Chapitre 53 : Khalid
Isolé dans la poupe de son navire, Khalid terminait calmement l'étude d'un ancien manuscrit. Bien avant son départ, Jaheira l'avait remis à niveau en lecture des runes antiques, langue des ents et des premiers elfes, et il se délectait à présent de la lecture d'ancestrales cartes et de vieux parchemins.
Le départ de Khalid de Fangorn avait été précipité et très mal accueilli, et s'était transformé en exil suite à sa condamnation pour "désertion de ses fonctions auprès de la couronne" prononcée par le tribunal civil de Fangorn. Encore aujourd'hui, nul à Redwood ne comprenait pourquoi un homme si loyal et si bon avait si subitement choisi d'ainsi démissionner de ses fonctions et quitter ses terres d'allégeance et de coeur, qui plus est, en cette sombre et sordide période traversée par Fangorn à l'époque.
Khalid avait accepté sa sentence et avait ainsi quitter sa terre natale pour purger sa peine sur les flots, où il se dévouait à la recherche des ents femmes de Fangorn par-delà les mers de Valinor en parfait discrétion. C'était lui-même qui avait suggéré cette idée de pénitence pour assurer la tranquillité de sa secrète quête. Jaheira et Legolas avaient d'abord condamné sa décision, refusant que l'homme ne sacrifie son honneur, mais avaient finalement été forcés à concéder à son départ, que Khalid avait publiquement annoncé et assumé. En prenant cette mission risquée et solitaire, c'est son attachement aux plus vieilles traditions que Khalid honorait, et nul ne pouvait lui reprocher, si tant est que tous aient été mis au courant du délicat contexte qui se tramait en secret.
Pour ces complexes raisons judiciaires, et bien qu'ils soient toujours le bienvenu pour Jaheira et Legolas, Khalid ne s'autorisait pas d'acostage en Terre du Milieu, conscient que son retour non sollicité pourrait être des plus mal accueilli par son peuple. Depuis tous ces évènements, le notable, ancien intendant et capitaine de l'armée Khalid Flyverin n'était plus le bienvenu à Fangorn et arpentait donc les mers sans discontinu, attaché à la promesse qu'il s'était faite de toutes les explorer au nom de Fangorn, espérant trouver des ents femmes en ces contrées lointaines. Cette occupation l'aidait à oublier la peine qu'impliquait cet éloignement forcé.
Malgré son déracinement qui l'avait promptement séparé de ses proches, de ses terres et de sa reine, l'ancien intendant s'était vite adapté à sa vie de marin, abandonnant son strict quotidien à terre pour embrasser la précarité des embruns. A force des années, Khalid s'était construit une nouvelle vie. Il abordait désormais chaque jour avec une ambition nouvelle, porté par ses lubies passagères de navigateur. Il goûtait aujourd'hui à la plus totale des libertés et profitait de la douceur de cette vie reculée, loin des nombreuses contraintes protocolaires de son ancienne vie. A son départ, Khalid avait pris le commandement du seul et unique navire de Fangorn dont il avait lui-même recruté l'équipage à Valinor. Déjà doté d'un excellent sens de l'orientation et d'observation sur terre, Khalid était devenu un fin navigateur grâce à de nombreuses études et lectures. Partout où il se rendait, l'Haldir recrutait et emmenait dans son périple tout brave mercenaire désireux de servir l'alliance elfique de Jaheira, Thrandhuil et Legolas, sans distinction autre que l'honneur, la confiance, le courage et la dignitié. L'équipage ignorait tout de la mission première de Khalid ainsi que de sa condamnation, gardée secrète à Valinor sur demande de Jaheira et de Legolas. Aujourd'hui, l'Haldir justifiait de sa présence et de ses voyages comme oeuvrant pour la marine marchande du Mirkwood et de Fangorn : cela avait pour avantage de l'emmener aux confins des océans sans jamais être inquiété.
Khalid gérait aujourd'hui plus de deux cents hommes. Pour la plupart, il les avait vu grandir à bord et évoluer sur le pont pour devenir de bons équipiers. Forte de ses absences d'escales régulières, l'équipage du navire demeurait très soudé, cette loyauté ambiante conférait au navire une puissant sentiment d'appartenance et une solidarité rarement vu sur les flots.
Outre les rares lettres échangées avec les terres de Valinor et les négociations, Khalid se faisait discret et préférait s'isoler dans son quotidien ponctué de parchemins, de livres et d'études en tout genre. Le seul lien qui pouvait encore le rattacher à son noble passé était son titre et son vaisseau, l'Haldir, que la reine Jaheira lui avait confié en remerciement de son engagement envers elle. L'Haldir était un bâtiment puissant, robuste, qu'il dirigeait d'une main de maître, ce qui l'avait rendu très populaire. Malgré ce qu'on pouvait penser, Khalid ne connaissait pas d'amertume quant à son exil et le vivait avec une certaine complaisance inexpliquée. Mais pour conserver l'allégeance de son équipe quant à Fangorn, l'elfe exprimait régulièrement sa sincère admiration pour la couronne et simulait une certaine impatience quant à son retour dont il espérait recevoir prochainement l'accord de ses altesses, marquant la fin de sa prétendue mission de marchandage, l'inespéré aboutissement de sa mission de recherche et secrètement la fin de sa punition pour le peuple.
***
L'Haldir était en escale depuis trois jours au Sud de Numenor lorsque le capitaine se vit remettre une lettre cachetée d'argent. Il ne recevait que peu de nouvelles de la Terre du Milieu et son cœur se mit à palpiter à la découverte de ce nouveau courrier. L'elfe espérait tant y recevoir une bonne nouvelle que même sa constance d'émotion elfique ne put réprimer son sourire.
Le capitaine se retira immédiatement dans son office pour découvrir le message. Une fois seul, il s'installa confortablement, décacheta la lettre de Fangorn et la parcourut avec délectation. Il la relut plusieurs fois. Cela n'était nullement les nouvelles qu'il attendait, bien au contraire. La lettre faisait état d'une déclaration de guerre, de la plus grande guerre jamais orchestrée : celle de l'alliance elfique contre le royaume d'Angmar. La déception laissa vite place à l'anxiété, il se leva et commença à faire les cent pas. La lettre le prévenait de la guerre, mais ne lui donnait aucun feu vert quant à son retour en Terre du Milieu. En ce contexte et faute d'informations, Khalid devait s'en tenir à ses instructions et savait quoi faire : il devait rester en mer, chercher encore les ents femmes et le fait que Fangorn parte en guerre l'inquiéta grandement. Legolas n'avait pas retrouvé d'ent femmes et Khalid devina leur désastreuse absence d'alternative. Cherchaient-ils à l'isoler de la guerre ? Lui, la mémoire vivante de Fangorn ? Le dernier intendant ? Impensable. Après un long moment d'angoisse et de colère mêlées d'incompréhension, éprouvé par la peur qu'il ressentait pour les siens, Khalid posa le courrier sur son bureau, il avait besoin de la relire encore un peu pour se convaincre de rester à son poste sans broncher. Peut-être avait-il mal interprété ces quelques mots. Il se laissa quelques heures pour méditer. Il compléta son journal de bord, ajoutant une nouvelle ligne mentionnant la réception de la lettre de Fangorn. Comme à son habitude, le capitaine Khalid, n'écrivit rien dans son journal de bord concernant le contenu hautement confidentiel mentionné dans ses lettres, car si la déclaration de guerre et cet appel aux alliés venait aux oreilles de ses fidèles matelots, eux-aussi au service de la couronne, Khalid pourrait faire face à une mutinerie sur son navire. La simple mention de la guerre pourrait susciter de nouvelles ambitions, il en était sûr, ses compères iraient se battre, mais Khalid ne pourrait satisfaire leurs attentes à cause de sa situation d'isolement toute personnelle et maintenue secrète. Connaissant déjà les dangereuses conséquences que pourraient provoquer son retour non sollicité, le capitaine n'eut pas le choix que de renoncer à rejoindre l'alliance et à s'inclure au combat. Cela était une décision très égoïste, car elle l'impliquait lui seul mais impactait l'ensemble de son équipage. Mais il n'avait pas le choix.
Quelques jours plus tard, une nouvelle missive lui parvint, d'Aman cette fois-ci, informant que le royaume accorderait d'ici quelques jours sa bénédiction à tout autre navire qui souhaiterait se joindre à l'alliance elfique. Khalid serra les dents, trahissant le conflit qui s'opérait en lui : bien que fermement résigné quant à pouvoir prendre part à la guerre, il demeurait bien trop attaché à servir ces terres et ses rois et ne supporterait pas de rester là à ne rien faire pendant que d'autres mourraient en se battant pour défendre ses valeurs. Il s'accorda une nouvelle nuit pour réfléchir, il lui était impossible pour lui de porter assistance au combat par la mer et avec seulement quelques hommes, mais il se promit de réfléchir à une stratégie et cacha l'enveloppe en lieu sûr en attendant.
Plus tard dans la journée, quelqu'un entra dans le bureau et Khalid sortit de sa torpeur, c'était Jonas, le jeune sous-chef de l'Haldir. Ses cinquante ans faisaient de lui l'un des plus jeunes matelots du navire, mais son allure très juvénile était balancée par sa silhouette taillée par la force de son travail, qui lui conférait une musculature développée pour son âge. Bien que peu âgé, il restait un des plus talentueux jeune elfe que Khalid n'ait jamais encadré. Jonas était de bonne éducation, il avait manifesté très tôt son envie de prendre la mer. Khalid avait alors concédé au recrutement du jeune Jonas qui avait alors intégré l'Haldir dès son premier amarrage. Sur le navire, Khalid lui avait appris la marine, l'astronomie et l'orientation. Jonas avait presque tout appris en mer, sur le tas. Il avait beaucoup écouté, assisté de nombreux postes et avait exercé tour à tour tous les métiers qu'offraient le bateau, jusqu'à endosser le rôle d'intendant de l'équipage, élu par tous pour son ancienneté sur le pont, sa rigueur au travail, son intelligence et sa naturelle bienveillance envers ses coéquipiers.
Khalid s'était lui-même chargé de la formation de Jonas et avait pris son rôle de mentor très au sérieux. L'élève s'était montré brillant et si déterminé que Khalid avait alors décidé de le former à l'exercice du métier de capitaine en le nommant lieutenant du pont. Jonas était alors naturellement devenu sous-chef du capitaine Khalid mais aspirait à prendre l'uniforme pour, un jour peut-être, mener une flotte militaire.
Sur l'Haldir, dans le cadre de la formation de Khalid, le jeune Jonas avait également appris à sa battre : une compétence peu utile pour tout un jeune matelot. Mais lors de la pratique du combat, Jonas s'était découvert une passion pour le maniement des armes et la ferronerie de haut niveau. Pour lui, le sport aliait donc l'utile à l'agréable. Le jeune Jonas avait alors longuement étudié l'armurerie dans de nombreux livres qu'il lisait par dizaines sur le bateau, renouvelant son stock d'ouvrages à chaque escale. Le jeune homme était aujourd'hui un élément indispensable du navire, alliant un homme de savoir et un adversaire de grande dextérité, il était aussi l'un des rares à savoir se battre sur la houle, faute d'avoir connu le combat sur la terre ferme.
En entrant, l'elfe se courba devant son commandant :
- Capitaine.
- Bonjour Jonas.
- Vous m'avez fait quérir, capitaine ?
Khalid passa sous silence les dernières nouvelles de Fangorn afin de ne pas générer de la confusion sur son navire. Il savait Jonas jeune et impétueux en plus d'être très proche de ses semblables. Le capitaine ne voulait nullement que l'information ne s'ébruite ainsi. Il leur restait quelques jours avant que l'information de la guerre ne se répande à terre, il était à présent capital que l'Haldir prenne la mer avant que ces nouvelles ne se propagent jusqu'à son équipage. Si Khalid réussissait à filtrer l'information pour que jamais elle n'atteigne son navire, alors ses hommes resteraient dans l'ignorance et cela lui éviterait bien des explications à fournir. Il fit le choix à ce moment-là de s'en tenir au plan de ses altesses et fit part de ses nouveaux plans à son jeune officier :
- Jonas, connais-tu l'histoire de Fingolfin ?
Le jeune lieutenant acquiesça d'un signe de tête. Cet elfe était son héro depuis aussi loin qu'il s'en souvienne, pour son courage de guerrier.
- Que dirais-tu de mener notre expédition vers Helcaraxë ?
Le jeune elfe se raidit et un sourire contenu s'afficha sur son visage :
- Nous rejoignons la grande glace, capitaine ?
- Le commerce est plutôt calme et nous avons fait de bons bénéfices dernièrement. J'ai pensé que l'équipage apprécierait une petite mission d'exploration ? Nous pourrions alors étudier les cartes de là où nul n'a encore osé se rendre ?
- Cap au Nord capitaine, dit Jonas en disposant de son supérieur sans broncher.
Le jeune officier quitta le bureau et se dirigea vers le poste de commandes, où un elfe roux tenait la barre, scrutant l'horizon de ses yeux bleu perçants.
- Elias, dit Jonas en s'adressant au teneur de barre, nous avons un cap.
Elias était un elfe un peu plus âgé que Jonas, il était aujourd'hui reconnu comme un des meilleurs navigateurs de Valinor et avait naturellement hérité du poste permanent de teneur de barre. Elias était un fils de bonne famille qui avait tout quitté pour embrasser les embruns, celui-ci parlait peu de son enfance en Terre du Milieu.
- Où allons-nous ?
- Au Nord.
- Au Nord ? Peux-tu être plus précis ?
- Au Grand Nord, dit le jeune homme en souriant malicieusement à son coéquipier.
- « Grand Nord » ? Tu veux dire que... ?
- Précisément, confirma-t-il.
Alors, Elias lâcha la barre et se sauta sur son meilleur ami en criant de joie.
- À nous la Grande Glace ! Cria-t-il en courant vers la cloche du pont, qu'il tinta avec extase.
Les marins du navire se rassemblèrent sur le pont, attendant de nouvelles instructions. Jonas prit la parole avec cérémonie :
- Mes amis, mes frères. Dans trois jours nous levrons l'ancre pour rejoindre Tol Erressëa, et je ne peux que vous suggérez de profiter de cette escale pour visiter ou écrire à vos mères et épouses car vous ne rentrerez pas avant un long moment. Je vous conseille d'également vous équiper en chauds habits, car ensuite, nous partirons ensuite au Nord, direction Helcaraxë !
Les hommes n'en crurent pas leurs oreilles, ces terres étaient certes un désert arctique, mais demeuraient l'une des plus beaux voyages l'on puisse mener de vie d'explorateurs et de marins. Seule une poignée de matelots pouvait se vanter d'avoir navigué sur la rigueur de la Mer de Glace et d'y avoir côtoyé icebergs et banquise. Tous hurlèrent de joie et accoururent à leurs postes pour préparer leur dernière escale avant le grand froid.
Elias s'approcha de son ami :
- « Écrire à vos mères et épouses » ? Et à qui vas-tu écrire toi, homme indigne que tu es ? Lui dit-il avec sarcasme.
Jonas se retourna, se saisit du cou de son ami pour se battre un peu avec lui :
- J'écrirai peut-être à ta propre mère. Pour lui expliquer que nous tentons l'expérience de la rencontre de son fils aux cheveux de feu avec la plus grande étendue de glace de ce monde ?
Elias rit aux éclats.
- Allez viens, trinquons, dit-il en récupérant deux chopes dans les bras d'un marin qui passait par là, rinçant ses compagnons.
- Au voyage de notre vie, aller et retour, trinqua Elias.
Les deux amis tintèrent leurs verres et le descendirent d'une traite avant de se resservir, portés par une toute nouvelle motivation.
Trois jours plus tard, tous levèrent l'ancre avec impatience, et voguèrent vers Tol Erressëa, leur dernier point d'ancrage avant leur départ pour le grand Nord.
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