Chapitre 5

Le groupe d'amies n'avait pas perdu de temps. Après avoir mis Béatrix au courant de la situation et avoir mis au point une stratégie pour la journée à venir, elles s'étaient rendues en cours, comme si rien de tout cela ne s'était jamais produit, en priant pour que Béatrix parvienne à rester à l'abri dans leurs appartements durant leur absence.

Les cours de la matinée s'étaient enchaînés, tous un peu plus éprouvants les uns que les autres. Ce n'est qu'après la pause déjeuner que Stella avait réussi à se rendre jusqu'au cercle de pierre pour y retrouver Blake en toute intimité. Le cœur magique d'Alféa n'était jamais utilisé à cette heure de la journée et, par chance, suffisamment reculé des résidences pour que personne ne veuille s'y rendre en dehors des heures de cours.

Lorsque Stella pénétra dans le cercle rocheux, il était là, se tenant de dos, contemplant la magnifique cascade dont les eaux s'abattaient en contre bas de la vallée. Elle s'arrêta au centre quand elle comprit qu'il ne l'avait pas entendue arriver et en profita pour le détailler un instant. La princesse de Solaria le savait séduisant, elle l'avait constaté lors de leur rencontre inopinée, mais comme la première fois qu'elle le voyait, sa stature droite et son port altier dégageaient un charisme qui donnait à regarder.

Elle n'avait aucun doute. À la manière dont il se tenait, à la classe du choix de ses vêtements et à la prestance qu'il dégageait en permanence, il avait tout d'un prince. D'un futur roi en puissance. Il était tout ce qu'elle était, au masculin. Seule contrastait avec les cheveux courts et blonds de Stella son épaisse chevelure de jais.

- Merci d'être venu, le salua-t-elle avec une sincère gratitude.

Le jeune homme ne se retourna pas, mais elle entendit une pointe d'amusement dans la réponse qu'il lui adressa.

- Pourquoi ne serais-je pas venu ?

- Je ne sais pas, avoua-t-elle. Je me suis dit que peut-être tu aurais changé d'avis.

Il secoua vivement la tête.

- Aucune chance. Je ne me serais pas volontairement fait tabasser pour me défiler ensuite.

Stella fronça les sourcils. Tabasser ? Elle s'apprêtait à lui demander en quoi sa fausse bagarre avec Sky relevait de ce terme, mais il la devança en se retournant pour lui faire face.

Les traits contrariés de la princesse laissèrent place à une réelle surprise tandis qu'elle constatait que, en effet, la bagarre à laquelle elle n'avait pas assisté n'avait rien dû avoir d'amical.

Le visage si séduisant qu'elle connaissait de Blake était tuméfié, offrant à sa joue droite une couleur bleutée. Sa lèvre inférieure, fendue, avait dû être recousue et avait gonflé sous l'agression qu'elle semblait avoir subie.

Prise d'une spontanéité nouvelle, elle combla l'espace qui la séparait du garçon en quelques enjambées et glissa sa main dans le cou de celui-ci pour caresser sa joue ecchymosée de son pouce. Un geste audacieux qui surprit le jeune homme, mais qui fut loin de lui déplaire.

Stella le fixa quelques instants, le visage grave. Ce n'est que lorsqu'il se saisissait de sa main pour stopper son mouvement, après avoir poussé un petit gémissement de douleur à la pression exercée par son pouce, qu'elle remarquait pleinement ce qu'elle était en train de faire. Son cœur, tout comme son estomac, fit un bond vertigineux dans sa poitrine et elle se serait sans nul doute reculée s'il ne la maintenait pas si proche de lui de sa poigne ferme.

Cette proximité la gênait. Elle avait beau l'avoir elle-même initiée, elle lui semblait atrocement fausse. Elle n'avait rien fait de mal, elle le savait bien, pourtant elle ne pouvait pas s'empêcher de ressentir cette culpabilité grandissante dans son esprit, vis-à-vis de celle qui l'attendait dans sa propre chambre.

- Désolée, murmura-t-elle, le souffle court. Je ne voulais pas te faire mal...

- Ce n'est rien, répondit-il en lâchant finalement l'emprise qu'il avait sur son poignet. Disons que Sky n'y a pas été de mains mortes.

Il fit un pas en arrière, libérant quelque peu Stella du malaise qui l'habitait.

- Mais au moins ça a donné le change, indiqua-t-il en haussant les épaules. Ta mère est persuadée que je m'intéresse à toi, maintenant.

Stella aurait dû être soulagée. Néanmoins, elle ne l'était pas. Bien au contraire. Si elle s'écoutait, elle n'était pas pleinement sûre que ce soit une bonne chose. Mais avec un peu d'imagination, peut-être pourrait-elle être capable de tirer avantage de cette situation, pensait la princesse.

- Tu pourras toujours être mon alibi, osa-t-elle plaisanter.

Cette remarque fit naître un sourire en coin sur les lèvres du jeune homme.

- Je le serais si tu es le mien.

- Promis.

Un long silence s'abattit à la réponse de Stella. Les deux adolescents se contentaient de se sentir mutuellement, à la fois gênés et amusés de la tournure qu'avait prise leur rencontre.

Blake fixa la fée de la lumière durant un long moment, augmentant malgré lui le malaise qu'il provoquait chez elle. Ça n'avait rien de méchant et d'indiscret. Il la trouvait tellement jolie dans ce halo de magie, rayonnante de prestance.

La princesse recula à son tour pour venir s'appuyer le bas du dos contre la grosse pierre qui faisait office de présentoir ou de table, selon les moments, au centre du cercle. Son long manteau fermement serré contre son corps, le prince de Pandore devinait que son amie devait avoir froid. Pendant un instant, il envisagea de se dévêtir pour lui offrir son blouson, mais il n'en avait pas. Il n'en avait que rarement besoin, à vrai dire. La chaleur de sa magie lui suffisait à se réchauffer.

- Est-ce que vous avez réussi à libérer ton amie ?

Le petit sourire qui trônait sur les lèvres de Stella se fit plus grand lorsqu'elle se mit à penser à Béatrix. Un fait que Blake ne manqua pas de remarquer.

- J'en déduis que oui, s'empressa-t-il d'ajouter. Est-ce qu'elle va bien ?

Stella mordit spontanément sa lèvre inférieure, légèrement embêtée d'avoir ainsi laissé paraître ses émotions.

- Oui, acquiesça-t-elle. Elle est restée fidèle à elle-même.

- Tant mieux.

Le sourire de Blake se ternit à cette phrase. Stella ne savait pas dire s'il était déçu ou simplement distrait par quelque chose d'autre, qui aurait subitement refait surface dans son esprit. Toutefois, elle ne le prit pas personnellement. Car il avait raison, pour elle, tout ce qui importait était bien de savoir que Béatrix allait bien.

- Comment on fait, maintenant ? demanda-t-elle avec sérieux. Tu es le seul à savoir comment s'approcher de ce monstre.

Un long soupir quitta les lèvres du jeune homme. Il aurait préféré ne pas être en possession de ces informations. Parce que ça voudrait dire que rien de ce qu'il avait vécu n'était vraiment arrivé. Surtout, ça voudrait dire que sa sœur n'était pas morte.

- Il y a un mouvement de résistance sur Pandore, lui apprit-il. Mon meilleur ami, Scott, en est à la tête, mais ils manquent de ressources et de forces.

Le jeune homme marqua une pause, faisant mine de réfléchir, avant de reprendre avec plus d'incertitude.

- Je me suis dit qu'on pourrait peut-être commencer par les rejoindre pour leur donner un coup de main. Scott m'a dit que mes parents étaient retenus prisonniers dans les donjons du château. Il ne sait pas pour combien de temps ils resteront là avant d'être exécutés par cette chose.

Stella hocha vivement la tête. Ce n'était pas très élaboré comme plan, mais c'était tout ce qu'ils avaient pour le moment. Et c'était toujours mieux que de ne rien avoir du tout.

- Comment est-ce qu'on s'y rend ? demanda-t-elle.

- C'est là que ça se complique, avoua le jeune homme.

Il passa une main nerveuse dans sa nuque pour se la masser. Un geste machinal qui fit sourire la princesse malgré la situation. Elle trouvait ça craquant.

- Le seul moyen de rejoindre Pandore, c'est de passer par le Portail Entre Les Mondes...

Il se stoppa dans sa lancée pour observer avec attention la fée de la lumière devant elle. La réaction qu'elle eut fut identique à celle qu'il avait imaginée : les muscles de Stella se raidirent et elle secoua la tête de droite à gauche. Voilà qui n'allait pas arranger leurs affaires.

- Mais ce portail se trouve à Solaria, indiqua-t-elle. On ne peut pas aller là-bas sans se faire repérer, et encore moins avec Béatrix qui est recherchée par toute la Garde.

- Sauf que nous n'avons pas vraiment le choix, lui rappela Blake en arborant un air désolé. Tous les autres portails ont été détruits durant la guerre.

- C'est une mission suicide, releva la fée de la lumière en croisant ses bras contre sa poitrine. Est-ce que tu en es conscient, au moins ?

Blake leva vivement les bras vers le ciel, outré.

- Que veux-tu que je fasse d'autre ? On parle de mes parents, Stella. De mon royaume. Je ne peux pas les laisser à leur triste sort sans rien faire ! Je suis le prince. C'est mon devoir de les protéger et de me battre pour eux.

Un long silence s'abattit à nouveau entre les deux jeunes gens. Leurs regards plongèrent, l'un dans l'autre, tels des chiens de faïences, à attendre le premier mouvement de l'autre. Ils se sondèrent ainsi durant de longues minutes.

La douleur qui transparaissait dans les pupilles du jeune homme fendit le cœur de Stella. Il avait choisi le bon auditoire, pensa-t-elle en un soupir intérieur. Face à un tel argumentaire, aucun membre d'une cour royale, aucune personne partageant leurs obligations, leurs privilèges, n'aurait pu refuser sa demande. Blake avait pleinement conscience de ses obligations et il était courageux. C'était un point qu'ils avaient en commun. Et si elle avait été à sa place, Stella était persuadée qu'elle aurait agi de la même manière.

- Je vais convaincre les filles, abdiqua-t-elle dans une promesse tacite. Mais elles ne vont pas être ravies, je te préviens tout de suite.

- Merci, Stella.

La reconnaissance qui perçait dans la voix de Blake était sincère. Un dernier échange de regard indiquait à la princesse de Solaria que son aide serait certainement récompensée, un jour, par le futur souverain. Ce n'était pas qu'une simple coopération qui s'opérait entre ces deux jeunes figures de pouvoir, mais bel et bien une alliance qu'ils se devaient de conserver pour des jours moins heureux.

oOoOoOo

Seule dans cette chambre depuis des heures, le temps paraissait atrocement long à Béatrix. Plus il passait et plus elle avait l'impression que quelqu'un s'amusait volontairement à le rallonger. Elle avait fait du mal à beaucoup de gens par le passé, mais quand même. Elle estimait ne pas mériter cela. D'autant plus que les activités qui s'offraient à elle étaient particulièrement peu variées. Elle en avait vite épuisé les possibilités en quelques minutes.

Il fallait dire qu'arroser les plantes n'était pas vraiment ce qu'elle préférait et elle doutait que Terra soit ravie qu'elle les noie. Elle s'était donc abstenue. Pendant un instant, elle avait même pensé à utiliser son téléphone pour se distraire, mais il s'avérait qu'en raison de son statut de fugitive, elle n'y avait évidemment pas droit. La reine Luna aurait été capable de traquer l'activité de son cellulaire et ni Béa ni les Winx ne pouvaient prendre ce risque.

Alors, la fée de l'air tournait en rond dans la chambre de Stella, après avoir fouillé dans chaque coin de la colocation pour trouver une piètre occupation. En vain. Ses jambes la lançaient tant elle faisait les cent pas. Jamais elle n'avait connu un tel ennui auparavant.

En s'approchant du bureau de la princesse, elle décidait de s'y asseoir. La chaise sur laquelle Stella avait pour habitude d'étudier était confortable, contrairement à celle de Flora qui trônait dans le coin opposé de la pièce. Nullement surprenant aux vues de son titre, pensait Béatrix dans un soupir intérieur. Elle savait à quel point la fée de la lumière regrettait ses privilèges parfois, mais la fée de l'air aurait menti si elle avait assuré qu'elle n'aurait pas aimé être à sa place, de temps en temps. Car au fond, ça devait faire du bien d'avoir une famille à laquelle se raccrocher quand tout allait mal.

Le regard de Béatrix vaqua sur la tonne de livres qui reposaient sur un coin du bureau. Elle les avait déjà détaillés dans sa quête d'activité, bien sûr, mais n'avait rien trouvé d'intéressant dans les titres de ces derniers. Et pour cause, elle en avait déjà lu la plupart puisqu'il s'agissait de lecture imposée pour leurs cours d'histoire de la magie.

Son ennui profond ne fit que se renforcer à ce constat. C'est là qu'elle le vit. Posé sous la pile de livres, un gros manuel auquel elle n'avait pas prêté davantage attention que cela se démarquait de par sa couverture dorée et sa reliure élégante. Sans attendre plus longtemps, Béatrix s'en saisit et l'ouvrit devant elle, pour en découvrir le titre, élégamment imprimé dans des lettres d'or : « Histoire Royale du Royaume de Solaria ».

Les yeux de Béatrix se mirent à pétiller de curiosité. Voilà un sujet qu'elle aimait : l'Histoire. Peu importe de quel genre d'histoire il s'agissait, elle connaissait déjà beaucoup plus de choses que l'ensemble des étudiants d'Alféa sur l'histoire de la magie et de l'Autre Monde. Mais avec un peu de chance, peut-être trouverait-elle des informations intéressantes entre ses pages entièrement dédiées au royaume souverain.

Une manœuvre qui avait particulièrement marché puisque Béatrix ne savait pas dire combien de temps elle était restée plongée dans l'histoire royale de Solaria. Mais toujours était-il qu'elle en avait appris bien plus qu'elle ne l'aurait cru lorsqu'elle avait commencé à parcourir les phrases.

Elle ne s'arrêta que lorsqu'un léger mal de crâne fit surface, conséquence première du trop plein d'informations qu'elle venait d'acquérir en si peu de temps. Béatrix n'avait aucune envie de tirer un trait sur sa lecture, mais elle savait qu'il fallait qu'elle s'octroie une pause, sans quoi la douleur s'intensifierait. Elle releva donc la tête pour observer le paysage qui s'offrait à elle grâce à la fenêtre, face à elle.

La fée de l'ombre regretta soudainement son geste. La chambre de Stella et Musa offrait une parfaite vue sur le chemin qui menait au cercle de pierre où toutes les fées d'Alféa s'exerçaient à la magie. En général, lors des heures de cours, il était très animé. Mais à ce moment de la journée, il aurait dû être désert. Et pourtant, là, sur le chemin de terre, se tenait Stella, accompagnée par un jeune homme brun que Béatrix ne connaissait pas. Ce dernier, visiblement séduisant et à l'allure sympathique, se tenait près de la blonde avec un sourire amusé qui faisait écho à celui de la princesse.

Un intense sentiment de jalousie s'emparait de Béatrix tandis qu'elle se trouvait incapable de détourner le regard de ce qu'il se passait, face à elle. Un rire s'échappa de la bouche de Stella, elle le voyait aux soubresauts qu'effectuaient ses épaules alors que le garçon osait glisser une main audacieuse dans le bas de son dos.

- J'hallucine, déclara Béatrix en serrant les poings sur le bureau.

La fée de l'air n'était pas jalouse, en temps normal. Elle ne l'avait jamais vraiment été. Néanmoins, c'était le cas, ce jour-là. Et ce qui lui faisait le plus mal, au fond, ce n'était pas de voir Stella être proche de quelqu'un d'autre, mais de la voir être heureuse alors qu'elle n'était pas là. De la savoir amusée alors qu'elle se souvenait des monologues que lui servait la blonde lorsqu'elle était en état de stase, et où elle lui confiait à quel point elle était triste et perdue sans elle. C'était également de le voir glisser cette main au creux de ses reins, — ou sur ses fesses peut-être, elle ne savait dire —, sans que l'héritière ne le repousse.

Se pouvait-il que tout ce qui lui avait confié Stella, pensant qu'elle ne l'entendait pas, fût faux ? Peu importait, pensait la fée de l'air, ça faisait toujours aussi mal.

Dans un élan de spontanéité, Béatrix s'était levée et s'était mise à chercher frénétiquement quelque chose qui lui servirait à emporter quelques affaires. Elle n'avait plus aucune envie de rester là alors que son cœur, son corps tout entier, saignait. Elle commença par retourner les affaires de Stella, puis celles de Flora en prenant garde à tout remettre à sa place ensuite, sans ne jamais rien trouver. Alors, elle fit irruption dans la salle de vie commune, mais là encore, un simple coup d'œil lui indiquait qu'il n'y avait rien qui puisse l'aider dans sa démarche.

Par chance, ou par malchance pour elle, à cet instant-là, elle n'eut pas le temps d'aller plus loin dans sa démarche. Sans prévenir, la porte d'entrée de la colocation s'ouvrit sur les seules personnes que la fée de l'air n'avait pas envie de voir.

Stella et Blake pénétrèrent dans la pièce, en pleine conversation animée de sourires et Béatrix crue vomir. Le regard de la princesse se posa sur elle à peine eut-elle franchi le seuil de la porte et le sourire qui trônait sur ses lèvres s'envola. Le ventre de Béatrix se noua à ce constat. Non seulement la blonde semblait heureuse sans elle, mais, en plus de cela, la voir venait de faire voler en éclat son bonheur.

Béatrix ne comprenait plus rien à ce qu'il se passait dans cette école. Dans cette stupide vie. Stella regrettait-elle de l'avoir libérée ? Tout se bousculait dans l'esprit de la rousse et plus rien n'avait de sens.

Elle qui s'était figée à l'entrée de la chambre de la princesse, s'empressa d'opérer un demi-tour et de retourner se terrer à l'intérieur. L'espace d'un instant, elle eut l'espoir que Stella la laisse tranquille. Qu'elle l'ignore et continue sa conversation avec Blake, sans se soucier d'elle. En vain.

- Béatrix ? l'interpella-t-elle en entrant à son tour dans la pièce. Est-ce que tout va bien ?

La fée de l'air lui tournait le dos. C'était plus facile ainsi. Au moins Stella ne pourrait pas lire la peine et la douleur que la rousse ne parvenait pas à faire partir de son visage. Depuis quand ne savait-elle pas contrôler ses émotions, d'ailleurs ? Elle était sans aucun doute la meilleure dans ce domaine.

- Bien sûr, assura-t-elle d'une voix plus dure qu'elle ne l'aurait voulu. Tu ne devrais pas faire attendre ton ami.

Les sourcils de Stella se froncèrent d'incompréhension. Non, ça n'allait pas. La princesse le savait. Elle le sentait. Et elle aurait souhaité pouvoir y faire quelque chose, mais elle devinait que toutes ses tentatives seraient vaines, en partie car la fée de l'air n'osait même pas la regarder en face.

- Il allait s'en aller, affirma Stella, il me raccompagnait juste.

Avec une extrême lenteur, Béatrix se retourna pour plonger sur regard sombre, triste, dans les iris de la princesse de Solaria. Elle arbora un sourire forcé.

- Pas la peine, assura-t-elle de plus belle en regagnant le bureau sur lequel elle était assise, quelques minutes plus tôt. Je suis déjà occupée.

Tant de dureté dans la voix de la fée de l'air ébranla la confiance de Stella. La princesse osa faire un pas en avant, s'avançant juste assez pour découvrir la nature du livre ouvert devant la rousse. Un livre qu'elle n'aurait même pas dû lire, car il faisait partie des archives royales.

- Tu lis l'histoire de Solaria ? s'étonna-t-elle.

- C'est très intéressant.

Stella ne partageait pas cet avis. Elle trouvait tous ses longs paragraphes inutiles et interminables, bien qu'elle se dût de les connaître, car elle serait amenée à régner un jour. Alors voir quelqu'un d'autre qu'elle s'intéresser, s'intéresser vraiment, à Solaria, était à la fois terriblement déroutant et incroyablement satisfaisant.

- Je suis dans le salon alors... si tu me cherches.

Faisant mine d'être déjà replongée dans l'histoire royale de Solaria, Béatrix hocha distraitement la tête. La fée de la lumière ouvrit la bouche, prête à ajouter quelque chose, puis se ravisa. Si Béatrix ne voulait pas lui parler plus que cela, elle se devait de respecter son choix, même si ça l'attristait plus que de rigueur.

Stella s'approcha de la porte, s'apprêta à passer la porte et tout à coup, la voix de la fée de l'air lui parvint, dans un chevrotement maîtrisé :

- Ferme la porte derrière toi, s'il te plaît.

Une phrase qui se résonna de l'esprit de la blonde comme un véritable coup de poignard.

oOoOoOo

Stella n'avait revu Béatrix que plusieurs heures plus tard, lorsque cette dernière avait enfin daigné sortir de leur chambre pour prendre part à leur petite réunion collective. Et elle était particulièrement de mauvais poil, affalée sur l'un des canapés du salon.

L'héritière du trône était assise à ses côtés, à une distance suffisamment raisonnable pour qu'elles n'entrent pas en contact l'une avec l'autre. Blake, lui, était parti à l'arrivée des autres Winx dans le but de leur laisser leur intimité. Stella s'était alors afférée à leur expliquer le petit plan qu'ils avaient tous les deux mis en place et s'était frottée à un mur de protestation jusqu'à réussir à trouver un consensus. Sa seule surprise avait été qu'aucune d'elle ne soit venue de la fée de l'air.

Bien au contraire, Béatrix était restée anormalement silencieuse. À croire qu'elle n'avait aucun avis sur la question. Où était donc passée cette fille qui avait toujours une réplique cinglante pour démonter leurs idées ?

- Donc, l'idée c'est de rejoindre Solaria, synthétisa Aisha en réfléchissant.

Les filles hochèrent la tête d'un même mouvement.

- Mais il y a juste un petit problème...

- Lequel ? s'enquit Terra en se penchant vers l'avant pour pouvoir regarder son amie.

- Luna. Elle a posté des gardes à chaque recoin de l'école. C'est quasiment impossible de franchir la barrière.

Tous les regards se tournèrent vers Stella, dans l'attente que celle-ci propose une solution à ce problème. Après tout, c'était elle qui avait tout organisé donc, s'il y avait une solution à trouver, c'était logiquement elle qui devrait la leur apporter. Mais la fée de la lumière n'avait pas pensé à cet aspect de leur mission.

- On pourrait en assommer un, proposa-t-elle puisque c'était la seule idée qui lui passait par la tête, à cet instant précis.

- Mauvaise idée, répondit Bloom en secouant la tête de droite à gauche. Notre petite escapade doit rester secrète le plus longtemps possible.

- On pourrait passer par la crypte, proposa à son tour Terra. Les tunnels mènent au vieux cimetière. Par contre on devra réussir à entrer dans le bureau de Luna.

Flora fit part de son désaccord d'un signe de tête.

- Impossible, Luna a posté quelqu'un à l'entrée, on ne pourra jamais faire diversion suffisamment longtemps.

- Et en plus, le passage a été scellé lorsqu'ils ont enfermé Béatrix, soupira Stella.

Les adolescentes échangèrent, tour à tour, de longs regards. Elles étaient toutes à court d'idées. Ou du moins, c'est ce qu'elles pensaient jusqu'à ce que la fée de l'air se racla la gorge, attirant leurs attentions.

- J'ai peut-être une solution, avoua-t-elle en faisant naître de l'intérêt chez ses comparses. Mais ça ne va pas être facile.

- Rien n'est jamais facile, rétorqua la fée du feu sans faire preuve d'animosité, pour une fois. Explique-nous.

Sous les regards surpris des six fées, Béatrix se leva et rejoignit la chambre que partageaient Stella et Flora. Les Winx froncèrent les sourcils, dubitatives, jusqu'à ce que la fée de l'air revienne, les bras chargés du livre royal sur l'histoire de Solaria.

Les traits de Stella se firent plus durs tandis que ses yeux grossirent sous la désapprobation. Qu'elle ait accepté que Béatrix le lise était une chose, mais que cette dernière en fasse part à toutes ses amies en était une autre et Luna la tuerait sûrement si elle savait que les précieuses informations qu'il contenait avaient fuitées. Personne, hormis la famille royale elle-même, n'était censé prendre connaissance de ce que renfermaient ses pages sacrées.

Néanmoins, il était déjà trop tard lorsque Stella avait voulu stopper Béatrix dans son élan.

- Aujourd'hui, j'ai découvert quelque chose d'intéressant, commença-t-elle en regardant tour à tour les six jeunes femmes pendues à ses lèvres. Il existe un sort ancestral d'illusion qui consiste à créer des répliques de soi-même pour tromper ses ennemis lors d'une guerre.

Béatrix marquait une pause pour poser le livre au centre de leur petite ronde et étayer ses propos en montrant les illustrations qui y figuraient.

- Ce sort a été utilisé pour la dernière fois durant la Grande Guerre d'Oblivion par Ferdinand de Solaria. Il avait créé des répliques de chacun de ses soldats afin de distraire les troupes du roi Arion et pouvoir attaquer celui-ci par le flanc opposé de la montagne d'Oblivion. Quand ses troupes se sont aperçues du stratagème, il était trop tard. Ferdinand, sa fille Luna et le prince Oberon avaient réussi à vaincre le roi en l'emprisonnant à Polaris, dans les Glaces du Nord.

Bloom hocha la tête et profita d'un court moment de silence pour reprendre la parole.

- Ça a l'air d'être une bonne idée.

- Ça ne l'est pas, refusa catégoriquement Stella. Il y a une raison pour laquelle cette magie n'a jamais été utilisée depuis.

Son regard vert plongea dans celui de Béatrix. La dureté et la peur que la fée de l'air y décela lui glacèrent le sang. Peut-être aurait-elle dû continuer à se taire, tout compte fait.

- Pourquoi ? demanda curieusement Musa.

- Parce que ce que l'histoire ne raconte pas, c'est que cette magie a demandé tellement d'efforts à mon grand-père, qu'il en est mort.

La princesse de Solaria referma vivement le livre devant elles avant d'ajouter.

- S'il y a bien une chose qui se transmet de génération en génération dans ma famille, ce sont des enseignements. Et tous ces enseignements, à travers tous les âges, nous ont appris qu'utiliser le Rayon de Lune revenait à se condamner à mort. Il est donc hors de question que j'utilise cette magie.

Cette annonce jeta un froid glacial dans la pièce d'habitude si vivante. Stella, le regard baissé, refoulait les larmes qui lui piquaient les yeux alors que Béatrix, elle, culpabilisait d'avoir ainsi proposé cette solution.

Un long moment s'écoula avant que l'une d'elles ne trouve la force de reprendre la parole. Et celle qui le fit ne fut autre que Bloom, sur un ton qui se voulait délicat, mais qui ne l'était pas autant qu'elle l'aurait pensé.

- C'est horrible, Stella, concéda-t-elle, mais si c'est notre seule solution, on se doit de l'essayer.

- Je suis désolée, les coupa Terra en attirant leurs attentions d'un signe vif de la main. Est-ce que je suis la seule à ne pas savoir ce qu'est ce Rayon de Lune ?

Un long soupir s'échappa de la gorge de Stella. La princesse héritière releva la tête vers la fée de la terre en serrant fermement le livre royal contre sa poitrine, comme si elle craignait que l'une d'entre elles décide de l'ouvrir à nouveau.

- C'est un peu la Flamme du Dragon des fées de la lumière, expliqua-t-elle.

Chaque sorte de fée en possède un, rebondit Béatrix en haussant les épaules. C'est en général transmis entre les générations des familles souveraines. Une ancienne légende raconte qu'un jour, une fée de chaque type s'est présentée devant Dieu dans le but de sauver la dimension magique de la Première Guerre et qu'il les aurait chacune dotées d'un pouvoir capable de mettre fin au conflit entre les mondes. Cette même légende raconte aussi que, pour être efficace et sans danger, il fallait que ces magies soient utilisées ensemble avec parcimonie.

Ce point d'histoire fit réfléchir l'ensemble des fées présentes dans la pièce. Aucune d'elle ne savait comment Béatrix pouvait en connaître autant sur le monde magique, mais elles en étaient plutôt contentes, au fond.

- Donc si Stella et moi utilisons notre magie ensemble, c'est plus sûr, c'est ça ?

- C'est ce que dit la légende, confirma Béatrix. Et nous pourrions nous enfuir par la cascade. Le pouvoir d'Aisha nous permettrait de respirer suffisamment longtemps sous l'eau pour rejoindre la montagne sans être repérés.

Bloom plongea son regard dans celui, plus qu'incertain, de son amie blonde.

- On pourrait le faire, insista la fée du feu. Si nous ne faisons que des répliques de nous-mêmes, tout se passera bien.

- Je ne sais pas, Bloom. On ne sait même pas si ça pourrait vraiment marcher ni combien de temps durerait le sort.

- En fait, si, déclara Béatrix en haussant les épaules avec désinvolture. Si on converge toutes pour te donner assez de puissance, le sort devrait être assez long pour durer quelques jours sans que personne ne remarque quoi que ce soit. C'est plus qu'assez pour qu'on rejoigne Pandore. Il n'y a que deux jours de marche entre Alféa et Solaria.

Un long soupir s'échappa de la bouche de Stella. La fée de la lumière regarda tour à tour ses amies, puis elle laissa retomber le livre royal sur la petite table, au centre de leur cercle.

- Très bien, abdiqua-t-elle. On peut toujours essayer.

oOoOoOo

La nuit était tombée sur Alféa lorsque Stella regagna le salon de leur colocation en pyjama, après l'inspection du soir. Toutes ses amies s'étaient déjà couchées, désireuses de prendre des forces pour la rude journée d'évasion qui les attendaient, le lendemain. Toutes, à l'exception de Béatrix qui observait l'extérieur par la fenêtre de la pièce principale, debout entre les dizaines de plantes de Terra, un verre de whisky dans les mains.

Tu devrais lui parler, lui avait glissé Musa au creux de l'oreille. C'est exactement ce que Stella s'apprêtait à faire, maintenant. Une bonne discussion ne leur ferait pas de mal, la fée de la lumière en était certaine. Elle était même totalement nécessaire, pensait-elle en voyant Béatrix porter son verre à ses lèvres pour en prendre une gorgée.

À pas de loup, elle s'approcha de la fée de l'air, un verre vide à la main. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas ainsi rejoint la rousse pour boire. Ces moments lui avaient manqué. C'était grâce à ceux-ci qu'elles s'étaient autant rapprochées, toutes les deux. Alors quoi de mieux pour resserrer un peu plus leurs liens et remettre les choses à plat ?

- Est-ce que je peux me joindre à toi ? s'enquit Stella en se postant à côté de son amie, face à la fenêtre.

Béatrix, surprise d'être si spontanément dérangée, tourna la tête vers elle. Ses traits tirés s'adoucirent lorsqu'elle constata qu'il s'agissait de Stella, et non d'une autre des jeunes femmes avec qui elle partageait l'espace pour une durée indéterminée. Un fin sourire barra son visage, rapide et éphémère.

- Bien sûr, accepta-t-elle en se saisissant de la bouteille pour remplir le verre de la fée de la lumière.

À son image, Stella prit une bonne gorgée de son whisky. L'amertume de l'alcool lui brula la gorge, chaude et douloureuse.

La fée de la lumière laissa le silence reprendre son droit sur la pièce. Elle avait prévu d'avoir une bonne discussion avec Béatrix pour remettre les choses à plat, mais elle ne savait pas comment s'y prendre. Plus qu'avec n'importe qui d'autre, la princesse se devait de choisir ses mots avec le plus grand soin si elle ne voulait pas que son amie se braque.

Le regard verdâtre de Stella se posa un instant sur l'extérieur, au travers de la fenêtre où elle distinguait quelques spécialistes en train de s'entraîner, à la nocturne. Puis, elle reporta son attention sur le visage encore un peu juvénile de Béatrix. Lisse, sans impureté. Parfait, se disait-elle. La fée de la lumière s'était attendue à ce que la rousse fasse de même à force d'être observée, mais ce ne fut pas le cas. Soit ça ne la dérangeait pas d'être ainsi au centre de son attention, soit elle n'osait simplement pas croiser ses orbes clairs qu'elle aimait tant.

- Tu sais, commença Stella sur un ton sérieux, je ne suis pas dupe. Je vois bien que quelqu'un chose te tracasse et je m'inquiète pour toi. Parle-moi, je t'en prie, Béatrix.

- Oh pitié, Stella, répondit-elle avec un dégoût sarcastique, épargne-moi ce discours niais. Je sais que tu t'inquiètes, tu n'as pas besoin de me le dire à voix haute.

- Alors qu'est-ce que tu attends pour me dire ce qu'il se passe ?

L'insistance de Stella agaça la fée de l'air qui quitta enfin les spécialistes des yeux pour faire face à son interlocutrice.

- Je ne veux pas avoir cette conversation. Elle n'est absolument pas nécessaire et, en plus, tu n'as pas à t'en faire. Je vais bien.

Stella secoua la tête en signe de négation. Béatrix pouvait bien lui mentir autant qu'elle le voulait, la princesse savait parfaitement que ce qu'elle avait senti chez la fée de l'air, quelques heures plus tôt, n'avait rien de bon. Et elle en était d'autant plus convaincue depuis que Musa lui avait fait part de ce qu'elle avait elle-même ressenti en sa présence.

- Béatrix, l'interpella-t-elle sur un ton solennel témoin qu'elle ne démordrait de rien tant que la rousse n'aurait pas cédé, j'ai failli te perdre deux fois déjà et je vais peut-être mourir demain à cause de ton idée stupide. Tu me dois au moins ça.

- Tu sais très bien que tu ne vas pas mourir demain, bougonna la seconde.

- S'il te plaît, Béa.

La dénommée poussa un profond soupir et se cala dos contre la fenêtre. Que pouvait-elle bien dire à Stella qui lui ferait lâcher l'affaire sans qu'elle ne se dévoile trop ? La rousse prit le temps d'y réfléchir. Elle ne pouvait décemment pas avouer à l'héritière du trône de Solaria qu'elle était en réalité jalouse de Blake, car elle éprouvait des sentiments à son égard. C'était bien trop intime et ça demandait bien trop de courage. Un courage qu'elle n'avait jamais en présence de Stella, d'ailleurs. Tout était si compliqué avec elle. Ou peut-être était-ce elles qui rendaient leur propre relation compliquée, Béatrix n'en savait rien.

- Je ne suis juste pas sûre que ma place soit ici et que tu m'aies libérée pour les bonnes raisons.

- Quoi ?

Stella fronça les sourcils, à la fois abasourdie et en proie à de l'incompréhension.

- Mais pourquoi est-ce que tu penses ça ?

Béatrix hésita un instant. Ses prunelles foncées plongèrent dans celles, claires, de la jolie blonde qui lui faisait face et, bien malgré elle, son cœur s'emballa dans sa poitrine. Plus elle passait de temps auprès de Stella, plus celle-ci lui portait de l'attention, et plus elle tombait amoureuse. Cette évidence la terrifiait. Béatrix avait pleinement conscience de la nature de ses sentiments envers la fée de la lumière, mais c'était la première fois qu'elle aimait vraiment quelqu'un comme elle aimait Stella.

- Ne me dis pas que tu ne voies pas de quoi je parle, soupira la fée de l'air dont le timbre de voix devenait plus animé, plus agacé. Malgré tout ce que j'ai fait, vous êtes toutes si gentilles avec moi que c'en est pathétique. Je ne me sentirais jamais à ma place ici, car nous avons des visions totalement différentes du monde, et tu le sais. Vous dites avoir besoin de mon aide, mais ce n'est pas vrai, il y a plein d'autres puissantes fées de l'air qui pourrait vous aider sans que vous ayez à dissimuler une fugitive.

Béatrix marqua une pause, furtive, juste assez longue pour qu'elle puisse décider si ses prochains mots nécessitaient vraiment qu'elle les prononce à voix haute. La vérité, c'était que non. Pourtant, elle le fit tout de même. Parce que son cœur le lui réclamait.

- Tu m'as libérée parce que tu te sentais seule, Stella. Je le sais. C'est toi qui me la dis durant tes visites. Mais maintenant tu as Blake alors je ne vois vraiment pas pourquoi je suis là.

Les sourcils de la princesse se froncèrent un peu plus quand elle comprit le sens de la dernière phrase prononcée par son amie. Qu'est-ce que Blake avait à voir là-dedans ?

La réponse à cette question fit très vite son apparition dans son esprit. Alors, l'incompréhension qui l'habitait fut balayée par la surprise, puis par un soupçon de malice.

Dans un geste spontané, la fée de la lumière posa sa main sur le poignet de Béatrix, qui tenait son verre devant elle, et leurs iris se retrouvèrent. Il y avait une lueur de tristesse dans le regard de Béatrix. Cette même lueur que Stella avait vue, plus tôt, lorsque la rousse lui avait réclamé de l'intimité, et elle comprenait pourquoi désormais. Ce n'était pas simplement de la peine qu'elle y lisait. C'était de la jalousie. Un cruel sentiment de trahison.

- Attends, c'est Blake qui te met dans cet état ? demanda-t-elle avec rhétorique avant de serrer le poignet de Béatrix et de lui adresser un sourire plus amusé qui fit rougir la fée de l'air. Je ne sais pas ce que tu as cru voir ou entendre, mais il n'y a strictement rien entre lui et moi et il n'y aura jamais rien.

- Ne me regarde pas comme si c'était impossible et que ce que je venais de dire était stupide, rétorqua Béatrix en pinçant ses lèvres. Il est de sang royal et j'ai vu comment il te regarde...

- Peut-être, la coupa Stella, mais il ne m'intéresse pas.

La fée de la lumière lâcha l'emprise qu'elle avait sur le poignet de la rousse pour lui subtiliser son verre. Elle le déposa près du sien, sur le rebord de la fenêtre, en prenant garde à ne pas les renverser. Ses gestes étaient saccadés, pressés. Un détail que ne rata pas Béatrix qui la regardait faire sans ajouter quoi que ce soit.

La rapidité des mouvements de Stella faisait parfaitement écho au rythme frénétique que venaient de prendre ses pulsations cardiaques. Cet aveu camouflé de la part de la fée de l'air avait fait naître en elle une audace qu'elle pensait perdue.

C'est cette même audace qui avait dirigé le reste de ses actions.

L'estomac noué, elle avait trouvé le courage de réduire la distance qui la séparait du corps de Béatrix pour repousser d'une main délicate la mèche de cheveux qui lui tombait sur le visage. Ces iris verdâtres s'étaient alors naturellement plongés dans le regard de Béatrix, brulant d'un espoir et d'une convoitise qu'elle avait fait naître.

- Mon cœur t'appartient déjà, lui avoua-t-elle dans un murmure rauque, tout juste perceptible.

Le corps tout entier de la fée de l'air s'était électrisé à l'entente de ses mots. Elles restèrent ainsi figées dans ce moment durant d'interminables secondes, sondant leurs âmes au travers de leurs yeux, attendant que l'une d'elles décide enfin de combler le peu d'espace qui restait entre leurs visages.

Et ce fut finalement Béatrix qui le fit, une chaleur ardente présente dans le bas de son ventre. La chaleur qui émanait de tout le désir qu'elle accumulait depuis si longtemps.

Dans un geste pressé, elle déposa ses lèvres contre celles, pulpeuses, de la princesse héritière, découvrant la douceur de leur texture et leur goût fruité. Stella ne se fit pas prier pour lui répondre, glissant aussitôt sa langue dans l'antre baveux de celle qui avait jadis été son ennemie.

Les mains de Béatrix se glissèrent dans le cou de celle qu'elle aimait, désireuse de reprendre le contrôle de la situation. Toutefois, il n'y avait rien de contrôlé dans ce qu'elles étaient en train de faire. Il n'y avait qu'une passion trop longtemps refoulée.

L'atmosphère chaude eut vite raison de l'oxygène qu'elles respiraient, les contraignant à mettre fin à ce baiser torride qui aurait, sans aucun doute, abouti sur autre chose si elles avaient été seules.

Stella posa son front contre celui de Béatrix et l'attira contre elle en posant une main forte sur sa taille. Elles n'avaient pas besoin d'échanger un seul mot. Pour la première fois depuis qu'elles se connaissaient, depuis qu'elles se côtoyaient, tout était limpide. Il n'y avait plus ni menace, ni Alféa, ni privilèges, ni royauté. Il n'y avait qu'elles. Unies dans l'adversité.

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