Chapitre 28 : Les racines du passé


L'intendant mandata quelques gardes pour l'escorter hors de Redwood. Après moins d'une heure à cheval, ils se retrouvèrent en lisière de l'imposante forêt de Fangorn, sombre et inhospitalière. Jaheira, ne se sentant pas rassurée, serra inconsciemment le manche de son épée entre ses doigts. Le pesant silence qui se dégageait de la forêt lui parvint.

Khalid s'adressa à Jaheira :

- Mes hommes n'iront pas plus loin. Vous devrez marcher plusieurs heures et vous perdre pour trouver les ents, c'est eux qui viendront à votre rencontre. Restez prudente dame Jaheira. Ces temps, le peu d'ents que nous avons croisé ne sont pas des plus amicaux.

Jaheira remercie l'intendant et le salua lui et ses hommes. Elle promit de revenir pour les informer de la décision des ents au plus vite. 

Celle-ci se tourna vers la sombre forêt qui s'offrait à elle, et, après une grande respiration, s'avança d'un pas décidé entre les arbres.

La canopée était si épaisse et la densité végétale si importante qu'une tension se dégageait de cet endroit, et conférait un sentiment presque menaçant à cette simple forêt. Un froid pénétrant accompagnait un silence presque dérangeant. Le moindre bruit était absorbé par la verdure. Comme si toute vie en s'était tue depuis des siècles.

Jaheira s'arrêta un instant pour contempler les arbres qui se dressaient tout autour d'elle. Elle essaya de distinguer le relief de la forêt entre les troncs, mais la densité couplée au manque de lumière ne lui laissa rien paraître. Jaheira continua d'avancer vers nulle part. Elle progressa difficilement, à grands renforts d'enjambées pour passer les divers obstacles naturels formés par l'entrelacement des racines, de pierres, d'épaisse mousse et de boue glissante.

Ce sol très escarpé la fatigua. A plusieurs reprises, Jaheira dût prendre une pause. Peu lui importait les difficultés rencontrées, rien ne la freinerait dans sa détermination. Il fallai qu'elle règle ça, et vite. 

Elle avança ainsi pendant ce qui lui semblait être plusieurs heures ou peut-être quelques minutes, elle n'arrivait pas à distinguer le chemin qu'elle venait d'emprunter et avait des difficultés à se remémorer l'obstacle qu'elle venait de franchir. Tout se mélangea : la lumière diffuse de la canopée trompait la position du soleil, ou peut-être était-ce déjà la lune ? Jaheira n'avait aucune information pour se localiser. Elle avançait vers ce qui lui paraissait être droit devant elle, sans s'arrêter et toujours sans entendre le moindre bruit, seul le craquement de ses pas sur les branches venaient briser la surdité ambiante. Au fur à mesure de son avancement, les efforts mobilisés et le parcours lui semblèrent de plus en plus rébarbatifs, plus lassant et plus laborieux. Lorsqu'elle trébucha pour la troisième fois sur une grosse racine, elle pesta, râla et s'énerva. N'entendant que brièvement ses propres protestations immédiatement absorbées par le silence alentour.

Elle continua de marcher longtemps. Soudain, au milieu de rien, elle sentit quelque chose. Une présence. Elle stoppa net sa progression et porta sa main au manche de son épée, prête à dégainer sa lame.

Elle se figea, afin d'identifier la source de cette présence et se concentra pour en détecter la source. Le moindre bruit, le plus petit souffle ou le plus insignifiant mouvement autour d'elle serait forcément entendu. Le silence persista. Aucun bruit, pas même un souffle de vent dans les feuilles, ou un cours d'eau, elle n'entendait rien, rien d'autre que sa propre respiration qu'elle tentait pourtant de minimiser. La présence s'appesantit.

Puis, le bruit d'une branche brisée résonna à quelques pas d'elle, en une seconde Jaheira dégaina son épée, prête à l'attaque.

Elle était seule. Il n'y avait rien, personne. Le silence à nouveau.

Jaheira relâcha sa respiration et se mit à avancer à pas lent, en direction du bruit qu'elle avait entendu.

Rien. Il n'y avait même pas de branche, ni même de feuille au sol.

Jaheira abaissa son épée, elle se sentit devenir folle. Dans quelle diabolique situation s'était-elle mise ? Elle se remit en marche, mais garda son épée en main.

Quelques pas plus loin, un nouveau bruit lui parvint, mais cette fois un peu plus loin, sur sa droite. La jeune femme se figea à nouveau, prête à l'attaque. 

Le bruit se reproduit. Mais cette fois, elle se surprit à paniquer. Elle était belle et bien suivie et se voyait difficilement éviter la confrontation en ce sol escarpé. En un regard, elle détecta autour d'elle plusieurs branches potentiellement exploitables à escalader pour échapper à tout danger imminent.

Après plusieurs tentatives d'identification infructueuse, elle décida de laisser la présence s'approcher pour mieux l'atteindre. Elle ferma les yeux et serra sa lame entre ses doigts, relâchant ses épaules pour feindre une certaine décontraction pour attirer son assaillant. Le bruit était différent à présent, plus lourd et plus long. Jaheira sentit le sol trembler sous ses pieds et se prépara à réagir.

Alors qu'un nouveau trouble la guetta tout près, elle sortit de sa concentration et en un instant fit volte-face, soulevant son épée et cria sur l'ombre qui s'était approchée. Elle projeta sa lame, qui vint se loger dans l'épaisse écorce d'un arbre. Elle glissa son regard vers la cime de l'imposant qui se présenta face à elle et écarquilla les yeux de la grandeur de cet individu végétal qui la dévisageait avec un regard menaçant.

Le visage de l'arbre se décomposa en une large bouche et une voix gutturale s'émana de l'arbre :

- Partez, dit-il d'une voix terrifiante.

L'ent s'approcha d'elle avec une lenteur et une force extrême, la faisant reculer. Jaheira tomba à la renverse et s'éloigna en rampant sur le dos alors qu'il progressait dangereusement vers elle, la chassant des lieux. 

- Attendez ! Dit-elle.

Enfin, l'ent l'enjamba pour finalement passer son chemin. Sur son sillage, Jaheira l'observa longuement, admirative et silencieuse, c'était la première fois qu'elle voyait un ent et en fut subjuguée. Elle observa la lenteur de ses mouvements, qui trahissait du poids de chaque pas qu'il posait au sol. L'ent usa ainsi de ses jambes formées de tronc pour marcher et s'éloigner.

- Attendez, seigneur ent ! Dit-elle.

L'ent maintint son allure, comme s'il ne l'avait pas entendu.

- Je viens de la part de Khalid Flyverin et...

L'ent maintint le silence et s'éloigna encore.

- Haldir Raggenstone ! Tenta-t-elle.

L'arbre s'arrêta, se retourna avec éloquence :

- Qu'avez-vous dit ?

- Seigneur ent, j'ai le malheur de vous annoncer le décès du capitaine, je viens vous porter son héritage, dit-elle en s'agenouillant respectueusement. Ne sachant quel protocole suivre devant ce genre d'individus.

L'ent ne trahit aucune émotion et ne bougea pas. 

Elle sortit l'enveloppe de son veston et la tendit à l'arbre avec espoir.

- Sa lettre, ses dernières volontés sont adressées à la cité d'Argent de Fangorn. Khalid Flyverin, intendant de Redwood, se refuse à l'accepter seul.

- La cité n'est plus.

- Seigneur ent ! Je dois vous remettre cela, insista-t-elle.

Jaheira posa son sac, elle en sortit les parchemins que comportaient les titres de Haldir, qu'elle trouva fort inutile pour un ent en cet immense lieu naturel. 

L'ent la regarda sans bouger, sans émotion.

Jaheira se sentit mal à l'aise de proposer quelques parchemins à un être si supérieur à elle. Alors elle se ravisa, dépitée. Devant le dépit de la jeune femme, l'ent tourna les talons.

Jaheira comprit qu'elle n'arriverait à rien ici et décida elle aussi de rebrousser chemin. Sa mission était déjà finie, les ents avaient refusé l'héritage, elle en informerait Redwood. Déçue, elle rangea son épée et se baissa pour remettre les parchemins dans son sac. En se baissant, sa cheville toucha sa lame, elle se rappela à son contact qu'elle possédait encore un dernier objet appartenant encore à son mentor. Elle se saisit de la précieuse dague qui ne la quittait plus et la regarda un instant avec douceur. Ici était le parfait lieu pour laisser le dernier objet qui lui restait de lui. Elle regarda l'ent partir et murmura avec émoi :

- Maître ent, je dois vous remettre ceci...

Malgré ses belles paroles empruntes d'émotion, l'ent ne s'était pas plus retourné et passait son chemin. La jeune femme refoula ses larmes et se retourna la dague sur elle pour s'entailler la main, en vue de laisser l'arme à l'ent selon la tradition enseignée par Haldir. Jaheira s'agenouilla et posa la dague au sol. C'était pour elle son dernier au revoir à son mentor.

Derrière elle, l'ent se figea et après un instant, il revint lentement sur ses pas. Espérant qu'il ait changé d'avis, sans doute plus intéressé par le mithril que par des titres de noblesse, Jaheira s'éloigna pour laisser l'ent vaquer. 

D'un ample mouvement, il se pencha, et avec une longue et fine branche articulée, similaire à un semblant de bras, se saisit de la dague que Jaheira avait déposée là.

- Gaïlind, souffla l'ent.

Jaheira s'arrêta nette, l'ent semblait vouloir communiquer.

- Qu'avez-vous dit ? Demanda Jaheira.

L'ent resta silencieux un instant :

- Haldir ? Demanda-t-il en présentant la dague.

- Oui, Haldir. Haldir me l'a donné.

L'ent tendit doucement son semblant de main vers Jaheira, c'était visiblement un signe de paix. La jeune femme eut peur de ce premier contact, mais intériorisa. Visiblement, la créature n'avait rien d'agressif, elle était bien trop lente pour pouvoir tenter une quelconque attaque. D'un bout de branche. L'ent toucha la main récemment entaillée de Jaheira et la blessure se résorba aussitôt, laissant une peau immaculée et indemne. La guérisseuse regarda sa main avec sidération, palpant sa paume parfaitement remise. De sa vie elle n'avait jamais été témoin de pareille guérison.

Sans prévenir, l'ent inspira et poussa un fabuleux chant qui résonna entre les arbres dans un écho pénétrant. Un son puissant, diffus et pourtant mélodieux, composé de quelques notes seulement, très longues et presque aériennes.

En un instant, Jaheira sentit le sol trembler. La forêt bougea tout autour d'elle et elle aperçut vite que des ents s'approchaient d'eux, les encerclant, avaient-ils été là tout ce temps ? Ils semblaient sortis de nulle part. Hêtres, bouleaux, chênes, frênes, noisetiers apparurent. Jaheira ne dénombra pas moins de seize individus.

Déboussolée, Jaheira ne sut faire la part de rêve et de réalité dans le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Le premier ent qu'elle avait rencontré se tourna vers ses compères et leur présenta la dague. Aucune émotion ne transparut, pas le moindre bruit, mais tous furent captivés. Enfin, les ents chantèrent entre eux, dans des bribes de son incompréhensibles, un chant céleste. Après ce long entretien, l'ent rencontré se tourna vers Jaheira :

- Qui êtes-vous ?

Le langage de l'ent retrouvait peu à peu de sa fluidité, mais restait très lent.

- Je m'appelle Jaheira, dit-elle en s'agenouillant. J'étais la pupille du commandant Haldir Raggenstone.

- On me nomme Silverbarbe. Je suis le gardien de cette forêt, dit l'ent en se courbant des plus poliment. 

Jaheira regarda l'ent avec un respect immense. Malgré qu'aucun d'entre eux ne semblait lui vouloir du mal, elle n'avait cessé de serrer le manche de sa lame entre ses doigts, pourtant bien inutile face à ces colosses.

- Cette dague... appartenait à Gaïlind, dit l'ent.

- Haldir me l'a donné... Seigneur Silverbarbe, vous devez me suivre à Redwood, l'intendant...

- Non.

- Les elfes vous sont encore loyaux.

- Traîtres.

- Je... Seigneur Silverbarbe, j'ignore tout de votre passé. Mais Haldir voulait que vous leur parliez. Je suis intimement convaincue qu'il souhaitait faire renaître votre alliance. Laissez-leur une chance, je vous en prie.

L'ent se mura dans un nouveau silence.

- Pourquoi les rejetez vous ?

- Traîtres.

- Mais qui ?

- Le magicien ! Répondit l'ent d'une voix puissante et coléreuse. Il est arrivé à Fangorn, pour "apprendre des ents". Il est tombé amoureux de Gaïlind... Il tomba amoureux de celle qu'il devait protéger. Il vint s'établir en nos terres pour rester auprès d'elle. Un homme intelligent et avide. Il la séduisit pour qu'elle tombe à son tour amoureuse de lui.

- Qui était le magicien ?

- Pallando le bleu... Il a séduit Gaïlind jusqu'à ce qu'elle devienne une elfe. C'est en succombant à ses charmes qu'elle a développé le pouvoir de prendre forme elfique. Il a fini par réussir, elle nous a finalement imposé son enveloppe humaine pour partir retrouver son amant en exil.

Khalid n'avait jamais mentionné cela. L'intendant tenait même Pallando en estime. Elle essaya de démêler le vrai du faux, ignorant encore pourquoi les ents la prenaient ainsi à parti, elle, l'étrangère... Haldir devait vraiment avoir une influence importante sur les ents à l'époque pour qu'il accepte d'échanger avec elle.

- Et Haldir ? Où était-il ?

- Le magicien et Raggenstone étaient de très proches amis, c'est lui qui l'amena à Fangorn et lui présenta Gaïlind. A peine Pallando l'eut-elle rencontré qu'il se mit à son service et rejoint ses rangs. Et l'humanité envahit Gaïlind, son caractère entique s'estompa à mesure qu'elle s'exposait un peu plus aux charmes du magicien. Son pouvoir et sa force diminuaient à mesure qu'en elle l'amour grandissait. Nous n'encouragions pas Gaïlind dans cette idylle. Ainsi Pallando la piégea dans son enveloppe elfique.  

- Et l'elfe de l'Est ? Le commerçant d'argent ? Qu'en disait-il ?

- Nous ne prononcerons pas le nom de cet homme maudit en ces terres.

- Qui était-il ? Répondez-moi !

- Un traître. Dès son arrivée, ce soldat se montra tout aussi dévoué que le capitaine Raggenstone et consacra lui aussi sa vie à la protection de notre peuple et de notre forêt. Il fut le premier elfe pour qui Gaïlind se prit d'attachement, et c'est ensemble qu'ils trouvèrent les premiers gisements d'argent. C'est ce même elfe qui l'a convaincu d'exploiter cette richesse en échange d'une armée pour la cité. Mais sa promesse ne tint pas longtemps, dès que le temps lui fut opportun, le seigneur elfe s'empara de cette armée et aucun ne revint. Tandis que nous étions au plus faible, le magicien orchestra tout et nous fûmes sauvagement et lâchement assaillis. Nous décidâmes alors nous, ents, de partir, pour notre survie.

- Mais les elfes ne vous voulaient aucun mal, pourquoi n'êtes-vous pas revenus ?

- Jamais nous ne retournerons en ces maudites terres, déclara Silverbarbe. Ce sont les elfes qui ont provoqué notre chute et notre exil. Gaïlind a été corrompue par ces misérables qui espéraient ainsi voir la fin des ents, c'est à cause des elfes que Gaïlind nous a trahi. 

- Gaïlind ne vous a pas trahie !

- Elle s'est enfuie, elle s'est enfuie sous forme humaine et nous a abandonné, nous, son peuple !

Jaheira se tut. Silverbarbe lui faisait peur à présent car la colère s'emparait de lui et le consumait avec une vivacité telle que des bribes d'écorce tombaient de lui. Elle ne souhaitait en aucun cas froisser les ents, et ne se risqua pas à défendre Gaïlind qui avait fait des choix douteux, voir suspicieux compte tenu des circonstances :

- Où s'est-elle enfuie ?

- Vers le Nord, chez celui qui avait juré de la protéger. 

- L'elfe commerçant ? Demanda Jaheira.

- Le seigneur des hommes. 

De ce qu'Haldir lui avait raconté de l'Histoire des hommes, il n'y avait jamais eu de seigneur des hommes au Nord, c'était d'ailleurs une région largement dominée par les elfes... Soudain, Jaheira se décomposa. Impossible, il était impensable que les ents aient pu un jour s'associer d'une quelconque façon à ce seigneur là, mais Jaheira ne voyait pas d'autres alternatives.  

- Vous parlez... de Sauron ? Balbutia-t-elle sans y croire.

- Annatar. En tout temps il se montra généreux et protecteur vis à vis de notre communauté.

- Mais c'est Sauron qui a tué Gaïlind ! Intervint Jaheira qui contint sa rage.

Gaïlind la grande gardienne des ents était proche de Sauron. Jaheira se trouvait, en cet instant sur les terres d'anciens alliés du roi-sorcier d'Angmar, le seigneur des ténèbres. Subitement très mal à l'aise, et se sentant en danger, Jaheira eut le souffle court et pesa chacun de ses mots et des gestes. Il fallait qu'elle s'en aille. Elle s'efforça de dissimuler au mieux son effroi et son embarras, mais un mélange de rage, de colère et de profond chagrin venait de subitement l'envahir. Dans un espoir vain, elle regarda Silverbarbe dans les yeux, espérant y faire passer toute sa sincérité :

- Les elfes ne vous veulent aucun mal. Gaïlind ne vous a pas trahi. Sauron a corrompu son esprit et l'a attiré dans un piège pour la tuer.

- Le débat n'a plus lieu d'être aujourd'hui, dit l'ent avec sévérité, déçu de la réaction de la jeune femme.

- Seigneurs ents ! C'est Sauron qui a envoyé l'armée d'Angband et du Mordor pour mettre Fangorn à sac ! C'est Sauron qui a tout orchestré ! C'était un piège !

Silverbarbe avait écouté Jaheira mais ce dernier était visiblement lassé de cet échange qui prenait une tournure désagréable. Jaheira se trouva à court d'arguments, toujours sur ses gardes, elle chercha à comprendre la logique derrière l'histoire. 

- Sauron souhaitait tuer Pallando, pas Gaïlind. Sauron souhaitait nous sauver, déclara Silverbarbe.

- Que dites-vous ?

- Annatar n'était pas à Fangorn le jour de la Grande Attaque, il est resté au Nord. Lorsque Gaïlind est partie, celui qu'elle fuyait était bien Pallando. Annatar n'a envoyé ses armées que pour chasser le magicien. Mais Pallando a poursuivi Gaïlind jusqu'au Nord, pour la tuer.

Jaheira se révulsa. Le magicien se révéla être plus diabolique encore que Sauron. Mais quelque chose ne fonctionnait pas dans ce scénario. 

- C'est impossible. Quel intérêt pour Pallando de tuer Gaïlind ? Pourquoi Sauron ne l'a-t-il pas tué à Fangorn de sa propre main ? À moins que... Pallando ait été de mèche avec Sauron, pour tuer Gaïlind.

Ce scénario tombait sous le sens. Jaheira eut presque le vertige de tant de colère et de dégoût vis à vis du magicien qui avait trahi les Istaris ainsi que tous leurs alliés, y compris Haldir.
La nouvelle information de la traîtrise de Pallando dans les évènements lui apparut primordiale et Jaheira devrait en référer à Khalid au plus vite. Mais elle n'en oublia pas ce qui l'avait amené en ces terres. Sentant la conversation terminée, fier que la jeune femme se soit jointe à leurs dires, l'ent lui rendit la dague. 

- Gardez la, dit l'ent.

Elle se surprit de leur générosité. Cette dague était plus que précieuse pour elle.

- Seigneurs ents, que ferez-vous de son héritage ? Dit-elle en regardant la lame.

- Son don nous est plus que précieux, dit-il en la regardant. Et nous lui en sommes à jamais redevable, répondit l'ent en la regardant.

Jaheira déposa son sac rempli de parchemins, elle ne comprit pas le soudain intérêt de l'ent pour de simples titres honorifiques. Soulagée que leur débat prenne fin, elle salua l'assemblée. 

- Maîtres ents, vous rencontrez fut un réel honneur pour moi, témoigna Jaheira en les saluant d'une révérence. 

Elle tourna les talons en vue de rebrousser chemin.

- Où allez-vous ? Interrogea Silverbarbe.

Jaheira fut surprise de la question :

- Je dois me retirer maîtres ents. Je m'en vais prendre part à la guerre au Nord, répondit Jaheira.

- Vous ne pouvez prendre part à la guerre. 

- Comment ? S'étonna Jaheira. 

- Les ents ne s'immiscent jamais dans la guerre des peuples.

Il ne s'agissait là que de sa personne, elle n'avait jamais sollicité les ents pour lui venir en aide.

- Nous vous avons attendu tant d'années. Vous ne pouvez partir ainsi, dit Silverbarbe.

- Moi ? S'étonna Jaheira.

- Vous êtes une ent.

- Pardon ? Réprouva Jaheira.

Les ents restèrent là, impassibles, murés dans le silence de la forêt. Tous la dévisageaient.

- Cela est impossible, déclara Jaheira, constatant l'ent désorienté avec le temps.

Ils ne répondirent pas. Le silence s'imposa. Leur longue et inhabituelle conversation devait avoir dérangé l'ent millénaire. 

- Nous avons tous ressentis votre sang. D'abord au Sud, il y a plusieurs mois, puis au Sud-Est plus récemment. Nous nous sommes mis en quête de vous, nous sommes partis jusqu'au Rohan pour vous retrouver.

Jaheira se figea sur place. Si Khalid disait vrai au sujet de la vie en autarcie des ents, il était impossible pour eux d'avoir été mis au courant si vite des dernières batailles qui avaient fait rage il y a quelques semaines encore. Et comment pouvaient-ils savoir pour ses blessures ?

- Vous êtes une ent, Jaheira, la descendante de Gaïlind.

- C'est impossible, s'agaça Jaheira.

- Vous avez été révélée au Gondor.

La jeune femme reçut l'information telle une violente claque. Alors que tous les ents la dévisageaient en silence, elle se sentit soudainement seule et menacée. Seul Gandalf et Legolas demeuraient au courant de cet évènement. Se sentant manipulée, la jeune femme entra dans une vive colère. Lassée de ce délire collectif, elle entreprit de rebrousser chemin vers Redwood avec empressement. Tous la regardèrent s'éloigner en enjambant difficilement de nouvelles racines. Mais la jeune femme ne put contenir sa rage d'être ainsi dupée et revint se poster en face d'eux :

- Mes parents étaient des soldats, des soldats honorables tombés au front, je ne vous laisserai pas salir leurs noms ! Mon père était un homme de L'Ouest et ma mère une elfe du Nord, tous deux étaient de vaillants soldats de la Lórien. Seigneur ent, tout cela n'est...

- Vous lui ressemblez en tout point, continua Silverbarbe.

Tout cela relevait du délire. Peut-être était-elle encore en train de perdre la tête seule dans les bois.

- Gaïlind était votre mère, conclut l'ent.

La vie elle-même sembla quitter la jeune femme. Figée, elle trembla de peur, ce scénario la happa subitement. Un mélange de panique, de colère et d'émotion se bouscula en elle. Subitement à bout de forces, elle se tourna vers eux, dépossédée de toute énergie. Cela était trop. 

- Gaïlind était votre mère et Haldir le savait, conclut l'ent.

Epuisée, Jaheira sentit des larmes couler sur ses joues. Son cœur se serra. Cette dernière réflexion faisait du chemin en elle. Était-ce là la raison pour laquelle Haldir voulait qu'elle revienne ici ?

- Qui aurait été mon père... ? Demanda-t-elle, totalement perdue. 

- Gaïlind était un ent. Vous avez une apparence elfique.

- Le commerçant ? Répondit-elle.

- Pallando le Bleu... Il était le seul à avoir toutes les faveurs de Gaïlind en ces temps.

Tout ce qu'elle avait toujours cru de ses parents fit balayé en un instant et Jaheira se sentit soudainement si abattue de leurs dires qu'elle manqua de défaillir. Elle se figea pour réfléchir. 

- De quelle couleur étaient les yeux de Gaïlind. Et de Pallando ? 

- Gaïlind avait de longs cheveux brun ébène et des yeux sombres. Pallando avait les yeux bleu.

- Les yeux bleu sont un gène dominant chez les elfes, contra Jaheira.

- Chez les ents, ce sont les gènes du parent féminin qui sont dominants. 

Jaheira se crut délirer pendant un instant. Sa tête tourna. Elle ne savait plus où aller. Cela expliquait tout : ses traits d'elfe de l'Ouest, son besoin de sommeil régulier, ses prédispositions pour les runes antiques, sa longévité inexpliquée malgré son sang mêlé, sa possible révélation entique ainsi que son caractère impétueux, même son défaut de vision trouvait là une explication valable. Elle n'était pas mi-elfe mi-homme, mais bien mi-elfe mi-ent.

- Mon père a trahi ma mère..., répéta-t-elle comme pour s'en convaincre. Haldir. Haldir était mon mentor, leur ami. Haldir connaissait mes parents ? S'effondra-t-elle une nouvelle fois.

Tout se bousculait dans sa tête : voilà la véritable raison de sa présence ici. Toutes les planètes s'alignaient. Haldir savait tout depuis le début, il avait veillé sur elle toute sa vie en vue de la voir revenir à Fangorn. Mais pourquoi avoir attendu son trépas ? Pourquoi tout lui avoir caché ? Celeborn savait-il aussi ? Galadriel ? Et Elrond ? Qui d'autre encore était au courant ?

Les ents restèrent spectateurs du bouleversement de la jeune femme. Celle-ci se reprit soudainement, cela ne pouvait rien avoir de réel :

- Seigneurs ents. Je dois vous quitter. Si ce que vous dites est vrai, je vous promets de revenir.

- Vous êtes ici chez vous dame Jaheira, dit Silverbarbe en s'inclinant. 

C'était la première fois que quelqu'un pliait le genou devant elle et cette scène la terrifia. Elle ne saisit pas l'ampleur de la nouvelle qu'elle venait d'encaisser et se mit en route en direction de la lisière de la forêt, que les ents lui indiquèrent avec bienveillance et courtoisie. Soudain, comme pour à nouveau se convaincre de la réalité de cet instant, Jaheira se mit à courir entre les arbres, prise de panique. Elle courut ainsi à travers les bois soudainement devenus plats et sans s'arrêter, ni se retourner, et en à peine quelques foulées, se retrouva en lisière de la forêt de Fangorn, comme si une force l'avait poussée au dehors.

Elle tomba en sortant des bois et serra la terre fraîche entre ses doigts. Tout cela avait-il vraiment eu lieu ? Avait-elle vraiment rencontré les ents de Fangorn et leur avait présenté la dague de Haldir en héritage ? Était-elle vraiment la fille de Gaïlind et de Pallando ? Ne voyant personne, et découvrant le lever du soleil, elle retrouva son cheval attaché là et se mit en quête de trouver des réponses à ses questions.

- Direction la Lórien, ordonna-t-elle entre ses dents.

Elle le héla au galop et traça plein Nord, sans même penser à informer Redwood de ses récents apprentissages, elle avait bien d'autres réponses à obtenir à présent.

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