Chapitre 5 : Haldir Raggenstone
Le capitaine Raggenstone s'en retourna en Lórien après des mois d'absence, et au grand soulagement de Jaheira, il lui apparut sain et sauf. Dès son départ pour sa mission au Nord, ils avaient tous deux commencé à s'échanger des lettres. Juste quelques messages, polis, sans histoire, pour se donner des nouvelles et apprendre à un peu plus se connaître.
Dans la cour, Haldir descendit de cheval avec un certain soulagement d'être arrivé, cela le changea d'être attendu et accueilli pour son retour. Jaheira s'approcha de lui avec un sourire ravi, l'homme la trouva changée, trahissant du temps qui, une fois encore, passait à une vitesse folle.
- Tu as tant grandi, sourit-il en la saluant, ayant presque du mal à la reconnaître.
Elle se révélait à lui avec une toute autre silhouette à présent.
- J'ai fait un peu d'exercice. Mes bras étaient si faibles que je n'avais même plus la force de porter certains livres.
- Regarde-toi, lui dit-il, tu es superbe.
Il est vrai que la jeune et frêle fille qu'il avait rencontré il y a quelques mois avait laissé place à une très jolie femme. Jaheira avait désormais des formes et revendiquait une fière féminité au travers de ses cheveux bruns qu'elle laissait détachés, laissant apparaître de voluptueuses boucles qui encadraient un visage fin à la peau immaculée. De tels cheveux bouclés étaient très rares chez les elfes.
- Je suis si heureuse que vous alliez bien, dit-elle.
- J'ai une surprise pour toi.
- Une surprise ?
Il détacha de son cheval un large paquetage : un sac, qui contenait toutes ses affaires.
- En mon absence, tu as atteint l'âge de maturité, c'est une occasion qui se fête. J'ai pris mes permissions et je reste donc pour un mois entier. J'espère que nous pourrons alors passer du temps ensemble.
Jaheira sourit : jamais personne n'était venu la voir elle avant ce jour, et cette attention venait de la part d'un homme pour qui elle avait toute admiration. Elle fut touchée que le capitaine, qu'elle savait haut gradé et très occupé, lui accorde du temps pour fêter son passage à l'âge noble. Cependant, elle resta un peu gênée : les deux ne se connaissaient encore que peu et ne savait comment ils allaient occuper leur temps ensemble.
- Allons voir Galadriel et Celeborn, dit-il enjoué.
Elle ne comprit pas la démarche. Jaheira les connaissait tous deux très bien, mais peut-être le capitaine serait-il heureux de saluer les deux elfes qu'il servait aveuglément depuis des années. Elle accepta et accompagna le militaire.
Tous deux partirent à pieds vers la maison des deux elfes, construit au sein même d'immenses troncs d'arbres infusés de lumière. Ils montèrent ensemble les escaliers et arrivèrent jusqu'à la salle où Celeborn et Galadriel semblaient les attendre. Jaheira les salua avec un parfait respect de l'étiquette. Alors qu'elle s'apprêtait à présenter Haldir, celui-ci s'avança spontanément vers eux et se courba avec décontraction.
- Haldir ! Quelle joie de vous revoir, entonna Celeborn.
L'elfe s'approcha et accorda à son vieil ami une virile étreinte sous le regard étonné de Jaheira qui n'avait jamais vu pareille démonstration de sa part.
- Dame Galadriel, dit Haldir en se courbant pour embrasser sa main.
- Nous sommes ravis de vous revoir Haldir. Soyez le bienvenu parmi nous.
- Je suis revenu pour participer au bal de la cour. Cette promotion semble avoir des profils plus que prometteurs, dit-il en regardant vers Jaheira.
- Le temps passe si vite... Jaheira, nous sommes sincèrement ravis que tu puisses enfin être présentée au monde, poursuivit Galadriel.
Jaheira ne comprit pas bien la situation et sourit avec politesse. Lors de leur passage à l'âge noble, tout elfe était officiellement présenté à la cour lors d'un grand bal mondain, mais elle n'avait même pas pensé à l'idée de s'y rendre, parce qu'elle n'avait pas de sang noble et parce que ses protecteurs cherchaient encore à tout prix à la préserver de toute exposition qui pourrait menacer sa sécurité.
Après quelques courtes discussions, au cours de laquelle Celeborn invita son ami Haldir lors d'un prochain festin, Haldir et Jaheira disposèrent d'eux.
- Que souhaites-tu faire à présent ? Demanda l'elfe.
- Capitaine, je...
- Appelle-moi Haldir, coupa-t-il, et je pense que tu peux également me tutoyer.
Jaheira hésita, elle arriverait à l'appeler par son prénom mais avait bien trop de respect pour tutoyer ce haut gradé :
- Haldir... Etes-vous né ici ?
- Je suis né, j'ai grandi, j'y ai été formé et malgré le temps qui passe, je reste passionné par ces terres, en effet. Et toi ? Apprécies-tu la région ?
- Pour être honnête, je ne sors que très peu des archives, Celeborn et Galadriel sont très stricts quant à mes sorties. Mais, peut-être... Si vous êtes là, ils n'y verraient pas d'objection : accepteriez-vous de me faire découvrir la Lórien, je veux dire, telle que vous la connaissez ?
Cette idée ravit Haldir au plus haut point, lui qui n'était pas resté si longtemps en son pays se faisait une joie de s'y balader. L'homme salua la fraîcheur et l'ouverture d'esprit de la jeune femme qui, il devait se l'avouer, s'attachait réellement à lui faire plaisir.
- Repassons aux archives, pour que tu puisses te changer.
- Me changer ? Mais pourquoi faire ?
- Tu n'es pas équipée pour une balade, ta tenue est simplement incompatible avec l'équitation, ironisa-t-il.
- Cela ne m'a jamais posé problème, sourit Jaheira.
Haldir apparut surpris. Jaheira portait son uniforme d'archiviste, composé d'une robe et d'un tablier de coton, recouvert d'un épais manteau en lin. La jeune femme n'était pour ainsi dire pas libre de ses mouvements dans cette tenue.
- Comment ? Tu veux dire que tu montes à cheval dans cette tenue ?
Jaheira acquiesça d'un signe de tête, amusée. Haldir se ravisa : leur escapade venait de perdre un peu de sa légèreté s'il devait jouer les chevaliers servant à une jeune dame toute de voile vêtue.
- Bien, allons chercher un cheval.
Le garde emmena la jeune femme jusqu'à l'écurie où le palefrenier se courba devant le gradé qui se présentait là. Jaheira n'était pas habituée à tant d'étiquette, elle qui n'était qu'une roturière se demandait si elle n'aurait pas du se montrer plus révérencieuse envers le capitaine. Haldir s'avança jusqu'à un box et ordonna qu'on selle un cheval, il se retourna vers Jaheira et s'aperçut qu'elle le suivait sur le sol souillé de l'écurie.
- N'avance pas plus, tu risquerais de te salir.
Jaheira fit mécaniquement quelques pas en arrière pour ne pas marcher sur le sol sale, elle apprécia la prévenance du capitaine qui la traitait avec tout le respect d'une dame. Pourtant, l'uniforme de Jaheira était bien souvent sali et par bien plus sale que de la terre humide, mais elle apprécia malgré tout la prévenance de l'elfe. Alors que Haldir aidait un palefrenier à équiper sa monture, le regard de Jaheira fut attiré par un étalon dans un box situé près de l'entrée, l'équidé était agité. Il tournait nerveusement dans son box, visiblement anxieux. Son tempérament était sanguin, mais son œil était vif et il semblait désorienté, à l'étroit dans son box.
Jaheira compatit avec l'animal, pour elle-même avoir été souvent confinée dans son espace restreint. Elle s'avança pour tenter de calmer un peu la bête, mais le cheval se braqua lorsqu'elle s'approcha de lui.
- Eloignez-vous ma dame, dit le palefrenier. C'est un jeune étalon coriace qui nécessite encore du dressage. J'ai presque fini avec celui-là, dit-il en se retournant vers le cheval qu'il lui préparait.
Jaheira fit fis des conseils de l'écuyer et s'approcha un peu plus du nerveux étalon qui soufflait bruyamment, réfugié au fond de son box. Ne pouvant l'atteindre, la jeune femme ouvrit délicatement la porte et avança lentement sur la paille, tendant la main sans détacher le regard du cheval qui appréhendait son intrus. A peine avait-elle fait quelques pas, que le cheval la menaça en se cabrant brusquement.
Entendant le cheval hénir, Haldir sortit de son box pour voir ce qu'il se passait, il découvrit la porte du premier box ouverte et Jaheira avait disparu. Il se précipita alors vers le box pour la refermer et découvrit non sans surprise Jaheira en train de caresser l'étalon subitement devenu doux.
- Que fais-tu ? Dit-il sur un ton coléreux.
- Cet animal a besoin de se dégourdir les pattes, je vais prendre celui-là.
- Il est bien trop grand pour toi, dit Haldir en s'avançant pour reprendre les rênes du cheval en question, qui répondit d'un hennissement menaçant envers le gradé.
Jaheira s'amusa de la réaction du cheval face à Haldir, qui s'exaspéra à nouveau :
- Très bien mais nous resterons prudents, ça a l'air d'être une vraie tête de mule.
Une fois le nouveau cheval préparé, Haldir se présenta avec un marchepied pour Jaheira. Il fit demi-tour en voyant Jaheira grimper en robe avec une facilité déconcertante sur un cheval bien trop grand pour elle, l'étalon se laissait faire sans sourciller.
Une fois les deux en selles, ils traversèrent côte à côte les portes du royaume et errèrent ainsi dans la magnifique forêt qui ne semblait jamais avoir de fin. Même au pas, Jaheira s'émerveilla de ce sentiment de liberté retrouvé.
- Tu es douée avec les chevaux.
- Je comprends ce qu'ils ont à me dire.
Haldir n'en crut pas un mot.
- Parlez-moi de vous Haldir. Qu'avez-vous fait pour être puni ?
Elle n'arrivait pas à le tutoyer. Incapable de se défaire de son habituelle politesse.
- Puni ? Que veux-tu dire ?
- Vous avez sans doute dû faire quelque chose de grave pour être relayé au statut de garde d'une "simple archiviste".
- Tu es une personne importante Jaheira. Je crois que bons nombres de soldats peuvent en témoigner.
- Je ne fais pas partie des nobles, contrairement à vous, je n'ai pour ainsi dire rien à faire à la cour..., confessa Jaheira.
Haldir tiqua sur cet argument, qu'il trouva injustifié. Le statut de soldat était fort peu enviable en comparaison de sa situation à elle, même si elle avait été particulièrement éprouvée par la guerre.
- Noble ou pas, tu restes la pupille de La Lórien et la protégée de la cité, tes talents de guérisseuse et de traductrice sont indéniables. Crois-moi, il n'y a pas de meilleur rôle que celui d'être au service de la nature et des siens. Qui que tu sois en ces lieux, et peu importe ce que tu as fait ou feras, il est important que tu restes bien entourée.
- Vous avez sans doute raison...
Au fond d'elle, Jaheira aspirait à bien mieux que son simple métier d'archiviste, et enviait au contraire la vie riche d'aventure du capitaine. Prise d'une certaine claustrophobie depuis quelques temps, la jeune femme sentit à nouveau un poids peser sur ses épaules.
Le silence s'installa.
- Seriez-vous contre que l'on corse un peu notre balade ? Sourit Jaheira.
Mais à peine Haldir eut-il eu le temps de se retourner que sans prévenir, Jaheira donna un coup sec sur les rênes de son cheval qui partit s'élançer au galop. Haldir partit immédiatement à sa poursuite, en proie à une violente angoisse :
- Jaheira ! Jaheira arrête-toi !
Au galop, Jaheira se retourna vers un Haldir visiblement piqué. Croyant à un défi, elle lui sourit avec malice.
- Arrête-toi immédiatement ! Cria-t-il.
Sentant la blague de courte durée, elle fit stopper son cheval. Haldir arriva à son niveau, se saisit de ses rênes de façon musclée et lui parla tout près de son visage :
- Jaheira tu n'as pas idée de la dangerosité de l'endroit où nous sommes ! L'ennemi est à nos portes ! Que tu le veuilles ou non, en dehors de la ville, tu es sous ma responsabilité, alors reste sous mes ordres, est-ce clair ? Tu as beau être protégée, tu n'en es pas moins en grand danger alors cesse de faire l'enfant et comporte-toi en adulte à défaut d'être une princesse !
Haldir jeta les rênes à Jaheira qui parut choquée de cette soufflante. Jamais personne n'avait osé lui parler sur ce ton.
Le capitaine reprit son calme habituel et détourna le regard pour dissimuler son trouble. Ce dernier encaissait en silence un terrible tourment : il s'était attardé sur les yeux de la jeune fille plus qu'il ne l'avait voulu. L'effroi qu'il avait vu en ses yeux lui avait fait réaliser qu'il ne pouvait ainsi se comporter tel un militaire avec elle. Haldir la regarda, les mains tremblantes. Il s'en voulut terriblement de s'être emporté ainsi et regretta son accès de colère. Jaheira prit ce long silence pour de l'autorité et se remit sagement à ses côtés. Haldir serra les dents, puis lui présenta des excuses que Jaheira trouva injustifiée, elle s'excusa en retour. Haldir reprit la conversation pour se faire pardonner :
- Au moins, je dois reconnaître que tu sais monter en habit.
Jaheira sourit devant ce semblant de réconciliation, la jeune femme connaissait bien les militaires et savait qu'elle devait se montrer patiente avec eux, ces hommes avaient souvent été malmenés au combat et pouvaient connaître des accès de colère lors de situation de stress. Elle continua la conversation comme si de rien n'était :
- Vous connaissez parfaitement ces terres. N'avez-vous jamais quitté la Lórien?
La question était délicate, mais le militaire était désormais habitué à y répondre vaguement pour cacher tout lien avec Fangorn.
- Je suis né ici en Lórien, je me suis engagé très tôt dans la garde royale, j'ai alors beaucoup voyagé avant de revenir vivre ici.
- Pourquoi êtes-vous revenu ?
- Comment ? S'attarda Haldir, sentant la question périlleuse : avait-il laissé paraître quelque chose qu'il n'aurait pas dû ? Jaheira pouvait-elle connaître son lien avec Fangorn quand seuls Galadriel et Celeborn étaient censés être au courant ? Il se tend.
- Vous dites avoir beaucoup voyagé, répéta-t-elle. Qu'est-ce qui vous a fait revenir sur votre terre natale ?
Haldir se sentit soulagé de constater que son secret passé n'était pas menacé. L'elfe était sur les dents et fit un effort pour se détendre.
- Je suis venu retrouver mes terres et ma patrie. Il est important de savoir d'où l'on vient. Je voulais renouer mon allégeance envers dame Galadriel.
Jaheira savait que Haldir avait deux frères dans la région, mais n'en parlait pas. L'elfe ne portait pas d'alliance, Jaheira décida volontairement de ne pas le questionner sur sa famille.
- Où vous êtes-vous battus ?
Haldir souligna les efforts de Jaheira pour le mettre à l'aise. Il retrouva sa décontraction puis lui lista son impressionnant palmarès militaire. Il fut surpris de voir que presque aucune des grandes batailles qu'il citait n'étaient connues de la jeune femme. Elle n'avait pour ainsi dire aucune connaissance militaire ou diplomatique, ce manque de culture témoignait là de l'isolement certain de la jeune femme au cours de ces dernières années.
Les deux cavaliers restèrent ainsi à discuter au pas pendant plusieurs heures, Haldir lui signalant de temps à autre des points d'attention du paysage, car elle ne scrutait presque que le sol et descendait souvent y cueillir des plantes très ciblées. La jeune femme lui posa de nombreuses questions sur son expérience militaire et se montra curieuse de ses réponses. Il était rare qu'une si jeune femme s'intéresse autant à l'art de la guerre, mais le sujet étant la spécialité de l'elfe et ce dernier ne se plaignait nullement de cet intérêt. Ils rentrèrent ensembles avant la nuit, et Jaheira remercia Haldir pour cette journée, elle partit se reposer dans ses appartements. Avant de se séparer, Jaheira se permit de poser une question qui la travaillait depuis quelques heures :
- Haldir, que vouliez-vous dire lorsque vous avez parlé de "m'introduire à la cour" ?
- Tu es une femme de bonne éducation. Il est du devoir de tes précepteurs que de te présenter officiellement aux nobles de la cour.
- Je n'ai rien à voir avec les nobles de la Lórien...
- Ton introduction relève bien au-delà des gens de la cour. Ce n'est rien de plus qu'un rite de passage un peu pompeux, mais tu verras, tout se passera bien. Tu ne seras pas inquiétée, ni de ton rang, ni de tes talents.
Jaheira se réjouit timidement de cet événement, même si elle ne comprenait pas bien l'attachement du capitaine à cette vieille tradition archaïque.
Pour la première fois depuis longtemps, Jaheira se trouva une compagnie autre qu'un patient. Haldir était un homme loyal et attentif, et bien qu'un brin autoritaire à son goût, rencontrer de nouvelles personnes lui faisait du bien. Sortir de son strict quotidien devenu peut-être trop rébarbatif après l'adrénaline de la guerre lui était tout aussi bénéfique. Jaheira se promit alors de passer tout le reste du mois aux côtés du capitaine, espérant en apprendre le plus possible à ses côtés mais aussi pour lui faire lâcher prise, chose qu'elle savait indispensable aux militaires en permission.
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