Chapitre 19 : Le camp de Pelennor

Après des jours d'un voyage éreintants, Jaheira arriva seule à Pellenor, où les armées alliées des hommes s'étaient rassemblées en marge de Minas Tirith, citadelle du Gondor.
Ce long trajet l'avait calmé, et après la colère, puis le déni, était venue l'acceptation. Si la guerre faisait rage, elle irait donc se battre et soutenir les rangs, c'était son devoir et son honneur. C'était pour elle le seul moyen d'aider Frodon et la communauté à se sortir de la quête qui les incombait. En chemin, elle avait enfilé son armure de plates et était désormais prête à rejoindre les rangs de l'armée des hommes en tant que mercenaire, elle serait peut-être la seule de la Lórien, mais elle n'en avait que faire : pour être restée des années éloignées du combat, elle se savait aujourd'hui au bon endroit et vivrait chaque instant comme un hommage à Haldir qui s'était lui aussi battu toute sa vie pour les causes qui lui tenait à cœur.

Jaheira apparut sur le camp sans bandeau ni artifice pour la dissimuler, laissant au contraire ses longs cheveux bruns ondulés détachés en guise de revendication de sa race et de son genre. Les soldats qu'elle croisa furent passablement étonnés de voir une femme, qui plus est une elfe en armure prendre part à leur combat. Si seulement ils savaient la chance qu'ils avaient de l'avoir ici, quand les plus grands royaumes elfiques s'arrachaient ses savoirs, elle, s'affichait là telle une elfe exotique au comportement solitaire. Elle se fit indiquer le campement du Rohan et le rejoint, espérant peut-être y retrouver Aragorn. Après quelques heures de recherche, Jaheira retrouva l'ancien rôdeur, installé dans une tente spartiate.

- Dame guérisseuse ? S'étonna ce dernier de sa présence.

- Je viens me battre dans vos rangs, si vous acceptez mon soutien en cette guerre, dit-elle avec la main sur le cœur.

- Votre présence ici est un immense honneur, mais je n'ai nul droit de vous enrôler.

- Laissez-moi vous aider. Comme Haldir l'aurait fait.

Aragorn s'approcha d'elle et lui posa une main fraternelle sur l'épaule.

- Comme un ami, confirma-t-il.

Elle sourit.

- Appelez-moi Jaheira.

L'homme la gratifia d'un regard reconnaissant. Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la tente d'Aragorn, Eowin entra à son tour. Aragorn les présenta et la guérisseuse reconnut de suite la femme qu'elle avait croisé au gouffre de Elm. Eowin sembla impressionnée de la découvrir en armure, mais Jaheira ne prêta aucune attention à sa surprise, bien habituée à ce regard.

Merry entra à son tour dans la tente et se jeta dans les bras de la dame de Lórien en la voyant. Sa présence avait toujours été symbole de bonne augure et sa douceur avait quelque chose de rassurant. Elle s'assura, avec un sentiment presque maternel, que le hobbit allait bien. Il lui raconta leurs déboires à Elm, en Isengard et au Gondor, et la rassura sur la sécurité de son cousin Pippin. Jaheira apprit la fuite de Sam et Frodon, introuvables depuis des mois. Après une longue discussion, Aragorn partit voir le roi du Rohan et Merry prit congé de Jaheira pour se rendre à l'armurerie avec Eowin, bien déterminé lui aussi prendre part au combat. Eowin indiqua à Jaheira où trouver Legolas et Gimli, que Jaheira s'empressa de rejoindre.

La guérisseuse ne fut pas étonnée de la réaction de Legolas qui se décomposa à sa vue.

- Que faites-vous ici ? La sermonna-t-il.

- Je suis venue me battre, répondit-elle avec aplomb.

- Jaheira vous...

Elle savait pertinemment qu'il serait une nouvelle fois en totale désapprobation, visiblement l'elfe n'avait pas mûri sa réflexion la concernant, même après Elm. N'étant pas d'humeur à se justifier, et sachant parfaitement ce que l'archer s'apprêtait à dire, elle lui coupa la parole :

- Commandant Legolas, je ne suis nullement venue pour les honneurs ou pour prouver quoi que ce soit à quelqu'un. Je suis venue pour Frodon, pour Sam, pour Aragorn, pour Haldir, pour la communauté, pour tous ceux qui se battent pour les causes justes. Je suis membre de la Garde Royale et je suis affranchie de toute autorité. Je suis apte au combat et demain matin je me rendrai sur le front, pour soigner et pour me battre, avec ou sans votre approbation.

Legolas resta silencieux, sans réaction. Ce dernier s'approcha de Jaheira et soutint son regard avec autorité. Puis après une expiration de dépit, il souffla :

- Haldir serait honoré de qui vous êtes devenue.

Jaheira cilla du regard perçant du commandant et prit congé de l'elfe. Il la regarda s'éloigner, telle la femme déterminée qu'elle était.

La jeune femme sortit de la tente. Elle ne savait pas à quoi elle s'attendait en venant ici, mais pas à cela. Elle aurait voulu parler à Legolas et lui demander son affectation dans les rangs du Mirkwood, mais l'elfe ne la considérait encore aujourd'hui que comme une chose, comme un bien à protéger plus qu'une guerrière et elle s'en agaça. Si elle s'enrôlait maintenant auprès de Legolas, il pourrait lui ordonner son repli. Elle ne supporterait pas une énième mise en retrait, le temps n'était pas à la fuite. Alors, Jaheira décida de repousser sa demande d'allégeance au Mirkwood à un temps plus opportun. Sur le chemin, Jaheira croisa Eowin et Merry qui sortaient fièrement de l'armurerie où Merry s'était procuré un équipement à sa taille. Alors que le hobbit s'éloignait, la guérisseuse surprit une conversation entre Eowin et un cavalier du Rohan, qu'elle apprit plus tard être Eomer, le capitaine de la garde :

- Tu ne devras pas l'encourager.

- Toi tu ne devras pas douter de lui, répondit Eowin.

- Je ne doute pas de son courage, mais de la portée de son bras.

- Pourquoi est-ce que Merry devrait rester à l'arrière, il a autant de raisons d'aller à la guerre que vous. Pourquoi ne devrait-il pas se battre pour ceux qu'il aime ?

- Tu en sais aussi peu sur la guerre que ce hobbit. Quand la peur prendre ses tripes, oui la peur, quand le sang, les cris, l'horreur de la bataille fera fureur. Crois-tu qu'il restera et qu'il se battra ? Non. Il s'enfuira et il aura bien raison. La guerre est le domaine des hommes Eowin.

Eowin fut si vexée qu'elle partit sans dire un mot.

Jaheira était d'accord avec cet homme, la guerre était quelque chose de terrifiant. Même pour une combattante préparée comme elle. Elle s'était d'ailleurs surprise à trembler de tout son être à Elm. Mais la guérisseuse était également réceptive à l'argument d'Eowin pour avoir été elle aussi mise en retrait des affrontements durant des années. Non, la guerre n'était pas qu'une affaire d'hommes, elle était une affaire de société, de soldats comme de civils. Elle se montra compatissante de la jeune femme, mais ne préféra ne pas s'en mêler, elle qui connaissait que trop bien la misogynie en ce qui concernait la guerre, préféra s'abstenir de tout conseil et de toute remarque déplacée en ces lieux et passa son chemin. Un seul combat à la fois.

La nuit tomba et Jaheira profita de ce répit pour s'isoler. Elle était là où elle avait toujours voulu être : du côté du bien, celui de la dignité. Elle ne regrettait nullement de s'être engagée. Demain, elle porterait secours aux braves combattants et pourrait ainsi essayer de limiter les pertes du front allié.

Alors en pleine réflexion dans sa tente, Jaheira ressentit une gêne : quelque chose se tramait. Un trouble vint la faire frissonner. Elle guetta l'entrée de la tente, s'attendant à ce que quelqu'un entre, mais personne ne se présenta. Guidée par son instinct, Jaheira sortit et marcha aveuglément jusqu'à la limite du campement, près de la montagne et s'arrêta lorsqu'elle découvrit Aragorn, Legolas et Gimli qui se tenaient là, face au chemin maudit qui conduisait sous la montagne, discrets et isolés de tous, elles les surprirent. 

- Que faites-vous ? Demanda-t-elle, horrifiée.

- Retournez à votre tente, expédia Aragorn.

- Vous désertez ! S'insurgea-t-elle.

L'homme agacé et pressé, renonça à argumenter. Legolas s'avança d'elle et lui parla à voix basse pour la rassurer :

- Jaheira, nous partons chercher de l'aide, une précieuse aide. Nous reviendrons à temps pour le combat.

- Mais...

- Si nous échouons Jaheira, tous ces hommes ici auront plus que jamais besoin de vous. La communauté a besoin de vous ici. Nous nous retrouverons, je vous le promets. Jaheira, j'ai pleine confiance en vous. Vous savez vous battre. Je ne serai pas là pour vous protéger cette fois, vous serez seule. Alors je vous en conjure, pour notre salut à tous, pour tous ces hommes qui auront besoin de vous, soyez prudente.

Jaheira se raisonna à ces sages paroles et acquiesça d'un signe de tête. Elle vivait là un grand moment de tourment, se mélangeait en elle l'honneur d'être reconnue comme guerrière par un haut gradé militaire et le sentiment d'une désertion de ses seuls proches. Sans plus de cérémonie, les trois hommes s'enfoncèrent dans l'exigu chemin sous la montagne d'un pas déterminé pour tromper leur appréhension. La guérisseuse les regarda partir jusqu'à ce que les trois silhouettes disparaissent dans le manteau de fumée qui émanait du passage entre les roches.

La jeune femme retourna seule vers la tente qu'elle partageait avec Eowin, cette dernière s'était couchée. Jaheira décida d'en faire autant, bien qu'elle trouva le sommeil difficilement, elle ouvrit les yeux au petit matin réveillée par le cor qui annonçait le lever du soleil. Eowin était déjà partie. Sans plus attendre, Jaheira enfila son armure pour prendre son poste et partit rejoindre les soldats en partance pour le front.

Elle se présenta à un commandant comme guérisseuse, qui s'étonna des propos de la jeune femme :

- Un tel poste n'existe pas ici ma dame. Vous devez rejoindre l'hospice à Minas Tirith.

- Je suis autonome, laissez-moi aller sur le front pour dispenser des soins d'urgence auprès des soldats.

- Si vous savez vous battre, alors battez-vous, nous avons plus besoin d'épées que d'embaumeurs.

Le patrouilleur fut appelé et il quitta Jaheira, la laissant seule.

La jeune femme réalisa un peu plus en cet instant l'ampleur de la cruauté de la guerre pour les mortels. Quand les elfes demeuraient en déclin et assuraient avant tout la protection de leurs troupes immortelles, les humains préféraient quant à eux envoyer leurs éphémères soldats pour arriver à leurs fins, au risque de décimer les leurs. Les motivations des hommes étaient bien différentes de tout ce qu'elle avait toujours connu chez les elfes.

Dans l'agitation du camp de Pellenor, la guérisseuse se réalisa seule dans la masse, et cette solitude la foudroya. Elle regarda tous les soldats s'agiter autour d'elle et se sentit subitement angoissée.
Elle qui avait été accompagnée et soutenue lors de son seul combat ne pouvait plus compter que sur elle-même, cette-fois, personne ne viendrai assurer ses arrières. C'était à présent son tour de trouver le courage d'oser partir affronter ses démons. Elle se mit en marche sans un mot et retourna vers sa tente pour terminer de se préparer. Pour ce baptême du feu, elle enfila symboliquement son bandeau de l'Académie et la flamboyante cape d'Haldir, alors qu'elle se découvrait en guerrière solitaire dans le miroir d'Eowin, elle caressa l'étoffe du bout des doigts avec nervosité, la douceur du tissu la rassura et elle se chuchota pour s'encourager : « Je saurai me montrer digne de vous ». Enfin, elle se ravisa et retira son bandeau d'anonymat avec dépit, l'abandonnant derrière elle. L'heure n'était plus à la défense.

Une fois prête, Jaheira sortit de sa tente plus triomphante que jamais et avança la tête haute, devant le regard inquisiteur des passants qui pour la plupart, découvrait une femme en armure pour la première fois. Elle traça jusqu'à l'écurie et laissa dans son sillage le silence des hommes qui la regardait traverser le camp avec détermination. Sur le chemin, Jaheira rencontra Eowin, qu'elle trouva errante, apitoyée sur son triste sort. En la voyant là, elle s'approcha d'elle :

- Eowin, venez avec nous.

- Quoi ?

- Rien ni personne ne doit vous en empêcher de vous battre si vous le souhaitez.

- Je ne suis pas une guerrière...

- Il n'est pas nécessaire d'être un soldat pour prendre part la guerre, il suffit d'avoir quelque chose à défendre. Vous plus que toute autre, avez une raison de vous battre.

Le temps pressant et peu encline à argumenter, Jaheira laissa Eowin à sa tergiversation et passa son chemin, elle grimpa sur son cheval pour partir rejoindre les autres soldats.

La guérisseuse se plaça dans le rang sans casque, laissant une nouvelle fois ses longs cheveux bouclés balayer ses épaules. Elle sentit sur elle se poser des regards désapprobateurs, d'autres curieux, mais ne s'attarda sur aucun d'eux. L'essentiel à présent était de se battre et d'en finir le plus vite possible avec cette guerre. Tout dans son allure trahissait sa détermination au combat : sa posture était rigide, telle qu'elle l'avait apprise à l'Académie, son menton était relevé et elle arborait un regard de braise. Intérieurement, elle était en transe, portée par un mélange de peur, d'appréhension et d'excitation.

Alors qu'elle marcha avec les soldats, elle dédia ses pensées à tous ceux qui l'avaient menée jusqu'ici : comment Celeborn et Galadriel l'avaient accueilli, comment Elrond l'avait formé, comment Haldir l'avait entraîné, comment Legolas l'avait préparé, comment l'Académie l'avait libéré et comment elle avait par tous été soutenue en son engagement. 

La jeune femme s'avança sur la colline de Pellenor sous la bannière du Rohan et y découvrit alors le gigantisme des terres qui accueilleraient la bataille. Au bout des terres, la fière cité de Minas Tirith trônait là, fière et immaculée cité brillant de mille feux. Elle l'admira un instant, éblouie par tant cette grandeur et resta silencieuse, attendant patiemment l'ordre d'attaquer, avec la peur, mais aussi désormais la rage au ventre.

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