Chapitre 64 : Relique entique
Alors que la guerre faisait rage depuis déjà quatre mois à Angband. Jaheira et Legolas, eux, progressaient dans leur calvaire, ne s'accordant que quelques pauses pour reprendre leur souffle, boire ou avaler une bouchée de pain elfique hautement calorique. Chaque heure passée en ces lieux leur rappelait les épreuves de l'Académie, à croire qu'elles en avaient été inspirées : chaque paysage était plus inquiétant que le précédent et d'une difficulté physique et psychique supplémentaire. Tous deux s'armèrent de patience et continuèrent tête baissée sans jamais se retourner. Le front allié était bien loin et ils étaient seuls. Armes à portée de main, ils quadrillaient efficacement le terrain pour ne rater aucun indice qui pourrait trahir la potentielle présence d'ents. Plusieurs fois, Jaheira s'arrêta pour se concentrer sur ses sensations, les yeux fermés, en silence. Pendant ce temps statique, Legolas mesurait leur avancement. Après un court instant, Jaheira se reprenait, rouvrait les yeux, jetait un coup d'œil entendu à Legolas et sans plus de dialogue, se remettait au pas de course.
Ils exploraient depuis maintenant un mois cette forêt inhospitalière et sombre, le soleil s'était levé plusieurs fois, mais malgré le fait que les branches ne comportent plus aucune feuille, la lumière du jour semblait ne jamais atteindre le sol, comme si le soleil s'était lui-même résolu à nourrir ces sinistres lieux de ses vitaux rayons. Plus aucun animal ne vivait là et aucun bruit n'y subsistait, l'air y était humide et étouffant, les troncs y étaient recouverts d'une suie épaisse et collante, surement due à la présence des mines ennemies, ou à de très anciens feux de forêts. Le sol y était embourbant. Ce spectacle de désolation était d'un constat édifiant, mais cela ne les surprit guère, le peuple d'Angmar n'avait jamais été connu pour son attachement à l'environnement, préférant largement une exploitation abusive et irrespectueuse de ce dernier.
C'était leur peut-être soixantième forêt et Jaheira s'était arrêtée pas moins d'une centaine de fois, étudiant chaque ressenti avec précaution avant de repartir tout droit entre les arbres. A présent, le front d'Angmar avait bel et bien disparu de leurs vues et ils n'avaient aucune idée de comment se déroulait le combat. Alors qu'ils empruntèrent le lit d'une rivière asséchée, Jaheira se figea une nouvelle fois dans sa course et Legolas l'observa avec appréhension. Après une nouvelle courte attente insoutenable, le visage de la jeune femme s'éclaira. Elle s'avança d'un pas de loup droit devant elle, puis ses pas s'accélérèrent, enfin la jeune femme se mit à courir à toute vitesse, Legolas la suivit. Ils tracèrent ainsi sur plusieurs kilomètres au cours desquels Jaheira s'arrêta à plusieurs reprises pour mieux se repérer. Perturbée par quelque chose, elle jeta un œil à droite, puis à gauche et changea de direction, précipitée, elle manqua parfois de glisser sur la boue au sol. Enfin, Jaheira courut à en perdre haleine, transportée par cet appel qui battait en elle. Après une longue course, elle s'arrêta brusquement, freinant avec ses pieds et bloqua Legolas dans son élan pour qu'il s'arrête à son tour, car devant eux s'ouvrait une immense crevasse, profonde, glacée et sombre.
Les deux restèrent silencieux, contemplant le fumant gouffre dont on ne voyait pas le fond.
- C'est ici, murmura-t-elle.
Sans un mot, Legolas saisit un gravier à ses pieds et le jeta. Le caillou resta silencieux pendant de longues secondes, avant de rebondir plusieurs fois puis de s'écraser sur le sol en contrebas. L'elfe observa le gouffre de ses yeux perçants mais n'y distingua rien : il était plus que sceptique. Cela avait tout l'air d'un piège. Mais l'heure n'était plus vraiment à la prudence :
- En es-tu sûre ?
- Quelque chose de puissant qui vit ici.
L'elfe resta sceptique, mais à la surprise de sa femme, il se décida sans grande hésitation :
- Allons-y, dit-il en se retournant et en tendant son arc en vue de protéger Jaheira pendant sa transformation.
Sans plus de cérémonie, elle inspira profondément et adopta sa forme entique. Ici, cela demeurait encore possible car ils étaient seuls et elle se sentait en sécurité. Après plusieurs minutes de transformation, sous forme entique, elle s'agenouilla pour tendre son bras à son époux pour qu'il s'accroche à elle. Il se hissa jusqu'à son épaule et se cramponna solidement. Jaheira fit un petit pas en avant et sauta dans la noirceur de la crevasse, disparaissant de la surface de la forêt.
Elle atterrit sur ses solides jambes cents cinquante mètres plus bas dans un immense et résonnant fracas et se figea, dissimulant Legolas. Après un long instant attendant que l'écho menaçant de leur arrivée au fond de la crevasse ne se taise, tous deux patientèrent immobiles, attendant une possible réaction, mais rien ne se passa. Prudente, Jaheira se redressa sans faire de bruit, anticipant encore une réaction à son amorti amplifié avec la profondeur des lieux et la résonnance des pierres. Toujours rien. Rassurés mais toujours alerte, Legolas sauta au sol sans un bruit et tous deux constatèrent l'exiguïté des lieux. Jaheira reprit forme elfique pour progresser facilement dans le dédale de roches. Heureusement pour eux, l'obscurité n'était pas un problème et ils se firent rapidement à cette absence de contraste, c'était surtout la froideur étouffante de l'endroit qui les surprit, leurs souffles créaient là une fumée continue alors qu'Angmar demeurait une terre volcanique naturellement chaude. L'endroit était si froid que l'on aurait dit que la mort y vivait. Avec l'obscurité, la lumière de la surface les éblouie et ils mirent quelques secondes à s'habituer en ces lieux. Le fond de cette crevasse dégageait quelque chose de puissant, imperceptible depuis la surface, Legolas lui-même le ressentit, et pourtant, tout ce qui y régnait ici n'était que désolation, toute vie y avait disparue, si tant est qu'elle y ait vécu un jour. L'elfe garda son arc en joue et resta sur ses gardes un moment, puis, se constatant bien seul, le relâcha et le rangea dans son dos.
Le couple se mit à avancer entre les gravats, escaladant et explorant les noirs amas rocheux qui leurs barraient la route, vestiges d'anciens éboulements. Ils continuèrent ainsi des heures durant, la perception de Jaheira était de plus en plus forte. Enfin, après un dernier obstacle rocheux, Jaheira se décomposa en découvrant la source de son vif trouble : des arbres par dizaines se trouvaient là, camouflés au fond de cette sordide crevasse, enfouis sous une épaisse crasse noire collée à la poussière de pierres, dépourvus de lumière, d'eau et de vie, sinistrement alignés, ceux-ci avaient exploité le moindre espace disponible pour fuir le confinement qu'ils subissaient. Jaheira s'approcha doucement et du bout des doigts, caressa l'écorce de l'un d'eux. Elle était sale et froide, ce n'était plus qu'une coquille vide, tous étaient morts.
Jaheira et Legolas retirèrent leurs bandeaux fort inutiles en ce cimetière entique.
Dépité, Legolas s'approcha à son tour et toucha un arbre du bout des doigts :
- Qu'est-il arrivé ? Demanda-t-il, envahi de déception et de tristesse.
Faute de réponse, il se tourna vers sa femme avec gêne, mais Jaheira souriait. Malgré toute la tristesse de ce spectacle, un sourire radieux traversait son visage.
- C'est ici, souffla-t-elle avec un voix tremblante d'émotions.
Sans prévenir, la jeune femme fit quelques pas en arrière. Legolas devina ce qu'elle s'apprêtait à faire et l'en empêcha :
- Jaheira attends. Je vais monter la garde de là-haut, le relief n'est pas en notre faveur. Attends que je monte.
Jaheira d'abord piquée d'avoir été arrêtée dans son impatient geste, écouta son époux et salua sa prévenance. Il avait raison, elle ne devait pas se précipiter, pas ici, pas maintenant, pas si près du but. Il s'éloigna, escalada la falaise de roche, et une fois à équidistance pour pouvoir observer le spectacle et guetter la surface, il fit signe à Jaheira de s'exécuter.
Faute d'avoir sa dague dans sa ceinture. Elle se saisit dans son dos de sa lame torsadée et eut une pensée émue pour Celeborn, Elrond et Haldir, qui lui avait conjointement offert cette lame.
La jeune femme serra sa lame contre sa paume et s'entailla la peau pour que le sang coule. Elle prit garde à ne verser qu'une seule goutte au sol et se guérit tout de suite la main. Lorsque le sang argent toucha terre, le sol l'absorba en une légère secousse. Legolas se retourna vers la surface avec un regard inquiet, dans l'expectative d'une imminente réponse ennemie, et Jaheira de son côté se prépara à observer la réaction des ents, priant de tout son cœur pour que certains d'entre eux se révèlent à elle.
Rien ne se passa.
Le silence de la crevasse persista sans réaction aucune et Jaheira commença à paniquer.
Plus haut, Legolas détecta une agitation, quelque chose approchait. Il se saisit de son arc et de ses flèches. Prêt à décocher, il était aux aguets.
Jaheira se pétrifia : en révélant son sang ici, elle avait alerté les forces de Sauron de sa présence. Et si elle s'était trompée ? Si tout ceci n'était qu'un leurre, qu'un piège ? Non. Cela n'était pas possible. Tous ignoraient la présence d'ents ici, même morts. Elle en était sûre : ici était le dernier sanctuaire des ents de Fangorn. Elle pouvait les réveiller, ils pouvaient se réveiller, ils devaient se réveiller, il ne pouvait en être autrement !
Legolas décocha une première flèche et un cri strident se fit entendre à la surface : des gobelins. L'elfe les effraya avec sa flèche sortie de nulle part, dissimulé par l'obscurité de la faille. De son côté, devant l'absence de réaction de son sang, Jaheira paniqua et voulut se resservir pour réveiller les ents. Alors qu'elle glissa à nouveau sa main vers sa lame, un grand craquement retentit derrière elle et la jeune reine se figea de peur. Elle se retourna et ne vit rien. Pourtant, elle était sûr d'avoir entendu ce craquement boisé dans l'écho. Elle ne sentit plus rien, nulle présence, ni voix ne lui parvenait à présent. Elle se retourna de tous les côtés, guettant les horizons.
- Montrez-vous ! Ordonna-t-elle, impatience. Je ne suis pas votre ennemie !
Après un instant, un nouveau craquement résonna. Enfin, un arbre se mit à bouger. Jaheira serra les poings, la panique et l'excitation se mêlèrent en son cœur.
Dans un désordre de gestes désarticulés, un unique arbre prit vie, de la même façon que ce qu'elle avait observé chez Elen en Mirkwood : celui-ci semblait plus violent, des spasmes menaçants s'emparèrent de l'ents qui se réveilla dans un grand fracas de bois cassé et de pierre bousculée, malmené par des années de repos. Plus haut, Legolas qui continuait de guetter la surface, entendit à nouveau quelque chose et tendit son arc par précaution, il le rabaissa lorsque rien ne se présenta. L'écho de ce vacarme allait surement attirer l'attention sur eux, alors l'elfe redoubla de vigilance.
L'unique ent reprit vie au milieu de cette forêt d'arbres morts, sous la suie qui le salissait. Au fond d'elle, Jaheira jubila. La vie était encore en ces lieux. Désormais, on pouvait lui distinguer des membres, un visage et une silhouette pour ce monstre de suie noire. Il était bien là.
Après quelques minutes d'agitation, l'ent s'éveilla sous les yeux ébahis de Jaheira. Il l'observa en silence, sans bouger, le seul mouvement qui le trahissait était le clignement de ses yeux, formés de deux brèches dans son écorce. Jaheira garda son calme malgré tous son regard soutenu, intimidée, elle contint son émotion et commença par une longue révérence, avant de prendre la parole :
- Seigneur ent, Je suis Jaheira, fille de Gaïlind, Gardienne des ents de Fangorn et je viens vous ramener chez nous, auprès des vôtres, à Fangorn.
L'ent ne réagit pas. Après un long silence, il s'exprima avec une voix caverneuse. À l'immense soulagement de Jaheira, la voix de l'ent se révéla féminine :
- Non, trancha-t-elle.
Jaheira eut une déconvenue, mais au fond d'elle, la jeune reine s'attendait à cette réaction de leur part. Elle savait les ents têtues et endurcies, non aidées par leurs âges avancés et le manque de contact avec l'extérieur.
- Ents, vous êtes en danger ici, je vous en prie, venez avec moi, nous veillerons à votre sécurité.
- Nous.... n'abandonnerons... pas.... Gaïlind, insista l'ent avec colère.
- Mais je suis Gaïlind, je suis la gardienne ! Insista Jaheira avec impatience.
- Gaïlind est celle qui porte la lumière, répondit l'ent.
Jaheira ne connaissait que trop bien cette phrase, comme un mantra depuis qu'elle avait foulé les terres de Fangorn. Sans prévenir, les arbres, ents ou non, vivants ou visiblement morts se fendirent d'un même mouvement terrifiant et Jaheira sursauta avant de découvrir ce que les arbres tentaient de lui montrer : au bout de la haie qu'ils formaient trônait un enchevêtrement disparate de bois sombre, tel un sac de nœud boisé inanimé, solidement et hermétiquement serré, formant une énorme carapace triste et sale. Jaheira n'hésita que peu à s'en approcher, irrémédiablement attiré par le sombre artéfact de qui émanait une redoutable puissance. Parmi les arbres, se silence était revenu. Prudemment, elle s'avança timidement, mais ne distinguant pas de quoi il s'agissait, elle resta sur ses gardes.
Un peu plus haut sur la crevasse, Legolas entendit un nouveau bruit et tendit son arc, il décocha une nouvelle flèche et un cri d'orques résonna au-dessus de leur tête. L'ennemi étaient là, juste au-dessus d'eux. Attirés par le sang de Jaheira et l'agitation en contre-bas, ils les sentaient. Ils les cherchaient.
Legolas décocha plusieurs autres flèches et de nouveaux cris se firent entendre depuis la surface. L'elfe décida de poursuivre son ascension et remonta ce qu'il restait de falaise pour retourner vers le sol de la forêt, où il se saisit de ses lames pour éradiquer les quelques orques en présence afin qu'ils n'ameutent pas de renforts. Il balança les corps un peu plus bas dans l'obscurité de la faille pour ne pas attirer l'attention.
En contre-bas, Jaheira continua d'avancer vers l'amas sombre et indescriptible. L'énergie qui se dégageait de ces lieux était si puissante et les perturbations qui secouaient son être étaient si vives qu'elle en était étourdie. A chaque pas, la sensation disparaissait un peu plus, ce qui par expérience, n'était pas bon signe. La jeune femme avança doucement, prudemment malgré son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine, elle s'approcha tout doucement, pas à pas. Arrivée au bout, Jaheira hésita une seconde, puis toucha du bout des doigts la masse, qui à sa grande surprise, se délia délicatement, révélant sous plusieurs couches de bois très épais et de ronces épineuses, une antique relique entique.
Jaheira découvrit là le sinistre spectacle d'un tas de bois mort. La jeune femme, bien qu'inquiète, continua d'observer le spectacle et se figea d'effroi lorsqu'elle reconnut, parmi le bois en décomposition, une bien connue tiare en mithril. Jaheira eut un haut le cœur lorsqu'elle comprit que gisait là les derniers restes de sa mère, la gardienne ent Gaïlind de Fangorn. Bouleversée, les larmes coulèrent sur ses joues.
Jaheira s'avança doucement, comme pour ne pas déranger la gisante pourtant décédée il y a des siècles et qui ne se résumait aujourd'hui qu'à une ruine boisée, sombre et humide. Jaheira tendit la main pour se saisir de la tiare d'argent dont le temps n'avait nullement altéré la brillance. Mais avant qu'elle n'arrive à la toucher, quelque chose se mit à luire parmi le bois mort. Une pierre, d'une lueur étincelante, habitée par le plus pur souffle de la vie.
Plus haut à la surface, Legolas résistait efficacement, balançant à plusieurs reprises des corps d'orques dans le gouffre, qui venaient s'écraser en une masse informe un peu plus bas, ne faisant même pas sursauter Jaheira, trop concentrée à sa tâche. Legolas, même à bonne distance du fond du gouffre, ressentit également le trouble de cette mystérieuse pierre, qui le déconcentra un instant de son combat.
En bas, Jaheira hésita à s'en saisir, suspicieuse. Elle n'avait jamais rien vu de tel, elle lui semblait si puissante, si parfaite qu'elle ne put détacher son regard d'elle. Hypnotisée, elle l'observa encore un instant et s'en approcha encore, pour découvrir qu'elle était entrelacée entre plusieurs fines branches, comme si le bois la retenait là près d'elle, enlacée dans son écorce. Elle s'avança et la pierre brilla à nouveau. Jaheira eut du mal à réaliser ce qui lui arrivait : cette apparition avait tout de la légende et ressemblait trait pour trait à la description d'un puissant héritage magique des Valar : le simlaril, un joyau intimement lié aux originels ents de Valinor.
Elle étouffa un sanglot et fut sortie de sa contemplation alors qu'elle entendit Legolas en difficulté face à l'ennemi. L'elfe fit chuter quatre nouveaux orques en contrebas en les balançant depuis la surface, ceux-ci survécurent miraculeusement à leurs chutes, mais furent dès leurs arrivées écrasés sans sentence par un ent pourtant resté inanimé jusque-là. Legolas, débordé, débarrassa la surface de l'ennemi et revint au creux de la crevasse pour se cacher sur le renfoncement de la pierre et ainsi reprendre son souffle. Il entendit de nouveaux orques arriver par dizaines sur la trace de leurs compagnons éclaireurs et jeta un œil à Jaheira qu'il ne voyait plus, absorbée par l'obscurité des lieux.
Il était plus que temps de partir. Ils devaient faire vite.
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