Chapitre 48 : Soldat Thillen

Jaheira accusa le nouvel éloignement de son époux avec dignité, mais ne put cacher ses troubles durant les jours qui suivirent son départ. Ses conseillers commencèrent à s'inquiéter, eux qui n'avaient que rarement vu la reine perdre son sang-froid la découvrirent effacée et tremblante. Pour fuir ses angoisses, elle partit longuement en forêt de Fangorn pour se ressourcer auprès des ents, mais malgré ses efforts, elle se sentit seule comme aux premiers jours, espérant tout au fond d'elle que Legolas lui reviendrait vite, et encore une fois sain et sauf.

Elle ne revint que vingt jours plus tard pour s'effondrer sur sa couche à Fangorn et décida à son réveil de reprendre quelques travaux administratifs pour tromper sa peur du vide.

Cela faisait déjà trois semaines que Legolas était parti, et alors que Jaheira œuvrait dans son office personnel à Redwood, affairée à l'intendance de plusieurs sujets, on se présenta à sa porte. N'attendant pas de visite, elle leva les yeux et découvrit un militaire qui se tenait là sur son seuil, encadré par deux de ses gardes. Elle leur fit signe d'entrer et déposa sa plume pour les accueillir.

A en juger par son uniforme et par son âge, l'elfe qui se présentait à elle était un tout jeune gradé. Il était grand, fort bien bâti par l'exercice et avait de courts cheveux lisses et bruns, il abordait une rigidité toute militaire et salua la reine poliment avant de lui tendre un courrier scellé.

Jaheira recevait régulièrement des lettres, mais très peu lui étaient remises en mains propres. Seules les anonymes missives de Legolas connaissaient ce traitement de faveur : elle les recevait via un discret réseau de messagers mais qui ne faisait nullement intervenir les gardes ou un quelconque militaire, cette lettre était donc mystérieusement arrivée jusqu'au cabinet de la reine sans raison aucune. En un instant, la jeune femme se tétanisa, se rendant compte qu'un gradé se présentait là avec de potentielles nouvelles de son époux parti en mission. Mais Jaheira ravala ses craintes lorsque l'homme divulgua le sceau du commandant Eryn de l'Académie de la Garde Royale : c'était bien là un courrier de Legolas, mais pourquoi un courrier de l'Académie ? Quand l'avait-il écrit ?

Le militaire patienta tandis que la reine décacheta l'enveloppe devant lui. Elle se leva pour marcher un peu pendant sa lecture. Legolas, sous son identité de capitaine Eryn, lui adressait un message.

Une fois la lettre parcourue, la jeune femme se tourna vers le militaire et demanda à ses gardes de disposer et de fermer la porte derrière eux pour plus de confidentialité.

Une fois seuls, la reine s'adressa au jeune soldat :

- Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle, perplexe.

- Votre altesse, dit le jeune homme en se courbant avec cérémonie, je suis le capitaine Thillen Durden, fils de Ramink de Minhiriath, pour vous servir.

- Que faites-vous ici ?

- Le commandant Eryn de l'Académie de la Garde Royale m'a promut à votre service madame.

- Je ne comprends pas, répondit la jeune femme en posant la lettre de son époux sur son bureau.

Le jeune capitaine se releva. La reine apparue visiblement piquée de s'être vue attribuer un homme de main sans en avoir été informée, elle tourna le dos au jeune homme et réfléchit en regardant à travers les carreaux de la fenêtre. Elle avait du travail et n'avait nul temps à perdre avec cette affectation qu'elle ne comprenait pas, mais la jeune femme s'adressa néanmoins à l'homme avec respect :

- Capitaine Thillen c'est cela ?

- Votre Altesse.

- Capitaine, comprenez que cela n'a rien à voir avec vous, dit-elle en traversant la pièce. Je ne sais de quelle idée est sortie cette initiative, mais je n'ai nullement besoin d'un garde personnel.

Elle arriva près de la porte et lui ouvrit pour l'inviter à disposer :

- À présent, si vous voulez bien..., dit-elle au militaire, lui présentant le chemin de la sortie.

Le capitaine Thillen ne bougea pas, et sembla peser chacun de ses mots pour ne pas paraître impertinent :

- Votre Altesse, avec tout le respect que je vous dois, je crois que ma présence ici pourrait vous être utile. Du moins, c'est ce que le commandant Eryn a insinué.

Cette remarque piqua sa curiosité. Legolas l'avait-il donc préparé à cet entretien ? Il est vrai qu'il ne lui aurait jamais envoyé un soldat sélectionné au hasard, et il l'aurait prévenu de sa volonté quant à lui attribuer une protection rapprochée. Qui était-il ? Bien décidée à connaître le fin mot de l'histoire, elle referma la porte de son office.

- Que vous a-t-il dit à mon propos ?

Il s'étonna que la reine connaisse l'humble et discret formateur de l'Académie Royale. Même si le Mirkwood et Fangorn demeuraient alliés, Il pensait l'institution militaire bien éloignée de l'autorité de Fangorn.

- Il m'a dit que vous seule pourriez m'aider, murmura-t-il d'une voix tremblante.

Il tremblait. Etait-ce Jaheira qui l'effrayait ? La reine fut soudain piquée d'un vif intérêt pour le jeune homme.

- "Moi seule" ?

L'elfe hésita.

- Vous pouvez me parler en toute quiétude capitaine. Rien ne sortira de cette pièce si c'est ce que vous souhaitez.

- Eryn m'a demandé de garder le secret, il m'a parlé des menaces que génèrent les gens comme moi.

- Est-ce cela la raison pour laquelle Eryn vous a envoyé vers moi ? Pour vous protéger ?

- Pour apprendre, corrigea Thillen.

Le jeune militaire était nerveux, il ne savait à présent plus où se mettre.

Tout était là. C'était donc cela la raison pour laquelle il avait envoyé ce jeune militaire auprès d'elle.

- Que souhaitez-vous apprendre jeune Thillen ? demanda-t-elle avec une voix calme.

- Mes mains. Elles peuvent guérir. Je... Je peux guérir par apposition des mains.

La reine dissimula sa surprise, mais ce jeune capitaine lui apparut désormais avec un potentiel fabuleux. Son profil était unique, du jamais vu. Il n'était pas un ent comme elle, il était surement un mage-guérisseur, l'un des derniers de sa génération, pourtant éteinte depuis longtemps, son existence demeurait un espoir inespéré pour la jeune reine. Un pur don de magie inépuisable. Sans réagir outre mesure extérieurement, elle commença à le questionner :

- Avez-vous obtenu votre diplôme de l'Académie ?

- Oui, madame, c'était la condition pour me présenter ici.

- Était-ce votre première tentative à l'examen ?

- Ma première, oui.

- Pourquoi l'Académie ? Vous auriez pu vous exposer...

- Je voulais servir les miens, répondit Thillen avec détermination.

Jaheira retourna derrière son bureau, mais ne s'assit pas. Cet homme lui ressemblait traitrement malgré son jeune âge.

Le jeune homme se détendit un peu devant cet échange qui prenait une tournure plus informelle. La reine lui apparue exactement comme ce qu'on lui avait raconté : une femme qui alliait charme et caractère.

- Comment Eryn a-t'il su ?

- Il m'a vu soigner une autre recrue, il était très mal et....

Jaheira fit le tour de son bureau et s'approcha du militaire pour l'observer. À peine elle eut pris ses mains qu'un doux trouble lui parvint. Cet elfe dégageait quelque chose, une onde très apaisante. Son regard croisa ses yeux bleu clair, presque blanc.

- Qui sont vos parents ?

- Des éleveurs de chevaux à Minhiriath.

- Des chevaux d'Ondent ?

L'elfe apparut honoré et surpris qu'elle connaisse cette très rare race née en ces terres. Il l'ignorait, mais Jaheira eut possédé un cheval d'Ondent, c'était la race de son premier cheval Passtil, tombé en Lórien lors de l'assaut des orques.

Elle retourna à son bureau et s'assit pour réfléchir :

- Quel type de blessure avez-vous soigné à East Bight ?

- Une brûlure, un coéquipier est tombé sur un bûcher en flammes lors d'un exercice.

Jaheira s'agaça intérieurement : les épreuves de l'Académie étaient toujours aussi barbares, et elle s'étonnait que l'institution ne compte pas plus d'accidents.

- Vous auriez dû être plus discret capitaine Thillen.

- Il aurait pu mourir !

- Je ne doute pas que vous lui ayez sauvé la vie... Ce n'est pas votre pouvoir que je critique, mais son exécution. Une brûlure est une blessure superficielle, si des organes avaient été touchés, vous l'auriez tué en essayant de le guérir.

- Il était conscient, il se tordait de douleur, continua Thillen, j'ai vu sa chair brûler à même sa peau. C'était un spectacle terrifiant. J'ai essayé de l'aider. Je savais que j'en étais capable pour l'avoir fait sur des chevaux auparavant... Alors je l'ai soigné. D'un simple contact, il s'est réveillé, je l'ai relevé et nous avons terminé l'exercice, lui ne se rappelait rien. À notre arrivée, le commandant Eryn m'a pris à parti et m'a fait promettre de ne jamais parler de cette histoire à qui que ce soit, sauf à vous.

- Votre acte était courageux et je vous en félicite.

- Je suis le seul homme à n'avoir jamais réalisé un tel exploit, celui de la guérison, se défendit-il.

Jaheira sourit :

- « Le seul homme » dites-vous ? Qui raconte cela ?

- Commandant Eryn..., rétorqua l'homme soudainement déstabilisé de la suspicion de la jeune femme. Il aurait vu cela « comme un signe » et m'a adressé à vous avec cette lettre, pour que je rejoigne l'hospice de Fangorn dès la fin de ma formation.

Le jeune capitaine Thillen ne semblait pas connaître ses capacités de guérisseuse à elle. La reine réfléchit, Legolas avait eu du flair. Elle continua d'interroger le capitaine :

- Quand êtes-vous né ?

- An douze, Quatrième âge.

Jaheira grimaça de l'apprendre si jeune et se sentit vieille, plus de cinq cents ans les séparaient, elle aurait largement pu être sa mère... Le temps à Fangorn passait décidément à une vitesse phénoménale. Tandis qu'elle continuait d'échanger avec lui avec une certaine décontraction, elle ouvrit un des tiroirs de son bureau.

- Savez-vous pourquoi Eryn vous a envoyé vers moi, capitaine Thillen ?

Le jeune homme tenta une réponse entendue :

- Je crois que j'aurai fort à apprendre à rejoindre votre garde, et...

Avant qu'il ait terminé sa phrase, la reine lança sa dague en mithril droit sur son visage. La lame passa à quelques centimètres de la pommette du soldat, qui sentit même ses cheveux voler sur le passage de la lame dans les airs. Il se baissa genou au sol en une seconde pour éviter son tir, et porta sa main à son éperon comme un réflexe, mais celui-ci ne saisit rien, le jeune elfe ayant été désarmé par les gardes dès son entrée dans les appartements de la reine. La dague vint s'enfoncer droit dans l'étagère du mur opposé, face à Jaheira. La lame ne l'aurait pas atteint, mais il l'avait évité de peu. À terre, prêt à la riposte, l'elfe dévisagea la reine restée de marbre, levant les mains pour prouver sa bienveillance. Elle lui sourit et lui fit signe du regard de se retourner. Thillen regarda alors la dague qui était allée s'enfoncer dans le minuscule interstice de la riche bibliothèque qui décorait le mur de la pièce. On ne distinguait même plus la lame dans le meuble, enfoncée juste au-dessus d'un livre. Une seconde plus tard, des gardes se précipitèrent dans la pièce, alertés par le bruit du projectile. Jaheira les congédia d'un regard entendu. Les deux gardes, visiblement habitués aux manœuvres de la reine, quittèrent son bureau en refermant la porte.

L'elfe fut mi-soufflé, mi-piqué par cette furtive attaque, mais il fut néanmois admiratif de la précision dont avait fait preuve la jeune femme dans son tir : la lame l'avait frôlé, mais tout ceci semblait avoir été parfaitement prémédité par la reine. Il la dévisagea et elle lui adressa un regard curieux.

- Qu'est-ce que... ? S'étonna l'elfe.

- Sachez, capitaine, que je n'ai nul besoin d'une garde rapprochée.

Le capitaine ne pouvait que constater ses dires : sa maîtrise de la lame était excellente. Il ignorait de la reine qu'elle possédait des compétences de tir, et certainement pas à un tel niveau.

- Je n'ai jamais voulu de protection personnelle, je ne suis pas de ces femmes en jupons sans défense, et cela ne m'intéresse nullement à le devenir.

L'elfe se remit debout.

- Je suis guérisseuse, Capitaine Thillen, et j'étais guérisseuse bien avant de devenir ent ou reine de Fangorn. Peu le savent, mais c'est cet emploi qui m'a amené à monter sur le trône.

Thillen avait entendu parler de la légende des terres de Fangorn, capables de guérir quiconque les foulait, mais ignorait que les contes étaient basés sur une histoire fondée.

- Vous et moi, sommes des profils rares et traqués par l'ennemi pour nos compétences. Le capitaine Eryn a eu raison de vous adresser à moi, car seul Fangorn peut à la fois développer votre potentiel et garantir votre protection, à vous et à celle de votre famille.

- Ma famille n'est pas au courant de mes pouvoirs.

- Cela ne les exclut pas du danger pour autant.

Thillen apparut déçu, lui qui avait gardé ce secret tant d'années se voyait là vainement récompensé de toutes ses précautions.

- Je ne veux que servir mon pays, confessa Thillen.

Le capitaine serra les poings et Jaheira se reconnut trait pour trait dans sa réaction. Eux, guérisseurs, pouvaient soigner un nombre incalculable de gens, mais jamais ils ne supportaient que du mal soit fait à leurs proches par leur faute et sans qu'ils puissent intervenir.

- Vous êtes le bienvenu à Fangorn capitaine Thillen, dit-elle d'une voix apaisante.

- Que vais-je devenir ?

- Je suis la seule guérisseuse à Fangorn. Vous comprendrez aisément que je ne peux vous affecter comme guérisseur dans notre apothèque, cela serait bien trop risqué pour vous et pour nous tous.... Cependant, si vous l'acceptez, je serai ravie que vous vous demandiez votre affectation militaire à la garde royale de Fangorn. Eryn acceptera. Et je m'engagerai à vous apprendre à maîtriser vos pouvoirs de sorte à ce que vous puissiez les utiliser à bon escient. Vous travaillerez à l'hospice comme guérisseur. Votre présence là-bas sera justifiée par votre allocation à ma protection et vous serez donc protégé par cette diversion.

Thillen fit quelques pas, il n'arrivait pas à digérer que ses proches puissent être en danger par sa faute, même s'il fuyait, même s'il taisait son pouvoir, tous resteraient exposés.

- Je vous laisse le choix capitaine Thillen, vous pouvez nous rejoindre à Fangorn. Nous nous assurerons de la protection de votre famille, nous vous formerons et vous gagnerez en autonomie pour devenir un puissant mage-guérisseur, ou nous pouvons nous taire à jamais, cette conversation n'aura jamais existé et vous réintègrerez immédiatement l'Académie en vue d'une affectation au combat, mais autant vous le dire tout de suite : vous ne pourrez exercer votre pouvoir au front, l'ennemi sent ce pouvoir et vous mourrez en quelques heures.

Après un court silence, le jeune capitaine saisit la mesure de sa chance : on lui proposait là une incroyable opportunité d'apprendre auprès d'une puissante guérisseuse. Sans plus attendre, le capitaine se retourna vers Jaheira, et ploya le genou à terre :

- Apprendre à vos côtés serait un immense honneur. J'accepte de rejoindre vos rangs, ma reine.

- Relevez-vous... Que ce soit clair, capitaine Thillen. Vous êtes affecté à ma garde rapprochée, mais l'objectif de votre mission ici n'est que de développer votre pouvoir de guérison, pas de me protéger. Ne l'oubliez pas.

- Cela est très clair.

- Capitaine Thillen, soyez le bienvenue dans la garde royale de Fangorn, déclara-t-elle. Je vais de ce pas écrire à Eryn pour l'en informer.

Le capitaine était fébrile mais satisfait et même... rassuré.

- Je vais demander l'affectation de quelques gardes à la surveillance à Minhiriath, juste assez pour que nul ne s'en aperçoive et ne pas attirer l'attention sur vos proches.

- Merci, ma reine.

- Appelez-moi Jaheira. Peu de gens le savent, mais je suis moi-même diplômée de l'Académie de la Garde Royale...

Le capitaine l'ignorait, mais il comprit mieux l'origine de ses remarquables capacités au combat. Tout d'un coup, la reine lui apparut bien plus dangereuse que ce qui pouvait transparaitre en la voyant. Mais l'elfe s'interrogea : elle lui avait jeté une lame il y a quelques minutes, un membre de l'académie royale n'aurait jamais loupé une telle cible, et l'elfe se raidit un peu, elle avait surement perdue de ses aptitudes avec le temps.

- Je vous demanderai de garder l'information de mon diplôme secrète : nous ne voulons pas que la rumeur selon laquelle les rois s'y forment ne menacent la sécurité des recrues en formation. Le Mirkwood a déjà connu des représailles ennemies à cause de cela par le passé.

Legolas lui avait raconté à plusieurs reprises avoir eu à repousser les orques qui s'étaient soudainement intéressé au camp d'East Bight après son passage, sans jamais en connaître la précise raison, Jaheira avait tout de suite attribuer ce regain d'intérêt au sang qu'elle y avait versé lors de ses différentes blessures à l'exercice.

- Vous avez ma parole, répondit Thillen.

- J'ai obtenu mon diplôme sous la direction du capitaine Eryn lui-même, alors que je n'étais encore qu'une secrète guérisseuse à Fondcombe, je n'étais pas reine, je n'étais pas militaire, mais comme vous j'aspirais à servir mon pays en rejoignant les rangs pour porter secours aux soldats avec mes compétences de soin.

Jaheira de Fangorn se révélait sous sa vraie nature : il la savait brillante, une des reines les plus puissantes, mais il la découvrait aujourd'hui guérisseuse et diplômée d'une élite militaire, Thillen fut surpris de la savoir si surqualifiée pour son poste de souveraine.

Leur entretien désormais terminé, le jeune homme salua sa reine d'une révérence et tourna les talons pour prendre congé.

- J'ai une dernière question pour vous, demanda Jaheira avant qu'il ne quitte la pièce.

- Oui... Jaheira ?

- Pourquoi ne pas me l'avoir dit directement dès la remise du courrier ? L'objet de votre présence ici ?

- Eryn disait que se faire accepter par vous, je veux dire en tant que militaire, était déjà une épreuve en soi.

Jaheira sourit. Elle reconnut là toute l'impertinence de son époux. Il est vrai que la jeune femme n'avait pas tout de suite apprécié la sensibilité particulière des soldats, et Legolas en avait été le premier témoin, sous les traits du capitaine Eryn.

- Avant de partir, je vous laisse débuter seul votre apprentissage. Vous commencerez par lire un livre sur l'anatomie. Je pense que vous le retrouverez facilement dans ma bibliothèque derrière vous.

Thillen jeta mécaniquement un œil aux étagères et aperçut la dague de la reine encore plantée dans le bois, cela attira tout de suite son attention sur un livre spécifique. Il s'approcha : la dague était plantée juste au-dessus d'un manuel d'anatomie, son tir avait en fait été parfaitement prémédité, elle était vraiment une tireuse redoutable.

L'elfe arracha la dague de l'étagère en bois.

- Le capitaine Eryn a dû omettre un détail me concernant..., dit-elle en levant les yeux.

- Vous voulez dire « encore un » ? Ironisa le capitaine.

- Vous êtes sans doute le seul « homme » à n'avoir jamais soigné un coéquipier sur East Bight. Mais quant à moi, j'ai été la seule et la première à le faire pendant l'épreuve finale, et je n'avais pas un seul pouvoir magique à l'époque.

L'elfe dévisagea la reine alors qu'un immense respect l'envahit. Il salua sa reine une dernière fois en se courbant bassement, et disposa. Il n'avait nullement anticipé de sortir aussi soufflé de cette entrevue.

Jaheira regarda le jeune homme quitter son office et sourit en pensant à la manigance de son tendre époux qui lui avait caché la découverte d'un mage-guérisseur. Ce n'était pas un hasard s'il avait attendu que Thillen soit diplômé pour l'envoyer ici... Jaheira pouvait lire en Legolas comme dans un livre : avec l'affectation de Thillen à Fangorn, Legolas espérait que le jeune capitaine revienne formé à l'exercice de la médecine, ainsi il pourrait concrétiser la secrète ambition de la reine qui voulait depuis toujours enrichir l'enseignement de l'Académie avec un volet médical, et surtout enfin affecter un véritable guerrier guérisseur au front du Mirkwood.

Jaheira s'accorda un instant, malgré son emploi du temps déjà débordé, elle devait à présent former un guérisseur. Cela ne serait pas chose aisée, mais elle s'en réjouit. Après tout, reprendre un peu le contact avec les bases de la médecine lui ferait le plus grand bien.

***

Thillen intégra la garde royale de Fangorn dès le lendemain et se mit au service de la reine dans une indifférence presque générale : tous trouvèrent normal que la reine se dote d'un garde personnel et la présence du jeune capitaine fut très vite acceptée de tous. Même si l'elfe, de par son anonymat et son strict silence, aspirait à une certaine prudence quant à ses temps d'échanges avec la reine, Thillen prit son rôle de garde très au sérieux et ne quitta que peu Jaheira, passant le plus clair de son temps à veiller sur elle pendant l'exercice de sa royauté. En tout temps, l'elfe était armé et la suivait telle une ombre masquée, surveillant chacun de ses pas. Dès qu'ils en avaient l'occasion, la reine et lui se retrouvèrent en huit clos pour travailler à la formation du jeune capitaine qui se révéla brillant à l'exercice. Thillen était un espoir inespéré, il ne ramènerait pas les ents de Fangorn mais il pourrait assurer le soutien des armées nécessaires à la protection de tous les elfes. Il était résistant, athlétique, courageux et érudit, il comprenait vite les enjeux et se montrait prudent, depuis son arrivée dans sa vie, Jaheira voyait l'avenir sous un jour meilleur.

Thillen comprit rapidement l'intérêt d'apprendre l'anatomie pour un guérisseur tel que lui : soigner une blessure pouvait parfois entrainer des complications bien plus graves que la blessure elle-même, par exemple lorsque le guérisseur ferme une plaie béante en laissant sous la peau l'hémorragie se propager. Son caractère calme et savant ne cessait de rappeler à la reine son fidèle ami Khalid. Parti de la cité depuis des années, celui-ci lui manquait terriblement.

Le capitaine Thillen apprit vite et réussit à maîtriser ses pouvoirs avec une extrême discrétion. Pour se perfectionner, l'elfe lut jour et nuit, et se mit à errer des heures dans les allées de l'apothèque, faisant mine de patrouiller dans l'établissement, le soldat profitait de sa ronde pour lire les étiquettes des bocaux de plantes jusqu'à les apprendre par cœur et même parfois, s'exercer au contact de quelques malades endormis pour guérir discrètement leurs petites plaies. Le jeune elfe espérait ainsi un jour pouvoir de mémoire reconnaître l'intégralité des plantes en pleine nature, une idée ingénieuse s'il venait à manquer de médicaments sur le front. À force de se fréquenter, le jeune capitaine et la reine devinrent proches et Jaheira développa un certain sentiment maternel à son égard. Soucieuse de lui éviter ses propres maux, elle prit grand soin à lui transmettre ce qu'elle avait dû apprendre sur le tas. Bientôt, il serait apte à exercer sur le front au Mirkwood et il était à présent clair que ces moments à le former, et à discuter discrètement de médecine lui manquerait. Avec le temps, le capitaine Thillen deviendrait un grand guérisseur, bien meilleur que ce qu'elle n'aurait jamais été. 

***

À mesure que Thillen gagnait en compétence, ces deux-là s'apprivoisaient : Jaheira appréciait l'esprit vif du jeune capitaine qui, de toute évidence, serait un atout de poids au front. Il était dévoué, attentif et avait surtout l'intelligence du combat et des gens. Thillen de son côté se surprit à apprécier la reine bien plus qu'il ne l'avait escompté : à leur première rencontre, il ne la cantonnait qu'à un simple rôle représentatif, mais depuis leurs premiers échanges c'est avec un immense respect qu'il l'observait au quotidien : elle était une personne importante mais qui restait accessible pour les siens. Tous, qu'ils soient villageois, marchands, roturiers ou seigneurs, de toute âge ou de toute espèce, appréciaient cette dualité en elle : sous sa lisse et douce apparence, elle se montrait fine diplomate et savait user avec brio de son influence et de son caractère pour mener à bien ses idées.

Tandis que Thillen devenait de plus en plus autonome dans la maîtrise de ses pouvoirs ainsi qu'à l'exercice de la médecine, Jaheira se risqua à lui demander un service qui lui tenait à cœur.

- Tout ce que vous voudrez, avait répondu Thillen.

- Voilà des années que j'ai quitté les rangs de l'Académie, et je crains de ne plus être au niveau pour me battre au corps à corps. Si la guerre éclate, je me dois d'être prête. Accepteriez-vous de vous battre avec moi pour m'entrainer ?

Le capitaine réfléchit. Entrainer une reine pouvait être source de problème : à la moindre blessure, on pourrait l'accuser de violence et de crime de lèse-majesté. Mais elle insista, promettant de prévenir ses plus proches conseillers de son initiative pour innocenter le militaire de tout attentat.

Thillen accepta, heureux de pouvoir rendre à son mentor ce qu'elle lui avait donné. Ensemble ils commencèrent à s'entrainer afin que la jeune reine retrouve son athlétisme : exercice physique, combat au corps à corps et parcours d'obstacles vinrent intégrer la routine des deux guérisseurs. Tous deux apprécièrent ses moments loin de la tension protocolaire avec une joie non dissimulée.

Le capitaine remarqua le côté compétitrice et aventureuse qu'elle exprimait lors de ces sessions de sports. Elle s'y illustrait comme une guerrière créative et habile de sa lame. Jaheira était quant à elle ravie de reprendre l'exercice, et cela devint pour elle un fantastique moyen de se défouler. Elle se trouva d'abord rouillée à l'exercice : échouant fréquemment et accusant la perte de sa souplesse d'autrefois, mais Thillen ne la ménagea pas et elle recouvra bien vite ses anciens réflexes et la puissante adrénaline qu'elle avait découverte à East Bight. Cette nouvelle occupation lui redonna le sourire, et eut même le bénéfice de compenser un temps le chagrin de l'éloignement de Legolas qui, malgré ce qu'elle essaye de le dissimuler, lui manquait terriblement.

***

Un jour, Thillen eut l'immense honneur d'accompagner la grande gardienne dans les très secrètes mines d'argent de Fangorn. Dès ses premiers pas, la beauté des lieux époustoufla le jeune homme : les parois de pierre luisaient d'une douce lumière blanche, provenant du précieux métal qui y infusaient chaque mur du sol au plafond. Ici, une poignée de mineurs travaillaient minutieusement, au rythme de leurs outils qui ressemblaient plus à ceux de haute joaillerie qu'à ceux utilisés en ferronnerie.

Le mithril, créé à partir de l'argent de Fangorn, demeurait le métal le plus précieux qui soit, et avait retrouvé toutes ses lettres de noblesse depuis l'accès de Jaheira au trône. La demande du précieux minerai de la forêt était au plus haute, car tous s'arrachaient les précieuses armes d'élite que produisaient Fangorn, il fallait parfois plus d'une décennie d'attente pour les pièces les plus spécifiques. Jaheira venait donc régulièrement inspecter les mines pour s'assurer par elle-même que l'exploitation de celles-ci respectent strictement les ressources des lieux ainsi que les conditions de ses artisans. La localisation des mines d'argent était sans doute le secret le mieux gardé de toute la Terre du Milieu et probablement du monde entier. Même si Thillen était le protégé de la reine, le capitaine n'eut aucun traitement de faveur et ne put que s'y rendre seulement qu'après que plusieurs complexes sortilèges et artifices ne soient exécutés sur lui, rendant pour lui impossible tout souvenir ou ressenti qui lui auraient permis de localiser ou de rejoindre les lieux par ses propres moyens, ni même de pouvoir se rappeler de ce à quoi ressemblait les lieux. Malgré l'amnésie qui l'attendait, il se réjouit que la reine lui accorde cette confiance et fut ravi de l'expérience, ne se rappelant que d'un sentiment d'accomplissement et d'une merveilleuse lumière blanche. Le titre de Jaheira, hérité de sa mère, la Gaïlind, soit "celle qui porte la lumière" prenait alors tout son sens après la visite des mines.

Après une longue inspection, Jaheira et lui rebroussèrent chemin vers la cité. En marchant, elle prit le temps de cueillir de nombreuses plantes qu'elle plaça délicatement dans son large sac en lin à mesure que Thillen répétait inlassablement le nom et les propriétés de chacune, tel le studieux élève qu'il était. En revenant vers la cité, elle fit un détour par l'apothèque de Fangorn pour y déposer son butin qui fut chaleureusement accueilli par les botanistes de l'établissement. L'apothèque ne ressemblait en rien à la petite salle de travail où elle œuvrait en catimini à Fondcombe, ici, il s'agissait de tout un édifice qui fourmillait de dizaines de travailleurs qui se fondaient dans la masse de patients spécialement venus pour recevoir de précieux soin et se voir dispenser les efficaces remèdes de sa fabrication. Elle avait formé de nombreux soigneurs à l'usage des potions et des plantes, ils étaient tous d'un soutien plus qu'appréciable et lui permettait aujourd'hui de n'intervenir que pour les cas les plus graves. Grâce à ce travail titanesque, mais aussi à l'influence grandissante des ents, l'apothèque de Fangorn était devenue une véritable institution.

Thillen profita de son discret passage pour lancer un faible, mais très efficace sortilège de guérison de moyenne portée, afin que tous les patients des lieux se remettent plus rapidement de leurs blessures. Après leur visite et ses quelques salutations de courtoisies, Jaheira ressentit le besoin de se défouler, elle partit alors avec Thillen pour s'entrainer. L'elfe accepta, et crut que la reine irait se changer pour adopter une tenue plus propice à l'exercice du corps à corps. Mais elle tourna les talons vers l'écurie pour récupérer un cheval, toute de robe vêtue, au grand étonnement du capitaine. Tous deux partirent s'isoler dans la forêt. Lui-même ignorait où ils se trouvaient mais gardait une totale confiance en Jaheira pour retrouver leurs chemins en ces lieux plus que familiers pour elle.

Ils attachèrent leurs chevaux, s'assurèrent de ne pouvoir être repérés et Thillen proposa à Jaheira de l'entrainer sur les parades verticales, essentielles pour contrer un ennemi plus fort et plus grand, souvent équipés d'armes contendantes pour écraser leurs proies. Pour chaque exercice, ils utilisaient toujours leurs armes véritables, mais se protégeaient tous deux avec précaution pour ne pas se blesser.

Ils commencèrent leur duel, Thillen essayant sans cesse de la mettre en difficulté pour corser l'exercice. Pour lui, c'était une opportunité de tester sa pédagogie et son autorité. Il restait doué, fort de sa jeunesse et au mieux de sa forme, puissant, agile, elle avait souvent du mal à rivaliser, mais elle restait imprévisible et n'hésitait pas à user d'entiques métamorphoses pour parer à ses attaques, il lui arrivait ainsi de faire changer un seul de ses membres pour mieux bloquer le pied de son adversaire ou encore le soulever pour pouvoir le mettre hors d'atteinte, une compétence qu'elle peinait encore à accélérer, mais qu'elle avait redécouvert à son contact, faisant d'elle la première guerrière hybride de sa génération. Thillen cerna vite sa stratégie de transformation et fit tout pour la repousser dans ses retranchements afin de l'empêcher d'agir. Pendant l'exercice, il enchaina sans prévenir plusieurs puissantes percussions de sa lourde épée que Jaheira encaissa sans broncher, il usa de toute sa force pour la faire plier, voire la mettre à genoux. Leurs lames se croisèrent, et il poussa sa propre lame vers elle, la forçant enfin à déposer un genou à terre pour qu'elle maintienne son gainage. Jaheira serra les dents mais il arriva à ses fins, profitant d'un très rapide moment de faiblesse pour faire tourner sa lame et envoyer voler la sienne un peu plus loin. Jaheira, à présent désarmée, ragea. Thillen sourit du succès de son assaut et décida de recommencer l'exercice. Sans faire de commentaire, il partit chercher l'épée de Jaheira. Elle le regarda tourner les talons, et la tentation l'envahit : c'était un angle parfait. Sans prévenir, Jaheira retira ses gants, se saisit de sa dague cachée dans sa botte et se jeta sur lui. Il devina son attaque et la para en la bloquant d'une seule main. Alors qu'il la maintenait immobile, pour corser le tout, il jeta lui aussi son arme un peu plus loin, persuadé qu'il pourrait se débarrasser d'elle à mains nues, même si elle restait armée, sa lame serrée dans sa main bloquée. Elle commença à se débattre, alors il lui tordit le bras en un tour de main et lui retourna sa propre dague contre elle, la lame s'arrêta sur la tranche à quelques centimètres du visage de la reine, et il réussit à l'immobiliser sans trop de difficulté. Jaheira pesta : elle était bloquée avec le poignet et le bras contorsionnés par la puissante poigne du jeune homme qui la regardait se débattre avec une certaine satisfaction.

- Je crois que vous avez perdu, dit-il en constatant que la jeune femme peinait à s'extraire.

Elle cessa de se débattre :

- Vous croyez ? Répondit-elle avec malice.

Sans prévenir, la jeune femme se dégagea sa main désarmée et vint se saisit de sa propre dague pointée sur elle, elle serra la lame entre ses doigts pour l'éloigner d'elle et le métal lui lacéra les doigts. Devant cette blessure volontaire qu'il n'avait nullement anticipé, Thillen libéra tout de suite Jaheira de son emprise et apparut confus, alerte : mais pourquoi s'était-elle blessée volontairement ? Il paniqua de la voir saigner et ne trouvant plus du tout l'exercice distrayant : blesser une reine était un acte grave, passible de très graves sanctions.

- Qu'avez-vous fait ! S'emporta-t-il en lui plaquant son propre foulard sur sa main. 

- Thillen calmez-vous, dit-elle pour le rassurer en se tenant la main.

Il se précipita vers son cheval où il se saisit d'un linge et de sa gourde pour les rapporter à la reine. Alors qu'il revint vers elle avec un embarras certain, il la découvrit étrangement détendue, même... souriante malgré sa blessure. « Cette femme est folle » pensa-t-il, alors qu'il lui prit la main pour la nettoyer en vue de la lui soigner, il s'aperçut qu'elle ne comportait pas de blessure, même pas de sang. L'elfe se figea, cherchant la plaie qu'il avait vu s'épancher quelques secondes auparavant :

- Vous n'êtes qu'aux balbutiements de votre découverte des ents Thillen, dit-elle avec malice.

D'un air dégagé, elle partit ramasser son épée et la rangea dans son fourreau. L'elfe la suivit des yeux, consterné et blême.

- Les ents ont un pouvoir d'autoguérison. Peu connaissent l'existence de cette faculté chez nous.

Le capitaine apparut furieux, et il la regarda ranger ses affaires, alors partagé entre l'envie de lui hurler dessus pour lui avoir fait si peur et l'envie de lui poser mille questions sur ce pouvoir qu'il lui découvrait en commun avec lui.

- Rentrons, dit-elle en grimpant à cheval. La nuit va bientôt tomber.

La plaie n'avait pas été profonde et elle connaissait bien la finesse de sa lame. La plaie était très aisée à guérir, et ne lui avait même pas fait mal. Mais elle avait pris grand soin à ce que son sang n'entre pas en contact avec le sol et s'était soignée très vite pour que ne soit pas alertés les ents quant à sa sécurité.

Thillen ne décolérait pas, il était encore très jeune et elle avait tendance à l'oublier, elle s'en voulut de cette farce qui avait franchement tétanisé le capitaine. Il était clair qu'ils devraient ensemble travailler sa résistance à la colère. Malgré sa gêne, sa parade avait néanmoins forcé Thillen à réagir à sa blessure, et malgré le sang, il n'avait nullement cédé à la panique, tel ce qu'on attendait d'un vrai guérisseur de guerre. Jaheira se réjouissait que le jeune elfe se montre déjà apte à l'exercice.

Ils partirent ensemble rejoindre la cité par la grande porte alors que la nuit tombait sur Fangorn. Jaheira, éreintée de cette nouvelle journée, partit vers ses appartements et quitta Thillen devant le palais. L'elfe se courba devant la reine avant de tourner les talons. Il eut du mal à mettre des mots sur son état, mais il s'avéra que lui aussi avait besoin de repos.

Jaheira partit se coucher avec une certaine satisfaction quant à cette journée écoulée, mais dans son grand lit vide revint le chagrin : elle demeura attristée de ne pas avoir son mari à ses côtés pour lui raconter sa journée. La jeune femme se retourna ver l'autre oreiller et y respira doucement l'odeur que son époux avait laissée sur le coton blanc, et s'endormit presque aussitôt au contact de ce réconfortant souvenir. 

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