Chapitre 65 : Pour Fangorn

Au fond de la crevasse, Jaheira était bouleversée de sa découverte. Sentant le temps presser, elle se tourna vers les ents :

- Est-ce cela ? Est-ce cela que vous êtes venues protéger ?

- Gaïlind porte la lumière, répéta l'ent.

La jeune femme réalisa enfin toute la profondeur du fameux mantra associé à sa mère. Elle ne réalisa qu'à cet instant l'ampleur de la tâche qui lui incombait désormais : les ents ne la suivraient jamais sans cette pierre. Gaïlind était arrivée jusqu'ici en tant que gardienne entique exilée et avait essayé de s'en enfuir en portant en son cœur le simlari, telle une enveloppe protectrice. Cette pierre était la relique du dernier souvenir des magiques arbres Telperion et Laurelin de Valinor. Dans la plus aveugle des loyautés, les ents femmes de Fangorn avaient d'abord suivi Gaïlind pour la protéger, allant jusqu'au cœur des terres ennemies. Ici, Gaïlind avait retrouvé le silmaril et s'était terrée avec les siennes, espérant qu'on vienne les secourir. « Les hommes défendent, les femmes préservent ». Les ents mâles n'avaient que défendu Gaïlind du danger à Fangorn, tandis que les ents femmes étaient restées là toutes ces années à préserver le plus précieux des patrimoines, une offrande qui surpassait de loin toute existence entique, la gemme de l'essence même de leur nature et de leur présence sur terre : le dernier silmaril, le joyau des premiers ents, poussière d'étoiles, larme de Yavanna et pierre de lumière des premiers elfes. Jaheira mesura à la puissance des lieux l'importance de l'artéfact pour les ents, mais également pour toute la Terre du Milieu et Valinor. Sa réflexion ne fit qu'un tour et devant le temps qui pressait, Jaheira hésita peu : elle ne pouvait laisser là un silmaril en terre ennemie dans de si sinistres lieux, elle devait finir la mission de sa mère et se devait de ramener la pierre en lieu sûr, hors d'Angmar, là où jamais le Mal ne pourrait s'en servir. Une telle pierre entre des mains ennemies aurait des conséquences désastreuses. En récupérant la pierre, les ents la suivraient et Fangorn serait sauvé, Valinor serait sauvé, tous seraient saufs et l'ennemi, enfin, serait défait. Sans plus de tergiversation, et devant l'urgence de la situation que Legolas lui faisait ressentir, Jaheira se glissa vers la pierre en vue de s'en saisir.

Elle foula le plus respectueusement possible le sanctuaire de sa mère, ramassa d'abord la tiare et la rangea délicatement dans sa veste. Puis, connaissant bien la légende de la douleur qui s'emparait des impurs porteurs qui osaient se saisir du silmaril, elle s'accorda une dernière inspiration. Prête, elle murmura « Pour la vie » pour se donner du courage et sans plus hésiter, ramassa la pierre entre ses doigts. En une fraction de seconde, une violente déflagration éclata : la pierre se révéla dans un éclat aveuglant qui inonda toute la crevasse d'une puissante lumière qui arriva bien au-delà de la surface, recouvrant instantanément la forêt d'une puissante onde blanche qui balaya le sol puis disparut en une seconde à l'horizon. Legolas, ébloui par cette puissante lumière, se plaqua contre la paroi pour ne pas chuter à cause de la secousse qui venait d'agiter les parois du gouffre, faisant chuter plusieurs amas de pierres de la falaise, dont la façade craquait sous ses pieds.

L'onde traversa tout bien au-delà d'Angmar, soufflant tout arbre, terre, pierre, animal d'une éclatante déflagration de lumière qui arriva jusqu'au front des elfes et traversa chaque soldat, chaque ennemi, chaque rivière et chaque grotte. Tous les navires sur la baie aperçurent depuis la mer cette vague fonder à la surface de l'eau, traverser leurs navires puis fuir à l'horizon. Elias n'en revint pas de ce phénomène qu'il ne put expliquer mais qui n'augurait rien de bon. Thranduil lui, se figea de surprise, comprenant que quelque chose d'inouï venait de se produire. Était-ce Jaheira qui avait retrouvé les ents ? Ou au contraire était-ce l'annonce de nouveaux troubles ?

Au fond de la crevasse, Jaheira s'efforça d'ouvrir les yeux malgré la vive lumière qui l'aveuglait encore. Elle n'avait pas bougé, elle était toujours au fond de ce sinistre gouffre, mais à présent, une sensation puissante lui plombait la main. Elle eut un haut-le-cœur en découvrant que le silmaril qu'elle tenait entre ses doigts s'était agrippé à elle tout en lui rongeant la peau et les chairs, mais son corps aux propriétés entiques se défendait de cette agression en renouvelant sans cesse ses tissus, usant de son pouvoir pour enchainer écorce et peau humaine pour ne pas succomber à cette blessure. Jaheira observa le phénomène un instant et comprit que nul autre qu'elle ne pouvait se saisir de cette pierre sans mourir : elle devrait la porter seule du bout des doigts. Fermement décidée à la ramener en terres alliées, elle ressentit avec douleur le puissant pouvoir qui se déversait en elle et observa la lumière remonter lentement le long de ses veines. Bien que la pierre ne soit pas maléfique, cela n'augurait rien de bon : elle ne sentait déjà plus ses doigts, il était plus qu'urgent de partir d'ici et de rejoindre les siens avant qu'elle ne puisse peut-être plus contenir tous ses mouvements, ou même sa tête, possédée par la puissante magie de la pierre.

Legolas s'était précipité pour redescendre jusqu'au tréfonds du sanctuaire dans lequel il s'était précipité.

- Jaheira ! Dit-il en la prenant pour les épaules pour la relever rapidement.

Elle ne se rappelait même pas être tombée. L'elfe l'examina rapidement.

- Je..., dit-elle en révélant le silmaril au creux de sa main.

Legolas apparut déconfit :

- Qu'as-tu fait !

L'elfe comprit tout de suite l'ampleur du phénomène et souffrit de voir sa belle ainsi subir une telle torpeur. Elle semblait déjà ailleurs, désorientée. Sans réfléchir, comme attiré par sa puissance, mais surtout dans la sincère volonté de soulager sa femme, l'elfe tendit la main en vue de prendre la pierre mais Jaheira eut un réflexe de recul.

- Legolas, tu ne peux pas la toucher. Tu n'y survivrais pas, dit-elle en grimaçant et en lui montrant sa main à la permanente plaie.

Ses paroles la sortirent de sa rêverie et l'homme lui adressa un regard désolé. Sans attendre, l'elfe arracha son bandeau de l'Académie et lui enveloppa la main avec. Il lui glissa son bandeau à elle sur les yeux, l'embrassa sur le front avec douceur, puis se saisit de son arc, alors que des tas d'orques entamaient leurs descentes le long des murs du gouffre à l'aveugle avec de longues cordes, à la poursuite de cette magicienne dont ils avaient deviné la présence.

L'elfe décocha plusieurs flèches sur les parois, où les ennemis chutèrent dans un grand fracas d'os. Jaheira ne pouvant se servir que d'une seule main, donna ses flèches à son époux et se saisit de son épée avec la main gauche.

- Tu peux te transformer ? Demanda-t-il.

Elle fit non de la tête, la pierre la murait dans son enveloppe elfique, ce qui n'était pas le meilleur scénario, si tant est qu'il y en ait eu un bon : Gaïlind sous forme entique était morte ici, c'est peut-être même pour cette raison qu'elle-même n'avait pas survécu au port du silmaril.

Legolas ouvrit la course pour escorter sa femme loin des orques qui déferlaient des parois de pierre.

Lorsqu'ils s'enfuirent plus loin dans la crevasse, plusieurs ents s'éveillèrent sur leur passage, alertés par le déplacement du silmaril. Jaheira, encore aveuglée de la lumière qui lui avait traversé les pupilles quelques secondes plus tôt, ne put les compter. Mais elle les sentit se mettre en besogne, et certains s'attaquèrent avec fureur aux orques qui descendaient par les murs. Le chemin se dégageait pour eux. Ne perdant pas de vue son objectif premier malgré ce retournement de situation, elle se retourna vers les ents :

- Ents ! Vers Fangorn ! Les appela-t-elle.

À sa grande surprise, les ents l'écourèrent et commencèrent à escalader les falaises du gouffre en se servant du relief. Sans attendre, les deux époux les suivirent et commencèrent eux aussi leurs ascensions de la paroi. Legolas aida Jaheira à s'accrocher, mais devant la difficulté d'escalader à une seule main, Jaheira se résigna après seulement quelques mètres :

- Legolas je n'y arriverai pas...

- Jaheira, fais-moi confiance, insista-t-il.

Elle regarda la haute falaise qui les séparait de la surface.

- Je passe en premier, de là-haut, je pourrai te hisser.

L'elfe se lança à l'assaut de la falaise et grimpa efficacement, s'accordant quelques pauses sur des renfoncements pour sécuriser les parois envahies désormais d'orques et de plus en plus nombreux gobelins. Intelligent, Legolas accrocha une corde à son arc et réussit avec un tir parfait à passer sa flèche autour d'une pierre repérée là tout en haut de la paroi, d'un habile nœud, l'elfe sécurisa la corde et s'y jeta à bout de bras. Tendue de tout son poids, Legolas balaya les ennemis qui tentaient de descendre en rappel. La manœuvre fut très efficace, et on entendit en contre-bas les ents finirent les orques et autres gobelins tombés là.

Legolas commença à grimper à la corde à la seule force de ses bras et arriva presque en haut. Mais à peine eut il atteint la surface qu'un orque se jeta sur lui et l'elfe tomba à la renverse. 
Emporté par la masse ennemie, l'elfe tenta de se rattraper à la corde et se brûla la main, ne pouvant tenir sa chute, incapable de supporter cette douleur, il lâcha complètement. Voyant Legolas tomber, Jaheira hurla, et dans un réflexe archaïque relevant du miracle, se transforma en ent. Legolas atterrit avec une relative souplesse au milieu d'une puissante main entique quelques mètres plus bas. Son regard longea le bras d'arbre et reconnut aisément sa propriétaire : c'était bien sa femme. Elle l'avait rattrapé en plein vol et l'avait sauvé de sa chute, c'était là le but précis de leurs exercices à East Bight. Elle n'y crut pas, et pourtant elle y était arrivée, dans les pires conditions, au pire endroit, dans le pire moment, mais pour la meilleure des raisons : elle n'avait pas eu le choix. L'orque encore vivant aux côtés de Legolas fut écrasé d'un seul de ses doigts alors qu'il tenta de s'en prendre à lui. L'archer adressa un petit mouvement de tête complice à sa femme puis fléchit ses genoux, prêts à rebondir. Jaheira rassembla toute sa force et lança son mari en l'air jusqu'à la surface, l'elfe décolla avec la légèreté d'une flèche et atterrit délicatement à la surface où il sortit ses deux lames en mithril pour se débarrasser des nombreux orques et gobelins qui s'étaient agglutinés là, ameutés par l'agitation. Une fois son mari arrivé à bon port, Jaheira, épuisée par l'énergie que lui avait mobilisé le silmaril et sa transformation, reprit forme elfique et tomba à genoux, subitement étourdie. Elle se constata à présent isolée et distingua au loin une horde d'uruk-hai foncer sur elle.

Legolas élimina l'ennemi rapidement, prit le temps de sécuriser l'espace puis aida Jaheira à se hisser sur la paroi en lui lançant sa corde. Sur ses talons, les ents continuèrent d'escalader les parois avec une relative facilité, aidés par leurs puissants membres et la falaise accidentée qui offrait des reliefs pour s'y accrocher. Tous étaient proches de la surface à présent, ils y seraient rapidement.

A la seule force de ses bras, Legolas hissa vite sa femme jusqu'à la surface. Revenue en plein jour, il l'examina : elle était faible et avait le souffle court, mais elle le rassura d'un regard.

Pendant la seconde au cours de laquelle ils se regardaient, comme au ralenti, Jaheira entendit découvrit l'ennemi qui fondait sur eux telle une marée vivante, ils avaient tous été attirés par le trouble provoqué par le silmaril et le sang de Jaheira, dont elle ne pouvait à présent plus contenir le flot continu qui s'échappait de sa main. L'ennemi les encerclait, et en nombre. Calmement, comme pour tromper l'agitation ambiante et le sort qui les attendait, Legolas poussa doucement Jaheira derrière lui. Elle, cacha sa main dans son dos et se saisit mécaniquement de sa lame ondulée avec la main gauche. Même si Jaheira ne laissait rien paraitre, le silmaril puisait toute son énergie et lui lacérait les chairs. L'espace d'un instant, elle se sentit vaciller sur ses jambes mais tint bon vu le précipice qui s'ouvrait derrière elle. L'heure n'était pas à la faiblesse.

La bruyante marée ennemie se déploya autour des deux époux, alors coincés sur le bord du gouffre. Les arcs ennemis se tendirent sur eux. Gobelins et orques les regardèrent avec victoire : ils étaient pris au piège, ils n'avaient pas la moindre chance. Plus bas dans le gouffre, alertés par la palpable angoisse de la gardienne, les ents s'étaient silencieusement figés dans leur progression afin de ne pas être repérés. Ils gardèrent le silence. Legolas resta calme, il baissa les yeux de dépit, ils étaient prisonniers.

Le chef de la meute, un uruk-hai couvert d'une boue rougeâtre s'approcha d'eux avec cérémonie, triomphant de cette prise d'otages de choix. Mais avant qu'il n'ait pu s'approcher suffisamment, un craquement s'échappa du gouffre. Les uruk se raidirent et avant même qu'ils eurent le temps de réagir, un ent se hissa à la surface, sortant de la noirceur avec rage. L'ent s'élança en hurlant sur l'ennemi. Pour contrer ce monstre, les orques lancèrent une salve de flèches, l'écorce de l'ent y résista. Mais les flèches qui manquèrent l'ent arrivèrent droits sur les Legolas, qui profitant de la diversion de l'ent, se jeta à la renverse, attrapant sa femme par la taille pour l'entrainer dans sa chute et ainsi de justesse éviter les flèches. Prise par surprise, Jaheira avait malencontreusement lâché sa lame ondulée qui tomba derrière elle dans la noirceur de la faille. Elle était perdue. S'élançant volontairement dans la vide, Legolas avait réussi à s'accrocher d'une seule main sur le bord du précipice, retenant Jaheira par la taille alors que les flèches ennemies sifflaient au-dessus d'eux, les manquant de peu. L'ent, à la colère décuplée, s'exprima au travers de puissants revers de branches balancés sur l'ennemi, alors balayés au loin ou sommairement écrasés par ses puissantes jambes. L'ennemi s'acharna sur elle. A la surface, un brouhaha mêlé de cri d'orques, de craquement, de salves et de fer s'opéra. Les autres ents, toujours agrippés aux façades du précipice, se hissèrent à leur tour à la surface pour se mêler au combat. Juste au bord du précipice, Legolas tenait Jaheira à bout de bras. Elle s'était à peine rendu compte de la manœuvre et éprouvait à présent des difficultés à se concentrer, elle perdait connaissance par intermittence contre lui, relâchant son étreinte. L'elfe cria pour réveiller sa femme alors qu'il avait de plus en plus de mal à la maintenir contre lui. Dans le vacarme du combat, Legolas s'efforça d'identifier un endroit où il pourrait atterrir en sécurité avec elle.

Soudain, à la surface, le silence revint et cela raidit l'elfe. Legolas, déjà saisit d'angoisses, sentit quelque chose s'approcher de sa main, dont les doigts les retenaient tous deux à la surface. Il paniqua, prêt à sauter dans le vide pour s'échapper.

- Besoin d'aide commandant ? Dit une voix enjouée à la surface.

Legolas regarda en direction de sa main et dans la forêt se dessina l'espoir : Khalid Flyverin se tenait là. Tout d'armure vêtu, il lui tendait une main plus que bienvenue et se saisit du poignet de Legolas pour les hisser, elle et lui à la surface. Revenu dans la forêt, ils découvrirent tout autour d'eux des soldats en uniforme de la Garde Royale, au milieu d'un tas de corps d'orques et de gobelins. Ils étaient intervenus sur ordre de Khalid qui les avait retrouvés. Depuis combien de temps les cherchait-il ? Une fois les deux pieds au sol, Legolas ne put s'empêcher de serrer fraternellement Khalid contre lui, plus que soulagé de compter sur son vieil ami en ces terres. Remarquant à peine sa présence, Jaheira vacilla sur ses jambes, ce qui inquiéta Khalid :

- Emmène-la, ordonna l'intendant catégoriquement. Nous vous couvrons, dit-il en sortant sa longue épée en mithril avec détermination.

D'autres orques approchaient déjà et Khalid se mit en position de combat. On confia des capes aux époux et sans plus attendre, Legolas prit Jaheira par les épaules : elle était semi-consciente mais pouvait encore marcher, elle semblait perdue et avait à peine réagie à l'arrivée de la garde. Tous deux tracèrent à travers les arbres pour s'éloigner du combat, escortés par plusieurs soldats de la garde. Derrière, les ents, rassemblées hors de la crevasse, commençaient elles aussi à se battre quand d'autres se mettaient en chemin, sur les traces de Jaheira. Legolas retrouva rapidement leur chemin à travers les arbres, et décida de suivre la faille jusqu'à leur point d'entrée. La présence du gouffre pourrait s'avérer salvatrice en cas d'embuscade et ils pourraient tous s'y cacher de nouveau : l'important en cet instant était avant tout de protéger sa femme qui ne pouvait se battre, grandement affaiblie par le port du silmaril.

Toujours au pas de course, Legolas et les gardes se défendirent, enchainant les tirs parfaits pour éliminer leurs suiveurs. Après des heures de fuite, ils réussirent enfin à semer l'ennemi, s'éloignant aussi des ents qui les suivaient de loin de leur vénérable mais lente démarche. Encadrés par les gardes, Legolas s'arrêta brièvement pour guetter la progression de l'ennemi sur leurs pas. Mais Jaheira s'effondra contre lui, inconsciente. Des cris d'uruk se firent entendre, une centaine, les soldats de la garde partirent pour brouiller les pistes et qu'ils prennent de l'avance. Sans plus attendre, Legolas souleva Jaheira dans ses bras et courut à travers les arbres pour se sortir de là au plus vite. Après un long sprint, Legolas était à bout de souffle, il trouva une cachette dans les bois, où il prit un instant pour boire un peu et dissiper leur trace. Doucement, il examina Jaheira. Il la réveilla avec douceur et elle ouvrit les yeux de surprise, ébahie comme sortie d'un cauchemar. Il la rassura tandis qu'il découvrit que le puissant fluide du silmaril s'emparait d'elle, révélant les vaisseaux de sa gorge teintés de blanc.

- Est-ce que tu vas bien ? S'inquiéta-t-il.

Elle acquiesça d'un signe de tête mais trahissait un malaise certain.

- Reste ici, ordonna Legolas en lui glissant l'une de ses courtes lames dans sa botte.

Il lui laissa également sa gourde d'eau pour qu'elle boive un peu et lui enfila sa propre cape sur les épaules.

L'elfe laissa Jaheira dissimulée dans le renfoncement d'une vaste racine et s'éloigna de quelques pas pour se repérer. Mais à peine eut-il fait quelques mètres qu'il s'aperçut que l'immense faille qui avait fendu la forêt se trouvait juste là, alors qu'ils s'en étaient volontairement éloignés depuis plus d'une heure déjà. La crevasse était-elle géante ou n'avaient-ils donc pas avancer d'un iota ?

Ne sachant pas ce que l'obscurité des lieux pouvait dissimuler, Legolas se pencha avec prudence, espérant reconnaître le chemin qu'ils avaient emprunté plus tôt dans le méandre de pierres, ce qui leur indiquerait qu'ils revenaient en effet sur leur pas et quitteraient bientôt cet endroit. Legolas identifia en contrebas une pierre dont l'angle lui parut familier : ils étaient dans la bonne direction. Rassuré quant à leur progression, il se releva lentement pour revenir auprès de Jaheira et ainsi reprendre leur course.
Depuis sa cachette, Jaheira ouvrit enfin les yeux et essaya de bouger. Tout son corps était endolori, comme lesté de plusieurs kilos. Elle se constata sous la cape de son époux. Depuis combien de temps étaient-ils là ? Un peu plus loin, elle vit Legolas accroupi se relever et regarder dans sa direction. Elle lui sourit.
La scène se déroula comme au ralenti. Legolas voulut lui rendre son sourire mais eut un mouvement de recul et son visage se pétrifia. Legolas baissa la tête : une flèche noire lui traversait l'épaule droite, dessinant une grandissante tâche de sang sur son veston. L'elfe encaissa la douleur sans le moindre mot. Réalisant ce qui lui arrivait, son visage s'empreint de colère. Sidérée, Jaheira voulut crier, mais rien ne vint. Toujours au ralenti, Legolas se saisit avec rage de sa lame, mais à peine eut-il tiré son épée qu'une seconde flèche vint l'atteindre au flanc. Accablé, figé, il en lâcha sa lame qui tomba par terre. Impassible, l'elfe se raidit, retrouvant son équilibre désormais précaire. Jaheira vit la douleur le traverser. Legolas, furieux d'être ainsi ciblé dans le dos, se saisit de son arc en une seconde et avec une rapidité édifiante, élimina son tireur embusqué, mais une troisième flèche vint se loger dans sa cuisse, depuis un tout autre angle cette fois. Un uruk-hai sortit d'entre les arbres, non loin de la cachette de Jaheira. Legolas voulut décocher une nouvelle flèche, mais il reçut un nouveau projectile dans son bras gauche, il dut baisser son arc. Jaheira se sidéra de nouveau, piégée dans son propre corps. Elle se fit violence pour se mouvoir afin de sortir secourir son époux criblé de flèches, mais celui-ci lui fit un discret mouvement de la main, lui faisant signe de se stopper. "Aja" fut son dernier mot. Legolas regarda Jaheira dans les yeux, toujours debout malgré ses multiples plaies. Puis, l'elfe devint blême et ses yeux se révulsèrent. De ses plaies se mirent à sortir un épais liquide noir, signe d'empoisonnement. Pour ne pas attirer l'attention sur Jaheira, l'elfe jeta un regard hagard tout autour de lui, adressa un dernier regard à sa bien-aimée tout en vacillant sur ses jambes pour finalement, d'un pas involontaire et inconscient, basculer dans le vide du gouffre derrière lui et disparaître de la surface sans un bruit. Jaheira assista en silence à sa bascule, voyant son époux disparaître du sol, happé par la noirceur du vide. Le silence se fit sans qu'elle ne réalise ce qu'il venait de se produire, Il n'était plus là. Mort. Déconnectée de la réalité, elle resta là à regarder où Legolas se tenait, s'attendant inconsciemment à le voir resurgir des tréfonds à tout moment. Cela n'avait rien de réel, il n'était pas tombé, il allait revenir, il n'était pas... mort. Elle attendit. Ce n'est que quand les uruk s'approchèrent du gouffre pour constater le décès de l'elfe qu'elle réalisa ce qu'il venait de se produire. Après un unique sanglot, le souffle court, paniquée, déboussolée, Jaheira s'extirpa de sa cachette avec une énergie nouvelle et partit en courant. Elle ne pouvait pas se lancer au combat, elle devait revenir, pour le peuple, pour les elfes, et pour retrouver son fils. Hagarde, perdue, bouleversée, folle de peur, espérant que les académiciens viendraient l'aider, elle courut droit entre les arbres. Elle ne pouvait se battre. Elle ne pouvait se transformer en ent. Le silmaril la tordait de douleur et elle n'avait plus d'énergie. Tout, tout à présent était perdu. Ne sachant même plus pourquoi elle courrait, Jaheira tomba de maladresse. A terre, le menton dans la boue, une première flèche siffla au-dessus d'elle, sa vue se troubla. Elle se força à se remettre debout et à continuer sa course à l'aveugle avec toute l'énergie qui lui restait. Elle ne sentait plus ses jambes et commençait à boiter, où peut-être s'était-elle blessée ? Elle n'en savait rien. Il n'était plus là question de se repérer, d'essayer de s'en sortir, mais de partir d'ici, de trouver de l'aide. Les sifflements de flèches se firent de plus en plus nombreux, il n'y avait là pas qu'un seul tireur à ses trousses. Puis, soudainement galvanisée de cette inutile fuite perdue d'avance, Jaheira décida d'arrêter de courir. L'Académie ne formait pas des déserteurs, elle n'était pas une lâche. Toute sa vie elle avait été entrainée pour ce genre de situation, l'Académie l'avait formé à se battre, jamais à fuir. Alors, sans trop hésiter, alors que de nouvelles flèches la manquèrent de peu, elle saisit de la main gauche de la lame de Legolas dans sa botte et décocha plusieurs flèches au vol avec sa lame, mais rapidement, sa main d'arme s'engourdit. Epuisée, une première flèche vint lui transpercer le bras gauche. Jaheira perdit l'équilibre et s'effondra à genoux tandis que le silmaril continuant de lui consumer les chairs de sa main droite.

A bout de souffle, elle se remit sur ses jambes et essaya de repartir. Dans son dos, un uruk s'approcha d'elle, tendant son arc. Jaheira détecta sa présence et fut alors saisie d'une nouvelle rage : ce monstre avait tué Legolas, nul ne pouvait s'en prendre ainsi à sa famille. Elle s'arrêta et serra dans sa main la lame de son époux. Elle se retourna pour faire face à l'archer et se mit debout face à lui, lui lançant un regard aussi assassin que la colère qu'elle avait dans le cœur. D'autres orques les rejoignirent et observèrent ce duel qui s'avèrerait fort distrayant. Cette seule et fluette femme, blessée et boiteuse, face à un uruk ne serait l'affaire que de quelques secondes. Après un instant à la dévisager avec des yeux injectés de sang, l'uruk tendit son arc pour lui décocher une ultime flèche, elle s'avança vers lui avec détermination et évita sa flèche d'un simple mouvement, l'uruk se réarma, elle brisa la seconde en plein vol. Avant qu'il ne bande une troisième fois son arc, elle courut vers lui et arriva à sa portée, le monstre faisait presque deux mètres et une centaine de kilos de plus qu'elle, mais aucune peur ne la traversa : avec un beau tour sur elle-même en guise d'évitement, elle réussit à lui enfoncer profondément sa lame dans la poitrine tout en le regardant dans les yeux. Elle prit même la peine de tourner sa lame dans la plaie. Contrant son attaque, l'uruk la saisit par la gorge et la fit voler à plusieurs mètres de là, Jaheira fit un vol plané, roula par terre avant de se rattraper dans sa chute, accroupie et main au sol, la flèche de son épaule venait de se briser, elle la retira avec vigueur et en rageant. Involontairement dans le mouvement, le bandeau de sa main lâcha, révélant la brillante pierre qui luisait entre ses doigts. Soudainement attirés par cette vive lumière, les uruks s'emballèrent. Un des uruk profita de sa proximité pour tenter de se saisir de la gemme. De dos, l'uruk se jeta sur Jaheira pour lui écraser les côtes de son pied, il lui en brisa plusieurs dans un grand craquement. Jaheira hurla de douleur et tenta de se débattre de l'écrasante force qui la plaquait au sol. L'uruk se pencha pour saisir de la pierre, mais à peine l'eut-il frôlé que la gemme lui brula les doigts tel du fer blanc, dégageant une vive odeur de chair brulée dans la forêt. L'uruk fit un pas en arrière en se tenant le bras presque rongé avant de finalement s'effondrer devant ses camarades. La jeune femme referma les doigts et roula sur elle-même, au passage, elle planta sa courte lame dans le pied d'un des orques en approche pour s'ouvrir un passage. En un bond, Jaheira se remit debout et reprit sa fuite, les orques à ses trousses.

La jeune femme comprit qu'elle ne pouvait alors se défendre d'une seule main engourdie, surtout avec une épaule démise et des côtes brisées... Même si elle savait se battre, elle ne pourrait triompher de ce duel au vu de son état qui se dégradait un peu plus chaque instant. Le temps pressait. Si seulement elle pouvait récupérer sa main droite... Soudain, elle eut une idée. Sans prévenir, la jeune femme s'arrêta, prit une grande inspiration et se retourna la lame contre elle pour se lacérer le flanc juste à la jonction de son armure. Pour elle, la solution était simple : la pierre avait besoin de se faire corps avec son porteur, mais cela n'était pas nécessairement avec la main. Alors elle s'ouvra bravement une large plaie dans le flanc gauche pour y glisser la pierre dans la chair, elle se retint de ne pas crier. Tandis que les orques et autres uruks s'approchaient, la pierre se détacha de sa main et comme espéré se colla à son flanc, glissant juste sous sa peau. La plaie de surface cicatrisa instantanément grâce à ses propriétés entiques, enfermant le silmaril en elle, encore luisant sous sa fine peau. Sa main se rétablit intégralement et Jaheira recouvra presque immédiatement la pleine sensation de ses doigts. Ce n'était pas l'idéal, elle souffrait toujours et demeurait exténuée, mais elles avait retrouvé sa main d'adresse.

Un premier uruk se présenta, et malgré la douleur qui lui lacérait le flanc, Jaheira lui enfonça sa lame dans la mâchoire et le fusilla du regard en le regardant agoniser au bout de son arme.

- Pour Legolas, ragea-t-elle en regardant la bête dépérir.

L'uruk tomba raide mort. Folle de colère, elle s'attaque aux autres et les tua tous en hurlant. Déchargeant sa colère et sa tristesse. Une fois la voie dégagée de ces quelques monstres, la jeune femme en pleurs repartit en courant. Il était peut-être encore temps... Elle n'était pas très loin. Son sang ne fit qu'un tour : sans attendre elle rebroussa chemin en direction du gouffre en vue de retrouver Legolas. Elle ne pouvait pas le laisser là, pas ici, pas maintenant. Peu importe ses blessures, elle pourrait le soigner et si elle ne pouvait pas, c'est sa dépouille qu'elle ramènerait, contre vents et marées. Revenue rapidement au bord du gouffre, la douleur du silmaril lui revint comme un coup de poignard dans les côtes, cela était surement lié à une certaine mémoire de la pierre. Jaheira se jeta sur le rebord de la crevasse et appela son époux :

- Legolas ! Legolas ! Legolas...

Faute de réponse, seule, Jaheira se mit à pleurer à chaudes larmes, incapable de le repérer dans cette noirceur. Il ne répondait pas, probablement inconscient. Mais se rappelant de la profondeur des lieux et des tranchantes pierres qui se trouvaient là, Jaheira perdit tout espoir. Elle s'effondra sur le bord du précipice, toujours en l'appelant. Tout autour, sans qu'elle s'en aperçoive, noyée par son chagrin, de nouveaux uruk commencèrent à l'encercler. Jaheira décida de se remettre debout pour se jeter dans la crevasse, espérant avoir le réflexe de se transformer en ent avant d'atteindre le fond, mais la jeune femme en se relevant, reçut un coup derrière la tête et tomba inconsciente. Le flux du silmaril venait de lui atteindre le cœur et tut sa lumière. Les uruk eux, virent la jeune femme tomber raide et triomphèrent avec éclat. 

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