Chapitre 1
La lumière qui s'infiltre dans ma chambre malgré les volets et les rideaux à fleurs, finit par me réveiller et je tente de lever mes paupières encore lourdes de sommeil sans grand succès.
Allongée dans mon grand lit à deux places, je contemple pendant quelques minutes le plafond blanc qui s'offre à mes yeux fatigués.
Des chants d'oiseaux me parviennent depuis l'extérieur et je souris. Les vacances viennent de commencer et je suis arrivée hier dans la grande maison familiale en Bretagne. Comme chaque été, je vais passer près d'un mois ici avec mes deux sœurs et mes cousins mais cela ne me dérange pas, j'adore ma cousine qui a mon âge et la mer m'a grandement manqué.
Repoussant l'édredon qui me tient chaud, je sors mes jambes du lit, je m'assois à son bord et je m'étire longuement. J'attrape ensuite mon portable sur la table de nuit et jette un œil à l'écran pour savoir quelle heure il est.
10h37... soupiré-je. Ils ne vont pas tarder à arriver.
Je me lève rapidement pour me diriger vers la grande armoire en bois flotté qui semble me surveiller de toute sa hauteur. Ouvrant sa porte où un immense miroir me renvoie une image peu flatteuse de ma personne, je prends un t-shirt aux couleurs pastel et un short en jean que j'enfile en vitesse. Puis je sors dans le couloir pour me diriger vers la salle de bain que je partage avec mes sœurs et ma cousine.
Je me passe un peu d'eau sur le visage afin de me réveiller et me peigne rapidement. Lorsque ma crinière brune est un tant soit peu présentable, je me décide à quitter la salle d'eau pour me rendre en bas prendre mon petit-déjeuner.
La vielle bâtisse dans laquelle je passe tous mes étés depuis mon enfance appartient à mes grands-parents paternels. Elle doit dater du 19e siècle et sa face de pierre grise m'a toujours rassurée. Les grands escaliers de chêne que je dévale m'ont vu grandir et je souris en sautant les deux dernières marches, me souvenant de Camille et moi qui utilisions autrefois un matelas pour en faire un toboggan improvisé malgré les nombreuses interdictions de nos parents. Cette maison est vraiment mon arbre à souvenir, chaque pièce, chaque objet m'a observée depuis ma naissance, devant supporter le duo de choc que nous formions avec ma cousine, duo surtout très doué pour tout détruire sur son passage...
Entrant dans la cuisine, j'attrape une bouteille de lait dans le frigo ainsi qu'un verre dans un des placards muraux et sors de la pièce pour me diriger vers la grande véranda en verre qui s'avance dans le prolongement de la maison.
Je salue les personnes déjà présentes qui discutent autour de la table en fer forgé blanc puis vais m'assoir sur un des bancs autour de celle-ci sans prêter attention aux discussions en cours.
Après avoir attrapé une crêpe, je me mets à manger en silence, mes pensées comme seule compagnie. Je suis arrivée hier soir, tard dans la nuit et je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller voir la mer que j'aime tant. Je l'ai depuis toujours considérée comme une amie. Je me sens bien lorsque je me laisse porter dans ses bras aqueux, les oreilles sous la surface, les yeux mi-clos plongés dans le bleu infini du ciel, plus aucune pensée me traversant.
Elle est comme une seconde mère pour moi dans laquelle je peux aller me réfugier à tout moment et dont je ne peux pas me passer.
A chaque fin de vacances, lorsqu'il est temps de la quitter, j'ai toujours ce petit pincement au cœur qui vous prend lorsque vous quitter une personne qui vous est chère et que vous ne reverrez pas avant un certain temps. Alors à présent je n'ai qu'une hâte : me retrouver sur la plage, mes pieds nus dans le sable chaud, les yeux rivés sur cette étendue d'eau qui a toujours fascinée les hommes par sa couleur indescriptible et sa puissance destructrice, le bruit répétitif des vagues me berçant doucement.
Après avoir fini ma deuxième crêpe en un temps record et bu mes deux verres de lait quotidiens, je me lève et retourne dans la cuisine pour laver mes couverts.
Une fois mes dents brossées, je lace mes chaussures et, non sans avoir prévenu ma grand-mère de ma sortie, je me dirige vers le garage pour y prendre le vieux vélo noir de mon père, vélo que je me suis appropriée, il ne faut pas se mentir... mais bon personne ne m'a fait de remarque alors j'en ai déduit que personne n'en avait quelque chose à faire.
Je dépasse le portail de bronze encadré par deux colonnes de pierre sur lesquelles sont couchés deux lions qui semblent surveiller la propriété, figés dans le granit. Je débouche tout de suite sur la route de goudron qui mène à la plage et tourne à droite.
A peine mes yeux ont-ils aperçu le bleu de l'océan sur lequel glissent paresseusement de petits nuages blancs, que les effluves marines me parviennent aux narines. Le sel, volé à la mer par le vent, vient à la rencontre de mes lèvres pour y déposer ses petits grains transparents et les vagues, venant terminer leur course sur le sable chaud, jouent pour moi la plus belle des mélodies.
Arrivée en haut des dunes, j'attache en vitesse mon vélo et me dirige au pas de course vers mon paradis. J'enlève alors mes baskets et, les prenant à la main, je laisse mes orteils plonger dans le sable. Ses grains se mettent à glisser contre ma peau, me chatouillant légèrement et je souris, heureuse de retrouver cette sensation qui m'a tellement manquée.
Je m'avance ensuite vers l'eau, mes pieds s'enfonçant à chaque pas un peu plus dans le sable chaud et lorsqu'enfin je sens l'eau froide qui enlace mes chevilles dans un mouvement élégant, une bouffée de bien-être me réchauffe détendant tout mon corps.
J'ai envie de m'aventurer un peu plus dans l'eau mais le problème du maillot de bain vient très vite s'imposer à mon esprit et mon côté pudique m'interdit catégoriquement d'aller nager en sous-vêtements.
Je soupire donc en me disant que j'irai me baigner avec Camille cette après-midi.
En pensant à ma cousine, je jette un coup d'œil à ma montre pour savoir combien de temps il me reste avant son arrivée qui est normalement prévue pour midi.
L'aiguille d'argent indique onze heures passées.
Encore un peu moins d'une heure et je pourrai enfin la revoir ! Le sourire que je présentait déjà à la mer ne fait que s'agrandir à cette pensée.
Un an que je ne l'ai pas vue ! Elle m'a tellement manqué ! L'envie pressante de la prendre dans mes bras et de revoir son sourire me prends et je me frappe mentalement : je n'ai réussi qu'à augmenter mon empressement que ma faible patience avait déjà du mal à contenir. Merci moi ... À présent il faut que je trouve quelque chose qui puisse m'occuper l'esprit jusqu'à son arrivée...
Sans que je ne lui demande quoi que ce soit mon cerveau me dresse la liste complète de toutes les activités que je pourrais faire et elle est longue cette liste puisque j'ai presque le droit de tout faire.
L'idée de rentrer à la maison me changer pour revenir me baigner m'effleure mais ma flemme légendaire la chasse sans que je puisse dire quelque chose et je décide donc de passer le temps dans les rochers qui se réchauffent doucement au soleil un peu plus loin.
M'approchant d'eux, je dépose mes chaussures dans le sable, personne ne viendra me les voler de toute façon alors ça ne me sert à rien de me les trimbaler partout. Je m'avance ensuite vers les pierres couleur café dans lesquelles de petites marres d'eau salée se sont formées après le départ de l'océan.
Je souris me revoyant enfant, riant aux éclats, une épuisette à la main pour tenter de pêcher de minuscules crevettes translucides qui se terraient dans ces flaques d'eau.
A force d'y venir, je les connais par cœur et j'ai acquis un très bon équilibre qui me permet de courir dans ses pierres sans me casser la figure et vu ma maladresse aussi légendaire que ma flemmardise, c'est vraiment un miracle.
Marchant quelques minutes sous le soleil qui commence à taper, je repère rapidement mon rocher fétiche et m'assois, gigotant quelques instants afin de trouver une position confortable. Lorsque mon postérieur a enfin trouvé un emplacement à son goût, je me penche un peu en arrière de manière à pouvoir contempler et la mer et le ciel, laissant le soleil me réchauffer la peau.
Sur la ligne d'horizon qui les sépare, quelques voiles blanches avancent au gré du vent, semblables à de petits triangles, et les nuages cotonneux qui semblent se prélasser dans le ciel azur, se reflètent dans les eaux bleu roi de l'océan. La mer scintille sous le soleil, haut dans le ciel, comme si elle avait revêtu un manteau de diamants tandis que les vagues qui lancent leur écume moutonneuse contre les rochers éclaboussent mes jambes nues.
Un vent frais se lève et, m'apportant l'odeur salée et indescriptible de la mer, se met à souffler dans mes cheveux, les emportant au loin dans ses bras invisibles. Une mèche de ma chevelure brune vient se coller à mon visage et je l'attrape d'une main pour tenter de la remettre en place mais j'abandonne vite cette entreprise en me rendant compte que le vent s'est mis en tête de me faire manger mes boucles emmêlées.
Je ne sais pas vraiment combien de temps je reste là, assise seule au milieu des rochers ayant pour seule compagnie les éléments naturels, lorsque soudain j'entends un cri qui me sort de ma rêverie.
Relevant la tête dans un geste brusque, j'ai tout juste le temps d'apercevoir une silhouette dans l'eau avant que celle-ci ne disparaisse de la surface.
Ne réfléchissant pas plus longtemps, je me mets à traverser les rochers en quelques enjambées et une fois sur le sable, j'enlève ma montre et tous les objets qui ne supporteraient pas le sel de mer ni même l'eau d'ailleurs, et les enfournent en vitesse dans mes chaussures restées sur le bord.
Je me mets alors à courir vers l'océan à en perdre haleine. Les cheveux dans le vent, mes oreilles sifflent comme si elles avaient compris qu'il se passe quelque chose de grave.
Lorsque j'entre dans l'eau, celle-ci s'éparpillent en gerbe autour de moi au rythme de mes pas précipités et le froid me prend à bras le corps mais je ne lui prêtai aucune attention, me focalisant sur l'endroit où la personne vient de disparaître.
Je plonge alors et me mets à nager rapidement le crawl bien que mes poumons soient en manque d'air et que mes membres soient presque paralysés par le froid ambiant. Mon short en jean me colle à la peau et je déteste cette sensation mais je me force à en faire abstraction comme toutes les autres, il faut que je reste concentrée.
J'arrive enfin à l'endroit funeste et plonge une première fois ma tête dans l'eau, ouvrant les yeux pour tenter d'apercevoir quelque chose. Mais je ne discerne rien.
Je ne me suis pas rendue compte à quel point c'est profond : le sable au fond m'apparaît comme à des kilomètres !
Je commence alors à paniquer, ne trouvant aucune trace d'une quelconque présence. Le cri était il y a moins de trente secondes, l'inconnu n'a pas pu disparaitre de la sorte, pourtant je ne vois rien !
Je tente à nouveau d'apercevoir quoi que ce soit et ce n'est qu'à la troisième tentative que j'arrive à distinguer un mouvement sur ma gauche qui attire mon attention.
C'est une forme humaine, j'en mettrai ma main au feu !
Plongeant cette fois-ci complètement, j'essaye d'oublier mes vêtements trempés qui me collent à la peau et entravent mes mouvements ainsi que du sel qui commence à me piquer les yeux, pour ne me concentrer que sur ce que je dois faire.
Quand mes doigts entrent enfin en contact avec un corps humain, je ne réfléchis pas une seconde de plus et le saisis. Je cherche un court instant sa taille et, lorsque mes bras le tiennent fermement, je donne un petit coup de pied au sol pour me propulser vers la surface.
Ça m'a pris moins d'une minute mais mes poumons sont vidés. Je prends donc une grande inspiration avant de me concentrer sur le noyé... ou plutôt la noyée, comme me l'apprend ma bouche qui étouffe sous la tignasse trempée de la pauvre jeune fille.
Heureusement pour moi, elle est dans la bonne position de sauvetage et je n'ai pas à la retourner pour qu'elle puisse respirer sinon là ça n'aurait pas été une mince affaire.
Passant un bras sous sa poitrine, je m'allonge de tout mon long pour la porter et me mets à nager, utilisant mes deux jambes et mon bras libre pour me propulser tout en la tenant fermement.
Lorsqu'enfin j'arrive sur la plage, je sors le corps inerte de la jeune fille et commence à lui prendre son pouls. Il est faible mais j'arrive tout de même à le sentir.
Sachant cela, j'ai l'impression qu'un poids, et pas des plus légers, vient de quitter mes épaules endolories. Je soupire, légèrement rassurée.
Après une courte hésitation, je me mets à lui faire un massage cardiaque qui ne dure pas très longtemps étant donné qu'après seulement une dizaine de mouvements, ma noyée rouvre les yeux en crachotant.
J'en suis réellement soulagée car la plage est vide à cette heure-là et je ne sais pas ce que j'aurai fait si elle ne s'était pas réveillée puisque les seules personnes à qui j'aurai pu demander de l'aide est un groupe de jeunes goélands aux plumes tachetées qui, à mon humble avis, ne m'auraient pas apporté un grand secours... Mais bon après ce n'est que mon avis hein ! Peut-être que ces volatiles sont très intelligents... mais permettez-moi d'en douter.
Coupant court aux réflexions sans queue ni tête de mon esprit en surchauffe qui n'arrive pas à se remettre de ce qu'il vient de se passer, je reporte mon attention sur la personne que je viens de sauver.
Elle s'est relevée en position assise et me regarde de ses grands yeux aussi bleus que les eaux dans lesquelles elle a failli se noyer quelques minutes plus tôt.
Elle doit avoir à peu près mon âge, peut-être une ou deux années de moins, mais je la dépasse d'une bonne tête. Ses cheveux blond vénitien dégoulinant d'eau de mer, lui tombent devant son visage mate et lui donnent un air de zombie sorti de terre... enfin plutôt sorti de mer dans son cas.
Je dois la regarder de travers car ses jours s'empourprent rapidement, à peine dissimulées sous la couleur brune de sa peau bronzée, et elle baisse ses yeux pour les fixer sur ses pieds qui se tortillent dans le sable mouillé.
Elle est mal à l'aise, me souffle ma conscience.
Nan... tu crois ?!
- Ça va ?
Ce doit être moi qui vient de parler parce que je n'ai pas vu ses lèvres pulpeuses remuer et c'est en entendant ma voix essoufflée que je me rends compte que je suis à bout de souffle. Ma bouche entrouverte laisse échapper ma respiration saccadée et ma poitrine se soulève rapidement.
En m'entendant, elle relève sa petite tête vers moi et me regarde d'une drôle d'air.
- Oui, merci... murmure-t-elle tellement bas que je dois tendre l'oreille pour parvenir à distinguer quoique ce soit.
J'allais lui demander ce qu'elle faisait seule sur la plage alors qu'elle avait failli se noyer, quand je remarque une forme floue qui fonce sur nous à une vitesse vertigineuse. Je n'ai pas le temps de réagir que déjà elle est sur nous et me percute de plein fouet.
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