Chapitre 33 : Entretien entique
Thranduil dévisagea la nouvelle gardienne de Fangorn avec un bouleversement certain : elle était d'une insolente jeunesse en plus d'être de puissante naissance.
- Votre présence ici est des plus surprenantes, dame Gaïlind, commença-t-il.
- Vos hommes sont fatigués, seigneurs du Mirkwood, dit-elle sans relever sa remarque. Suivez-moi à Fangorn. Nous leur offrirons, ainsi qu'à vous, gîtes et repos.
Khalid lui approcha son cheval. Jaheira y monta sans aucune aide malgré sa lourde cape en peau. Les deux seigneurs jaugèrent la crédibilité de sa proposition un instant. Contre toute attente, le roi se manifesta vite et se mit lui aussi en selle. Legolas le suivit sans dire un mot, puis tous partirent vers la cité de Redwood en longeant la forêt.
Khalid et Jaheira prirent la tête du convoi en direction de la cité. Le roi et le prince les suivirent en silence. Thranduil semblait perdu dans ses pensées mais gardait la tête haute dans sa démarche, quand Legolas et Gimli ne pouvaient détacher leurs regards de l'obscure et légendaire forêt qu'ils longeaient.
Arrivés à Redwood, les elfes, qui avaient pour souvenir une cité morne et étriquée, redécouvrir la ville sous un jour nouveau : rutilante, fourmillante de gens de toutes sortes et très lourdement surveillée par de nombreux militaires. Fangorn n'avait dont même pas pris la peine de déranger son armée pour contenir la récente attaque ? Pour le Mirkwood, l'illusion fut parfaite : les soldats de Fangorn avaient tous repris leur poste, mais avaient gardé armures et armes de combat pour leur simple poste de patrouille, simulant une équipement d'exception pour leur simple ronde.
Les soldats sylvestres furent envoyés dans les différents espaces de repos mis à leur disposition où les attendaient de confortables couches, un repas et une complète évaluation de leur état de santé, Jaheira se tourna vers le roi et son fils :
- Rois du Mirkwood, puis-je vous proposer de m'accompagner à la cité de Fangorn ?
Thranduil fut honoré d'une telle proposition, la cité d'Argent étant un monument elfique légendaire que seuls quelques élus eurent le loisir de visiter au cours de leurs vies. Il accepta au nom de son fils et lui.
Khalid se joint à eux, et mobilisa plusieurs soldats pour escorter les souverains à Fangorn. Ils quittèrent l'enceinte de la cité et s'enfoncèrent dans la forêt au pas, suivant un chemin invisible. Malgré que quelques gardes sylvestres étaient avec eux, Thranduil ne fut pas rassuré de ce soudain isolement des siens. Il n'accordait qu'une confiance limitée à la gardienne qu'il savait désormais imprévisible. Un peu plus loin, alors qu'ils avançaient au pas depuis quelques minutes, Khalid s'adressa à eux :
- Mes seigneurs, en raison de la stricte confidentialité de l'emplacement de la cité, nous vous demanderons de continuer le chemin les yeux bandés.
- Il n'en est pas question, trancha Thranduil.
- Je subirai le même traitement pour des raisons d'intégrité, dit-il. Au nom de dame Jaheira, je m'engage personnellement devant vous et devant mes hommes à ce qu'aucun mal ne voit soit fait.
Legolas resta silencieux, il avait toute confiance en Jaheira qu'il connaissait bien, même si cette dernière avait aujourd'hui révélé un potentiel insoupçonné. Le roi Thranduil, lui, fulminait encore quand on lui glissa un bandeau noir sur les yeux. Mais le bandeau lui fut retiré une fraction de seconde plus tard et le roi s'étonna d'être dans un tout autre endroit sans pour autant avoir bougé : la forêt avait disparu au-dessus d'eux, tous étaient rassemblés au bord d'une longue étendue d'eau à ciel ouvert, entourée de forêt et de montagnes. Il regarda tout autour de lui, perdu. Ses hommes étaient là, Legolas et le nain aussi, tous ébahis par ce soi-disant voyage qui n'avait plus duré plus de temps qu'un battement de cil.
Jaheira avança silencieusement à travers la vaste clairière qui ne semblait mener à rien. Du moins, c'est ce qui semblait au début du parcours. Tous la suivirent, et au fur et à mesure de leur avancement, se révéla à leurs yeux la splendide cité immaculée, où derrière un grand mur d'enceinte s'érigeait plusieurs tours et bâtiments aux contours lisses et géométriques. Les bâtisses étaient pour la plupart recouvertes d'un lierre vivace dont le vert tranchait avec la couleur éclatante de la pierre.
L'assemblée atteint la cité, qui ouvrit grand ses portes. Ils entrèrent alors dans un domaine aux dimensions entiques aux rues sinueuses où les pierres semblaient poétiquement s'entremêler avec la nature. Les deux elfes découvrirent avec étonnement que la cité était habitée : des hommes, des nains et des elfes y étaient affairés à diverses occupations dans une douce cohabitation. Près de l'entrée, on lavait du linge, un peu plus loin, une elfe et deux ents déambulaient paisiblement, communiquant dans une langue oubliée, quand sur la gauche se trouvait une fonderie où travaillaient main dans la main un elfe et deux nains, forgeant une épée éclatante de lumière à grand renfort de coup de marteaux.
Jaheira traversa la cour et s'efforça de garder son calme pour faire bonne impression. L'entrevue qui allait suivre ne serait pas des plus agréables. Elle n'avait pas anticipé que Legolas, son instructeur de l'Académie devenu compagnon d'arme serait là. Sa présence ici la perturbait, son enrôlement avorté dans leur armée jouait en sa défaveur, elle espérait que le sujet ne reviendrait pas sur la table en ce délicat moment. Par respect, elle ne souhaitait aucunement les braquer, même si l'attitude qu'elle adoptait, volontairement froide et distante, semblait indiquer le contraire.
Les ruelles de Fangorn qu'ils empruntèrent aboutirent sur une grande place où s'ouvrait un escalier de pierres immaculées. Tout en haut des marches se dressait le palais de Fangorn, point culminant de la cité. Thranduil l'observa sans éblouissement aucun, et suivit la jeune femme qui grimpa les marches avec cérémonie. Arrivés au seuil, deux serviteurs vinrent retirer la cape de la jeune femme qui révéla une longue robe de velours sombre, tissé du blason de Fangorn : deux arbres symétriquement inversés cousus de fil d'argent. Terminant leur cheminement, Jaheira traversa sans se retourner un long couloir en pierre sombre, bordé de fenêtres d'où se diffusait une douce lumière blanche. Enfin, ils arrivèrent jusqu'à une grande salle au très haut plafond, dont le légendaire sol luisait d'une couleur froide. Au bout de cette salle s'alignait deux sièges : les deux trônes de l'alliance de Fangorn, respectivement ceux de Khalid et de Jaheira.
Pour plus de confort et dans un souci de diplomatie, Jaheira ignora l'estrade des trônes et se dirigea vers la salle adjacente pour mener la séance. La salle était confortable et lumineuse, composée d'une table de travail ainsi que de plusieurs sièges, sans doute une salle dédiée au conseil de la cité. Khalid les rejoint et tous prirent place. Comme Jaheira, Thranduil préféra rester debout, peu impressionné de ce déballage. Par hospitalité, on leur servit un peu de vin. Enfin, Jaheira retira le bandeau de ses yeux et dévoila son visage découvert.
- Seigneurs du Mirkwood, nous vous souhaitons la bienvenue en la cité de Fangorn, c'est un honneur pour nous que de vous recevoir, commença Khalid.
- Quoi que pas assez honorable pour vous voir ployer le genou, commença Thranduil de façon incisive en regardant la jeune femme.
L'ambiance déjà rigide prit une tension supplémentaire. Jaheira répondit avec calme :
- Je dois vous avouer roi Thranduil, que mon invitation à vous faire venir ici n'a pas été des mieux accueillie auprès du Conseil de Fangorn. Il semblerait que la plupart des gens ici ne considère pas votre présence en ces terres comme de bonne augure. Mais étant nouvelle en ces lieux, je tiens à m'assurer par moi-même de l'état de nos relations avant de tirer toute conclusion hâtive.
- Je sais ce que vous pensez, commença Thranduil avec amertume. Je tiens à vous rappeler que je fus le premier arrivé sur les lieux après l'Attaque de Fangorn, j'ai vu ses ravages... Et je fus le premier dépité de l'attaque de la cité. La mise sous tutelle de Fangorn ne fut pas chose aisée, mais elle n'en fut pas moins conduite par de dignes intentions, dont celle de protéger ces terres en ces heures sombres. Le Mirkwood ne peut que se réjouir de votre retour en ces lieux, et vous avez pu constater aujourd'hui que notre soutien militaire est toujours d'actualité.
Jaheira se leva et commença à marcher dans la vaste pièce, elle et lui n'échangèrent que quelques regards, ignorant Legolas et Khalid également présents.
- Je ne doute pas du soutien du Mirkwood, je ne doute que de l'équité de nos intérêts, seigneur Thranduil. Les rapports font état du fait que vous vous soyez généreusement servis pendant cette tutelle et que ces allocations soient encore d'actualité aujourd'hui. Je suis étonnée de voir que les grands profits que nous vous apportons n'ont justifié qu'un très moindre renfort militaire contre notre ennemi commun aujourd'hui ?
Legolas écarquilla les yeux devant cette soudaine entrée dans le vif du sujet.
Thranduil calme et rigide, se défendit immédiatement :
- Le royaume du Mirkwood est intervenu selon ses moyens et ses capacités, moyens qui sont aujourd'hui considérablement réduits. Comment osez-vous me provoquer quand nous repoussons chaque jour les nombreuses attaques de Dol Guldur avec pour seule motivation de protéger les elfes, dont ceux qui peuplent aujourd'hui ces terres ! Vous y hébergez même des nains ! Comment osez-vous... Dois-je vous rappeler que nous sommes aujourd'hui le seul royaume qui fasse encore barrage aux armées d'Angband ?
Khalid et Jaheira restèrent silencieux. La gardienne se remit à marcher, telle une calme provocation en réponse à la colère non dissimulée du roi. Il était rare de voir un elfe perdre patience, le sujet était plus que sensible.
- Je ne remets pas en doute votre soutien militaire, car bien que vos hommes n'aient pas été en présence suffisante pour éviter la Grande Attaque autrefois, nous ne devons qu'à vous le fait qu'aujourd'hui la cité soit encore debout. Le Mirkwood était là quand nul autre ne l'a été.
Thranduil salua cette conclusion.
- Cependant, nous nous rendons service à tous les deux si je vous demande de vous retirer de nos terres.
Legolas se raidit.
- Comment ? S'insurgea Thranduil.
- Comme vous l'avez signifié, roi Thranduil, votre royaume connait des difficultés. Je pense que vous serez soulagé de pouvoir recentrer l'affectation de vos hommes à la protection de votre propre cité. Fangorn est autonome à présent, et peut se défendre seul, nous acceptons donc que vous repreniez vos hommes et renonciez à notre entente commerciale de tutelle. Vous serez bien entendu généreusement remercié pour les services rendus à notre peuple.
- Fangorn est un territoire du Mirkwood. Vous n'avez nulle autorité en ces terres !
- Je suis la gardienne de ces terres, nul ne m'empêchera d'agir selon ses intérêts.
- Comment osez-vous ?
- Ce que j'ose roi Thranduil, c'est vous signifier la fin de notre tutelle, dit elle en posant ses mains sur la table face au roi. Fangorn retrouvera sa souveraineté d'antan, et avec la même puissance que vous n'avez pas daigné protéger autrefois !
- Jaheira !
Khalid était intervenu pour calmer les ardeurs de la jeune femme. Il reprit avec un ton plus posé :
- Ce que notre gardienne essaye de vous dire, et je prends la parole en tant qu'intendant de Redwood et membre du Conseil de Fangorn, je vous prie d'adresser seigneurs du Mirkwood, notre demande quant à la redéfinition des termes de notre alliance.
Jaheira se remit à marcher dans la pièce, rôdant en défense telle une louve.
- Quels seraient ces nouveaux termes ? Interrogea Thranduil, toujours furieux.
- L'abandon de toute tutelle commerciale et la cession d'une armée pour Fangorn. Nous resterons cependant dans une alliance militaire et diplomatique et vous bénéficierez d'une place de choix dans nos ententes commerciales.
Thranduil fut piqué au vif. Il fusilla Jaheira du regard, mais elle soutint son regard et ne cilla pas. Impétueuse, ses yeux flamboyaient.
- C'est insensé. Vous ne pouvez ainsi proclamer votre indépendance, Fangorn n'est pas un royaume !
- Je ne reculerai devant rien pour disposer de notre propre défense, déclara Jaheira, incisive à son tour.
- Qui êtes-vous pour me défier ainsi ? Dit le roi en toisant Jaheira.
Il la regarda avec sévérité, condamnant son outrage. Elle glissa son regard sur lui comme s'il ne l'atteignait pas et s'éloigna, continuant sa paisible marche comme si de rien n'était.
- Je ne suis pas une personne d'importance, dit-elle d'une voix doucereuse. Mais je suis assez féroce pour pouvoir soulever à elle seule les arbres et les ents contre tout homme, nain, orque ou même elfe qui oserait menacer la forêt de Fangorn ou se mettre au travers de sa préservation.
- Vous ne pouvez décider seule d'affranchir vos terres !
- Convoquez le Conseil des elfes en Terre du Milieu. Je déposerai notre demande d'indépendance moi-même.
- Cela est ridicule, prendre votre indépendance reviendrait à signer votre arrêt de mort ! Tous les yeux sont rivés sur Fangorn. Oserez-vous croire que votre retour soit passé inaperçu après votre démonstration de ce matin ? Toutes les forces du Mal vont venir se déchaîner ici, et vous mourrez... tous ! S'emporta Thranduil.
- Assez !
Un grincement de chaise avait résonné. Legolas venait de se lever de sa chaise, furieux. Tout cela allait trop loin. Jaheira ne jeta pas le moindre regard au commandant, ses yeux étant bien occupés à fusiller le roi du regard pour les menaces qu'il venait de proférer.
- Fangorn a le droit de pouvoir disposer d'une armée. Nous vous laissons aujourd'hui le choix : confiez-nous une armée propre et conservez Fangorn comme allié, ou abandonnez votre emprise et laissez-nous à notre sort, nous nous assurerons seuls de notre survie, par tous les moyens, et avec toutes ses conséquences que cela implique.
Jaheira s'éloigna de la table et se dirigea vers la porte :
- Nous vous laissons trois mois pour décider du sort de notre alliance, trancha-t-elle.
- Quelles sont les garanties qu'une fois votre armée établie, vous resterez nos alliés ? Intervint Legolas.
Jaheira s'adressa à Legolas sans se retourner, camouflant un soudain accès de stress.
- Nous ne cherchons nullement la guerre seigneur Legolas, le moment serait très mal choisi pour dissiper les forces au sein même de notre camp...
Le silence s'installa. Jaheira appela ses gardes pour accompagner les deux seigneurs hors de la forêt. Jaheira les invita à partir et Thranduil la fusilla du regard, ainsi que Khalid, rangé du côté de la gardienne. Puis, le roi sourit, soudainement amusé :
- Très bien. Si c'est ce que vous souhaitez, je convoquerai le conseil des elfes pour que vous puissiez leur faire part de votre décision. Nous nous réunirons au Mirkwood, dans trois mois.
Les gardes se présentèrent dans le couloir. Jaheira regarda le roi quitter la pièce sans se retourner. Legolas le suivit après avoir brièvement salué les deux intendants d'un regard amer. Alors qu'il passait le seuil de la porte, Jaheira voulut le retenir, mais se ravisa. Ils raccompagnèrent les rois sylvestres jusqu'aux portes du palais, où Khalid et Jaheira les regardèrent quitter la ville sans se retourner. A peine eussent-ils passé le mur d'enceinte qu'ils quittèrent la forêt puis tracèrent hors des terres de Fangorn sans incident.
Sur le chemin, Legolas voulut questionner son père, mais le roi s'enferma dans un profond silence qui dura toute la durée de leur voyage retour jusqu'au Mirkwood.
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