Chapitre 7 : La frontière de la Lórien
La guerre des elfes éclata de nouveau après une accalmie de seulement quelques années.
Mobilisé au combat, cela faisait des lustres que Haldir n'avait pas quitté le front. Plus fatigué que jamais par la violence des assauts ennemis, il décida de s'octroyer une permission pour se reposer en Lórien et visiter Jaheira qu'il n'avait pas vu depuis une bonne décennie maintenant. Tous deux s'échangeaient plusieurs lettres chaque année et ses mots apaisants et délicats lui faisaient du bien, mais l'homme accusait aujourd'hui un gros coup au moral et aspirait à un peu de repos afin de revenir au plus fort sur le front. L'elfe se sentait si fébrile qu'il s'en blessa le coude en rangeant sa précieuse lame dans sa manche, une maladresse qui en disait long sur son état de fatigue. Il se pansa le bras avec un bandage de fortune et grimpa à cheval.
Le capitaine laissa ses instructions et rejoignit le prochain convoi de soldats qui partaient en Lórien le lendemain. Plusieurs centaines d'hommes attendaient de partir avec impatience pour retrouver leurs familles. Une telle délégation ne passerait certes pas inaperçue, ils se savaient d'ailleurs régulièrement suivis par l'ennemi, mais bien mauvais stratèges seraient les orques qui oseraient s'attaquer à autant de soldats en chemin vers leurs terres.
Haldir avait informé Jaheira de son prompt retour en Lórien, celle-ci lui avait alors partagé son réjouissement quant à le revoir et promit de l'accueillir au mieux pour vite le remettre sur pied. Le commandant se réjouit d'autant plus de revoir sa protégée qui lui avait beaucoup manqué.
***
Le grand jour tant attendu du retour d'Haldir était enfin arrivé. En Lórien, Jaheira décida de prendre de l'avance et de rejoindre son parrain sur le chemin qui amenait les convois militaires en terres elfiques. Elle enfila son uniforme d'archiviste et prit son cheval Passtil, le farouche étalon d'Ondent qu'elle avait fini par dresser à force des années, et mobilisa trois soldats pour l'escorter. Elle se mit en route avec de nombreux sacs vides vers la route qui longeait la bordure extérieure des terres. Un secteur qu'elle fréquentait peu, trop éloigné de la cour, mais qui comportait de nombreuses et rares plantes sauvages. Leur récolte lui permettrait de passer le temps jusqu'à l'arrivée du convoi.
La jeune femme était heureuse de retrouver le capitaine, mais restait dans l'expectative : avec le retour de la guerre, elle avait repris du service en tant que guérisseuse et avait encore croisé de très nombreux soldats victimes des horreurs de la guerre. Jaheira espérait retrouver Haldir en bonne santé. Elle ne connaissait désormais que trop bien la fierté des soldats qui se refusaient d'apparaître affaiblis ou de démontrer une quelconque sensibilité, qui plus est devant une femme, mais avec le temps et l'expérience, et surement grâce au temps passé avec Haldir, elle avait appris à comprendre les militaires, à les apprivoiser pour qu'ils se confient, et surtout à les écouter, bien aidée par son ample uniforme de guérisseuse qui faisait souvent douter de son genre auprès de ses patients.
Aujourd'hui elle appréciait la compagnie des militaires : leur tempérament mesuré faisait un dissonent écho avec la violence qu'ils pouvaient exprimer face à l'ennemi, même si la plupart d'entre eux refoulaient leurs pourtant palpables traumatismes. Elle appréciait de se sentir utile à écouter leurs histoires, leurs combats, leurs démonstrations de force comme leurs plus plats aveux de faiblesses. C'est cette même dualité qu'elle ressentait au fond d'elle parfois : un calme apparent qui disparaissait parfois au prix d'une grande colère qu'elle gardait enfouie en elle, l'envie de crier, de tout plaquer, de partir se battre, de tout envoyer valser pour elle aussi décharger sa colère et se venger arme à la main. Régulièrement, devant les victimes qu'elle rencontrait, elle se maudissait de ne pouvoir elle aussi aller se battre et défendre les civils... Cette dévorante culpabilité était souvent accompagnée d'une certaine claustrophobie, d'une folle envie de partir, de s'en aller très loin, dans une terre paisible, isolée de tout ennemi, sans blessé, ni sang, sans victime, ni peine, loin de son désormais si vital anonymat de soigneuse de l'ombre, loin de la guerre et de son horreur, juste elle, seule, profitant au grand air et à découvert. De nombreuses fois, elle avait rêvé de retrouver Haldir au front avant de se réveiller brusquement en pleine nuit, en sueur après avoir reçu un fatal coup de lame imaginaire. Avec le stress ambiant, la jeune femme avait de plus en plus de mal à ménager ses sentiments, à l'inverse de tous les elfes qui l'entouraient qui dissimulaient tout sans effort. Aucun d'entre eux ne pouvaient comprendre toute la complexité des émotions qui la traversaient. Mais Jaheira avait avec les années appris à enfouir la colère qui s'attisait en elle et avait choisi d'embrasser sa part de sérénité, se réfugiant dans son travail et s'évertuant à servir de son mieux.
Après s'être annoncé aux gardes-frontières comme étant en quête du convoi militaire qui arrivait du Nord, les trois gardes et elle progressèrent jusqu'à la bordure extérieure de la forêt de Lórien. Voilà des heures que le cheval de Jaheira avançait au pas vers la bordure Nord. Elle était silencieuse, encore perdue dans ses pensées. Un trouble lui parvint, elle entendit une voix, juste un murmure, tel un doux souffle d'écho qui la sortit de sa rêverie. Puis, l'un des gardes qui l'accompagnait fit signe à la troupe de stopper.
- Qu'y-a-t 'il ? L'interrogea-t-elle.
- Madame, nous devons...
Mais le cavalier n'eut pas le temps de finir sa phrase et tomba brusquement, arraché de sa monture, révélant les trois flèches noires orques qui venaient de s'enfoncer dans sa poitrine. Les deux soldats restants encerclèrent Jaheira et sortirent leurs arcs, prêts à riposter pour défendre la jeune femme désarmée. Un sifflement vint feindre l'air et une salve de flèches vint s'abattre sur eux, faisant tomber les deux hommes de leurs chevaux, seule Jaheira resta en selle. Par peur, Passtil, son étalon d'Ondent, se cabra, manquant de faire tomber sa cavalière, il découvrit qu'une flèche lui avait lui aussi atteint le flanc. Le cheval se débattit puis s'élança alors à toute vitesse dans la forêt pour fuir ses assaillants. Jaheira se cramponna tout en tentant de rattraper les rênes de son cheval qui lui avaient échappé dans la panique. Passtil était affolé et traçait au galop et à l'aveugle à travers les arbres, les éloignant malheureusement des gardes blessés alloués à leur protection. A mesure qu'ils fuyaient, plusieurs orques se mirent à sortir d'entre les arbres et les prirent en chasse.
***
Haldir se présenta à la frontière du royaume avec plusieurs heures de retard. Le convoi avait dû faire un long détour par l'Est afin de ne pas mener l'ennemi droit vers la sensible frontière des terres. Leur stratégie avait payé, car la délégation avait à présent semé les quelques ennemis qui essayaient de suivre leurs traces depuis plusieurs lieux et tous arrivaient enfin aux portes de la Lórien, sains et saufs. Mais lorsque le commandant se présenta aux soldats en charge de la garde, ceux-ci s'assurèrent que les quatre ressortissants de la Lórien déclarés sortant quelques heures plus tôt, s'étaient bien joints à eux sur le chemin. Haldir s'étonna de cette information car dû à leur long détour par l'Est, il apparut que personne n'avait joint les rangs depuis leur départ du front.
Le garde parut inquiet :
- Ils sont partis vous rejoindre il y a plus de six heures. Quatre individus, une archiviste ainsi que trois gardes.
Le regard de Haldir se révulsa.
- Où sont-ils partis ? Brama-t-il.
Le garde eut à peine le temps de répondre qu'Haldir ordonna à vingt de ses gardes de le suivre. Il saisit son épée et partit au galop vers l'extrême Nord de la frontière de la Lórien.
***
Dans la forêt, Jaheira n'était pas armée, et bien seule, désorientée et surtout terrorisée. Traçant toujours à l'aveugle sur un Passtil déchaîné, coursés à travers les arbres par une vingtaine d'orques, si ce n'est le double. Comment avaient-ils pu arriver jusqu'ici ? En se contorsionnant, elle avait réussi à reprendre les rênes en mains mais ne réussit pas à faire ralentir sa monture. Elle restait dans l'espoir que leur folle course les aide à trouver un abri ou de l'aide, mais tout autour d'eux ne se dessinaient que solitude d'arbres et bosquets à hauteur d'hommes. Tétanisée, Jaheira ne prit même pas la peine de crier ni d'appeler au secours, leur sort s'assombrissait à mesure que leur folle course ne réussissait pas à semer leurs assaillants. Pastill saignait en abondance et ne pourrait pas rester en cet état ainsi bien longtemps, persuadée que son cheval la sortirait de cette situation, Jaheira le laissa courir à l'aveugle : le temps était compté.
Le cheval se fraya un chemin difficilement, se blessant au travers de ronces et d'autres plantes griffantes, il dut à plusieurs reprises rebrousser chemin pour ne pas tomber dans une impasse de pierres ou d'arbres. Le cheval agissait comme un dératé, évitant de justesse de faire tomber sa cavalière, mais la jeune femme tenait bon. Jaheira cria alors qu'un orque se jeta devant l'étalon, qui se cabra pour partir dans le sens opposé, évita de justesse un coup de lame dans les sabots.
Alors qu'ils galopaient encore, Jaheira encouragea son étalon à la mener vers la Lórien, qu'elle pensait plus proche de sa position par rapport à Fondcombe. Mais l'animal n'en faisait qu'à sa tête et traça là où les ennemis n'apparaissaient pas. Soudain, la jeune femme se souvint des apprentissages de Haldir, et comprit de suite que ce comportement les mènerait tout droit vers une embuscade.
Osant une tentative, Jaheira saisit avec vigueur les rênes de son cheval et le dirigea avec force vers ce qu'elle interpréta être le Nord à partir de la Lune qu'elle avait entre-aperçut à travers la canopée. Le cheval obéit sans attendre et traça à travers les bois. Alors qu'ils continuaient leur fuite, Jaheira se retourna, surprise du silence, elle ne distingua subitement plus d'ennemis à ses trousses. Le calme était revenu dans la forêt. Croyant à une échappatoire, Jaheira fit stopper son cheval, et guetta les environs, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Passtil reprit son souffle, tout comme sa cavalière. Un sifflement trancha dans les airs, rapide, filant, sorti de nulle part. Alors, Passtil se cabra brusquement, mais avec une telle puissance que cette fois Jaheira en tomba à la renverse. Lorsqu'elle se releva à la hâte pour reprendre le contrôle de sa monture, Jaheira découvrit avec horreur que son cheval venait de recevoir une nouvelle flèche en plein cœur. L'étalon convulsa, hennissant avec terreur. Il se débattit en lançant des coups de sabots désordonnés. Dans un craquement à l'unisson, les orques sortirent de nulle part et les encerclèrent, leurs arcs pointés sur l'étalon.
- Non ! Cria Jaheira.
Les orques tirèrent, et une salve de flèches vint s'abattre sur le pauvre animal, qui se laissa tomber sur le flanc et succomba à sa douleur, le regard vide. Jaheira hurla au chevet de son cheval, mais l'élan de la jeune femme se coupa tout comme son souffle, constatant sa gorge soudainement serrée par d'infâmes doigts difformes. L'archiviste fut traînée avec une épée en travers de la gorge sur plus d'une centaine de mètres où elle lutta pour ne pas perdre connaissance faute d'air respirable. Puis la jeune femme fut finalement assommée d'un coup d'épée derrière la tête. Jaheira se réveilla plus tard alors qu'on la projeta contre un arbre, elle reprit connaissance avec un violent mal de crâne et une plaie saignante sur le cou. Elle constata alors qu'elle était revenue à son point de départ en découvrant les trois corps de ses gardes au sol. L'un d'eux, de son regard vide, était mort. Les deux autres étaient fort mal en point, à peine conscients, et se vidaient de leurs sangs tandis que les orques leur écrasaient la poitrine avec leur pieds. Jaheira, étourdie et sans défense, chercha désespérément une solution, et regarda tout autour d'elle à la recherche d'un infime espoir d'échappatoire. Des vertiges la prirent. La voyant éveillée, l'orque s'adressa à elle avec une voix criarde :
- Ne t'inquiète pas femmelette, bientôt ça sera ton tour !
Un orque s'approcha et se saisit d'elle pour lui donner un violent coup de tête, lui ouvrant la pommette. Elle s'effondra à terre, serrant les dents alors qu'une nouvelle douleur lui enfla le front.
- Fuyez ! Tenta de crier l'un des gardes blessés au sol.
Les doigts de l'elfe furent broyés par le pied d'un des orques pour avoir osé parler, il en hurla de douleur. Jaheira constata le spectacle avec désarroi, bien que sonnée. Seule affalée à terre, la seule encore capable de se mouvoir, elle rassembla ses forces pour discrètement ramper vers une épée qu'elle avait vu dissimulée un peu plus loin, une des lames d'un des gardes. Arrivée près de l'arme, elle s'en saisit à deux mains, l'arme était lourde et elle avait de la peine à la soulever, elle se sentait gauche, et à peine se hissa-t-elle sur ses jambes qu'un orque l'attrapa pour la projeter contre un arbre telle une poupée de tissu, la faisant lâcher la lame. La jeune femme eut le souffle coupé par le choc et gémit de douleur, les larmes perlant sur ses joues.
- Tu vas le regarder mourir ! Dit l'orque en la tenant par la gorge et en lui tournant le visage vers son garde, soutenant son regard avec courage.
Jaheira pleurait de rage et de panique tandis qu'on lui attachait les mains, la jeune femme ne pouvant détacher son regard de l'homme qui gisait là. Alors qu'un des orques se saisit lentement de l'épée qu'elle avait essayé d'atteindre, elle tenta le tout pour le tout : si elle devait être la prochaine victime, autant ne pas leur facilité la tâche. Tenue par l'orque, Jaheira fléchit sur ses jambes et se releva brusquement pour donner un grand coup de tête à la mâchoire de son agresseur qui la lâcha de surprise et tomba derrière elle. Un autre orque, témoin de la manœuvre, se jeta sur la jeune femme et lui assigna un violent coup du plat de son épée, que Jaheira, faute de mieux, contra à mains nues. Par chance, elle réussit à éviter la lame et fit sectionner ses cordes, ce qui lui libéra les mains, l'orque lui donna un nouveau coup de lame, qu'elle contra grâce aux cordes restées enroulées autour de ses poignets, la lame fut efficacement barrée, mais celle-ci lui lacéra la peau, malgré la douleur, elle ne cria pas, la réfutant avec une adrénaline qu'elle-même ne se connaissait pas. L'orque était bien plus fort qu'elle, et rit aux éclats, presque amusé de cette audace désespérée. L'orque regarda la jeune femme le confronter, mais la douleur reprit ses droits et Jaheira sentit sa vue se troubler. La lame n'avait pas été très tranchante mais celle-ci avait suffi pour lui ouvrir la peau à la base des mains : Jaheira regarda ses doigts recroquevillés de force avec peur, mélancolie et surtout regret.
- Laisse la se vider de son sang, dit l'orque. Elle mourra vite.
Tandis que le deuxième garde souffrait sous le pieds de l'un des orques, le troisième garde était blême et ne bougeait plus. Ce qu'elle craignait arriva, il perdit connaissance. L'elfe s'accrochait encore à la vie depuis bien longtemps, ses yeux se fermèrent, abandonnant Jaheira face à son destin. L'orque remarqua l'agonie du garde et s'approcha de lui. Sous le cri strident de Jaheira, l'orque enfonça sa lame profondément dans le dos de son corps, ce qui réveilla l'homme avec effroi dans une dernière douleur avant l'agonie. Jaheira resta là, impuissante spectatrice, et ne quitta pas des yeux l'homme qui avait donné sa vie pour la protéger.
L'orque retira son épée du corps du garde, pour à son tour s'approcher de la jeune femme qui pleurait pitoyablement, à genou, les mains crispée par ses plaies sanguinolentes. Il s'avança et leva son épée. Elle le regarda et sentit son cœur se serrer. Accablée, les yeux noyés de larmes, ayant perdu tout espoir, la jeune femme s'attachant à ne pas faiblir face à l'ennemi, elle lui lança un dernier regard haineux.
L'orque leva sa lame et la scène sembla être au ralenti. Alors qu'elle attendait sa sentence dans la froideur reculée des bois, un souffle fendit l'air : dans un bruit sec, une hache vint se planter dans la poitrine de son bourreau qui resta figé avec sa lame au-dessus de la tête. La scène ne dura qu'une seconde : Jaheira sentit son corps projeté par une force colossale aux cheveux blonds, Haldir. L'elfe s'interposa devant Jaheira pour décapiter l'orque d'un seul coup d'épée.
Elle, ne trouva même pas la force de crier et resta au sol, tétanisée.
Dans le revers, Jaheira constata que les autres orques avaient également été tués par des archers elfes et qu'une dizaine d'elfes les pointaient à présent en joue, tandis qu'Haldir exécutait les derniers orques dans une fureur jamais décelée chez le militaire.
Sans prévenir, Jaheira se mit à ramper sur ses coudes avec les dernières forces qui lui restaient vers le corps inanimé du premier garde, elle l'examina brièvement, celui-ci était bien mort, le second homme toussait, il n'était pour l'instant pas en danger, mais le troisième, bien qu'une épée lui ait traversé le corps, avait un pouls : il était encore vivant. Elle se précipita sur lui, sous l'œil médusé des archers en présence, son pouls était très faible mais son cœur battait encore. Jaheira entreprit de lui retirer son armure malgré ses doigts inanimés, Haldir intervint :
- Que fais-tu ?
Elle lui hurla dessus :
- Il est vivant ! Il faut lui retirer son armure !
- Tu es blessée !
- Fais ce que je dis ! Cria-t-elle avec un écho résonnant.
Haldir se figea une fraction de seconde avant de se précipiter sur le corps inanimé du garde pour lui desserrer ses plates en un tour de main. Jaheira glissa ses mains en sang sur la poitrine de l'homme, et grimaça en dépliant mécaniquement ses paumes sur la plaie afin d'en contenir l'hémorragie et fit poids de son propre corps pour appliquer une pression sur la plaie. Bien que dévorée de douleur, elle ne relâcha pas son effort et ordonna aux autres archers de porter assistance à l'autre garde, ceux-ci se précipitèrent pour venir la seconder et suivirent ses instructions : malgré la violence de l'attaque qu'elle venait de subir, la jeune femme restait consistante dans ses propos et imposa son autorité. Haldir n'eut même pas besoin d'intervenir : elle savait visiblement ce qu'elle faisait. On vint la remplacer dans sa tâche auprès du garde et Haldir se mit également à l'œuvre. Désemparé, il s'exécuta sans broncher et suivit les indications de Jaheira : il retira vite la lame qui lui perçait le dos, l'homme était sur le point de mourir, mais le garde le sauva in extremis en appliquant une pression sur la plaie, empêchant ainsi le jeune archer déjà blême de ne pas se vider de son sang.
Bien vite, les renforts arrivèrent, prêts à évacuer les blessés vers Fondcombe, plus proche de la Lóthlorien. Jaheira vacilla et une voix évasive lui parvint, alors qu'elle se sentait partir, Haldir cria son nom. Elle eut juste le temps de voir les pupilles de son mentor se serrer dans le bleu de ses yeux, et s'évanouit, à bout de force. Elle fut transportée en urgence jusqu'à Fondcombe, où elle fut prise en charge pour ses blessures. L'incident fut gardé secret le temps de la soigner et Haldir demeura auprès d'elle chaque jour. C'est au petit matin que les yeux de la jeune femme commencèrent à s'ouvrir.
- Je suis là, dit-il d'une voix douce que la jeune femme ne lui reconnut pas.
Jaheira recouvra la mémoire et s'éveilla, subitement prise de panique.
- Les orques !
Elle porta sa main à Haldir qui la maintint au lit :
- Calme-toi, tout va bien !
- Où sont les gardes ? S'emporta-t-elle en essayant de quitter le lit. Je dois les aider !
- Jaheira ! S'exclama-t-il en lui prenant les mains desquelles tombèrent les bandages de ses poignets, révélant ses vilaines plaies marbrées de poison qui lui avait fait blanchir les veines. Jaheira, tout va bien ! Je suis là.
Jaheira identifia finalement Haldir et se réfugia dans ses bras, galvanisée de le retrouver là, auprès d'elle et comme elle l'espérait : sain et sauf. Haldir lui caressa les cheveux jusqu'à ce que celle-ci se rendorme paisiblement et veilla auprès d'elle toute la journée.
***
Quelques jours plus tard, Celeborn vint s'enquérir de la jeune femme et remercia chaleureusement Haldir pour son courage lors de son sauvetage. Haldir témoigna du réel déroulement des évènements, ce qui mit Celeborn dans l'embarras.
À la surprise de tous, Jaheira se remit sur pieds en quelques jours et revint en Lórien. Mais Haldir la maintint sous bonne surveillance. Si la jeune femme semblait en parfaite forme, le capitaine demeurait convaincu qu'elle surestimait son état : sa violente agression ne devait pas être prise à la légère. Il savait par expérience que ce genre d'attaque était traumatisante pour tout civil, mais force était de constater que Jaheira se remettait bien, après s'être en plus très vaillamment défendue.
Jaheira s'attribua elle-même son protocole de soin, et Haldir l'aida à lui dispenser au mieux sous ses instructions. Après des jours où le calme revint enfin, le capitaine laissa enfin sa protégée se reposer seule. Leurs retrouvailles avaient été gâchées mais cela ne l'importait guère, Jaheira était en vie et c'est tout ce qui importait à présent. L'elfe avait eu une peur folle.
Alors que la guérisseuse dormait paisiblement, Haldir cogita sur les talents que Jaheira avait révélé dans les bois, où elle avait démontré un sang-froid remarquable. Il en était sûr désormais, bien que Jaheira n'ait aucune compétence magique, son courage doublé de son incontestable talent pour le soin faisait d'elle un espoir inestimé pour l'armée. Il mûrit sa réflexion : Jaheira était jeune, en bonne forme et sans attache, il la savait dévouée aux militaires et volontaire quant à se rendre au front. Contrairement à la plupart des guérisseurs de Fangorn que l'on détectait à des lieux avec leurs caractéristiques magiques, elle, avait pour avantage son absence de pouvoir, ce qui la rendait presque invisible aux yeux de l'ennemi. Après des heures à tourner en rond, le commandant décida de s'entretenir avec Celeborn et Galadriel afin de leur faire part de sa réflexion. C'est ce que Jaheira voulait, et pour un homme de guerre et de son expérience, un tel talent ne pouvait rester dans l'ombre, mais il ne pouvait pour autant pas être ainsi révélé en plein jour. Une solution était possible.
***
Jaheira se réveilla quelques jours plus tard. Seule, elle s'autorisa à quitter le lit et à reprendre le travail. De retour en son bureau, la jeune femme s'enferma dans l'apothèque et s'effondra sur son établi, pleurant à chaudes larmes à l'abri des regards. Elle glissa ses doigts sur le doux bois et en apprécia le confort et le sentiment de sécurité qu'il lui procurait désormais. Un sentiment nouveau qu'elle n'avait jamais su apprécier auparavant, mais qu'elle savourait à présent.
Plus tard dans l'après-midi, Celeborn vint discrètement s'assurer de son état et constata avec soulagement l'apaisement de sa pupille qui s'était déjà remise au travail. Sans la déranger, il décida de la laisser reprendre ses marques à son rythme.
Jaheira reprit son quotidien doucement, et malgré quelques nuits agitées en cauchemars, elle se surprit elle-même de sa propre résistance. Elle déplora alors son habitude à faire face aux affres de la guerre. Le sang et la mort ne l'effrayaient plus. Tandis que ses plaies se résorbèrent plutôt vite, elle ne digérait pas son agression et se mit à ressaser, à comment elle se comporterait si la situation revenait à se produire. Fort heureusement, les deux gardes s'en étaient sortis, mais furent contraints au silence en échange d'une confortable retraite en terres d'Aman.
Des jours plus tard, alors que Haldir demeurait toujours inquiet, Jaheira le rassura. Les jours se suivirent et nul ne fut informé de cette attaque envers elle, au grand dam de cette sensible qui aurait tant apprécié en parler.
Quelques jours plus tard, alors qu'elle terminait la préparation d'un remède qu'elle avait testé sur elle, Haldir se présenta à l'apothèque avec pour elle une convocation à Fondcombe. Le soir venu, un petit convoi vint quérir de la jeune femme, elle enfila son anonyme uniforme et les suivit sans s'inquiéter, plutôt curieuse de cette inattendue invitation à Fendeval, région qu'elle connaissait peu, bien que peu éloignée.
Alors qu'ils voyageaient ensemble à travers les bois, Jaheira se revit à terre entre ces arbres. Un tournis la saisit, elle revit malgré elle l'attaque et l'arbitraire exécution du garde qu'elle n'avait pu sauver, ce souvenir lui donna la nausée, non par dégoût mais par la cruauté et l'aversion qu'elle attribuait désormais aux orques. Une obsession naquit en elle, presque maladive, un profond et puissant désir de vengeance... La guérisseuse stoppa son cheval sans s'en rendre compte, perdue dans ses pensées. Lorsqu'Haldir vint à sa rencontre, il la découvrit les yeux sombres et s'inquiéta. La jeune femme se reprit, ravala sa colère et repartit au pas, préférant passer sous silence ses émotions, feignant la constance propre aux elfes. Elle accusa la fatigue et disparut sous sa cape, qu'elle ne retira qu'après plusieurs longues journées de voyage au pas.
A leur arrivée, Jaheira et Haldir furent accueillis par Elrond de Fondcombe en personne. Intimidée, elle retira son capuchon et se courba respectueusement devant lui.
- Dame Jaheira de Lórien, je vous souhaite la bienvenue à Fondcombe. Venez, marchons un peu.
Haldir regarda Jaheira s'éloigner avec un sentiment d'impuissance désagréable, puis se retira un peu plus loin. La jeune femme suivit Elrond en silence, dans l'expectative de cette entrevue. Elrond était quelqu'un de puissant et de très important. Que pouvait-il bien avoir à lui dire ?
- Dame Jaheira. Sachez que votre réputation de guérisseuse vous précède aujourd'hui. Votre légende est connue, même ici à Fondcombe où vos exploits sont contés... Grâce à vous, aujourd'hui des vies sont sauves.
- Je suis loin d'être guérisseuse, répondit-elle.
- Avoir engrangé autant de savoirs en si peu de temps ne peut que relever de deux choses : du don ou de la passion. Il semblerait que la nature vous ait doté des deux. Cela est une chance formidable pour nous tous.
Elle ne sut que répondre.
- Vous n'êtes certes pas une mage dame Jaheira, mais les alliées et l'ennemi vous considèrent désormais comme guérisseuse. Votre don est rare. Un tel potentiel doit être exploité, mais pas à n'importe quelle condition.
- L'ennemi sait pour moi ? S'inquiéta-t-elle.
- Il le saura tôt ou tard, je le crains. Votre implication auprès des victimes peut être retracé, si tel était le cas, nous ne pouvons prendre aucun risque.
Jaheira, exposée, se sentit mal à l'aise. C'était la première fois qu'on lui parlait ouvertement de ses capacités de soin.
- Jaheira, continua Elrond, même si je me dois de vous féliciter pour les réflexes que vous avez démontré dans les bois de la Lórien, il faut que vous sachiez que vous vous êtes exposée à de graves dangers en soignant ces hommes.
- Je ne pouvais les laisser mourir.
- Vous les avez sauvé d'une mort certaine et ils vous en seront redevables à vie. Ayant moi-même quelques habilités, je ne peux que témoigner du danger qui guette tout soigneur de ce monde : nous sommes des avantages de guerre considérables très recherchés, par les alliés mais aussi par l'ennemi qui cherche à nous détruire. Vous ne pouvez continuer à exercer ainsi vos talents ainsi. Pour votre propre sécurité, mais aussi celle de vos proches, dit-il en regardant Haldir que l'on distinguait au loin.
Jaheira fut soudainement saisie d'inquiétude.
- Il est important que vous restiez cachée pendant un certain temps afin que nous puissions garantir votre sécurité, conclut Elrond.
- Que voulez-vous dire ?
- Je vous propose de venir vous établir ici, à Fondcombe. Je veillerai personnellement à ce que vous puissiez exercer votre don en sécurité et retrouver votre plus strict anonymat. Avec le temps, on perdra la trace de vos agissements en Lórien et l'apothèque se fera oublier. Il est important que vous compreniez que vos capacités sont aussi dangereuses que précieuses, nombreux sont ceux qui pourraient vouloir en profiter à mauvais escient.
Jaheira accusa le coup. Si on avait certes salué son acte de bravoure, elle ne s'en retrouvait pas moins aujourd'hui contrainte de fuir les siens pour aspirer à la sécurité de son peuple et à la sienne. La jeune femme comprit à ce moment-là que son expertise était devenue un atout de poids, mais aussi un vecteur de grande fragilité.
Anéantie en son cœur et ne se sentant pas en position de lutte, elle céda avec dépit :
- Je serai honorée d'être accueillie en votre demeure, dit-elle avec politesse.
Elrond apprécia la résilience de la jeune femme. Il se leva. Avant de partir, il lui glissa :
- Nous vous installerons dans des appartements proches de ceux d'Arwen. Je pense qu'elle accueillera la nouvelle de votre arrivée avec une immense joie.
La jeune femme sourit. Arwen était plus âgée qu'elle, mais restait une compagnie agréable et une amie complice au temps de son enfance.
Jaheira trouva le besoin de s'isoler, elle erra longtemps dans les bâtiments de Fondcombe et se mit à angoisser. Haldir était introuvable. Même si une nouvelle aventure l'attendait ici, à Fendeval, elle ne s'en sentait pas moins arrachée de chez elle. Dans l'ombre d'un corridor désert, la jeune femme se mit à pleurer de nouveau.
De peur que l'ennemi ne comprenne la manœuvre, la jeune archiviste ne revint même pas chercher ses affaires en Lórien. Dès ce jour, Jaheira fut affectée comme archiviste à Fondcombe. Haldir quant à lui, fut sommé de rester en Lórien, mais pourrait la visiter quand son régiment passera dans la région, à condition d'observer une grande discrétion.
Haldir et Jaheira se séparèrent à nouveau, avortant leurs retrouvailles une nouvelle fois, car Haldir fut dépêché pour prendre en charge les assauts inopinés de l'ennemi cherchant le mystérieux trouble qui avait trahit la potentielle présence de ce qu'il croyait être un nouveau mage guérisseur en Lórien. Cela fut caché à Jaheira, mais peu après son attaque en forêt, on constata un regain de l'activité ennemie en frontière de Lórien, les orques se mirent à envahir les bois, ce qui provoqua des affrontements d'une violence jamais vue en ces terres de paix.
La jeune femme mit du temps mais finit par accepter sa nouvelle affectation. Se réfugiant dans le travail, et profitant de la présence d'Elrond pour se former à l'art de la médecine, Jaheira était devenu en l'espace d'une seule journée l'un des talents les plus convoités des alliances elfique, mais aussi le profil le plus traqué de l'ennemi. En quelques jours à peine, la jeune archiviste de la Lórien disparut de la circulation et les rumeurs inspirées de son talent et des prouesses de l'apothèque de la Lórien se turent.
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