Chapitre 32 : L'assaut sur Fangorn

Khalid avait œuvré toute la nuit pour organiser en urgence la défense de Fangorn. Alors que le soleil se levait sur la vallée, l'armée était prête et en position. Les mercenaires engagés s'étaient saisis de leurs armes et s'étaient postés sur le mur d'enceinte de Redwood, majoritairement sur la face Est, la plus exposée de la forêt. En accord avec Jaheira, Khalid ne posta qu'une vingtaine d'hommes sur la façade Nord, ceux-ci surveilleraient tout ennemi qui chercherait à débarquer par les montagnes. La trêve entre les elfes de Redwood et les ents était bien réelle, mais il était encore prématuré de compter dessus. Si Redwood avait volontairement mis des hommes sur la façade Nord de la forêt, c'était aussi pour prouver son engagement quant à la protection des ents. Jaheira ne craignait pas d'attaque menée sur la forêt, elle aurait d'ailleurs préféré qu'ils restent à Redwood. L'ennemi souhaitait visiblement attaquer la cité de Redwood de plein front, à la recherche de la nouvelle gardienne. De cela, elle culpabilisait terriblement. 

Jaheira, de son côté, avait coordonné la répartition des ents toute la nuit. Alors que le soleil se levait, elle avait repris forme humaine pour garder sa rapidité de mouvements. Elle se posta là, tapie en lisière de Fangorn, sans armure, vêtue d'une simple cape chaude en peau de loup blanc. Les ents les plus vigoureux s'étaient spontanément joints à elle, afin de repousser tout ennemi qui pourrait venir s'aventurer dans les bois.  

Malgré que tout ait été anticipé, Jaheira était anxieuse : elle ne se battrait pas aujourd'hui et cela la mettait mal à l'aise. Une fois de plus, elle demeurerait en retrait et n'interviendrait qu'en cas d'extrême urgence, uniquement sous forme elfique et masquée et uniquement si elle constatait des blessés, c'est ainsi que Khalid l'avait convaincue de limiter son intervention.  Elle espérait que tout cela s'opère le plus vite possible et priait au fond d'elle pour ne pas compter de perte en leur camp. 

Khalid détacha plusieurs patrouilles pour surveiller l'avancée ennemie. Il n'était pas inquiet, juste prudent. Fangorn n'ayant juré allégeance à aucun roi, aucune terre, ils n'aspiraient donc à aucune aide extérieure et s'étaient donc préparés en conséquence. Malgré leur impopulaire indépendance, l'armée de Fangorn comptait près de huit cent hommes loyaux et vaillants,  équipés d'armes de pointe, dont la plupart étaient forgées à base du précieux mithril.

A présent, tous étaient à leur poste, dans l'expectative. Le silence régna dans le calme plat de la vallée. Aucun ennemi ne parut à l'horizon. Il ne restait qu'à attendre.

A Redwood, après seulement une heure, un messager se présenta avec une information urgente pour l'intendant. Le messager était un elfe sylvestre, il venait porter le message de l'arrivée imminente du régiment d'orques sur les terres de Fangorn. Le messager informait également du débarquement par l'Est d'un peloton allié en provenance du Mirkwood, pour barrer la route des orques et ainsi protéger Fangorn. A la grande surprise de Khalid, une armée avait été dépêchée par le roi Thranduil afin de venir soutenir l'annexe de son royaume qu'était Fangorn.

L'intendant fit quérir Jaheira expressément et il la rejoint à mi-chemin sur le front Est de la forêt pour lui partager cette nouvelle information.

- Nous n'avons nul besoin des armées du Mirkwood ! S'insurgea Jaheira en apprenant la nouvelle, nous sommes bien assez forts pour nous défendre !

- Cette information est une bonne nouvelle en ce qui concerne nos relations diplomatiques.

- Leur intervention ne fera qu'envoyer un signal de faiblesse nous concernant. Je ne laisserai pas le Mirkwood prendre la défense de nos terres ! S'exclama Jaheira.

- Alors montrons-leur qui nous sommes, répondit Khalid avec un regard flamboyant, galvanisé par la fougue de la gardienne.

Jaheira découvrit soudainement la colère de son ami, un vent de liberté et un nouveau désir d'indépendance venait de les saisir tous les deux.

- Pour Fangorn, confirma-telle avec le salut militaire.

***

L'armée du Mirkwood était en route, le roi Thranduil, leur meneur, les avait démobilisés en urgence de la Lórien où ils étaient postés. Il avait accouru avec ses hommes vers le Sud pour soutenir Fangorn. Ils arriveraient juste à temps pour s'interposer dans la vallée de Celebrant, sur le front Nord-Est de la forêt de Fangorn. Ils pourraient ainsi repousser l'armée partie de Dol Guldur.

L'armée dépêchée par le Mirkwood n'était pas grande, à peine quelques centaines d'hommes, mais ils demeuraient expérimentés et bien armés. Toute aide serait de toute façon la bienvenue pour Fangorn. L'affrontement n'était pas gagné d'avance, mais ils feraient en sorte de contenir l'inclusion. La stratégie envisagée par le roi Thranduil et de son commandant Legolas était délicate : ils devaient tenir juste assez de temps pour que les habitants de Redwood soient évacués vers la forêt, attendant d'autres renforts. Ce plan n'était pas optimal, mais restait néanmoins le plus efficace en cette heure sombre et aux vues de leur courte armée. Il était clair que Fangorn restait un territoire fragile, qui ne pouvait contenir seul d'un tel assaut, si tant est qu'ils en aient été informés. Le Mirkwood, puissant royaume, ne pouvait être indifférent à cet allié en difficulté annoncée, aussi fragile soit-il. 

Malgré la distance qui séparait la bourgade de son royaume, le roi Thranduil avait à cœur de protéger la terre de Fangorn, lui qui s'était engagé à la défendre depuis la Grande Attaque, redoutait toute invasion ennemie en ces terres sacrées. Et si les rumeurs du retour d'une gardienne entique étaient bien fondées, il serait alors ravi de pouvoir triompher devant cette nouvelle élue, et ainsi pouvoir nouer une nouvelle alliance profitable. 

Thranduil savait ses soldats fatigués, car les récents affrontements qui sévissaient en Mirkwood avaient eu raison du moral de ses combattants. Il s'en aperçut d'autant plus au travers de son fils Legolas, leur commandant, qui accusait lui aussi une fatigue certaine depuis son retour du front. Tout cela accompagnait un embarras certain quant au sans cesse rallongement des mobilisations des soldats, qui les tenaient éloigner de leurs foyers depuis bientôt dix ans pour la plupart. Malgré cette pesante ambiance, les soldats trouvèrent un inattendu regain de courage quand, et au grand étonnement de bon nombre d'entre eux, ils découvrirent que le nain Gimli, avec qui le commandant Legolas s'était forgé une solide amitié, avait rejoint les rangs du Mirkwood pour l'occasion, par pure fraternité. 

Le roi Thranduil chevauchait son immense élan aux bois majestueux, et avançait en tête de file, la tête haute et le regard tourné vers le Nord-Est de Fangorn dont les cimes pointaient à l'horizon. Legolas lui, nettement moins confiant que son père, était en retrait. Il demeurait inquiet, car la situation n'était nullement en leur avantage. Après des jours de course contre la montre, enfin arrivés sur le front, les soldats se positionnèrent pour former un barrage sur la rive sud du fleuve Limeclair. Une fois les rangs figés, Thranduil et Legolas se placèrent au centre et patientèrent calmement, attentifs à la moindre incursion de leurs éclaireurs postés sur les hauteurs voisines. Les hommes patientèrent là, prêts à se battre. Une tension palpable s'installa. Seul le vent dans les feuilles des arbres de Fangorn venait perturber le pesant silence qui régnait dans les rangs. Ils avaient réussi, ils étaient là à temps, l'armée du Mirkwood était en place et prête à défendre Fangorn.

Une flèche enflammée traversa le ciel et vint se planter à une dizaine de mètres des soldats. Une flèche d'éclaireur sylvestre : c'était le signal de l'approche des armées ennemies et de l'imminence de l'attaque. Legolas donna un coup sur les rênes de son cheval pour entreprendre une dernière inspection des rangs, l'occasion de rappeler à ses hommes la présence de leur commandant et de les remotiver quant à donner le meilleur d'eux-mêmes lors de ce combat risqué mais nécessaire :

- Mes hommes ! Mes frères ! Nous sommes réunis ici pour repousser une nouvelle fois l'ennemi. Nos armées sont proches ! Il nous faut contenir ces orques hors de portée de Fangorn. Battons-nous pour Fangorn, battons-nous pour le Mirkwood !

Les soldats répondirent d'un cri viril et puissant. Le commandant se replaça dans les rangs, et se saisit de son arc alors que les premières lances ennemies commençaient à dépasser de l'horizon. L'information était donc juste : l'ennemi, venu du Nord-Est, marchait sur Fangorn.

L'armée ennemie était composée d'orques et d'uruk-hai en nombre, voire en surnombre. Voyant les sombres lances apparaître telle une marée noire à l'horizon, leurs pics sortant de derrière la colline en un flux continu, l'elfe se crispa : ce n'était pas là les mille ennemis qui étaient annoncés, mais plutôt trois mille. Son armée était donc en grande infériorité numérique et l'elfe sentit la panique s'emparer de ses hommes à mesure que l'ennemi se révélait. Legolas ne se débina pas. Au contraire, porté d'une nouvelle rage, l'elfe sortit son arc et le tendit en joue, suivi par ses hommes.

Alors que l'elfe attendait que l'ennemi s'approche encore pour envoyer une première salve de flèches, un cavalier isolé, sans fanion, sorti de nulle part, s'invita entre les deux assaillants. Il traça au galop vers les rangs elfiques. C'était bien un elfe, il portait une armure, mais il n'était pas de leur camp, il se posta devant le rang des soldats et leur cria :

- Commandants du Mirkwood ! Un message de Fangorn !

Legolas se tourna vers le roi, qui fit signe à ses soldats de s'écarter pour ouvrir le passage au messager, Legolas relâcha son arc et les rejoint.

Khalid se posta devant eux, le souffle court :

- Mes seigneurs, je suis Khalid Flyverin, intendant et gouverneur de Redwood et des terres de Fangorn, dit-il en saluant brièvement les altesses. 

- Parlez mon ami, quel message nous portez-vous ? Dit Thranduil.

- Fangorn vous demande de ne pas intervenir. La gardienne attaquera par l'Ouest.

- Comment ? S'exclama Legolas.

- Et avec quelle armée est-ce que la Gaïlind compte attaquer ? Souligna Thranduil d'une voix médisante, subitement calme.

Les armées ennemies s'étaient postées face au régiment du Mirkwood, plus de trois milles hommes, soit trois fois ce qui avait été estimé. C'était bien plus que ce qui avait envoyé lors de la Grande Attaque de Fangorn. Visiblement, Dol Guldur ne venait pas que pour malmener la cité, ils venaient là pour bel et bien éradiquer Fangorn. 

Une fois le message passé, Khalid disposa des deux souverains pour repartir au galop vers les bois sans demander son reste.

- Devons-nous le croire ? Demanda Legolas.

- Nous le découvrirons bien assez vite... Prépare l'assaut, déclara le roi d'une voix calme.

- Archers ! Cria Legolas.

Les orques ennemis se montrèrent furieux d'être ainsi bloqués dans leur progression par cette poignée d'elfes qui osaient leur faire face. Alors qu'ils commencèrent à s'organiser, un cor militaire sonna à l'Ouest, en provenance de la forêt. Legolas n'eut pas le temps de lancer la première salve de flèche qu'un nouveau cavalier sortit de la forêt de Fangorn, au pas celui-ci, juché sur un cheval noir et vêtu d'une simple cape grise en peau, le visage dissimulé sous un capuchon. Jaheira s'avança sur quelques mètres, seule cavalière, dénuée de peur. Elle contempla la scène de guerre qui se préparait devant elle et continua paisiblement sa descente au pas vers le front, fière de la surprise qu'elle réservait à ses spectateurs d'un jour.

L'ennemi ricana en voyant ce cavalier solitaire s'opposer à eux. Personne ne le suivait, cet énergumène avançait bel et bien seul.

Une fois à bonne distance de la forêt, Jaheira stoppa son cheval et retira son capuchon, révélant ainsi sa splendide chevelure aux yeux de tous.

Legolas la reconnut immédiatement et écarquilla les yeux :

- Comment est-ce possible ?

- C'est elle ? Gaïlind ? L'arbre ? S'étonna Gimli qui ne l'avait pas reconnu de si loin.

Thrandhuil la toisa, jaugeant de sa personne avec autorité.

Dans le silence, les uruk-hai restèrent aux abois, suspicieux de ce frêle individu qui s'opposait seul face à eux.

Jaheira ne cilla pas et les regarda sans crainte. Elle avait été elle aussi été surprise du nombre d'ennemis qui s'étaient déplacés jusqu'ici et avait ragé que le Mirkwood ne daigne ainsi débarquer en ses terres sans invitation. Son armée humaine attendait l'ennemi plus loin à Redwood, ils étaient à une heure de marche et n'auraient donc pas le temps d'intervenir. Mécontente que les plans ne s'opèrent pas comme prévu, elle n'en demeurait pas effrayée pour autant, convaincue de son effet de surprise. Après une bribe de silence où rien ne se passa, la forêt commença à s'animer derrière elle. De lourdes saccades vinrent secouer le sol de façon terrifiante, faisant trembler la terre, ainsi que tous les soldats en présence, tétanisés de cette mystérieuse force qui semblait s'approcher d'eux. Soudain, la cime des arbres se mit à bouger, puis les troncs, secouant les branches avec violence, enfin c'est toute la forêt qui sembla se mouvoir pour enfin révéler un peloton d'ents millénaires qui se détachait de Fangorn, révélant leur présence aux spectateurs alentours. 

Les soldats, elfes ou orques du front, se figèrent, tétanisés face à la terrible armée qui venait de sortir de la forêt.

Avec des yeux flamboyants de colère, Jaheira ouvrit les bras en croix pour réciter une incantation dans une langue aérienne inconnue.

- Gaïlind ! S'insurgea Thranduil qui ne comprenait pas comment l'ent gardienne pouvait ainsi s'exposer à l'ennemi si impunément.

Les ents de la forêt continuèrent leur progression hors des bois : par dizaines, ils quittèrent la forêt pour encadrer Jaheira. Sa voix résonnait encore dans les airs, embaumant les ents d'une force nouvelle et saturant l'air de magie. En contrebas, les elfes n'osèrent bouger, pour la majorité, ils voyaient des ents pour la première fois.

L'incantation de Jaheira arriva à sa fin et les ents se mirent en position, prêts à l'attaque.

- Cela ne se peut ! Souffla Thranduil, stupéfié.

Jaheira sortit son épée ondulée dans un tintement mécanique résonnant et la pointa vers le ciel. Son cheval se cabra.

- Tous les hommes en poste ! Face à Fangorn ! Hurla Thranduil à ses soldats.

Les soldats pivotèrent pour faire double front, face à Fangorn et aux orques.

- Que faites-vous ? Brama Legolas, ils ne sont pas nos ennemis !

- Laisse-moi le temps de m'en assurer, répondit Thranduil posément, fusillant la gardienne du regard.

Jaheira avait le souffle court. Elle se forçait à cacher les frémissements qui s'étaient saisis de son corps. Elle ferma les yeux un instant pour prendre une profonde inspiration. Les paroles de Silverbarbe, prononcées quelques heures plus tôt résonnèrent en elle :

- Quel est votre plan dame Jaheira ?  Avait demandé l'ent en rune antiques.

- Fangorn doit entrer en guerre.

- Nous sommes et nous demeurerons neutres.

- Alors je me rendrai seule au combat.

- Vous courrez à votre perte ! Avait alors rugit Silverbarbe.

- Nous courrons tous à notre perte ! Vivre sans se battre ne revient qu'à se murer dans la peur. Jamais je ne me reposerai tant qu'il y aura ici des arbres à défendre !

Sur le front, le souvenir de ces mots ranimèrent en Jaheira une profonde colère : jamais elle ne laisserait à nouveau l'ennemi la provoquer, elle, ou son peuple. Plus jamais elle ne resterait loin sans agir. Aujourd'hui, elle s'engagerait au combat, pour Fangorn, pour les arbres, pour les ents, contre leur ennemi commun : Sauron. Jaheira rouvrit les yeux alors qu'un pic d'adrénaline lui serra le cœur, la jeune femme pointa son épée vers l'armée d'orques qui lui faisaient face et les ents se mirent en mouvement. D'abord lents, les ents prirent de la vitesse, fondant avec cérémonie sur l'ennemi subitement désorganisé. Les adversaires de Gundabad hésitèrent puis se jetèrent à leur rencontre, impatients de tâter les ents de leurs lames noires.

Jaheira s'élança à son tour, son cheval partit au galop droit vers l'armée qui lui faisait face.

- Nous devons intervenir ! Archers ! Cria Legolas. 

- Attendez ! Contre-indiqua Thranduil à ses hommes.

- Que faites-vous ? Brama à nouveau Legolas qui perdit toute contenance, nous devons leur venir en aide !

- Les dames d'abord, dit Thranduil avec un air suffisant. Laissons-la donner l'assaut, je veux être certain qu'elle ne nous attaquera pas par la suite. 

Legolas fusilla son père du regard, mais le roi ne cilla pas, concentré sur la bataille.

Le commandant, à présent dépossédé de son armée, fulminait. Incapable de tenir en place, il donna un coup sur ses rênes pour partir au galop. Il rejoint en quelques foulées la première ligne de guerriers, arracha une lance d'un des soldats en présence et hurla avant de s'élancer seul au combat.

Sur le front, Jaheira, seule cavalière en présence fut vite rejointe par son ami Khalid qui s'associa à sa lancée. Elle traça de front vers l'ennemi qui fondait sur elle. La fureur semblait infuser l'air, l'ambiance y était intenable. Tous retinrent leur souffle, guettant le choc de la rencontre entre les deux cavaliers de Fangorn et leurs assaillants, qui promettait d'être un carnage.

Legolas regarda impuissant Jaheira tracer vers les orques, et accusa la folie. Bien vite, et comme on pouvait s'y attendre, Jaheira dépassa les ents grâce à la vélocité de sa monture et le scénario s'annonça encore pire qu'escompté : elle serait bel et bien seule à percer le front ennemi. Cette manœuvre relevait du suicide. 

Voyant la jeune femme courir aveuglément à sa perte, vers son ultime sacrifice, Legolas fonça sur elle pour lui porter secours. Chaque seconde comptait : le cheval de Jaheira traçait droit sur l'ennemi. Pour intervenir, Legolas força son cheval à se frayer un chemin sur le front qui séparait les deux camps. Rapidement, il réussit à se précipiter à la perpendiculaire de la trajectoire de Jaheira, prêt à lui sauter dessus pour lui éviter cette folie.

La scène ne dura que quelques secondes, alors que Legolas arrivait enfin à sa portée, il tendit le bras pour la saisir, mais celle-ci lui échappa en sautant de la selle de son cheval. Son saut la propulsa dans les airs et elle retomba avec une extrême lourdeur au sol, sur ses deux jambes ayant pris l'apparence de deux épais troncs d'arbres, tout comme son corps désormais de taille colossale et recouvert d'une épaisse écorce végétale. L'ent Jaheira, géant de plusieurs mètres, pénétra le rang, écrasa l'ennemi sans sommation aucune, balayant tout sur son passage et profitant de l'effet de surprise de sa transformation. Jaheira livra bataille avec fureur, sans même remarquer la présence de Legolas qui évita de peu la violente salve de la gardienne. 

Un peu plus loin, Thranduil resta bouche bée devant l'inattendue intervention de l'ent. A aucun moment il n'avait espéré voir intervenir le grande gardienne, surtout pas dans ce contexte, et encore moins sous forme entique. Soudainement, ne souhaitant pas rester spectateur, le roi ordonna le tir sur l'ennemi. Les archers enchaînèrent les salves et lui se saisit de sa lame pour se joindre au combat. 

Encore stupéfié de cette apparition, Legolas rassembla ses esprits au plus vite dans le carnage ambiant et se jeta à son tour sur l'ennemi, évitant de se mettre à portée de Jaheira qui massacrait tout adversaire sans ménagement aucun. La gardienne avait vite été rejoint par ses congénères entiques et une salve violente s'opéra : les ents se précipitèrent sur le champ de bataille, écrasant tout sur leur passage, balayant dix individus d'un simple revers de branches et jetant de lourdes pierres sur les orques. 

Les ents dissipèrent les rangs ennemis en peu de temps, sous le regard décontenancé du Mirkwood devant tant d'efficacité. Leurs flèches faisaient maigre effet face à cela. Comment auraient-ils pu anticiper pareil retournement ? Les ents avaient toujours été connus pour leur pacifisme... Et on découvrait aujourd'hui tout leur potentiel en temps de guerre. Dans le désordre, Jaheira s'effaça, se confondant dans la foule de ses congénères, on croyait l'apercevoir un instant, puis disparaissait dans la confusion, rendant impossible son identification parmi tant d'autres. La bataille fut pliée en deux heures à peine, et les ents terrassèrent l'ennemi jusqu'au dernier. Les soldats du Mirkwood, qui n'avaient même pas déformé leurs rangs, constatèrent alors que leur appui n'avait été nullement indispensable en ce combat, largement dominé par les ents qui avaient mené l'assaut avec succès. 

Vint la dernière exécution. Un ent se saisit d'un dernier orque fuyant par la gorge, la déplorable créature se débattit, et l'ent lui brisa le coup d'une seule main avant de jeter son cadavre un peu plus loin. Constatant l'accalmie, les soldats du Mirkwood lâchèrent un hurlement de joie, célébrant cette victoire. Les ents restèrent de marbre. Jaheira, toujours sous forme entique, fit-elle aussi exploser sa joie et cria de toute sa gorge, relâchant la pression et jubilant de son coup d'éclat couronné de réussite. 

Thranduil, resté à cheval, immergea des rangs de ses soldats et chercha la gardienne entique du regard. Le roi fut vite rejoint par son fils, échaudé par le combat, mais toujours debout. Il était pressé de s'enquérir de l'état de Jaheira. Cette très discrète guérisseuse qu'il avait laissé à Minas Tirith il y a des années. 

Les ents se figèrent et leurs regards pointèrent tous dans la même direction. L'ent qu'ils regardaient tous ouvrit alors les bras en croix et se mit à chanter une douce incantation. Instantanément, tout arbre blessé, même légèrement fut instantanément réparé de ses brisures de bois, et les cadavres ennemis se firent absorber par le sol, comme digérés par la terre qui les engloutit jusqu'à les faire disparaître, révélant immédiatement une nouvelle terre vierge de tout combat. Après cette démonstration, les ents repartirent de leur pas lourd vers les bois sans demander leur reste, ni même adresser un regard à leurs alliés de quelques heures.

Le dernier ent resté en retrait fut rejoint par Khalid. Jaheira abandonna alors son apparence entique et reprit silhouette humaine, elle prit grand soin de vite remettre son bandeau d'anonymat favori sur ses yeux et s'empressa d'enlacer son ami l'intendant pour son implication.

Revenue à sa taille normale, Jaheira ressentit une vive douleur. Elle constata avec étonnement que deux flèches noires lui traversaient le corps, vestiges de son combat : une à l'épaule et une à la cuisse. Le roi Thranduil et plusieurs soldats, dont Legolas, apparurent horrifiés de ce spectacle, mais la jeune femme ne sembla que peu s'en soucier. Sans plus de débat, elle arracha de sa chair les deux flèches sans ménagement et les jeta à terre, ses plaies se guérirent en un battement de cils et le sang disparut sur elle, soufflant une fois de plus les témoins de ce spectacle. En silence et d'un pas aérien, la gardienne s'avança vers les deux elfes sylvestre et se posta devant eux sans prendre la peine de s'incliner. La jeune femme avait un physique désarmant : sa peau blanche dégageait une froide douceur, quand ses longs cheveux bruns conféraient une douce noirceur à son apparence austère. Son allure noble, son corps droit et sa tête haute ne trahissaient aucune fatigue, tout dans son attitude était triomphant. Bien que changée, Legolas ne put s'empêcher de constater que le temps n'avait pas eu d'écueil sur sa naturelle beauté, elle était magnifique. 

Thranduil et son fils descendirent de cheval par respect et toisèrent Jaheira, qui ne s'inclina toujours pas. Cette attitude volontairement déviante marqua les soldats.

Devant ses hommes, Thranduil brisa le silence :

- Dame de Fangorn, vous rencontrer est un grand honneur.

- Par ma barbe ! S'exclama Gimli sans retenue en sortant des rangs. Vous êtes décidément un sacré brin de femme ! Dit-il en enlaçant Jaheira au bassin, ravi de la revoir.

Thranduil ne comprit pas vraiment ce qu'il se passait : comment ce misérable nain pouvait-il bien connaître la grande gardienne et se montrer si familier avec elle ? Il ne se doutait nullement que son fils le commandant la connaissait également, Legolas s'était pour sa part retenu de la saluer avec amitié, par pur respect de l'étiquette et de son roi.

Jaheira aborda un large sourire et découvrant la présence de son vieil ami Gimli ainsi que celle de Legolas à qui elle adressa un regard appuyé. Jaheira et Gimli se reprirent dans une attitude plus protocolaire, mais l'incursion du nain avait détendu l'atmosphère.

- Seigneurs Vertefeuille, seigneur Gimli. Soyez les bienvenus en terre de Fangorn, dit-elle avec un doux sourire. 

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