Chapitre 62 : Retour des mers
Ils longeaient les terres d'Angmar par la mer et avaient progressé efficacement tout en restant à bonne distance des terres pour ne pas trahir leur présence. La considérable avance permise grâce à la brèche dans la glace d'Helcaraxë leur avait permis de rejoindre la frontière Est pour se rapprocher du camp des alliés qui, par pure déduction géographique, attaqueraient par ce front.
Arrivés dans la baie, on jeta l'ancre et on fit descendre des canots. Le mistral soufflait dans leur dos, balayant la chevelure de l'équipage d'un vent de satisfaction et d'euphorie d'être arrivé à temps pour se battre. Au loin, résonnant sur les flots, les cors de l'alliance retentirent. Les autres navires restèrent en retrait dans la baie, répartis sur une large bande qui longeait Angmar pour faire front ensemble et ainsi couvrir les côtes. Rien ne pouvait les arrêter à présent, l'effet de surprise était là, ils y étaient arrivés, ils participeraient à la guerre.
Dans son office, Jonas avait remis son plus bel uniforme, d'un bleu sombre qui tranchait avec sa peau presque ivoire. Il sortit, traversa le pont en prenant bien le temps d'inspecter ses hommes chez qui il décela des regards triomphants et fiers, puis rejoint la chaloupe la tête haute avec son co-capitaine Elias.
Suivant le protocole de la marine, tous deux furent les premiers à débarquer à terre mais seul Jonas eut un frisson lorsque ses pieds foulèrent les galets de la plage. L'homme apparut soudainement très ému. Il fit quelques pas, puis se pencha avec cérémonie pour ramasser quelques pierres afin de les respirer, cette odeur lui inonda le cœur de joie : après des siècles passés en mer, il était enfin chez lui.
- Sentez mes amis, dit-il, sentez l'odeur de l'accomplissement... Nous sommes chez nous, dit-il avec un sourire malicieux en s'adressant à ses hommes foulant eux aussi la plage.
Bien qu'ils aient accosté très discrètement, la réaction de leur arrivée ne se fit pas attendre et un comité elfique vint les accueillir avec autorité, c'était une petite troupe de seulement quelques cavaliers. Parmi eux, le commandant Vertefeuille, roi de son état. Lorsque Jonas le reconnut, l'appréhension s'empara de lui, dans l'expectative de sa réaction quant à son indésirable et imprévue présence ici.
Legolas descendit de cheval pour accueillir ces invités qui ne s'étaient nullement annoncés. Les nouveaux arrivants, des elfes, ne s'étant pas armés pour débarquer, on en déduit vite que tous appartenaient au le même camp. Agacé de cette intrusion qui bousculait ses plans, le commandant descendit de selle et s'avança d'une démarche autoritaire, ses gardes sur ses talons. Alors que le roi marchait vers lui, Jonas se pétrifia. L'allure du commandant l'intimida : les galets de la plage craquaient sous ses pas et tout en lui dégageait rigidité, sévérité et force.
Legolas se posta devant Jonas et Elias qui le saluèrent au garde à vous, par pur respect du protocole que mérite un haut-gradé, mais aussi pour signifier leurs meilleures intentions quant à leur présence ici. Jonas s'efforça de garder la tête haute, ne souhaitant surtout pas que sa naturelle décontraction ne soit mal interprétée. Après un regard entendu, Elias et Jonas relâchèrent leur salut. Legolas les dévisagea longuement, un par un, terminant par Jonas. Puis l'elfe lui passa devant et s'avança vers le reste de leurs hommes pour les dévisager également. Puis, Legolas se retourna vers Jonas, il ne pouvait cacher son trouble. Il revint sur ses pas pour le regarder à nouveau avec un regard écarquillé, presque amer. Jonas ne silla pas à sa vue et soutint son regard.
Le roi était troublé : il était là, de son arrogante jeunesse, les mains derrière le dos, d'une rigidité toute militaire qu'il lui reconnut à peine. Il resta d'abord à bonne distance de lui et continua de le dévisager de son regard atterré. Le silence persista, les deux hommes restèrent stoïques dans le silence seulement dérangé par le bruit des vagues et le vent du large. Puis, après un instant, Legolas arbora un regard bouleversé et s'avança vers Jonas pour le prendre dans ses bras avec virilité.
- Mon fils, murmura le roi, serrant son étreinte sur Jonas.
Jonas accueillit l'étreinte presque étouffante de son père avec un soulagement immense. Il le serra à son tour comme pour ne jamais se lâcher, une étreinte à la hauteur de toutes les années d'éloignement qui les avaient séparés.
Juste derrière eux, les membres d'équipage s'interrogèrent sur l'inhabituelle démonstration de la part de cet elfe visiblement noble. Jonas possédait-il donc des alliés en ces terres ?
Elias lui, ne comprenait plus rien de la situation. Qui était donc ce gradé ?
Après cette étreinte, au cours de laquelle il se dévisagèrent à plusieurs reprises, le silence revint, troublé par le seul le ressac des vagues. Une nouvelle tension bien plus palpable venait de s'installer et le vent s'était levé. Tous deux se tournèrent vers la colline d'où émanait la source du trouble : la reine Jaheira venait d'apparaître.
Jonas sentit son cœur voler en éclats.
Elle était là. Enfin. Encore plus belle que dans son lointain souvenir. Elle s'avança de sa démarche assurée, de son allure redoutable et grandiose qui malgré tout dégageait une grande vulnérabilité. Elle s'approcha d'un pas aérien, le bruit des galets craquant sous ses pas, à son tour elle se posta devant Jonas et apparut terrassée. Jonas se sentit intimidée par sa présence, malgré qu'il ait imaginé des centaines de fois la scène dans sa tête, il ne pouvait qu'appréhender ces retrouvailles.
Après une seconde de silence, Jaheira glissa sa main sur la mâchoire de Jonas et lui caressa la peau avec douceur avant de verser des larmes, éclater en sanglots et se jeter au cou de son fils en pleurant. Le jeune elfe se lova au creux de son épaule. Sa chevelure dégageait une odeur fantastique qui l'enveloppa de douceur. Jaheira s'égara dans ce bonheur enfin retrouvé et, étouffant un sanglot le serra si fort que tout autour d'eux de l'herbe verte se mit à pousser. Il était là. Son fils. Enfin. Sain et sauf. Il lui était revenu. Legolas leur caressa le dos, lui aussi bouleversé par ces inattendues retrouvailles.
Jaheira se reprit, soudainement apeurée :
- Tu ne devrais pas être ici, se reprit-elle avec une voix tremblante.
Ajantis était en grand danger, il ne pouvait s'exposer ainsi en ces terres. Ils ne pouvaient se permettre de rester ensemble en ces lieux, ils étaient une cible plus qu'aisée pour les armées du Mal. Hésitant entre l'envie compulsive de le regarder, le besoin de le sentir contre elle et sa réelle volonté de protéger son fils, elle s'extirpa de son étreinte pour le dévisager et lui caresser le visage. Ajantis, tout aussi ému, lui essuya les larmes qui lui coulaient sur ses joues. Elle le dévisagea longuement, redécouvrant chaque bribe de ce visage familier qu'elle ne reconnaissait pourtant pas. Il avait tant grandi. D'une douce main, elle lui dégagea la mèche de cheveux qui lui recouvraient ses yeux bruns pour mieux l'observer, et lui passa à nouveau sa main sur ma mâchoire avec tendresse, comme elle l'aurait fait avec ce qu'elle avait de plus précieux sur terre. Instantanément Jaheira marmona quelques mots et libéra Jonas du sortilège qui le protégeait. Le jeune homme retrouva le bleu de ses yeux. Ce bleu bien caractéristique de la lignée des Vertefeuille du Mirkwood, et au grand étonnement bienheureux de sa mère, de délicates boucles naturelles vinrent se dessiner dans ses cheveux bruns. Jaheira redécouvrit l'allure de son fils sans pouvoir détacher les yeux de ce magnifique visage qui lui souriait, elle glissa sa main jusqu'à sa mâchoire, et ses doigts eurent un mouvement de recul. Jonas ne comprit pas tout de suite cette réaction, et comprit après une seconde que sa mère avait également dissipé le sortilège de camouflage de sa peau, révélant les striures de son cou, vives cicatrices d'antan magiquement imperceptibles, mais qui depuis quelques secondes avaient repris leur vive couleur argentée naturelle. Ses marques irrégulières et brillantes sur sa peau étaient bien les vestiges de la violente blessure de l'accident qu'il l'avait conduit à partir si loin de ses parents.
Jaheira se pétrifia, à mesure que la culpabilité l'envahie de plus belle : elle avait devant elle le témoignage de la violente mais involontaire blessure qu'elle avait causé à son fils. Elle eut un mouvement de recul. Voyant sa mère tétanisée, Jonas tenta de la rassurer avec délicatesse :
- Mère, je n'en souffre nullement.
Mais Jaheira ne pouvait détacher son regard accablé du cou lacéré de son fils. Elle recula d'un pas.
- Vous m'avez sauvé la vie, dit-il en s'approchant à nouveau.
Il lui prit la main et elle ne put résister à sa nouvelle étreinte et les larmes coulèrent silencieusement au creux des bras de son fils. Jonas ne sut quoi dire et décida de changer de sujet, le temps pressait. Il s'éloigna de sa mère avec délicatesse et, reprenant sa position de capitaine, se posta devant eux :
- Ma reine, mon roi, voici la compagnie d'Argent.
Ajantis se retourna vers ses hommes qui le découvrirent sous ses traits nouveaux, il était reconnaissable, mais d'allure bien plus caractéristique des elfes des terres à présent. Elias lui, resta sidéré de découvrir la vraie apparence de son ami.
- Mes amis, mes compagnons, dit Jonas, laissez-moi vous présenter la reine Jaheira Redwood, prêtresse des ents et gardienne de Fangorn, ainsi que le commandant Legolas Vertefeuille, roi de Fangorn, fils de Thranduil, roi du Mirkwood.... Voici mes parents.
Les marins s'agenouillèrent de respect, abasourdis de découvrir leur humble coéquipier de si haute naissance. Jonas se révéla comme le légendaire et unique prince héritier des deux plus puissants royaumes elfiques de la Terre du Milieu. Le plus surpris d'entre eux fut sans aucun doute Elias, qui découvrit son ami sous un tout autre jour.
Ajantis se tourna vers ses parents :
- Nous nous sommes tous portés volontaires pour joindre vos rangs en cette guerre.
Les deux époux regardèrent la belle démonstration de leur fils et observèrent ses hommes :
- Combien êtes-vous ? Demanda Legolas, habité d'un espoir nouveau.
- Douze milles.
- Comment est-ce possible ? L'Haldir a déclaré avoir quitté le port de Tol Erressëa avec seulement deux cents hommes...
Surprit que son père soit au courant, Jonas s'expliqua :
- Les seigneurs d'Aman ainsi que les capitaines de la flotte de la Grande Mer vous adressent leurs soutiens en cette guerre. Nous sommes plus de trois cents vaisseaux postés sur les mers tout autour d'Angmar. Nous sommes armés et prêts à attaquer.
- Comment ? S'étonna Jaheira. Comment êtes-vous arrivés par les eaux ?
Ajantis sourit, il tourna les talons et révéla son ami Elias pour le présenter à ses altesses. Le marin leur renouvela sa révérence, un peu intimidé.
- Mère, Père, si nous sommes ici c'est grâce au capitaine Khalid, mais également grâce à mon ami le capitaine Elias Martel. Elias nous a dirigé à travers une faille de la glace à Helcaraxë, révélée grâce aux savantes études menées par Khalid.
Les deux rois saluèrent Elias avec reconnaissance.
- Où est-il ? S'inquiéta Jaheira, ne le voyant pas sur la plage. Où est Khalid ?
- Il a été blessé quelques jours après notre départ pour Tol Erressëa, il est alité depuis plusieurs semaines.
Legolas fit signe à ses hommes de s'enquérir de Flyverin, puis il s'avança vers l'équipage de l'Haldir en présence :
- Mes amis, vous êtes tous les bienvenus en cette guerre et c'est avec grand honneur que je vous accueille en nos rangs, dit-il en portant sa main à sa poitrine et en se courbant doucement devant les hommes.
Après un instant, Ajantis rompit le silence.
- Vous avez entendu, ordonna Ajantis, préparez-vous au combat ! Ordonna l'elfe.
- Sont-ils formés ? Questionna Legolas.
- Au tir contre le vent, tous sont redoutables, nous avons pratiqué pendant des semaines.
Legolas acquiesça d'un signe de tête alors que les hommes se précipitaient déjà vers leurs canots. Inquiet, le roi se tourna vers son fils :
- Ajantis, ta mère a raison. Tu ne peux rester ici, à découvert.
- Je comprends.
- La Compagnie, peut-elle mener l'assaut par les flots ?
- Oui, confirma-t-il.
- Retourner à bord serait bien trop dangereux pour toi. Fais poster ces hommes sur la façade Nord-Est, nous essayerons de repousser les ennemis vers les côtes, en attendant, feu à volonté.
- Elias ! Appela Ajantis.
L'elfe roux se tourna vers son ami, resté en retrait :
- Elias, mon ami, je te remets les commandes de l'Haldir. Suis les ordres et mène les hommes. Que le courage t'accompagne, dit-il en lui posant une main sur l'épaule.
L'elfe le regarda avec un regard entendu :
- Va auprès des tiens, déclara Elias avec gentillesse mais avec une certaine déception de voir son ami le quitter.
Les deux s'enlacèrent brièvement et Elias partit vers la dernière chaloupe sans se retourner.
- Ajantis, nous devons te mettre en sécurité, dit Jaheira.
- Mère, je crois qu'aujourd'hui nous sommes tous en danger...
Legolas salua cette remarque.
- Ajantis écoute-moi, dit Jaheira avec retenue, ton père et moi avons une mission de la plus haute importance, nous ne pouvons t'en parler et nous ne pouvons t'y emmener...
- Mère, trancha Ajantis, je suivrai vos ordres, quels qu'ils soient, dit-il avec sagesse.
Jaheira fut impressionnée : son tout jeune fils avait laissé place à un homme d'une grande maturité pour son âge.
- Allons-y, dit Legolas en tournant les talons.
Avant de partir, Ajantis regarda son équipage s'éloigner en mer, et sans un mot, les quitta à regret. Elias remonta à bords de l'Haldir en vue de mener l'assaut maritime vers Angband. La guerre promettait d'être longue.
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