Chapitre 58 : Helcaraxë

Sur l'Haldir, tous les hommes se tenaient là, tendus et scrutant l'horizon Ouest avec inquiétude. Elias l'appela :

- Capitaine ! Capitaine ! Vous devriez venir voir ça !

Jonas quitta ses hommes rapidement et se fraya un passage jusqu'au pont supérieur et se retrouva à son ami Elias, l'œil vissé sur sa lunette, lui, scrutait en direction opposée de l'armada.

- Qu'est-ce que c'est ? S'empressa-t-il de demander.

- Une excellente nouvelle.

- Quelle excellente nouvelle cela peut-elle être, regarde ! Lui lança Jonas en lui pointant sa lunette à l'Ouest.

Elias apparut déconfit de sa remontrance mais se raidit en apercevant lui aussi la constellation de navires qui s'approchait d'eux. Jonas tenta de distinguer le fanion de leurs nouveaux invités qui apparaissent de plus en plus nombreux. Quand finalement Elias réussit à identifier leurs couleurs, il se raidit :

- Valinor, confirma-t-il.

La patrouille navale d'Aman était venue les cueillir comme des traîtres, et ce avant même qu'ils aient une chance de s'expliquer. En Jonas, l'espoir s'éteint telle une flamme de bougie. Les membres de l'équipage guettèrent la réaction de leur capitaine. Nul ne l'aperçut, mais l'elfe s'effondra intérieurement et se mura dans la peur, tétanisé. Leur sentence se pointait là, à l'horizon, sous l'étendard de dizaines de navires de toute taille qui s'étaient réunis pour pourchasser les traitres qu'ils étaient. Khalid avait, bien au-delà de sa désertion, entrainé une grande partie de la marine militaire dans leur chute. Les navires étaient là, perdus au milieu de nulle part, plutôt que d'être au front, en soutien à leurs alliés. Jonas devint livide, de rage et de peur pour les Terres. De toute sa vie, il n'avait jamais vu pareille chasse à l'homme sur les flots. L'elfe trembla si fort qu'il préféra poser les mains sur la balustrade pour dissimuler les spasmes qui l'avaient saisis.

- Jonas..., insista Elias en lui tendant sa lunette orientée plein Nord.

Jonas, dépité, consentit à regarder par la lentille et découvrit l'immense mur de glace qui leur barrait l'horizon.

- Nous avons atteint le Nord de Doriath, glissa Elias.

- Il n'y a rien au Nord de Doriath..., déclara-t-il telle l'ombre de lui-même.

- Qu'est-ce qui te fait dire cela mon ami ? Demanda Elias.

- La Grande Glace est au Sud de Doriath. Nous aurions déjà dû voir la Grande Glace, répondit Jonas, agacé que son ami Elias, d'habitude si brillant, lui fasse ainsi perdre son temps.

- La glace ? Répondit Elias. Tu veux dire, cette même glace qui fond ? Sourit-il.

Le capitaine détacha enfin ses yeux de l'horizon, mais resta appuyé sur la balustrade, curieux de la réaction sarcastique de son ami, si décalée compte tenu de la situation :

- Elias, nous sommes dans une situation extrêmement délicate, abrège s'il te plait !

- J'ai retrouvé les mesures de Khalid, les températures ! Ils ne faisaient pas cela par curiosité, il faisait cela pour dessiner les courants d'eau chaude !

- Et ? Balbutia Jonas qui ne comprenait pas.

- Khalid étudiait les courants d'eau chaude car il avait décelé la fonte des glaces du Nord ! C'est du pur génie.

- Pourquoi en es-tu si heureux ? Nous sommes condamnés de toute façon..., balbutia-t-il.

- Regarde plutôt, dit-il en confiant sa longue vue à Jonas, qui la pointa au Nord-Est.

Jonas regarda à nouveau à travers la lunette, et constata une gigantesque faille dans le mur de glace qui leur barrait le chemin au loin.

- Qu'est-ce que... ?

- Nous pouvons la traverser, confirma Elias.

Le jeune capitaine n'en crut pas ses oreilles :

- Traverser... la glace ?

- Helcaraxë n'est plus une impasse pour nous Jonas. Nous pouvons la traverser et nous arriverons à Angband par les mers. Nul ne nous y attendra ! Mieux que cela : nous y serons à temps !

Jonas se déconfit. Khalid avait-il donc anticipé cette brèche dans la glace ? N'avait-il dont nulle volonté de les isoler de la guerre ? 

- Un raccourci ? Souffla Jonas qui comprit enfin.

- Un raccourci, confirma Elias.

Jonas regarda Elias dans ses bras avec fraternité. Désorienté, le jeune elfe se retira dans son office en silence.

Après un temps de nécessaire solitude, Jonas sortit au grand air. Celui-ci avait revêtu le plus élégant uniforme officiel de capitaine et s'était même accordé une lichée de vin pour se donner du courage en vue du compliqué échange à venir. Même s'il avait une justification pour excuser sa présence ici et confirmer sa volonté de se joindre à la guerre, il devait néanmoins convaincre ses visiteurs de sa bonne volonté initiale afin qu'elle ne soit pas mal interprétée. Quand Jonas se présenta sur le pont, c'était désormais plus d'une centaine de bâtiments de toutes tailles qui les avaient encerclés, prêts à sévir. Le jeune elfe en eut le tournis. Pourquoi avoir envoyé autant de navire pour quérir le simple bâtiment qu'était l'Haldir ? Jonas s'angoissa. Un tel encerclement n'était en aucun cas bon signe. Une chaloupe arriva avec des passagers, des ambassadeurs, on les invita à bord de l'Haldir. Un corsaire, richement vêtu et décoré de nombreux gallons se présenta devant Jonas.

- Où est Khalid ? Demanda le capitaine.

- Je suis le capitaine Jonas, commandant de l'Haldir, Khalid est inpate à l'exercice, dit-il en se courbant élégamment.

- Je suis le capitaine Kelyër. Voici la compagnie d'argent... pour vous servir, dit-il en présentant la flotte de navires qui l'accompagnait.

Jonas cacha son immense surprise, visiblement cette armada ne venait nullement le condamner. Devant le silence du jeune elfe, Kelyër lui tendit une lettre :

- Nous avons tous répondu à l'appel de Khalid et de Valinor quant à rejoindre la guerre menée par les elfes en Terre du Milieu. Nous vous suivrons, capitaine de l'Haldir, pour la paix.

Jonas se saisit de la lettre avec empressement, elle était bien signée de Khalid et les informait de sa volonté de mener les vaisseaux jusqu'au front elfique par les mers au Nord. Si aucun navire ne recevait de directives contraires de la part du capitaine Khalid dans le délai imparti, tous devaient rejoindre l'Haldir, au Nord de Tol Sirion.  

Faute pour Khalid de confirmer son plan, les navires avaient honoré le rendez-vous de Khalid comme prévu, à Helcaraxë. Tout, tout avait bien été prémédité par l'elfe.

- Peut-être, pourriez-vous nous conforter sur l'emplacement de notre rencontre ? Nous vous attendions bien plus au Sud compte tenu de la situation, souligna Kelyër. Pour accoster par les terres.

- Suivez-moi à la barre, invita Jonas en lui indiquant le chemin vers le pont supérieur avec une excitation qu'il eut du mal à contenir.

Kelyër s'exécuta et tous deux rejoignirent Elias qui observait l'horizon Nord de sa longue vue.

- Capitaine Kelyër, je vous présente notre navigateur, Elias Martel.

Elias exécuta un salut rapide et présenta sa longue vue en place au capitaine qui s'en saisit avec interrogation. Après quelques secondes d'inspection, Kelyër regarda un à un les deux matelots arrogants de jeunesse qui lui faisaient face, et remit son œil sur la lunette.

- Comment... ?

- Notre navigateur en chef, le capitaine Elias, est le plus talentueux qui soit sur ces eaux, confessa Jonas. Il suit les plans laissés par Khalid avant son repos.

Elias regarda Jonas avec surprise devant cette promotion dont ils n'avaient nullement discuté.

- Deux capitaines ? Remarqua Kelyër.

- Nous ne serons pas trop de deux pour guider cette armada, confirma Jonas.

Kelyër acquiesça sans un mot, d'un geste sec, il referma la lunette et salua les deux jeunes hommes avec respect.

- Capitaines, nous vous suivrons vers Angmar. Guidez-nous à travers la glace.

L'affaire fut pliée en quelques minutes. Kelyër quitta le navire pour rejoindre son vaisseau. Enfin, l'équipage se tourna vers Elias et Jonas, qui éclatèrent de rires et de soulagement, tout en se jetant dans les bras l'un de l'autre tels deux enfants.

- Un raccourci ! Hurla Jonas. Khalid avait trouvé un raccourci et Elias nous y emmène ! Nous y serons à temps mes amis, et nous n'y allons pas seuls, toute une armada nous accompagne. Nous partons en guerre ! Vers Angband ! Cria-t-il.

L'équipage jubila à son tour, faisant trembler le pont du navire.

- Mes amis, je ne pourrai assurer seul la direction de pareille flotte, je nomme donc Elias Martel, navigateur, co-capitaine de l'Haldir le temps de notre traversée. Suivez ses ordres comme vous suivrez les miens. Est-ce clair ?

- Oui capitaines !

- Pour les terres, hip hip hip !

- Hourra !

- Hip hip hip !

- Hourra ! Tous jubilèrent et se servirent une dernière bière de fête.

- Allons botter du Nazgûl ! Hurla l'un d'eux.

- Viens goûter de ma lame, sorcier ! Répéta l'un deux avec défi.

Une fabuleuse fête s'en suivit alors que tous les navires de la compagnie d'Argent bombèrent leurs voiles pour profiter du vent glacial qui les poussait au Nord. Leurs ressources étaient abondantes à bord et ils seraient seuls à arriver par la Mer. Les alliés attaqueraient par le Sud-Est, l'ennemi serait donc prit en étau, un avantage plus qu'intéressant pour l'Alliance. Qui plus est, le navire comptait de redoutables tireurs d'armes de longue portée, ils seraient presque intouchables à bord grâce aux vents descendants des hauteurs à terre.

- Equipage ! Ouvrons le chemin de la glace !

- Oui capitaines, salua l'équipage en cœur, courant à leurs postes.

- A nous deux, Sauron ! Souffla Jonas, impatient et plus qu'ivre de joie.

Avant de s'associer à une célébration sans pareille sur le pont, Jonas s'attacha à une dernière tâche. Il tourna les talons et s'isola de la fête en préparation : il devait des excuses à son mentor qui s'était avéré d'un redoutable génie marin. Tout grand homme devait savoir reconnaître ses fautes. 

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