Chapitre 4 : Talent caché

Avec les années, l'accalmie se maintint et le Mirkwood devint le seul royaume encore au front, de par son exposition au Nord.

Le volume de blessés diminua au plus grand soulagement de Jaheira qui reprit son rôle d'archiviste. Elle commença alors un très fastidieux travail d'écriture afin de retranscrire tous les apprentissages qu'elle avait acquis en soignant les soldats pendant la guerre. Elle poursuivit ce travail tout en continuant d'alimenter l'apothèque avec de nouvelles compositions médicinales de sa création.

Des jours plus tard, un matin, alors qu'elle cueillait sa toute première récolte de très délicates fleurs de safran, une agitation rythmée parcourut le sol, secouant le précieux pistil de ses fleurs orangées. Un cor résonna jusque sous sa serre. Un cor qu'elle ne reconnut pas, mais qui, à en croire la puissance, annonçait là une grande information.

La jeune femme remballa avec des gestes mesurés les premiers pistils récoltés et partit vers l'apothèque pour les stocker soigneusement. Aucune information, aussi urgente soit-elle, ne pouvait compenser la préciosité de chaque poussière de ce précieux pollen. Elle eut vite terminé et s'essuya les mains dans son tablier avant de se diriger vers la cour principale de la cité, où plusieurs autres badauds s'étaient déjà rassemblés.

La jeune femme se fraya un chemin dans la foule et constata la garnison de soldats qui marchait en rangs serrés dans la ville, faisant vrombir les pavés de leur pas. Leurs équipements, sales et couverts de sang, témoignaient sans parole de la violence de l'affrontement qu'ils avaient livré par-delà les terres. Jaheira eu un haut le cœur à l'idée que la guerre ne revienne. En un réflexe, elle inspecta le régiment et ne constata pas de blessés parmi eux, sauf quelques égratignures qu'elle serait probablement appelée à soigner d'ici quelques heures. Tous ici s'en doutait : la guerre était certes terminée, mais l'ennemi préparait une nouvelle offensive et bientôt reviendraient à leurs portes.

Un cavalier immergea de la foule et s'avança solennellement. À en juger par son armure finement travaillée et à sa cape écarlate, propre à l'uniforme de la garde royale de la Lórien, l'homme était hautement gradé et devait être le capitaine de l'unité. L'homme fit un geste et le silence s'abattit sur la foule.

- Habitants de Lórien, visiteurs de lointaines contrées, mes amis. Je suis le Capitaine Raggenstone de la garde royale de Lórien, au service de nos seigneurs Galadriel et Celeborn. Je m'adresse à vous aujourd'hui pour vous faire part de graves informations. Mes hommes et moi-même avons livré bataille des jours durant pour repousser l'ennemi venu de Gundabad. Nous en sommes certes sortis victorieux, mais nos pertes sont lourdes. Mes amis, l'heure est grave, l'ennemi est à nos portes et nous refusons que la guerre ne revienne s'immiscer dans nos vies. J'invite donc dès maintenant, tout homme ou toute femme volontaire et en capacité de se battre, à venir grossir nos rangs. Nous vous formerons au combat et ensemble, nous pourrons nous battre. Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons faire résonner la paix. Mes amis, suivez-moi et intégrez les rangs de la garde royale, vous y protégerez hommes, femmes et enfants de la Lórien et incarnerez l'honneur de ces terres. Nous nous établissons ici jusqu'au prochain lever du jour, n'hésitez pas à vous manifester. Pour tous ceux qui ne peuvent livrer bataille, j'ai ici tout un escadron de soldats que vous pouvez saluer pour leur courage sur le front. Pour la Lórien !

- Pour la Lórien ! Scandèrent ses soldats dans un parfait unisson.

Les badauds se dispersèrent et quelques courageux vinrent se présenter spontanément au capitaine qui les accueillit avec fraternité, quand d'autres proposèrent aux soldats des vivres et des vêtements chauds.

Le discours toucha Jaheira, mais ne sachant elle-même pas se battre, elle décida d'aller à la rencontre du capitaine afin de proposer à ses soldats les quelques lits que comptaient les archives des lieux, autrefois utilisée comme apothèque.

Le capitaine distingua au loin la toute jeune femme qui se frayait un chemin parmi ses soldats. Elle était petite et frêle, une enfant. Elle portait un uniforme tâché de traces écarlates qu'il associa à du sang et prit la jeune femme pour une apprentie de cuisine.

Lorsqu'elle s'approcha pour lui parler, il s'exaspéra de ne pas récolter meilleur retour suite à son discours et préféra rester à cheval pour expédier rapidement la vaine conversation qui l'attendait avec elle.

- Capitaine, je souhaiterais vous proposer mon aide, dit-elle d'une voix déterminée que le capitaine interpréta comme un grand degré d'immaturité.

- Parle mon enfant, que puis-je faire pour toi ?

Jaheira se vexa que l'homme la rabaisse à son apparente jeunesse.

- Je suis archiviste, mentit-elle comme à son habitude, les archives comportent des lits que vos soldats peuvent occuper pour la nuit.

Le capitaine s'étonna de la réponse de la jeune femme, les archivistes étaient des êtres cultivés et souvent bien plus âgés. Le constat de son jeune âge piqua sa curiosité :

- Cela est une généreuse proposition. Je vous en remercie, répondit-il avec un vouvoiement soudain, marqué par son regain d'intérêt.

Jaheira voulut lui avouer qu'elle était en fait une soigneuse, qui plus est expérimentée en blessures de guerre, juste pour le remettre en place, mais elle se ravisa, bien trop respectueuse du gradé qu'elle avait en face d'elle et toujours soucieuse de son anonymat. Elle tourna les talons sans demander son reste, se rappelant son précieux safran qui n'attendait qu'à être traité.

Le capitaine, intrigué par cet échange, suivit du regard la jeune fille. Elle passa devant de potentielles nouvelles recrues qui vinrent se présenter, et le capitaine reprit sa mission de recrutement. L'innocence et la douceur de cette jeune femme lui avaient fait du bien, telle une parenthèse de légèreté. Après des mois au front, le retour au contact de la vie civile restait toujours pour lui quelque chose de spécial.

***

Quelques heures plus tard, alors que la nuit était tombée, le capitaine prit des nouvelles de ses hommes et fut en effet dirigé vers les archives. Il prit alors le chemin emprunté par la jeune femme quelques heures plus tôt. Fort de son grade qui lui ouvrait toutes les portes, Raggenstone grimpa quelques marches et entra dans le bâtiment des archives, bien vite il trouva une salle où s'alignaient plusieurs lits, ses hommes y dormaient paisiblement. De son propre souvenir, il ne les avait jamais vu se reposer.

Dans l'obscurité, quelqu'un passa parmi les couchages. La silhouette, vêtue d'un humble uniforme tenait une simple bougie et une grande paire de ciseaux. Raggenstone se tapit dans l'ombre pour ne pas être vu, et, suspectant une menace pour ses hommes, sortit sa lame pour s'approcher silencieusement. Alors que la silhouette se penchait mystérieusement vers un soldat endormi là, contre toute attente, sa main vint caresser son front avec douceur, avant de retirer avec l'aide des ciseaux le cataplasme que le soldat avait sur sa poitrine. Le capitaine se figea, la silhouette n'avait rien d'agressif, bien au contraire.

Jaheira retira le cataplasme désormais froid et quitta le chevet de l'homme. Haldir la suivit et elle le surprit à la suivre dans le couloir. Quand elle se retourna, la jeune femme sursauta et fit tomber son plateau dans un grand fracas, en découvrant le capitaine dont l'allure avait quelque chose de terrifiant avec l'obscurité.

Raggenstone découvrit avec surprise la frêle silhouette de la jeune fille qui s'était présentée à lui un peu plus tôt.

- Vous m'avez fait peur ! Pesta-t-elle entre ses dents pour ne pas réveiller les hommes encore endormis.

Après un silence gêné, Jaheira soupira et ramassa son plateau. Le capitaine, confus, la regarda se saisir des bandes souillées sans dégoût aucun. Furieuse, la jeune femme tourna les talons vers son office sans parler au capitaine. Stupéfait, l'homme décida de la suivre pour s'excuser de son comportement bourru. L'elfe prit un moment pour retrouver ses esprits et lui emboita le pas pour arriver jusqu'à une pièce annexe de l'édifice, une pièce plus étroite et chargée d'étagères. Espérant le faire partir au plus vite, Jaheira l'apostropha, dissimulée entre les étagères :

- Il s'en remettra vite, avec quelques exercices et adaptations, il pourra même monter à cheval d'ici quelques jours.

- Vous n'êtes pas qu'une simple archiviste, murmura le capitaine en la cherchant du regard parmi les étagères.

Jaheira ne répondit pas, préférant rester cachée dans l'obscurité, ne sachant que faire en cette situation. Elle avait été vue et elle s'en voulait terriblement, les soldats qu'elle avait soigné auparavant n'avait jamais eu droit aux visites et l'apothèque avait toujours été très strictement gardée, ce manquement l'agaça. Par chance, il ne connaissait pas son nom, aussi, il était un gradé loyal de la couronne : il pourrait facilement être contraint au silence.

- J'ai longtemps entendu parler de cet endroit..., souffla Raggenstone, réalisant où il était. Est-ce là la fameuse apothèque de la Lórien ? Souffla-t-il, espérant se convaincre lui-même.

Jaheira ne répondit pas.

- Où sont les guérisseurs ? Les connaissez-vous ? Reprit-il avec un soudain espoir dans la voix.

- Je vais devoir vous demander de partir, dit-elle sans se dévoiler.

Sa réponse fit mouche et l'elfe ressentit un mélange de honte et d'admiration. Était-ce possible ? Était-elle donc l'une d'entre eux ? L'une des fameux guérisseurs de la Lórien ?

- Qui êtes-vous ? Interrogea le capitaine d'une voix posée, souhaitant la rassurer sur ses intentions.

Jaheira ne répondit pas. Tapie dans l'ombre, cette conversation la mettait très mal à l'aise : nombreux étaient ceux qui aujourd'hui souhaitaient connaître son identité, et bien que le capitaine soit un homme haut gradé, elle ne voulait en aucun cas lui manquer de respect.

- Vous ne risquez rien avec moi, se justifia-t-il.

- Je suis au service de Galadriel et de Celeborn. Qui je suis a peu d'importance, répondit la jeune femme qui souhaitait à tout prix couper court à cette conversation.

Elle ne souhaitait qu'une chose : que le capitaine s'en aille.

- Je suis Raggenstone, fils d'Atar, capitaine de la garde royale de la Lothlórien. Pour vous servir, déclara l'elfe d'une voix douce en faisant une révérence à son aveugle compagnie.

Entre les étagères, Jaheira se figea.

- "Haldir" ?

Elle sortit d'entre les rayons pour dévisager l'elfe avec un mélange d'embarras et d'excitation. Lui aussi tiqua sur sa réaction, ils étaient fort peu nombreux à le connaître sous un autre nom que celui de capitaine :

- Vous êtes Jaheira de Lórien, conclut-il.

Il était là, son protecteur, celui qui l'avait ramené en Lórien au péril de sa vie. Des années, tant d'années sans avoir la moindre nouvelle, sans jamais pouvoir le rencontrer. Le destin les avait séparés, elle, isolée de tous dans les tréfonds des archives, et lui, envoyé au front. Ils se connaissaient à peine, mais malgré tout, quelque chose d'intense les liait.

- C'est un honneur de vous rencontrer dame Jaheira, dit-il finalement en se courbant avec élégance.

Jaheira n'avait jamais été habituée à tant d'étiquette de la part d'un soldat. Le peu qu'elle voyait étaient souvent trop mal en point pour ne serait-ce que se tenir debout.

L'homme se redressa et scruta les yeux brillants de la jeune femme. La croissance de l'enfant qu'il avait laissé là il y a quelques années à peine lui arriva telle une violente gifle. Jaheira quant à elle, s'interrogea sur la soudaine fébrilité de son comportement.

- Vous m'avez amené ici..., commença-t-elle.

- C'est exact, confirma Haldir.

- Vous avez connu mes parents.

L'elfe se raidit, c'était là un sujet difficile. Jaheira réitéra sa question devant le silence du militaire :

- Mes parents... Les avez-vous connus ?

Ne sachant que répondre, l'elfe décida d'être sincère :

- Nul ne sait qui est votre père. Il en est de même pour votre mère. Je suis désolé de ne pouvoir vous apporter de réponses.

Jaheira cacha sa déception. Haldir se sentit démuni devant la jeune femme qui se tourna pour cacher son trouble, c'était là un comportement rare chez les elfes, naturellement hermétiques aux émotions.

Sentant qu'elle avait besoin de rester seule, Haldir la salua :

- Dame Jaheira, votre secret sera bien gardé, dit Haldir, je tiens à sincèrement vous remercier, vous et les autres guérisseurs, pour votre aide envers mes hommes.

L'homme la salua et se dirigea vers la sortie.

- Attendez. Ne partez pas...

Haldir se retourna, constatant que la jeune femme avait retiré le bandeau de son uniforme, révélant son visage mutin et ses longs cheveux aux boucles brunes.

- Restez.... S'il vous plaît.

La jeune femme s'assit à une table et proposa la place d'en face à Haldir. L'homme hésita un instant, puis se ravisa et vint s'asseoir. Jaheira lui servit une boisson chaude. A sa grande surprise, tous deux discutèrent là une grande partie de la nuit. L'elfe crut s'étouffer avec son thé en apprenant que la jeune fille était en fait l'unique soigneuse de ces lieux et qu'elle avait géré seule l'afflux de soldats. Lui-même y avait envoyé des hommes par dizaines. Grâce à elle, tous étaient revenus, prêts à reprendre les armes et il n'avait enregistré que peu de perte.
Se confier la soulagea grandement, enfin elle se sentait normale. A plusieurs reprises, Jaheira le questionna sur son passé, et Haldir resta évasif, passant volontairement sous silence tout ce qui pouvait les lier avec Fangorn, ainsi que leur troublante arrivée en Lórien. Plusieurs fois durant leur conversation, Haldir scruta la jeune femme. Elle était très belle et ne ressemblait à personne qu'il eut connu à Fangorn. Son absence de filiation avec Pallando ne faisait plus de doute, son ami était d'un blond grisonnant aux yeux bleu, quand la jeune fille arborait une chevelure brune et bouclés et de grands yeux brun, tout lien de sang était confirmé comme impossible.

Au petit matin, après des heures à converser, Jaheira se recouvrit le visage avec son bandeau d'uniforme et partit s'atteler aux nouveaux soins des blessés. Haldir lui, partit se reposer, non sans remercier la jeune femme pour leur conversation. Quand le soleil se leva, les soldats se réveillèrent, pour le plupart mystérieusement revigorés, puis quittèrent l'apothèque, pour enfin repartir vers le point de rencontre de la garnison.

Jaheira se retrouva à nouveau seule et mécaniquement, se mit à changer les draps. Soudain, la jeune femme eut un déclic, mieux : une révélation. En un instant, elle quitta les archives et partit retrouver le capitaine. Elle traversa la cité au pas de course et arriva jusqu'à la garnison qui se préparait au départ dans la grande cour. L'approche de la jeune femme ne passa pas inaperçue dans les rangs. Elle retrouva Haldir et le retint alors qu'il s'apprêtait à grimper sur son cheval :

- Capitaine, je vous en prie. Laissez-moi vous suivre sur le front.

Les recrues qui l'avaient entendu rirent devant tant d'aplomb, surtout de la part d'une femme-enfant si jeune et si frêle. Tous ignoraient ses capacités de soins des blessures : Jaheira n'était qu'une jeune fille sans grand intérêt. Mais elle ne cilla pas pour autant. Le capitaine découvrit la jeune femme sous un jour nouveau, animée d'une certaine angoisse. D'un geste, il fit signe à ses hommes de se taire avec autorité et le silence revint instantanément. Il s'approcha d'elle et lui murmura ces quelques mots :

- Je ne peux vous emmener sur le front. Nous savons tous deux que vous nous êtes bien plus utile en ces lieux, il serait mieux que vous restiez ici, dit-il avec justesse.

La jeune femme accepta ce poli refus, tout indiqué vu la situation. Elle fut une nouvelle fois rongée de ne pas pouvoir révéler l'entièreté de ses capacités à ces orgueilleux soldats qui se riaient d'elle.

- Nous nous reverrons, je vous le promets, lui glissa-t-il.

La jeune femme acquiesça d'un signe de tête et regarda Haldir grimper sur son cheval. Elle regarda la garnison quitter la ville, impuissante et désormais inquiète de voir son protecteur repartir ainsi pour une nouvelle démonstration de bravoure. 

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