes que Bastien et moi avons amenés terminent de ramener la cargaison vers les voitures.

Pendant que tout le manège s'opère, nous ne faisons que regarder, supervisant les actions en rappelant à l'ordre de temps en temps un ou deux hommes qui se relâchent.

Mais comme prévu, avec ce genre de gars, je ne sais toujours pas ce que je fais là. Ils n'ont clairement pas besoin de moi pour faire le baby-sitter.

Alors que nous discutons de tout et de rien avec Bastien, un bruit indistinct me parvient de la bande rocheuse qui protége le sentier, vérifié par mes soins quelques heures plus tôt.

- T'as entendu ?!

- Hmm... quoi ?

- Là, à l'instant, tu n'as rien entendu ?!

- Hum... non, rien.

Ah franchement... mais pourquoi je demande. Bien sûr qu'il n'a rien entendu. Paresseux comme il est, il ne doit sûrement pas être autant en alerte que moi.

- Arrête de te faire un sang d'encre bordel ! Y'a personne ! Pas besoin de s'inquiéter.

Hmm... c'est toi qui le dis.

Mais bon, il a sûrement raison après tout...

Ouais... t'es trop stressé...

Peut-être.

Mais soudain un second raclement se fait entendre du côté des rochers, bien plus distinct que le premier.

Je tourne vivement la tête et cette fois-ci en suis certain : j'ai bien entendu le même bruit de pas quelques secondes plus tôt.

Faisant signe à Bastien de rester continuer à superviser les dernières étapes de l'opération, je me dirige au pas de course vers l'endroit suspect sans un mot de plus.

Une fois arrivé, je regarde aux alentours.

Mais rien.

Pourtant je n'ai pas rêvé. Je suis certain que quelques secondes plus tôt une personne été là et si elle a vu quoique ce soit, on est mal. Très mal.

Ne réfléchissant pas deux fois, je me précipite à la poursuite de ce fantôme.

Mais alors que je n'ai pas fait deux pas, un éclat doré attire mon attention.

Regardant au sol, j'aperçois une fine chaîne sur laquelle pendait un petit pendentif circulaire qui luit doucement sous les rayons d'argent de la lune. Je ramasse délicatement le collier - oui je sais faire preuve de délicatesse de temps en temps... mais faut pas trop m'en demander - et l'examine attentivement.

Sur le petit disque doré, un grand arbre étire ses larges branches pour venir rejoindre le bord du cercle et au milieu d'elles trois petits diamants scintillent sous la lune comme trois étoiles solitaires.

Malgré ma curiosité grandissante, je ne m'attarde pas sur l'observation de ma découverte et, sachant que j'aurai tout le loisir de le détailler de plus près plus tard, je le fourre au fond de la poche arrière de mon jean et continue ma course poursuite.

Heureusement pour moi, la lune éclaire mes pas car sinon, malgré mon agilité acquise durant les « camps », comme ils aiment les appeler, je me serai déjà retrouvé par terre plus d'une fois. La personne que je poursuis doit être de la région, impossible de s'enfuir aussi rapidement autrement.

Bon quand est-ce que ces foutus rochers se terminent ?!

C'est vrai que ça n'en finit pas. Je commence même à avoir le souffle coupé malgré mon endurance.

Enfin, le sommet de la falaise apparaît et avec lui mon fuyard. Et aussitôt je comprends comment il a pu déguerpir aussi vite : il est à cheval.

Sans attendre plus longtemps, je me précipite sur lui.

Je ne crains pas ces animaux, j'y suis même habitué puisque qu'Aliana a longtemps fait de l'équitation quand elle était plus jeune. Je sais donc y faire avec ces animaux ayant dû moi aussi apprendre à monter pour pouvoir la « protéger » ...

J'attrape donc les rênes au niveau du machin en métal dans sa gueule, le mors ? - enfin bref on s'en fou... - et tire dessus afin de stopper l'animal.

Le cheval s'arrête net alors que son cavalier tente de le lancer sur le sentier qui se dessine plus loin.

Désolé coco, pas assez rapide.

Je lui agrippe ensuite le bras et tire violemment dessus pour le faire descendre.

Un peu trop violemment d'ailleurs, à en juger par le grognement de douleur qui s'échappe de sa gorge lorsqu'il s'écrase par terre.

Je me place aussitôt sur lui pour l'empêcher de tenter quoique ce soit et s'ensuit une lutte ridicule de cet inconnu au sol contre ... hmm, je crois bien que c'est censé être moi mais il n'arrive pas à m'atteindre.

En même temps, même moi j'ai du mal à l'apercevoir avec l'obscurité dense qui s'est abattue sur nous lorsque la lune a décidé de filer derrière un nuage solitaire, alors qu'il n'est qu'à moins d'un mètre.

Rapidement agacé par ses gigotements grotesques, j'attrape fermement ses poignets et lui ordonne de ne plus bouger.

Il grogne lorsque je lui passe ses mains au-dessus du crâne et je sors mon arme de dessous mon t-shirt que je place contre sa tempe pour le calmer une bonne fois pour toute.

Étrangement, il ne réagit pas comme je m'y attends.

Bien sûr, il s'arrête immédiatement, mais ne paraît pas avoir peur. Au contraire je sens sous moi tous ses muscles se détendre.

Comment peut-il être aussi calme ?

Même moi, je me serais immédiatement raidi sous la pression d'un flingue contre ma tempe.

Un sacré cran ce coco dit moi...

C'est alors que la lune fait sa réapparition, me laissant apercevoir la personne que je maintiens d'une poigne de fer.

Je retiens de justesse le hoquet de surprise qui tente de s'échapper de mes lèvres lorsque mon regard croise celui de la fille sous moi.

Ses cheveux retenus en une queue de cheval serrée sont étalés au-dessus de sa tête lui faisant une auréole sombre et ses yeux gris, agrandis par la stupeur, me fixent intensément.

Derrière ces vitres teintées qui abritent son âme, j'arrive difficilement à discerner le tumulte de ses émotions et de ses réflexions. La tempête de ses innombrables pensées dure près d'une minute, minute durant laquelle je peux reprendre mes esprits.

Heureusement pour moi, elle ne semble pas avoir remarqué mon trouble car si elle l'avait voulu, à cet instant précis, elle aurait pu s'enfuir sans que je m'en rende compte ou tout du moins sans que je ne réagisse convenablement.

Je suis pétrifié. Littéralement.

Je ne sais pas quoi faire.

Qu'est-ce qu'elle fait là ? Est-ce une simple coïncidence ?

Oui, qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre.

Elle n'est pas au courant de notre plan. Impossible. Aliana n'a pas pu lui en parler puisqu'elle-même n'a aucune idée de la réelle raison de notre venue dans la région.

- Lâche-moi ! J'arrive plus à respirer !

Sa voix résonne dans la nuit et me sort totalement de la torpeur dans laquelle m'a enfermé la surprise.

M'ayant reconnu, elle semble avoir repris une certaine confiance mais il est hors de question qu'elle la garde. Quitte à passer pour un connard, je me dois de la faire parler et pour cela il ne faut surtout pas qu'elle soit ainsi.

- Pour qui tu te prends ?! Qui t'as autorisé à parler ?

J'ai parlé sur un ton froid... un peu trop même vu comment ses traits se décomposent en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

- Mais...

Sa voix se fait plus faible, moins sûre d'elle, et je profite de cet instant de faiblesse pour lui faire comprendre que c'est moi qui décide et qu'il n'y a pas à discuter.

- Ta gueule.

Je n'ai pas crié mais c'est tout comme.

Elle se raidit sous mon corps et semble retenir sa respiration dans l'attente de la suite.

L'accès à ses pensées est certes fermé par les volets gris perle de ses yeux, mais je vois bien que derrière ses iris métalliques l'orage fait rage. Elle a envie de parler, de m'insulter ou je ne sais quoi mais elle va devoir attendre, je dois tout d'abord lui poser certaines questions.

- Ce n'est pas parce que tu connais ma sœur que je vais être indulgent. Compris ?

Je ne sais pas trop pourquoi je lui dis ça mais elle acquiesce tout de même et c'est tout ce qui m'importe .

- Bien.

Elle semble avoir compris la situation.

Je range donc mon arme à ma ceinture, n'en ayant plus besoin pour la calmer, et me relève légèrement pour lui permettre de se lever tout en ayant une marge de manœuvre au cas où elle aurait la mauvaise idée de tenter de s'enfuir.

Une fois qu'elle est remise sur pied, je ne lui laisse pas le temps de se stabiliser et la plaque contre un des arbres qui délimitent le bois aux alentours.

- Hé ! Doucement !

- Qu'est-ce que je viens de dire !

- Tu n'as qu'à être moins brusque !

Eh beh... elle est pas comme les autres celle-là... Courageuse ou suicidaire... à voir.

Ouais, c'est le moins qu'on puisse dire.

Malgré sa position de faiblesse elle a encore le courage de me répondre. C'est rare. Très.

C'est alors qu'une étrange lueur s'allume au milieu des nuages enfermés dans ses yeux. Elle se redresse vivement et se met à chercher de tous côtés.

Qu'est-ce qu'elle a encore ?

Elle semble avoir trouvé ce qu'elle cherchait car elle s'arrête aussi vite qu'elle a commencé et, bien qu'elle ait froncé son nez de mécontentement pendant une fraction de secondes, elle semble soulagée.

Je jette un rapide coup d'œil vers l'emplacement que ses yeux viennent de quitter et, lorsque mon regard tombe sur la sombre silhouette du cheval que nous avons abandonné derrière nous, je ne peux m'empêcher de restreindre un sourire mental.

Cette fille est vraiment pas croyable.

Alors même qu'elle est en très mauvaise posture - c'est le moins qu'on puisse dire... - elle prête tout de même attention à des détails aussi futiles que si son canasson est toujours dans les parages ou non.

Elle reporte son attention sur moi et plonge son regard dans le mien. Elle semble s'y perdre à la recherche de je ne sais quoi car pendant une bonne dizaine de secondes elle reste là, sans bouger le moindre muscle, à me fixer intensément.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Je sais que cette question n'a aucun sens, elle paraît même ridicule dans cette situation mais mon côté prudent m'a ordonné de la poser au cas où et puis... ma curiosité, que mon interlocutrice n'arrête pas d'alimenter bien malgré elle par ses réactions plus que saugrenues, a été piquée au vif et veut réellement savoir ce qu'elle fait là, seule à cheval, alors que la nuit est déjà tombée depuis plus d'une heure.

A quoi elle pense sérieusement ? C'est con et surtout dangereux.

Ah parce que maintenant t'es son père ... ?

Commence pas toi...

Alors que je la scrute pour connaître la réponse, je suis surpris de déceler dans son regard une lueur d'agacement mais ce qui me scotch le plus c'est sa réponse qui dénote particulièrement avec la situation.

- Tu te moques de moi ?! C'est toi qui me poses cette question ? Je te signale que le fautif dans cette histoire c'est toi, pas moi ! Je n'ai strictement rien à voir avec tes machinations ou je ne sais quoi.

Je ne peux m'empêcher d'écarquiller les yeux et mon cerveau ralentit par cette remarque inattendue n'est pas assez réactif et, ne me laissant pas le temps de lui répondre, elle ki continue sur sa lancée une étrange étincelle au fond de ses prunelles.

- Si tu veux tout savoir, je ne faisais que me promener à cheval comme presque chaque soir lorsque je passe mes vacances dans la région. Et j'ai pour habitude de venir ici. Alors désolée si mon arrivée a chamboulé tes plans, ou je sais pas quoi, mais maintenant laisse-moi partir !

Alors comme ça c'est son habitude de venir se balader en pleine nuit seule à cheval.

Mais dites-moi que je rêve et que cette fille n'est pas aussi inconsciente que ça !

Mais qu'est-ce qu'on s'en fout ! Ça te fait quoi ? Rien. Bah voilà ! Alors arrête de t'arrêter sur un détail aussi ridicule que ça !

Je reporte donc mon attention sur elle et c'est en la voyant essoufflée, légèrement rouge, que je me rends compte qu'elle vient de me crier dessus.

C'est la goutte de trop.

Je ris.

Enfin je produis le son le plus proche d'un rire que mon corps est capable de faire.

Je ne ris presque jamais et mes muscles faciaux sont si peu habitués qu'ils ne savent plus comment faire.

Mais là, à cet instant, devant cette fille singulière, une vieille partie de moi que je croyais enterrée depuis longtemps vient refaire doucement surface. Étrangement elle vient de réveiller un caractère que moi-même je ne connaissais plus et ça... c'est...

Très mauvais ! Je répète... très mauvais ! Reprends le contrôle bon sang !

Mais pour une fois je ne l'écoute pas.

- T'es pas croyable ! C'est la première fois que je vois ce genre de réaction !

Et aussitôt que mes paroles ont franchi mes lèvres, je comprends que j'aurai mieux fait d'écouter ma charmante conscience et de la fermer.

Le faible éclat d'intelligence qui miroite à travers les nuages gris de ses yeux se transforme en une flamme lorsque j'ai achevé ma phrase. Je ne sais pas ce qu'elle vient de comprendre en écoutant mes mots, si ce sont bien eux qui sont à l'origine du feu follet dérangeant au fond de ses iris, mais sa réaction ne me plaît absolument pas...

Ah tu vois ! Je te l'avais dit.

Ok je capitule. Tu avais raison.

Je reprends donc mon attitude froide et habituelle pour continuer mon « interrogatoire » qui est d'ailleurs beaucoup trop cool à mon goût. Il faut absolument que je me ressaisisse.

- Ce que je veux réellement savoir c'est ce que tu as vu... Le reste je m'en fous.

Elle semble se renfrogner en entendant le retour de mon ton froid et commence à se perdre dans une réflexion qui est pour moi aussi claire qu'un mur de hiéroglyphes.

Sans m'en rendre vraiment compte, je me suis avancé vers elle pour pouvoir mieux la voir et plus j'essaye de pénétrer ses pensées, plus celles-ci semblent s'épaissir.

Elle me détaille dans les moindres détails, retraçant les traits de mon visage avec l'iris de ses yeux dont la couleur aurait pu se confondre avec le gris brillant d'un crayon à mine de plomb.

Je sais que je fais de l'effet. Je suis habitué à ce que la gente féminine me relooke, souvent d'un œil envieux, durant des heures mais cette fois-ci c'est différent.

Elle est attirée. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure malgré la brume mystérieuse qui m'empêche de clairement voir ce à quoi elle pense. Mais elle est plutôt attirée comme... une enfant qui regarde curieusement une statue d'un artiste grec ou romain et qui se demande comment était le modèle à l'époque où celle-ci a été sculptée.

Elle est juste curieuse et c'est ça le plus troublant.

- Alors ?

De la peur. Oui c'est de la peur que j'entraperçois un court instant mais celle-ci est bien vite chassée par la question qu'elle lâche avec empressement.

- Alors quoi ?

Bien qu'elle m'intrigue plus qu'il n'est permis, ce petit jeu où elle fait semblant de ne pas comprendre commence à m'énerver.

- T'es fatigante...

Je m'approche encore un peu plus pour voir la moindre de ses réactions et place mes bras des deux côtés de sa tête pour avoir un meilleur appui.

Ce rapprochement me permet de remarquer que ma réplique ne l'a pas laissée indifférente car elle frissonne légèrement.

- Qu'est-ce que tu as vu ?

Étrangement, une partie de moi est réellement curieuse de savoir ce qu'elle a eu le temps de voir et ce qu'elle a compris. Car je sais qu'elle a compris un truc ou tout du moins qu'elle s'est imaginé tout un tas de scénarios. Je ne sais pas trop pourquoi mais je me doute que c'est ce genre de personne qui a une imagination débordante, parfois même un peu trop pour leur bien...

Elle semble avoir compris mon message et que je suis à bout de patience parce qu'une nouvelle lueur s'allume qui vacille entre compréhension et ennui - alors comme ça je la fais chier ? Eh bien elle perd rien pour attendre celle-là... - mais celle-ci est vite remplacée par une émotion que je n'aurai jamais cru voir dans ces yeux.

Elle se fige soudainement et sa respiration se coupe nette.

Ses yeux ne me voient plus. Ils semblent loin, perdus dans un cauchemar que seule elle peut voir.

Elle se met à trembler, à haleter et un voile de larmes vient masquer sa vision.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe.

Que peut-elle voir qui lui fasse aussi peur ?

- ... des 4x4 ... J'ai vu des 4x4.

Hein ?!

Qu'est-ce que...

Ce qu'elle a vu... elle vient de te dire ce qu'elle a vu.

Ah oui... c'est vrai.

Son moment de panique m'a complètement désarmé, désarçonné. Je ne sais pas du tout comment réagir.

Que faut-il faire dans ce genre de situation ?

Je devrais peut-être la laisser partir... dans tous les cas je pourrai toujours lui poser des questions plus tard...

Non mais attends ?! Depuis quand Alessandro Mizorati est-il devenu un gentleman qui se préoccupe du bien être des demoiselles en détresse ?!

Ouais... pas faux.

Ce n'est pas du tout mon style...

Alors je fais la seule chose que je sais bien faire, je m'énerve.

Pas réellement, non. J'hausse simplement le ton dans l'espoir qu'elle sorte de sa torpeur et que je puisse terminer ce pourquoi je l'ai attrapée de base, c'est-à-dire cet interrogatoire qui s'étire beaucoup trop à mon goût.

- Ne te fous pas de moi ! Qu'as-tu réellement vu ?

- Des 4x4 ! Je les ai vraiment vu ! Cinq Range Rover noires, garées sur le sable.

Elle a crié. A nouveau. Mais je n'ai pas vraiment l'impression qu'elle est vraiment en colère. C'est plutôt une sorte de muraille invisible qu'elle est en train d'ériger tout autour d'elle. Elle tente de se protéger. Mais de quoi ? Aucune idée.

La seconde chose que je remarque c'est le fait qu'elle ait reconnu le modèle des véhicules. Je ne dis pas qu'il n'existe pas des femmes qui sont intéressées par les voitures, bien au contraire. Mais de là à reconnaître des Range Rover la nuit. Et, tout en levant un sourcil sous le coup de cette agréable surprise, l'évènement d'hier me revient en mémoire. Je me souviens encore de son regard obnubilé qu'elle portait à ma Porsche et qui, il faut le dire, n'a fait que flatter on ne peut plus mon égo.

Ce charmant souvenir toujours dans un coin, je la pousse à continuer ses explications.

- Des hommes. Il y avaient des hommes autour ... qui portaient des caisses.

Elle a hésité.

Bien vu Sherlock...

Mais ce qui me frappe la plus, c'est son regard. Après avoir fini sa phrase, il semble se perdre dans un monde de pensées noires et sombres. En effet, il s'assombrit instantanément, perd sa teinte gris perle pour se noyer dans un gris ardoise et toutes les lueurs s'éteignent. Mais le plus surprenant est le fait qu'elle semble sourire. Oui, j'en suis certain, elle sourit tristement comme si on venait de lui annoncer sa mort mais que ça ne faisait que la soulager.

Attendez, attendez ! Ne me dîtes pas qu'elle pense que je vais la tuer.

Bien que tuer ne me dérange pas plus que ça, rien que l'imaginer morte me répugne. Comment pourrais-je résoudre la casse-tête gravé dans ses iris si ceux-ci venaient à s'éteindre ?

Comment peut-elle penser cela ?

Je suis si effrayant que ça ?

- Bon, tu as vu autres choses ? Comme un visage ou ce que contenait les caisses ?

Je sais que c'est impossible. Il fait nuit noire et même une personne avec une excellente vue aurait eu du mal à discerner autres choses que ce qu'elle m'a déjà dit. Mais à vrai dire, j'ai juste envie de continuer à la tester pour voir comment elle va réagir.

Mais rien. Elle ne me répond pas. Elle semble toujours perdue dans un brouillard de sombres réflexions.

A quoi peut-elle bien penser au point de ne pas m'avoir entendue ?

- Hé ! Tu m'écoutes ?!

- Quoi ? Ah euh ... désolée.

Non mais vraiment... elle est pas croyable. Elle s'entendrait sûrement bien avec Bastien. Cette simple réflexion me fait lever les yeux au ciel.

- Euh... Tu disais ?

Depuis quand sa voix est-elle devenue se faible ? Enfin bref, passons. Cet échange commence sérieusement à me taper sur les nerfs quoique le fait que je puisse commencer à désépaissir le mystère ambulant devant moi n'est pas si dérangeant que ça...

Comment ça pas si dérangeant ? Depuis quand tu t'immisces dans la vie des autres ? Crois-moi, si tu continues comme ça, tu risques d'avoir des problèmes...

Et alors ? Qu'est-ce que t'en as à foutre ?!

- Tu as vu ce que contenait ces caisses ou le visage d'un homme ? Ou encore le bateau ?

- Euh... Tu es au courant qu'il fait nuit noire et que c'est déjà difficile de distinguer ton propre visage, alors les traits d'une personnes à plusieurs dizaines de mètres ou ce que contenait des caisses fermées, c'est de l'ordre de l'impossible.

Attends ... quoi ? Elle vient réellement de me répondre ça ?!

Je ne sais plus s'il faut que je m'énerve ou que je ris.

Elle ne manque vraiment pas de caractère...

Mais je sens aussi qu'elle me cache des choses et ça... je ne le laisserai pas passer.

Je choisis donc la colère pour répondre à son insolence qui, je vous l'accorde, a son petit côté divertissant.

- Ne me prend pas pour un imbécile !

J'ai peut-être crié un peu fort mais ça a au moins l'effet de la remettre en place vu le léger sursaut qu'elle a et qu'elle tente de cacher.

- Je ne ...

- C'est vraiment tout ce que tu as vu ?

- Je ... euh ... Oui.

- ... bien.

J'ai encore quelques doutes sur son cas, elle semble toujours me cacher certains détails... Mais je découvrirai bien tout plus tard. Je peux la laisser. Il ne me reste qu'une chose à faire.

Je me rapproche d'elle, pour être bien certain qu'elle soit attentive à ce que je vais lui dire. Son bref regard qui semble me dire de m'éloigner, parce que je suis déjà bien assez proche d'elle, me fait mentalement sourire mais je ne me laisse pas déconcentrer.

- Tu n'as rien vu. Est-ce que c'est bien compris ?

Je m'attends à ce qu'elle me réponde instantanément, m'étant aussi rapproché pour lui faire pression mais c'est sans compter sa personnalité quelque peu... intrigante.

En effet, elle semble débattre quelques secondes intérieurement avant de me répondre d'une façon qui, à mes yeux, ne demande pas tant de réflexion...

- Oui.

- Bien.

Naturellement, après avoir eut ma réponse, j'aurai dû me reculer et la laisser partir. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre.

Des centaines de questions se bousculent dans ma tête. La fin de "l'interrogatoire" a entraîné une frénésie dans mon esprit qui, à présent, veut trouver une réponse à chacune des questions que je me suis posé durant toute sa durée.

Je ne veux pas la laisser partir ayant peur que ce soit le dernier moment où je pourrais lui parler.

Je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça. J'ai toujours été très curieux, mais pas au point d'être obsédé par l'idée fixe de découvrir le véritable visage de la fille dont la tête est toujours encadrée entre mes bras.

Je me mets à la fixer, essayant de déchiffrer la moindre émotion, le moindre changement qui pourrait me permettre de découvrir ce qui se cache derrière les vitres teintées de ses iris.

Mais elle ne bronche pas. Elle attend sagement que je me décide à enfin la laisser partir bien que je peux tout de même sentir que mon petit examen ne lui plaît pas du tout. Elle n'en peut plus, elle ne veut plus qu'une chose c'est pouvoir partir.

Voyant bien que je ne peux plus rien apprendre quoique ce soit sur elle ce soir, je me décide enfin à la laisser partir.

Je m'éloigne donc d'elle et, aussitôt que l'espace creusé est assez grand, elle s'y précipite.

Elle s'échappe, glisse au travers des mailles de mon filet et je la laisse partir à contre cœur, la regardant de dos s'éloigner à la hâte.

Elle semble fuir.

Oui.

Elle s'enfuie le plus rapidement de...

de moi ?

***

Je laisse le puissant jet d'eau chaude couler du pommeau, sa chaleur relaxante détendant mes muscles endoloris.

A peine suis-je rentré de ma sortie nocturne que je me suis jeté sous la douche pour tenter d'apaiser mon cerveau en ébullition après ce qu'il s'est passer près des bois.

Lorsque je suis redescendu pour rejoindre Bastien et le reste de la troupe, tout était terminé et ils n'attendaient plus que moi pour décamper. Heureusement pour moi, personne ne m'a vraiment posé de question lorsque je me suis installé devant le volant n'étant pas dans la même voiture que mon ami et à peine arrivé je me suis éclipsé rapidement afin de les éviter, lui et sa curiosité maladive.

A présent, les cheveux trempés, des gouttelettes dégoulinant le long de mon torse, je n'arrive pas à effacer les souvenirs de la soirée malgré la chaleur et la vapeur qui me brouillent la vue.

J'en suis certain désormais, elle m'a fui. Je ne sais pas pourquoi cette simple information me fait tant d'effet mais ma curiosité est piquée. Elle a envie de découvrir pourquoi elle a agi de cette manière et surtout qu'est-ce qui l'a poussé à faire ça. Je ne me suis pas senti si menaçant, enfin comparé à d'autres fois ce n'était vraiment rien. Pourtant, elle m'a semblé terrorisée. Comme si... comme si elle avait déjà vécu ce genre de choses mais que ça ne s'était pas bien terminé.

Aurait-elle... aurait-elle déjà été battue ?

A peine mon cerveau a-t-il eu le temps de recréer la scène où elle se ferait frapper que mon sang ne fait qu'un tour et mes poings se crispent. Je ne la connais que depuis peu et je sais pertinemment que le fait que je me sente ainsi est ridicule, mais je n'y peux rien. Rien que d'y penser me donne la nausée et au fond de moi j'espère sincèrement que ce ne soit pas ça.

Mes réflexions devenant aussi troubles et brumeuse que l'air ambiant dans lequel danse la vapeur d'eau, je décide, bien malgré moi, de couper le jet et de sortir de la douche.

Une simple serviette autour de la taille, je sors de la salle de bain pour me diriger vers la grande armoire moderne de ma chambre. Je fais coulisser une des portes en bois noir et attrape un simple t-shirt noir et un jean que j'enfile par-dessus un boxer puis, les muscles toujours endoloris malgré la douche brulante, je me laisse tombé dans un des larges fauteuils de cuirs qui font face à la grande baie vitrée. De là, j'ai une vue imprenable sur le jardin plongé dans l'obscurité, seulement illuminé par la faible lueur bleutée de la piscine ainsi que les rayons de la lune qui dessinent faiblement le précipice formé par les falaises délimitant celui-ci.

C'est en regardant le disque argent qui luit dans le ciel étoilé qu'un léger détail qui m'était complètement sortit de l'esprit me revient en mémoire.

Me levant d'un bond, je me dirige promptement vers la salle de bain dont la porte entrouverte laisse s'échapper les vapeurs chaudes et les odeurs de gel douche. Là, je me mets à chercher du regard mon pantalon que j'ai délaissé et, ayant mis la main dessus, je fouille rapidement les poches arrière pour retrouver le pendentif perdu.

Il doit surement être à elle même si je ne me souviens pas l'avoir vu autour de son cou hier lors de notre première rencontre.

Je me mets à l'observer attentivement alors que je suis revenu m'installer dans mon fauteuil.

Le pendentif rond est pendu à une fine chaîne d'or qui me glisse entre les doigts alors que je l'inspecte sous toutes les coutures.

Comme je l'ai déjà remarqué sur la plage, un majestueux arbre orne le médaillon, trois petits diamants accrochés au milieu de ses branches. Passant un doigt dessus, je me mets à me demander ce qu'il peut bien vouloir dire. Si c'est bien à elle, qui a bien pu lui offrir ?

Attends, attends, attends ! Pause ! Est-ce qu'on pourrait savoir ce que tu fous là ? Evite de te poser ce genre de questions, ça serait mieux.

C'est vrai que ma curiosité reprend facilement le dessus ces derniers temps. Il faut que je l'arrête et ce, avant qu'elle ne fasse une connerie.

Bien décidé à me sortir cette fille de la tête, je me lève pour déposer le collier dans un des tiroirs de ma table de nuit et sors de la chambre, y laissant toutes mes questions tordues et réflexions incohérentes.

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