Chapitre 63 : A l'assaut d'Angmar

Ajantis fut escorté jusqu'en haut de la colline qui offrait un point de vue culminant sur les terres d'Angmar. L'armée maléfique y terminait de se mettre en place avec désordre. Ajantis frissonna en découvrant le paysage secoué par les centaines de milliers d'ennemis qui préparaient l'offensive. Le temps était compté.

Deux gardes chargés d'escorter Ajantis jusqu'au roi Thranduil s'approchèrent pour escorter le jeune elfe. Il était temps pour les deux époux de s'atteler à leur tâche, seuls. Jaheira et Legolas se séparèrent de leurs fils avec regrets :

- Ajantis je suis désolée..., dit sa mère en lui caressant à nouveau le visage.

- Soyez prudents, glissa Ajantis qui devinait la nature de leur secrète quête.

- Ne prends aucun risque inutile, tu entends ? Tu nous es bien trop précieux, insista Legolas avant d'à son tour serrer son fils dans ses bras.

Ajantis regarda ses parents et leur sourit une dernière fois avant de spontanément tourner les talons pour rejoindre le roi du Mirkwood. Jaheira et Legolas regardèrent leur fils s'éloigner, reconnaissants qu'il leurs évite un nouvelle déchirante séparation. Enfin, tous deux se mirent en route.

Soudainement, un déclic foudroya Ajantis.

- Mère, attendez !

- Ne rends pas cela plus difficile..., dit-elle avec déchirement, sans se retourner.

- Mère, attendez ! Ne partez pas ! Laissez-moi vous expliquer, dit-il en la rattrapant. Votre dague !

Elle se figea sur place, toujours de dos :

- Ma dague ?

- Mère, cette lame vous trahie, ce n'est pas une simple lame ! C'est Cyllerîn !

Jaheira et Legolas s'étaient retournés en même temps. Ajantis avait désormais toute leur attention, car tous deux savaient que toute lame qui portait un nom était légendaire.

- Votre lame, mère, porte le nom de "Cyllerîn". C'est une lame de mémoire forgée par Annatar lui-même. C'est une offrande qu'il a fait à Gaïlind de Fangorn alors qu'il essayait de la courtiser. Il espérait ainsi qu'elle se lie à lui dans un pacte de sang en se servant de cette arme maudite. C'est une lame en mithril, Annatar l'a d'abord retourné contre sa paume pour prouver son allégeance à Gaïlind et lui a donné, en espérant qu'elle le nomme commandant de la garde de Fangorn avec son sang. Mais Gaïlind a décliné son offre, elle n'a jamais pactisé avec Annatar, mais a conservé son cadeau : cette lame, qu'elle ignorait maléfique ! C'est quand Gaïlind a nommé son premier commandant des armées par le sang qu'elle s'est empoisonnée des foudres d'Annatar sans le savoir. C'est comme ça, mère, que Annatar a ensorcelé Gaïlind sans jamais user de magie sur elle, et qu'il l'a ainsi enfermée tant d'années dans son enveloppe elfique, c'est comme ça qu'Annatar a pu localiser Fangorn grâce au sang de Gaïlind qui a coulé lorsqu'elle a nommé Haldir !

- Comment as-tu... ?

- J'ai beaucoup lu, j'ai trouvé la réponse dans "les légendes d'Aman"... Mère, Cyllerîn n'a qu'un seul maître : son porteur, qui doit verser de son sang pour l'obtenir.

Tout cela était vrai. C'est Haldir lui-même qui lui avait donné cette dague en retournant la lame contre sa propre paume. C'était juste avant son entrée à l'Académie, il y a des siècles, bien avant la naissance d'Ajantis. Le jeune elfe ne pouvait être au courant de ça.

- Mère, Sauron a contaminé cette lame pour tuer la gardienne des ents, il espérait que tôt ou tard Gaïlind s'en serve sur elle-même. Ce qu'elle l'a fait, en nommant Haldir commandant de la garde, elle l'a retourné contre sa paume pour la lui remettre en guide d'adoubement. C'était la seule lame que la gardienne n'ait jamais eue en sa possession, n'est-ce pas ? Haldir l'ignorait mais en le nommant, Gaïlind a souillé Cyllerîn de son sang, en plus de s'empoisonner, elle a aussi révélé à son insu la position de la cité d'Argent. Cette lame porte la marque de Sauron. Mère, cette lame est maléfique, à chaque fois que vous vous en servez, à chaque fois que votre sang la touche, les forces du mal se déchaînent !

Jaheira se figea. Sa dague était bien la lame qu'elle portait à Pellenor, avec laquelle elle s'était blessée en se libérant de son armure. Cette même lame avec laquelle l'esprit de Pallando l'avait retrouvé sur le front puis poignardé pour la libérer de son sortilège d'emprise. Jaheira se souvint de s'en être servie sur elle à Fangorn, avec Thillen en exercice, juste avant l'attaque, celle qui lui avait coûté la vie. Tout s'effondra en elle. Il était impossible qu'Ajantis connaisse tous ces détails : la légende d'Aman disait vrai, tout était d'une logique implacable. La reine apparut pétrifiée de la découverte de son fils. Lentement, comme une chose dangereuse, elle retira la dague de sa botte et la prit entre ses doigts avec précaution pour ne pas se blesser, elle regarda le précieux mithril luisant avec un dégout nouveau, la beauté de cette arme n'était désormais rien qu'un leurre pour mieux séduire son porteur et développer son attachement. Ce piège était plus que brillant.

- Que dois-je faire ? Demanda-t-elle.

- Mère, si vous ne voulez pas que l'on vous trouve, où que vous alliez, confiez-la-moi. Je la garderai en lieu sûr près de Thranduil. Quoi qu'il arrive mère, cette lame doit rester loin de vous.

À regret, Jaheira la posa délicatement entre les mains de son fils. Ce geste lui brisa le cœur, c'était la toute dernière chose qui la rattachait au souvenir d'Haldir, elle disait au-revoir à une grande partie de son passé avec cette lame.

- Nul ne peut se la voir remettre sans sang versé, souffla la reine.

Alors Jaheira posa ses doigts sur la lame et les fit glisser sur le métal scintillant, aposant une fine couche de son sang couleur argent sur la lame. Après tout, ils étaient déjà aux portes de l'ennemi et l'assaut aura lieu dans quelques minutes. Autant que l'ennemi la croit dans les rangs, ils n'avaient plus rien à perdre. 

Une larme d'émotion perla sur sa joue :

- Tu es si brillant, dit-elle en caressant la joue de son fils. Garde-la en sécurité, je t'en prie, dit-elle avec chagrin.

Ajantis rangea la dague dans un étui en cuir épais bien accroché à son ceinturon :

- Je veillerai sur elle jusqu'à votre retour.

- Nous t'aimons tellement Ajantis. Ne l'oublie jamais.

- Je vous aime aussi, dit-il en soutenant son regard.

Jaheira embrassa sn fils sur le front puis tourna les talons. Une nouvelle fois, elle s'éloignait de son unique fils. Elle rejoint Legolas avec le cœur lourd.

Ajantis suivit enfin les gardes et arriva jusqu'au roi Thranduil alors en selle sur un majestueux renne gris. Thranduil accueillit d'abord le jeune homme avec étonnement, et put difficilement contenir sa surprise lorsqu'il reconnut les traits de son unique petit-fils en ce beau jeune homme en âge de maturité. L'homme descendit de sa monture sans un mot et s'approcha du jeune homme, ignorant s'il se rappellerait de lui malgré toutes ces années.

Le roi le salua en portant sa main sur sa poitrine, heureux, presque honoré de le rencontrer de nouveau. Le jeune homme répondit avec une révérence bien exécutée, il était de bonne éducation et savait se comporter en présence de l'élite, ce qui rassura le roi sur les années d'errance de sa descendance.

- Sais-tu qui je suis ? Demanda Thranduil.

Il y avait beaucoup de gens autour d'eux, des dizaines de soldats postés en rang étaient témoins de leur échange. Il était préférable pour sa sécurité que sa présence reste discrète. Alors Ajantis eut l'intelligence de ne rien révéler sur lui, mais son regard en disait long sur le respect et l'admiration que lui inspirait l'elfe qui se trouvait face à lui.

- Un homme qui n'a rien à perdre, sauf son estime de lui-même s'il décide de fuir ce combat.

Cette réponse apporta pleine satisfaction à Thranduil qui apprécia son audace :

- Alors je crois que nous sommes ici pour les mêmes raisons, dit-il avec un regard entendu.

- Je suis Jonas, salua le jeune homme prévenant avec un rictus.

- Joignez-vous à moi, Jonas, acquiesça Thranduil.

Le roi se réjouit de la nouvelle démonstration de courage des hommes de sa famille. Ajantis monta à cheval et prit place aux côtés de son aïeul pour lancer le premier assaut, qui sonna une nouvelle salve avec une émotion nouvelle.

Tout en surveillant le combat, le roi elfe ne put s'empêcher de contempler le jeune homme présent à ses côtés. Il ressemblait traitrement à Legolas et se rappela de l'immense joie qui l'avait envahie en apprenant sa venue au monde, de la délivrance de Jaheira et de l'intense bonheur qui l'avait envahi en les revoyant tous deux quelques heures plus tard berçant leur premier né. Être père avait été un immense bonheur pour lui, que son fils le devienne à son tour l'avait été tout autant. Il ne put contenir son émotion quant à la présence de sa descendance à ses côtés pour ce moment historique.

Ajantis croisa son regard et leva un sourcil malicieux.

- C'est une bien belle lame que tu as là, questionna le roi en regardant le manche de son épée, qui dépassait de son dos.

Le jeune prince sortit sa lame de son étui et la présenta au roi avec précaution et respect.

- Elle s'appelle Enydion. Je l'ai forgée à partir d'une lame dont vous n'êtes pas étranger de la provenance, répondit-il avec aplomb.

- Elle est superbe, confirma le roi, impressionné de la transformation de son cadeau.

- Merci Ada, murmura Ajantis.

Cela faisait des années qu'il n'avait pas entendu cet intime surnom, d'abord utilisé par Legolas dans ses jeunes années, puis vite reprit par son petit-fils lorsqu'il était enfant. Thranduil regarda Ajantis avec une bienveillance immense.

- "Jonas" c'est cela ? Souligna le roi.

- Une inspiration de mes deux parents..., confia Ajantis.

- Intéressant, conclut Thranduil avec malice.

Le cor du Mirkwood résonna à nouveau, et Ajantis se raidit.

- Ensemble ? Lui proposa Thranduil en sortant son épée de son fourreau.

- Ensemble, confirma Ajantis en prenant Enydion en main.

Tous deux levèrent leurs armes en l'air, puis les abaissèrent simultanément, déclenchant l'assaut. En un instant, une nouvelle salve de flèches vint siffler dans les airs, telle une pluie sombre qui balaya le ciel pour venir s'abattre sur les premiers rangs ennemis qui s'étaient maladroitement élancés tête baissée vers les elfes. Les premiers orques et gobelins tombèrent par vague et Ajantis, découvrant la guerre pour la première fois de sa vie, observa ce spectacle subjugué.

Les catapultes furent armées, et les premiers débris de roches s'envolèrent dans le ciel, frappant plus loin et plus fort. La cavalerie formée d'un équilibre mélange d'hommes, d'elfes et de nains, s'élança à son tour vers l'ennemi, suivie de près par l'infanterie qui s'élança sur le front. Les salves s'enchainèrent avec rythme, mais l'ennemi sortit des terres en surnombre à mesure que les salves s'abattaient sur eux. A ce stade, nul ne pouvait dire qui prenait l'aval sur l'autre : l'ennemi frappait fort et en nombre tandis que l'Alliance attaquait avec efficacité.

À l'écart des affrontements, cachés dans un renfoncement de la montagne, Jaheira et Legolas avaient contemplé l'assaut de loin, encapuchonnés dans leurs discrets uniformes de la garde royale.

Jaheira se retourna vers son époux pour se rassurer. Comme à son habitude, rien ne trahissait ses craintes. Elle reconnut bien là le gradé militaire qu'elle avait épousé. Mais pour la toute première fois, Jaheira sentit qu'il intériorisait une certaine angoisse.

- Allons-y, dit-il en glissant son bandeau sur ses yeux.

Jaheira en fit autant. Il l'observa avec peine. Cet uniforme lui rappela leur première rencontre à East Bight et lui amena une certaine amertume d'être une nouvelle fois impliqué dans une guerre, qui plus est avec sa vulnérable bien-aimée. Tous deux grimpèrent sur des chevaux noirs d'Ondent, dont Eldre, le cheval de Thillen, puis descendirent rapidement le long de la montagne pour s'isoler le plus vite possible dans la forêt.

La mission promettait d'être longue, car Angmar comptait des forêts par dizaines et de tailles très variables. Les ents, si tant est qu'ils étaient là, pouvaient être n'importe où, surement perdus au cœur des terres ennemies. Une terre très probablement isolée, dévastée et impropre, ce qui avait rendu impossible leur échappatoire. Legolas et Jaheira se devaient d'arriver jusqu'à l'orée de la chaque forêt sans se faire repérer dans un paysage qui n'offrait aucun abri, puis retrouver la trace de potentielles ents et enfin les évacuer en toute sécurité, ce qui impliquait de peut-être leur faire traverser les terres autant que possible dégagées de tout ennemi, et le tout sans jamais trahir leurs présences. L'armée avait été estimée pour tenir seulement quelques semaines et ils n'étaient que deux : Legolas d'abord, qui garantissait la sécurité de Jaheira, et elle, étant la seule à pouvoir convaincre les ents de la suivre et la seule à pouvoir les identifier dans une forêt ruinée. Ici, ils ne pouvaient user du magique sang de Jaheira, car le pouvoir contenu dans la moindre goutte déchaineraient foules et passions ennemies, cela n'était nullement souhaitable en ces lieux plus qu'hostiles où ils progressaient sans escorte.

Les deux progressèrent efficacement. C'est après déjà plus de six heures de voyage qu'ils atteignirent enfin les premiers reliefs et commencèrent à chercher à pieds. Ils étaient certes bien loin de là où les armées se déchainaient, mais les odeurs de la fumée et du sang se faisaient aisément deviner. L'idée terrifia les deux époux, mais ils s'efforcèrent de continuer, déterminés d'en finir le plus vite possible.

Après une bonne distance parcourue au pas de course, ils arrivèrent dans ce qui ressemblait enfin à une forêt, un endroit sombre et désolé, comportant des souches d'arbres déracinées par centaines et visiblement incendiées il y a peu. Les arbres y étaient morts calcinés, le sol était accidenté, maltraité par le passage peu scrupuleux d'ennemis et d'animaux peu recommandables, étouffant toute la vie des lieux. Les orques d'Angband s'étaient généreusement servis en bois et en pierre calcaire, des ressources pourtant fragiles et rares en ces lieux, ce qui laissa une sensation d'effroi à la jeune femme, espérant que les ents ne se soient pas laissé ainsi mutiler par les orques sans réagir.

Derrière eux, un cor allié s'entendit au loin. Jaheira se retourna pour observer la lointaine scène depuis leur point de vue surélevé.

- Allons ne tardons pas, conseilla Legolas.

- Juste un instant, je t'en prie... J'ai besoin de savoir que tout va bien, demanda-t-elle.

Jaheira était bien trop troublée à cet instant, mieux valait-il la rassurer une minute que de la laisser se tétaniser au pire moment, cette pause lui permettrait peut-être de se transformer en ent si besoin. Il accepta et se posta à côté d'elle, guettant son souffle court.

Sur le front en contre-bas, bien loin mais encore visible pour les deux elfes, les ents mobilisés en cette guerre entraient en scène. Leurs silhouettes apparurent à plusieurs endroits, fondant sur l'ennemi de leurs sévères et puissants coups de branches. Les nains les protégèrent efficacement, et l'incursion sembla à première vue efficace. Alors qu'elle lui apparut rassurée, Legolas insista :

- Ne restons pas là.

Jaheira tourna les talons et le suivit sans un mot. Après une grande inspiration, tous deux s'enfoncèrent alors entre les derniers arbres encore debout de la forêt. 

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