Chapitre 8 : La Guérisseuse
Des siècles plus tard, l'automne battait son plein à Fondcombe : un tapis de feuilles mortes jonchait le sol, bercées par le vent lors de douces chorégraphies, l'air se faisait frais et les lunes de la nuit tombante se faisaient plus brillantes, annonçant un hiver glacial.
- Allons, il ne s'agit là que de vieilles racines sans utilité, dit Haldir avec agacement, alors que Jaheira trifouillait à nouveau dans un tas de feuilles avec ses gants en cuir.
- Justement, les feuilles de chênes sont un terreau parfait pour de nombreux champignons.
Jaheira avait quitté la Lórien il y a plusieurs centaines d'années maintenant. Bien que son arrivée eût été précipitée, elle s'était finalement bien adaptée en cette cité qui l'avait accueilli à bras ouverts. La jeune femme demeurait simple archiviste aux yeux de tous à Fondcombe.
Tout comme en Lórien, bien que son talent ait été gardé discret, à cause de son hyperactivité, l'apothèque de Fondcombe commençait à être elle aussi à l'origine de nombreuses rumeurs inspirées de la grande qualité des soins disponibles en ces lieux. On disait à présent de la terre de Fendeval qu'elle était empreinte d'une grande magie et que même les humains pouvaient y rajeunir grâce à la puissance qui émanait de ces lieux.
Malgré la distance qui les séparait, Haldir et Jaheira étaient restés proches. Le capitaine avait vu Jaheira arriver à âge de maturité en un battement de cil, lui renvoyant lui-même en pleine figure les années qui passaient.
Malgré tout ce temps qu'ils avaient passé ensemble, Haldir ne comprenait toujours pas l'engouement de sa protégée pour ce qu'il considérait n'être que de la terre. Mais grâce aux savoirs dispensés par Elrond, ainsi que les nombreuses lectures qu'offraient les lieux, Jaheira était devenue une soigneuse de talent et avait réussi à développer de nouveaux remèdes pouvant soigner de nombreux maux. Jaheira pouvait enfin consacrer tout son temps à la médecine, agissant sous couvert de la notoriété de soigneur Elrond.
- Je vais marcher par-là, ne t'éloigne pas, dit le commandant.
Jaheira ne se retourna même pas, trop affairée dans ses recherches, elle se rabattit sur un bosquet juste à côté.
Haldir avança vers un étang situé non loin de là et remplit sa gourde. Il goutta l'eau qui lui parut potable. Il en descendit une large gorgée glacée, s'essuya le menton, puis scruta le ciel.
- Nous devrions rentrer, le soleil ne va pas tarder à se coucher et je ne tiens pas à rester là cette nuit et à encore devoir...
Haldir s'interrompit, cherchant Jaheira qui avait disparu, elle ne se trouvait plus près du talus. Il l'appela mais elle ne répondit pas. Dans un réflexe, il sortit rapidement son épée et commença son inspection des lieux en silence. Jaheira ne jouait jamais à ce genre de jeu et la peur le traversa. Le garde avança alors prudemment entre les arbres, appelant Jaheira en même temps qu'il la cherchait du regard. Après quelques pas, il trouva Jaheira, agenouillée par terre, concentrée.
Haldir rangea son épée et s'énerva :
- Jaheira ! Tu dois rester sous ma surveillance, tu n'as pas idée de...
Le garde s'interrompit en voyant Jaheira qui semblait avoir été prise en flagrant délit.
- Qu'y-a-t 'il ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?
Jaheira se remit debout et Haldir découvrit le corps inanimé du rapace qu'elle tenait dans les mains, la pauvre bête avait probablement chuté à cause du froid qui avait sévi pendant la nuit.
- Tu ne comptes quand même pas à nouveau ramener un oiseau à moitié mort n'est-ce pas ? Allons, nous ne devrions pas rester ici, précipita Haldir.
Mais la jeune femme n'en avait que faire. Elle manipula minutieusement le rapace pour l'examiner, cherchant à poser un diagnostic. En un instant, l'œil de l'oiseau s'ouvrit vivement, Jaheira sursauta de surprise et le libéra. Le rapace s'envola en un coup d'ailes et se faufila entre la cime des arbres, puis disparu.
- Allons, rentrons, répéta Haldir, dépité.
La jeune femme scruta les arbres, cherchant l'oiseau, mais ne le trouva pas. Elle obéit à Haldir et se saisit de son sac en toile, encore une fois plein de plantes et de quelques feuilles pour ses herbiers.
Les deux repartirent vers leurs chevaux, se mirent en selles et partirent au galop vers Fondcombe. Ils ne firent pas la course, car la sécurité de Jaheira étant la priorité de Haldir en ces terres éloignées de la demeure d'Elrond.
Une fois arrivés, ils descendirent de cheval et un garde vint quérir Haldir au nom d'Elrond. Le commandant dispensa à Jaheira quelques instructions et lui suggéra de partir se reposer au chaud. L'homme n'avait jamais dépeint de son rôle de protecteur et prodiguait toujours des conseils avisés à la jeune femme, confusant plus d'un sur le seul statut de mentor que possédait Haldir.
L'homme prit le chemin de la demeure d'Elrond. Il se présenta dans la grande salle. Lorsque le commandant se présenta, Elrond fit disposer son bras droit avec qui il parlait et accueillit Haldir en le saluant comme un vieil ami.
- Mon cher Haldir. Ta présence ici m'est toujours synonyme de grande joie.
- Seigneur Elrond, salua Haldir à son tour.
- Mon ami, dit Elrond en reprenant un ton plus solennel. J'ai là une grande discussion à mener avec toi. Etais-tu avec Jaheira ? Comment se porte-t-elle ? Demanda Elrond en servant un verre de vin à son invité.
- Je crois que Fondcombe lui sied à merveille, mon seigneur.
- Allons Haldir, cesse ses politesses, nous avons traversé des épreuves bien plus difficiles que le protocole ne saurait reconnaître.
Elrond trinqua avec Haldir, au nom de leurs longues années de services militaires.
- Est-ce pour partager un bon vin que tu m'as appelé ? Demanda Haldir.
- Jaheira et moi avons longuement échangé ces derniers temps. J'aimerais discuter avec toi de son avenir. Je crois que tu la connais mieux que quiconque.
- Jaheira a toute ton allégeance, dit Haldir.
Elrond ne réagit pas.
- De quoi s'agit-il ? Demanda Haldir.
- Son don est exceptionnel. Elle n'a rien d'une magicienne, mais elle a pourtant développé un remarquable talent pour les soins des blessures, et ces nombreuses années m'ont donné l'occasion de réfléchir à ce qui serait la situation la plus adéquate pour son potentiel. Son talent est immense, elle apprend à une vitesse phénoménale et je dois admettre qu'elle m'a surpassé sur de nombreux sujets, continua l'elfe.
- Nombreux sont les soldats qui lui sont aujourd'hui redevables de ses soins..., tenta Haldir.
Elrond se mura dans un silence, alors qu'il regardait au travers des carreaux de la fenêtre.
- La guerre est proche Haldir, les armées de Sauron se rassemblent à l'Est, et Jaheira suscite beaucoup d'intérêt. Les capacités nouvelles de notre apothèque ne sont pas passées inaperçues auprès de nos alliés.
- Encore une demande en mariage ? S'exaspéra Haldir et se levant pour se resservir un nouveau verre. Je crois qu'elle en sera ravie, ironisa-t-il.
- Je ne pourrai cacher plus longtemps son talent quand d'autres subissent les assauts ennemis pour nous protéger.
Elrond se retourna et confia un parchemin à Haldir.
- Il s'agit là d'une lettre du Mirkwood. Le Nord nous reporte des assauts de plus en plus agressifs en forêt noire. Thranduil planifie une offensive pour reconquérir ses terres et en appelle à notre alliance.
- La bataille sous les arbres a causé de très nombreuses pertes...
Les deux hommes serrèrent leurs poings sur leurs cœurs et hochèrent la tête simultanément, signe de leur passé conjoint d'engagements auprès des forces elfiques.
- Je compte proposer à ce que Jaheira rejoigne l'arrière-front du royaume sylvestre, en tant que guérisseuse de guerre, déclara-t-il. Je n'en ai pas parlé encore à Thranduil, mais il ne pourra qu'apprécier ce soutien. Je reste sur mes gardes. Jaheira est d'un profil exceptionnel et rare, elle m'a déjà témoigné de son souhait de s'engager pour mieux servir ses semblables... C'est là un grand risque mais cela pourrait également la sauver et semer sa trace en nos terres.
Haldir réfléchit à voix haute :
- Jaheira n'est pas un soldat, nul ne peut ainsi intégrer l'armée du Mirkwood sans préparation, constata-t-il avec inquiétude.
- Là est la raison de ma convocation. Je ne laisserai jamais Jaheira intégrer les rangs, même l'arrière poste sans une solide formation militaire préalable.... Si elle accepte cette temporaire mobilisation, je souhaiterai que tu lui dispenses une préparation au combat.
Haldir dévisagea Elrond, surprit de cette demande qu'il n'avait nullement anticipée.
- Je ne connais pas meilleur combattant et précepteur que toi, sa confiance en toi est aveugle. Elle saura t'écouter.
- Elrond, je ne pourrai la préparer correctement à la guerre avec de simples cours particuliers !
- Cela suffira pour rejoindre l'Académie de East Bight. Il faut que Jaheira acquiert les réflexes d'un soldat pour s'y rendre. Si elle est digne, elle réussira l'examen et sera ainsi préparée pour servir les armées du Nord. Il m'est hors de question que Jaheira aille à la guerre pour justifier de sa simple entrée à l'institution, c'est trop dangereux et je ne le permettrai pas, pas plus que Galadriel ou Celeborn.
L'argument de Elrond était pertinent. Il continua :
- Haldir, tu as été toi-même instructeur de l'Académie, tu sauras lui inculquer les réflexes afin qu'elle s'intègre à cette élite. Tu as toute notre confiance : Jaheira doit intégrer East Bight pour apprendre à se défendre et se protéger en cas de besoin. Si elle réussit, alors elle pourra rejoindre le Mirkwood. Je ne l'enverrai pas ne serait-ce qu'à l'arrière-front sans avoir pris toutes les précautions. Elle nous est bien trop précieuse.
Haldir réfléchit un instant, il n'était pas étranger au sens du devoir de la jeune femme, ni de son souhait de s'enrôler, souhait qu'il avait été le premier à entendre dès leur rencontre en Lórien. L'elfe n'hésita pas longtemps : la jeune femme était intelligente et rigoureuse, elle avait déjà un bon mental et une silhouette athlétique. Si elle se consacrait au combat autant qu'à la médecine, il pourrait faire d'elle une redoutable guerrière et elle pourrait pallier tous les dangers du front et sauver des soldats par dizaines, si ce n'est plus. La simple rumeur de se présence à leurs côtés remontrait le moral des troupes. Même s'il était inquiet, son don n'en était pas moins exceptionnel et ses facultés ne pouvaient rester cachées quand des soldats tombaient par poignées au Nord.
- Si tel est son souhait, je la formerai pour East Bight, dit-il en se levant.
Les deux hommes se saluèrent pour conclure leur pacte.
- Je vais en référer à Celeborn et Galadriel. Nous en parlerons à Jaheira dès que possible.
Quelques jours plus tard, Haldir et Elrond se rendirent tous deux dans les appartements de Jaheira à Fondcombe, où s'entassait désormais des dizaines de grands ouvrages, d'herbiers, de planches anatomiques et de plantes en pots, ainsi qu'un grand établi qui lui servait de table de travail.
Jaheira fut surprise de recevoir la visite des deux hommes et s'interrogea de cette inhabituelle démarche. Sur leurs ordres, la jeune femme les suivit après avoir retiré le bandeau qui lui dissimulait le visage.
- Galadriel, Celeborn et moi-même avons une mission dont nous aimerions te faire part, commença Elrond. Notre allié du Nord, le royaume du Mirkwood, connait de grandes difficultés et en appelle à notre soutien. Nous voudrions te proposer une affectation quant aux soins des blessés en forêt noire.
Jaheira s'illumina :
- Vous voulez dire, partir au front ?
- Il y a là plusieurs conditions, la stoppa Elrond. Tu devras maintenir le plus strict anonymat autour de toi, tu demeureras invisible aux yeux de tous, et surtout de l'ennemi. Pour ta propre protection, personne ne devra savoir qui tu es, où tu vis, ni d'où tu viens. A cette condition seulement, tu recevras ton instruction militaire et ainsi tu pourras temporairement rejoindre l'arrière-front comme guérisseuse de guerre.
La jeune femme fit un grand effort pour contenir sa joie. Son projet se réalisait enfin et de la meilleure des manières. Elle pourrait se rendre utile là où les blessés en avaient le plus besoin et pourrait enfin prendre part à la défense de son pays et des siens, telle qu'elle l'avait toujours souhaité.
Bien vite, elle adressa un regard brillant à Elrond et Haldir, et faisant fi de toutes les étiquettes, les prirent dans ses bras en soufflant :
- J'accepte.
Les deux hommes sourirent à leur tour de la dévotion sans faille de la jeune femme. Aujourd'hui était un jour historique : était là le grand retour des guérisseurs, du moins une, au front de guerre.
- Ton entrainement commence dès demain, déclara Haldir, je te retrouverai au lever du soleil.
- Comment ?
- Tu as besoin d'acquérir les bases avant de pouvoir intégrer l'Académie.
- L'Académie... Royale ? S'exclama-t-elle.
- Toute unité d'élite doit se doter d'un entrainement d'élite, déclara Haldir d'un air malicieux. Demain. Lever du soleil, dit-il sommairement avant de disposer.
La jeune femme se réjouit. Elle qui avait témoigné de tous les ravages en Lórien, se réjouissait de pouvoir enfin intervenir sur le front et ainsi porter secours aux siens au plus près du champ de bataille, à tous ces hommes qui la maintenaient et l'avaient maintenu, elle et les autres, protégés depuis toutes ses années.
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