Chapitre 36 : Le cœur des ents
Legolas ne dormait pas quand le soleil se leva. Il resta allongé à fixer le plafond, perdu dans ses pensées. Il était à la fois heureux et anxieux, le Conseil de tout à l'heure occupait son esprit. Il redoutait les terribles choix que pourraient faire son père et Jaheira sous le coup de la colère et par pure fierté. Lui qui souhaitait à tout prix éviter la guerre et maintenir leur alliance, regretta de ne pouvoir prendre part à la séance. Il se tourna sur le lit et accorda un regard doux à Jaheira, encore endormie, elle s'était assoupie toute habillée après une longue nuit de conversations. Cela les avait tous les deux apaisés, comme une parenthèse hors de terre et hors du temps. Il se glissa hors du lit sans la réveiller.
Un peu plus tard, Jaheira se réveilla. Seule au lit, elle s'étira doucement et se décida à se lever, sa toilette en taffetas avait été si serrée la veille qu'elle en avait des courbatures aux côtes ce matin. Heureusement, elle n'avait pas dormi avec et ne portait là plus que la doublure de sa robe de la veille et remercia Legolas de lui avoir chastement délassé son corset alors que tous les domestiques étaient partis. Apaisée par les conversations de la nuit, ayant les idées un peu plus claires sur les ambitions du Mirkwood et d'humeur légère, elle marcha jusqu'à l'alcôve pour profiter des doux rayons de soleil du matin. Elle fut agréablement surprise d'y découvrir Legolas qui lisait, profitant de l'air frais du matin. Elle s'approcha de lui, espérant timidement retrouver un peu de leur intimité de la veille :
- A quoi penses-tu ? Demanda-t-elle.
Legolas ferma son livre et leva les yeux vers elle avec un air grave.
- Je pense que tu fais une grave erreur.
Les espoirs de la jeune femme se ternirent en un instant. Elle resta à bonne distance de lui.
- Que me conseilles-tu ? Dit-elle, braquée.
- Le roi est un homme fier et tu l'as provoqué. Tu ne dois pas te séparer du Mirkwood, dit-il d'un ton sérieux. Tu es à ce jour bien trop vulnérable pour affronter l'ennemi seule et renier la couronne ne fera que plus t'exposer. Si tu renonces à la tutelle qu'il t'offre, tu ne feras qu'exposer ton peuple à l'avidité du Mal.
Le militaire était expérimenté et restait de bons conseils, mais peu importe ce qu'il dirait, elle associerait toujours ses démarches aux sombres intérêts Mirkwood.
- Ce que je veux, c'est que Fangorn survive ! Nous ne pouvons supporter cette joue militaire qui nous désert. Si nous restons ainsi, nous allons droit dans au désastre. Thranduil doit accepter la reddition !
- Le Mirkwood pourra te protéger Jaheira, je te protègerai, assura Legolas.
- Legolas, je ne suis plus la guérisseuse de La Lórien. Je ne suis pas une personne à protéger, j'ai désormais un peuple et tout un patrimoine à préserver, tous comptent sur moi. J'ai à présent des responsabilités que je ne peux te partager, même si je le souhaite de tout mon cœur.
Legolas approcha son visage de Jaheira, il s'exprima d'un souffle teinté d'émotions :
- Comment puis-je te faire confiance, si tu prends des décisions seule?
Jaheira plongea son regard dans le sien.
- Je prends des décisions pour mon peuple. Cela va bien au-delà de nous.
Le silence s'installa. Jaheira se détourna de Legolas. Le prince, piqué, rentra dans la chambre, renfila sa tunique, son veston et sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui, alors que Jaheira laissa échapper une larme. Malgré tous leurs efforts, tous deux demeuraient inconciliables.
***
Sonnée de ce nouvel échange tumultueux, Jaheira se prépara pour le conseil. Elle enfila son épaisse robe de soie bleu, une ceinture argent et partie se dégourdir les jambes. Sous bonne garde, elle déambula dans le palais en attendant l'heure du Grand Conseil en trompant son stress. Elle s'arrêta dans sa balade pour s'isoler sur une terrasse. Elle s'assit sur la balustrade et se mit à observer horizon : le calme des environs l'apaisa.
Le roi du Mirkwood passa devant l'alcôve et aperçut Jaheira seule, pensive. Son attitude trahissait une prostration qu'il ne lui connaissait pas. Il s'avança sur le seuil de l'alcôve :
- Est-ce que tout va bien, dame Jaheira ?
Jaheira fut tirée de sa rêverie plus vite qu'elle ne le voulait. Elle se redressa sur ses jambes comme si de rien n'était. Le roi la rejoint calmement dans sa contemplation. Visiblement, l'elfe ne venait pas en confrontation.
- Le soleil est la plus belle orée du temps, dit-il en s'approchant de la balustrade.
Jaheira le dévisagea, mais il ne la regardait pas, scrutant l'horizon.
- De qui est-ce ? Demanda-t-elle.
- De ma mère, répondit le roi.
Jaheira se referma devant ce qu'elle interpréta comme une nouvelle provocation de sa part, lui avait eu une mère. Elle entreprit de prendre congé du roi et voulut tourner les talons, mais l'homme l'interpella dans son mouvement :
- J'ai connu votre mère.
Jaheira se figea, considérant l'elfe avec un intérêt tout autre à présent.
- Elle était d'une grande générosité. Durant des siècles, j'ai servi Fangorn en son nom. Puis je suis venu m'établir ici pour embrasser mon destin de roi.
Doutant de ses paroles, la jeune femme préféra prendre congé de lui plutôt que de s'exposer à ce qu'elle reconnaissait comme une manipulation, elle s'excusa de lui et disposa. Mais lorsqu'elle s'éloigna, le roi lui parla de nouveau :
- Vous ressemblez traitrement à votre mère... Mais votre tempérament est bien celui de Pallando.
Thranduil ne pouvait être au courant de la ressemblance de la guérisseuse avec sa mère sans l'avoir rencontré. Peut-être un heureux hasard mais son discours concordait avec les dires de Silverbarbe. Et le simple fait qu'il évoque Pallando la fit réagir :
- Celui d'un traître...
- Que dites-vous ?
- Il a trahi ma mère. Je ne lui ressemble en rien, dit-elle en défiant le roi.
- Comment ? S'étonna le roi. Non... Vous vous méprenez. Pallando aimait votre mère.
- Au point de la corrompre.
- Cela est faux. Pallando a réellement aimé votre mère, il l'a même épousé.
- Quoi ?
- J'ai été moi-même témoin de leur union. Cela a eut lieu quelques décennies avant votre naissance.
- Comment est-ce possible ? Rien parle d'un quelconque mariage !
- Tous étaient contre. La Lórien, Fondcombe, les ents, ... Ce fut une très très discrète cérémonie, cachée dans les bois.
- Le fait qu'ils se soient mariés ne change en rien.
- Pallando n'a jamais trahi votre mère, il aurait donné sa vie pour la protéger.
- Qu'en est-il d'Annatar ?
- Un être charismatique avec un grand appétit pour les richesses. Il a à maintes reprises essayé de séduire Gaïlind, elle l'a toujours éconduit.
Jaheira se tourna vers Thranduil pour continuer cette conversation qui prenait un tournent plus qu'inattendu :
- Le magicien a été vu, emmenant Gaïlind vers l'Est, argumenta Jaheira.
- Annatar a toujours juré de protéger votre mère et elle l'a cru. Des années durant, il la couvrit de promesses et de cadeaux, il lui promit nombre d'hommes, la conseillant et la protégeant sans cesse. Il devint un bienfaiteur désintéressé de la cité. Mais tout cela fut vain, car le cœur de Gaïlind était profondément épris du magicien. Rien, ni personne ne pouvait entraver cette union, l'amour qu'ils se portaient était d'une très grande pureté. Gaïlind ne considérait Annatar que comme son pieux serviteur et Annatar entra dans une colère noire lorsqu'il sut pour leur union.
Jaheira resta silencieuse. La sentant intéressée, et trouvant le besoin de partager son fardeau, Thranduil raconta son histoire à la jeune femme :
- Dès son arrivée pour étudier les arbres, Pallando se mit au service de Gaïlind, il l'admirait plus que tout autre chose sur terre. Mais Gaïlind était malade, très malade et Pallando, éminent mage guérisseur, promit alors de la soigner. Même s'il savait leur amour impossible, il en tomba amoureux. La maladie qui rongeait Gaïlind l'empêchait progressivement de se transformer en ent : un sortilège la consumait, et cela la maintenait enfermée dans son corps de femme. Pallando fit tout pour l'aider à reprendre sa forme entique. Même s'il ne tomba que plus amoureux de Gaïlind sous forme humaine, il veilla jour et nuit pour l'aider à combattre son mal et la faire recouvrer son enveloppe entique. Avec le temps, Gaïlind tomba elle aussi amoureuse de Pallando et ils devinrent amants. Pallando ne cessa jamais le traitement pour autant, car tous deux restaient convaincus que Gaïlind devait rester une ent. A présent, je suis intimement convaincu que c'est Annatar qui a jeté ce sort, afin que Gaïlind ne puisse plus se transformer en ent, et ainsi mieux la séduire. Mais même malgré ce sortilège qui l'exposait à ses charmes, Gaïlind ne cessa jamais de repousser Annatar.
- Pourquoi Annatar se donnait-il la peine de séduire Gaïlind quand il avait déjà main mise sur l'argent de Fangorn ?
- Que dites-vous ?
- Il était le riche seigneur elfe, il commerçait tout l'argent, il n'avait qu'à tout prendre et partir.
- Annatar avait certes du pouvoir à Fangorn, mais jamais il n'a eu la moindre influence sur l'argent de ces terres.
- Comment savez-vous tout cela ?
Le roi ne souhaita pas répondre, il lui tourna le dos, il lui répondit avec malaise :
- Je siégeais au Conseil de Fangorn.
Jaheira fut foudroyée de cette nouvelle.
- C'est impossible. Il n'y avait que cinq sièges au Conseil : Gaïlind, Pallando, Haldir, l'intendant de Redwood et... Attendez... Est-ce vous ? Vous étiez l'elfe de l'Est ? Le trésorier ?
Thrandhuil ne répondit pas.
- Vous l'avez trahi ! L'insulta-t-elle en entrant dans une colère noire.
Au Mirkwood, le ciel s'assombrit progressivement.
- Je n'ai en aucun cas trahi votre mère...., se défendit-il avec sévérité.
- Maudit soit votre être ! Dit-elle en se jetant sur lui et en lui plaquant la tranche de sa dague en mithril sur la gorge avec un regard haineux. Vous les avez abandonnés, vous et votre armée !
- Sauron nous a tendu un piège ! Répondit Thranduil qui contenait sa colère au mieux avec cette lame qui lui barrait la gorge. L'armée de Sauron a attaqué le Mirkwood par le Sud, tout le Mordor était à nos portes ! C'est Gaïlind elle-même qui a envoyé son armée pour nous venir en aide !
- Une bien confortable excuse pour un traître !
- Sauron savait que Gaïlind nous viendrait en aide. Je l'ai moi-même insurgé de garder ses hommes ! Mais elle n'en avait que faire. Elle a mobilisé son armée au Mirkwood et Annatar a donné l'ordre à ses soldats d'attaquer Fangorn pour les surprendre. Gaïlind comptait sur la cité cachée pour se protéger.
Jaheira retira sa lame de la gorge du roi. Le roi se justifia avec une puissante colère :
- Lorsque j'ai appris qu'Annatar retenait Gaïlind en otage, j'ai marché sur Gundabad avec une armée, pour la sauver. Ma propre femme a péri de cette aventure, confessa-t-il avec une telle acidité que son visage se décomposa pour révéler la très profonde blessure qui lui barrait la chair.
Jaheira se recula de surprise. Thranduil s'éloigna d'elle et sa blessure se recouvra en un instant pour ne laisser apparaître que peau saine et lisse. Il était à bout de souffle.
- Voilà tout ce qu'il me reste de votre mère, un artifice qu'elle avait créé pour dissimuler ma plaie, c'est grâce à elle que j'ai pu séduire ma femme, mais jamais cela ne dissimulera ma honte de n'avoir pu les sauver, mon épouse et elle !
Jaheira resta silencieuse, hébétée.
- Pallando...
- Pallando a évacué Gaïlind vers l'Est, ils devaient venir ici, rejoindre notre armée. Mais ils ont été piégés sur le chemin et emmenés à Gundabad de force tout comme votre mère. Il s'est battu de tout son être et a donné sa vie pour la sauver.
- Pourquoi est-elle partie ? Elle aurait pu rester à Fangorn... protégée par les ents.
- Annatar savait où était la cité.
- Il aurait pu attaquer bien avant !
- Vous. Où étiez-vous ? Demanda Thranduil. Vous étiez déjà née. Où vous a-t-on évacué après la Grande Attaque ?
- Je... J'ai été emmenée en Lórien.
- Nul ne connaissait votre existence, à part Pallando et moi-même. Haldir lui-même ignorait tout de votre naissance. Gaïlind s'est exilée des mois hors de Fangorn pour vous mettre au monde. Haldir a même cru à un enlèvement, il avait bondit de rage en revoyant Gaïlind. Mais Sauron a senti le sang, la puissance de sa délivrance et le pouvoir qui vous animait vous. Si vous étiez en fait à Fangorn, il aurait été logique qu'elle cherche à s'éloigner de vous pour brouiller les pistes.
- Sauron me cherchait... moi ?
- Sauron a mis à sac toute une cité pour vous retrouver, Gaïlind et vous. Lorsqu'il a appris pour votre naissance, il est entré dans une colère noire, jurant la mort de votre mère. Sauron ne pouvait corrompre Gaïlind alors il s'est tourné vers vous, espérant vous enlever. Lors de l'attaque, Gaïlind n'a fait que s'éloigner de Fangorn pour vous protéger ! A juste titre, Sauron ne pensait pas que votre mère se serait séparée de vous.
Jaheira avait toujours été persuadée que ses parents ne s'étaient que peu souciés d'elle, son cœur se brisa d'apprendre soudainement tant de sacrifices.
- Est-ce là la raison pour laquelle le cavalier noir m'a attaqué à Pellenor ? Sauron cherche à me retrouver ?
- Que dites-vous?
Visiblement, Thranduil n'avait pas été mis au courant de l'exploit réalisé par son fils. Elle lui raconta :
- Minas Tirith. Je me battais avec les hommes du Rohan quand un Nazgûl m'a enlevé. Je suis tombée depuis le ciel. J'étais à l'agonie quand un cavalier noir m'a guéri pour me rallier au Mal, et votre fils...
- Les spectres noirs n'ont nul pouvoir de guérison, trancha Thranduil.
Ses paroles confirmaient les dires de Gandalf à Fondcombe.
- Les cavaliers noirs ne sont que d'anciens elfes ou d'hommes dont l'âme a été corrompue par Sauron, ils n'aspirent qu'à tuer, pas à soigner. Aucun d'eux n'a la capacité de guérir autrui. Bien au contraire, ils tuent pour aspirer les âmes et les porter au Mordor.
- Mais j'ai été guérie ! J'ai été poignardée en plein cœur, avec ceci, dit-elle en présentant sa dague à Thranduil avec une confiance soudainement aveugle.
Le visage de l'elfe se décomposa.
- Du mithril ? Dit-il avec un regard brillant.
Jaheira acquiesça. Le roi ne put détacher ses yeux de l'inestimable brillant métal qu'elle lui montrait. Le souverain demeura ébahi par la clarté de la lame, son visage se relâcha.
Après un instant où le roi sembla avoir une absence, il murmura :
- C'était donc cela..., dit-il, tétanisé.
La gardienne retira sa lame des mains du roi, le sortant de sa soudaine chimère.
- Vous étiez-vous déjà transformé en ent avant ce jour ?
Elle secoua la tête. Il ferma les yeux, percuté de réflexion.
- Connaissez-vous les propriétés du mithril, dame Jaheira ? C'est un métal puissant, ancestral, issu d'un rigoureux mélange d'alliages extraits de terres puissamment magiques. Le mithril a notamment d'innombrables propriétés de protection, mais sa principale caractéristique est de pouvoir briser les plus puissants maléfices.
- Je ne comprends pas...
- Jusqu'à ce jour, vous étiez sous l'emprise du maléfice d'enfermement elfique dont souffrait votre mère, le maléfice qu'Annatar lui a lancé. C'est cette lame dans votre cœur qui vous a libéré... La lame a percé votre cœur et le sort s'est brisé. Ainsi, vous avez pu à nouveau vous transformez en ent... Qu'est-il arrivé ensuite ?
Jaheira fit quelques pas tandis que le raisonnement faisait son chemin en elle.
- Je me suis révélée en ent...
Thranduil tomba lui aussi des nues d'enfin connaître l'unique remède pouvant conjurer le maléfice dont était victime Gaïlind : elle n'avait jamais eu d'autre choix que la mort tant qu'elle continuait de se refuser à Sauron.
- Pourquoi le cavalier noir m'aurait-il libéré de ce sort ? S'interrogea Jaheira.
- Nous étions une poignée à être au fait de l'emprisonnement physique de Gaïlind, mais une seule personne savait comment rompre ce sort. C'est cette même personne qui a œuvré toute sa vie à la guérison de votre mère.
- Pallando...
Jaheira se liquéfia et ne put retenir ses larmes dont l'une perla sur sa joue.
- Votre père vous aimait, vous et votre mère, plus que tout au monde. Sauron a dû le convertir en spectre au trépas de votre mère, pour le punir. Lui seul, en tant que spectre, aurait pu vous retrouver, la force des souvenirs est grande, même dans l'au-delà, votre sang vous trahit encore. Il vous a sauvé alors qu'il ne pouvait plus l'être. Cela a dû être l'issue d'une très grande lutte intérieure pour cet homme.
Jaheira accusa la nouvelle et s'assit, soudainement étourdie. Le roi resta de marbre devant la fébrilité de la jeune femme. Ne sachant quel réconfort il pourrait lui apporter, il voulut lui faire un geste amical mais se résigna et préféra se retirer pour laisser la jeune femme en proie à son chagrin. Cette conversation l'avait également beaucoup perturbé. Sur le départ, il déclara solennellement :
- Dame Jaheira, nous aspirons tous deux à ce que nos deux nations vivent en paix. J'espère que vous saurez trouver à pardonner mon échec quant au sauvetage de votre mère. C'était quelqu'un de remarquable.
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