Chapitre 22 : Frodon Sacquet

Cela faisait des mois que Gandalf et Jaheira se relayaient jour et nuit dans la chambre du hobbit encore affaibli. Frodon s'était réveillé par six fois et avait, malgré l'absence de danger, hurlé et convulsé de peur avant de s'évanouir ou de se calmer sous l'effet du lait de pavot que Jaheira lui faisait absorber en cas de tétanie.
Depuis cinq jours maintenant, Frodon dormait. Se réveillant par intermittence et replongeant aussitôt dans un sommeil profond sans réaliser la frontière entre le rêve et la réalité.

Ce matin-là, Gandalf vint la relayer. Elle quitta la chambre pour amener des linges à l'apothèque. La guérisseuse tenait à peine debout, sa fatigue commençait à sérieusement se manifester. A présent, chaque repos se solvait en un terrible cauchemar, ponctué par le cavalier noir qui la regardait agoniser. La guérisseuse se fit une nouvelle fois violence et réprimanda sa fébrilité pour tenir bon. Alors qu'elle frottait fébrilement les gazes dans l'évier, elle s'accorda un répit de quelques secondes et ferma les yeux un instant, voûtée sur son linge à tremper, espérant recouvrer son énergie au cours de cette bribe d'instant.

Legolas entra sans un bruit dans l'apothèque. Il contempla à nouveau la superbe pièce qui s'offrait à lui et aperçut Jaheira de dos, immobile face au lavoir.

-  Dame Jaheira ?

Sa voix la sortit de ses pensées, elle se retourna et Legolas découvrit la lividité de son visage et de ses mains. La guérisseuse avait changé, ses longs cheveux bouclés était à présent grossièrement attachés et on la décelait emprunte de grandes angoisses. Ce spectacle le bouleversa. 

- Commandant Legolas, salua-t-elle d'une voix égarée,

Il s'approcha d'elle avec empressement, s'attendant à devoir rattraper la jeune femme qui pourrait s'évanouir à tout instant.

- Est-ce que tout va bien ? S'inquiéta l'elfe en la regardant.

- Il est très faible, répondit Jaheira en parlant de Frodon. Je dois retourner à son chevet, il a besoin de soins.

Jaheira s'éloigna mais Legolas lui attrapa le bras.

- Vous devez vous reposer, vous êtes à bout de force.

Jaheira resta silencieuse, adressa un long regard silencieux à Legolas, puis répondit :

- Frodon m'attend.

Legolas relâcha son étreinte et regarda la guérisseuse s'éloigner avec dépit.

Elle l'ignorait, mais Aragorn, Gimli, ainsi que Merry et Pippin étaient également arrivés à Fendeval et campaient devant la chambre de Frodon, attendant de s'enquérir de l'état de leur ami. Les compagnons patientèrent ainsi fébrilement en silence sur le parvis de l'apothèque des jours durant sans que Jaheira ne les croise.

Les jours passèrent et aucun compagnon n'osa bouger. L'inquiétude y était palpable. Tous fumaient fébrilement ou faisaient les cent pas, attendant des nouvelles du hobbit. Sam s'était réveillé au bout de vingt jours de sommeil sans discontinu et avait enfin réussi à sortir de sa chambre après des semaines. Ses amis l'avaient retrouvé avec joie et soulagement. Mais malgré tout ce bonheur qui l'entourait, le hobbit fixait le sol avec un regard vide, ne sortant de sa contemplation que pour faire quelques pas, et se raviser à s'asseoir, faute de pouvoir tenir debout plus longtemps. Ses compagnons le questionnèrent sur son aventure, mais le jeune hobbit avait préféré ne rien raconter, comme s'il avait peur que son ami ne tombe avec la fin de l'histoire.

Jaheira quitta la chambre de Frodon sans un bruit au petit matin et traça jusqu'à sa chambre sans apercevoir les compagnons. Elle s'accorda finalement une bonne nuit de sommeil réparateur et ne rêva pas. Le jour levé, encore épuisée mais se sentant mieux, elle réemprunta le chemin de l'apothèque pour s'enquérir de nouvelles de Frodon. A peine avait-elle faut quelques pas sur l'esplanade que Gimli l'interpella :

- Bougre de bouc, vous êtes la plus dure à cuire que j'ai jamais rencontré !

- Gimli ? S'écria Jaheira.

Le nain se montra d'abord timide, puis ouvrit largement les bras pour étreindre la jeune femme, elle se laissa faire, il n'était pas de bon goût de réfréner l'hospitalité des nains et apprécia finalement ce geste qui la réconforta. Merry et Pippin s'associèrent à leur retrouvaille. Elle leur embrassa le crâne et remercia le ciel pour lui avoir renvoyé ses deux-là sains et saufs. Jaheira s'exalta en retrouvant Aragorn. Après s'être respectueusement courbée devant lui, il la prit dans ses bras avec respect. Legolas qui était resté à l'écart, observa de loin la guérisseuse sans s'approcher.

- Comment va Frodon ? Demanda Aragorn.

- Il est en état de choc, il se rétablit très doucement... Je m'apprêtais à prendre de ses nouvelles. Attendez-moi ici.

Jaheira pénétra dans la chambre de Frodon où Gandalf faisait les cent pas, elle ferma la porte derrière elle. Au bout d'une heure environ, elle se présenta sur le seuil de la porte et fit un pas en arrière pour laisser le champ libre, les invitant à entrer. 

Sans attendre, tous se précipitèrent dans la petite chambre. Des cris de joie et des rires irradièrent instantanément la pièce et résonnèrent dans toute la cité. Nul ne s'attendait à retrouver Frodon si rayonnant après un tel calvaire, mais les soins de la guérisseuse semblaient une nouvelle fois avoir fait des miracles. La guérisseuse se retira pour laisser de l'intimité à ces compagnons d'infortune. 

Frodon s'était très bien remis. Il n'avait plus besoin d'être autant surveillé, alors la guérisseuse profita de ce court instant de solitude pour prendre un peu de temps pour elle et errer dans le familier et reposant palais de Fondcombe. Elle emprunta le chemin de la bibliothèque, puis traversa la salle des écritures et la salle du Conseil, un chemin fort familier qu'elle empruntait machinalement avant. Elle savoura avec délectation la douce lumière de cette fin de journée ainsi que la fraîcheur de la nuit qui commençait doucement à enrober les lieux. Elle savoura l'instant avec un sentiment nouveau : cette nuit de sommeil lui avait fait le plus grand bien, Frodon était hors de danger et tous étaient là, enfin réunis.

En se rappelant de tout cela, elle sentit le passé s'éloigner derrière elle. Alors qu'elle continuait son errance, son regard fut attiré par une délicate lumière qui perçait par une fenêtre de la salle des fresques, en s'approchant, elle s'aperçut que cette lueur était le reflet d'un grand parterre de fleurs de safran qui avait été planté en son absence, plusieurs botanistes étaient à l'œuvre, cueillant là ses plantes très délicates. Malgré les torpeurs dans lesquelles elle s'était enfermée ces dernières semaines, elle constata que la vie continuait et avait même repris le dessus. A présent, plus personne ne semblait avoir besoin d'elle pour alimenter l'apothèque, et elle se réjouit de la transmission réussie de ses savoirs avec les botanistes de la région. Son constat la perturba autant qu'il la ravit : même si elle était ici chez elle, elle ignorait tout de ce qui allait advenir de son futur à présent, elle ne faisait plus partie de la cour, ne dépendait plus d'aucun royaume et devait à présent s'occuper sur son avenir.

La jeune femme poursuivit sa balade jusqu'à la salle des armes, où chaque mur abordait les dessins des légendes du peuple des elfes : le chant des premiers elfes pour Ulmo, la bataille de Dagorlad et la défaite de Sauron par Isildur. Elle passa devant le présentoir de l'épée Andúril, désormais dépourvu de sa lame, l'acier ayant été réutilisé pour forger la nouvelle épée d'Aragorn en vue de son règne au Gondor. Elle s'approcha d'une des fresques elfiques qui relatait de la légende des premiers valar.

Legolas arriva dans la salle et se joignit silencieusement à sa contemplation, juste à côté d'elle. C'est elle qui choisit de rompre leur silence :

- Je crois que l'heure est venue pour moi de quitter Fondcombe. 

L'elfe ne réagit pas, restant à fixer l'œuvre. Il était bien au fait que Jaheira comptait s'enrôler pour rejoindre les armées du Mirkwood.

- Legolas, j'ai besoin de savoir. Racontez-moi ce qui est arrivé à Pellenor... S'il vous plaît.

L'homme la dévisagea soudainement, trahissant un trouble encore vivace.

- Mes souvenirs se jouent de moi, déclara Legolas. 

- Je vous en prie...

L'elfe se perdit dans sa concentration, il ne semblait lui-même pas croire un traître mots de ses paroles.

- Le Nazgûl s'est saisi de vous, puis s'est envolé. Vous êtes tombée... une chute depuis le ciel. Vous n'auriez pas pu survivre. Puis ce cavalier noir...

- M'a tué... de ma propre dague dans le cœur, compléta-t-elle.

- Il... il vous a d'abord rappelé à la vie, vous vous êtes réveillée, puis cette dague...

- Comment sommes-nous arrivés à Minas ? Insista-t-elle.

- Il vous a porté à bout de bras, compléta Gandalf qui apparut derrière eux. Et avec une performance physique exemplaire, je dois l'avouer.

L'elfe se mura dans son humilité. Gandalf approcha :

- Il vous a porté et a couru sur plusieurs lieux d'une traite pour vous mettre en sécurité.

Jaheira dévisagea le commandant, une fois de plus inexpressif.

- Pourquoi ne suis-je pas morte ? Questionna-t-elle.

- Bien qu'ils en aient toujours rêvé, les cavaliers noirs n'ont pas le pouvoir de résurrection, nul ne le possède, et les cavaliers noirs n'ont pas plus de pouvoir de guérison.

Gandalf s'adressa à Legolas :

- Ce qui m'est difficile à comprendre, c'est que je vous ai vu la porter vers moi, à bout de bras, inconsciente et gravement blessée, et un instant plus tard, je vous ai vu, saine, sauve, et indemne tout comme je vous vois ici. Qu'avez-vous fait ?

Legolas leur tourna le dos, confessant de folles paroles.

- Vous avez fermé les yeux, votre corps a "brillé", puis vous vous êtes éveillée.

- "Briller" vous dites ? Insista Gandalf.

- Comment ? Renchérit la guérisseuse. Legolas, dit-elle en lui prenant le bras, auriez-vous un quelconque pouvoir de... ?

- Qui était vos parents ? Coupa Gandalf en la regardant elle.

Elle ne comprenait pas en quoi cela été lié à cette histoire. 

- Je... 

- Où êtes-vous née ? Comment êtes-vous arrivée jusqu'en terre des elfes ? Insista Gandalf avec autorité.

La jeune femme se sentit soudainement menacée par le ton du magicien :

- Que savez-vous... ? Demanda-t-elle inquiète.

- Les esprits de régénération sont des êtres complexes. 

Le magicien s'interrompit alors que son regard tomba sur une des armes d'exposition de la salle. Il retrouva instantanément son calme :

- Avez-vous conservé la dague ? Celle que le cavalier vous a planté dans le cœur ? Demanda-t-il avec un ton soudainement très courtois.

Jaheira se baissa, se saisit de sa lame qui ne quittait plus sa botte et la tendit à Gandalf qui l'examina soigneusement :

- Du mithril, conclut-il. Vous devriez rapporter cette arme-là d'où elle vient, dame guérisseuse, dit le magicien en lui rendant sa lame. 

Elle l'interrogea du regard.

- Partez vers la cité de Redwood, près de la forêt de Fangorn. Vous y trouverez, je le crois, de nombreuses réponses à vos questions, déclara Gandalf. 

Jaheira regarda sa dague :

- C'est là que je dois porter l'héritage de Haldir.

- Coïncidence intéressante, mais j'appellerai cela du destin, dit-il avec un sourire malicieux avant de partir.

- Gandalf, attendez ! Interpella Jaheira. Qu'est-ce qu'un esprit de régénération ?

- Vous l'apprendrez bien mieux de leurs bouches que de la mienne, dit-il avant de partir.

Une fois seuls, la guérisseuse se tourna vers Legolas.

- Commandant Legolas, je vous dois la vie.

- Vous avez sauvé bien des vies ce jour-là. Vous ne me devez rien, dit-il avant de partir à son tour.

Sur le départ, l'elfe se retourna pour lui demander :

- Vous joindrez-vous au couronnement d'Aragorn ?

Jaheira n'y avait même pas pensé.

- Vous faites partie de cette quête, dit Legolas en elfique.

Legolas partit, laissant Jaheira réfléchir sur cette improbable conversation avec le magicien qui était à présent introuvable pour répondre au torrent de questions qu'elle avait.

Avide de réponse, la jeune femme fouilla toute la nuit la bibliothèque à la recherche d'ouvrages, mais ne trouva que peu d'informations sur les pouvoirs d'auto-guérison, ils n'étaient l'apanage que de mages disparus. Elle décida alors de repartir se reposer, ses idées n'étaient plus tout à fait claires et sa tête, peu propice à de nouvelles découvertes.

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