Dans le peloton des soldats rescapés de la bataille de Elm, Jaheira se laissa porter par sa monture qui la ramena en Lórien. Elle qui d'habitude attendait les soldats lors de leur retour en ville, fut touchée de voir l'accueil qui lui était réservé sous l'uniforme. Elle reçut beaucoup de cadeaux, comme des linges parfumés ou de délicates fleurs.

Elle poursuivit son chemin jusqu'au palais, où Celeborn et Galadriel l'accueillirent avec émotion et soulagement, ils avaient été fort inquiétés par la fugue de la jeune femme et étaient rassurés de la voir revenir saine et sauve. Jaheira se courba devant eux et leur annonça le décès de son désormais tuteur Haldir. Les deux souverains furent submergés de chagrin et Jaheira se releva pour retenir Galadriel qui vacilla sur ses jambes sur le coup de l'émotion. Une fois la dame de Lórien quelque peu remise, Celeborn s'adressa à Jaheira avec douceur :

- Approche mon enfant.

La jeune femme s'approcha et plia à nouveau le genoux devant lui. 

- Nous ne pourrons jamais te reprocher d'avoir passé outre tout principe de précaution Jaheira, car tu as fait ce qui te semblait bon en ton cœur. En prêtant allégeance envers Haldir, tu as pris en main ta vie et aujourd'hui, ton destin t'appartient. Nous ne sommes plus tes tuteurs, mais tu seras toujours la bienvenue ici. 

Jaheira ne faisait désormais plus partie de la cour, elle se sentit terriblement seule malgré qu'elle soit en des lieux familiers. Celeborn appela son garde personnel et se saisit de son épée de cérémonie.

- Moi, Celeborn, proclame en ce jour, Jaheira de Lórien au statut de guérisseuse de guerre. Désormais membre de la garde royale et protectrice des elfes, je souhaite qu'elle puisse, par-delà son talent, en tout temps s'épanouir en notre cité. 

Jaheira se sentit honorée. Mais même si ces paroles la touchèrent en plein cœur, tout bonheur demeurait entaché de ne pouvoir être partagé avec Haldir, à qui elle devait tout. Elle se releva avec des yeux humides, n'ayant plus la force de dissimuler son chagrin comme autrefois.

Galadriel ne se releva que pour caresser le visage de Jaheira, il lui fut accorder du temps pour qu'elle se repose, avant qu'elle ne décide de sa prochaine affectation.

Jaheira dormit sans discontinu deux jours à durant à la garnison, tel un militaire, bien loin du confort de ses anciens appartements. Elle se réveilla pour partir à Fondcombe et reprendre mécaniquement son métier d'archiviste là où elle l'avait laissé en partant. Elle demeurait réserviste militaire et pourrait être appelée en tout temps par la Garde Royale, qui demeurait bien peu au fait de ses compétences de guérison désormais officiellement reconnue par son nouveau titre. Elle règlerait cela plus tard.

Jaheira arriva à Fondcombe. Bien qu'elle ne soit plus sous son autorité, Elrond l'accueillit à bras ouverts, saluant son courage mais regrettant que la jeune femme en soit venue à de tels moyens pour arriver à ses fins. Son tempérament impétueux et spontané, bien que motivés des meilleures raisons, pourrait un jour lui jouer des tours. Jaheira œuvra là quelques jours à la recherche de ses marques, mais quelque chose en elle s'était bien brisée. La joie tarda à revenir en elle, mais la reprise de son quotidien et la répétition des tâches les plus primaires de son ancienne vie s'avérèrent salvatrice pour la jeune femme.

Attachée à la promesse qu'elle avait fait à son précepteur, elle manifesta rapidement son souhait de recevoir une nouvelle affectation promptement, qu'elle formula juste avant d'assister à la crémation de son tuteur, qui réunit des milliers de personnes de tout horizon. En tant que pupille légale du militaire, il était du devoir de cette dernière de porter les héritages de son tuteur à sa dernière destination, mentionnée dans ses dernières volontés. 

Fangorn. Elle ne connaissait Fangorn que par les histoires qu'il lui en avait raconté. C'était lors de leurs premières balades, l'homme lui avait conté la puissance de ce haut-lieu au formidable patrimoine où vivaient autrefois des êtres puissamment emprunts de magie. Il lui avait longuement raconté "l'attaque de Fangorn", commanditée par Sauron, et qui avait eu raison de la légende vantant les miraculeuses capacité des lieux. Sauron, avide de pouvoir, avait toujours haït Fangorn dont il avait toujours espéré pouvoir capter la source afin de réintégrer une puissante et immortelle enveloppe physique. 

Haldir s'était toujours montré très admiratif de ce royaume déchu. Il avait mentionné y avoir voyagé plus jeune et lui avait un jour confié vouloir s'y établir une fois sa carrière militaire terminée. Avec ce dernier voyage, Jaheira réalisait pour ainsi dire le dernier rêve de son mentor, cette idée la mina une nouvelle fois. 

Jaheira revint en Lórien pour les obséques de Haldir.
Avant son départ pour Fangorn, Jaheira se vit remettre les dernières affaires de son tuteur : son armure en plates d'une finesse et d'une légèreté incroyable, quelques effets personnels, quelques livres, mais surtout, plus de huit cent mille pièces d'or. La jeune femme reçut la somme avec un réel embarras. Elle ignorait tout de la richesse de son tuteur qui se révéla être le descendant d'une longue lignée de hauts-gradés de la Lórien, de sang pur et très noble. L'elfe avait amassé avec les années bon nombre de récompenses de guerre, et avait lui aussi fait gonfler la fortune qu'aucun de ses aïeuls n'avait dépensé. Le commandant ne possédait aucune propriété, ni descendance, ses uniques frères, en accord avec ses dernières volontés, concédèrent sans débat aucun à l'exécution de sa dernière volonté : tout reviendrait à la cité de Fangorn. 

Jaheira se fit indiquer l'emplacement de Redwood, capitale des terres de Fangorn ainsi que le nom de l'intendant de la cité. Il s'appelait Khalid Flyverin, né en ces terres, il était le plus haut dignitaire de ces lieux. La guérisseuse prépara ses affaires pour le voyage sans envie, et fut quise par un garde royal de Lórien, qui lui fit part d'un nouvel entretien.

La guérisseuse arriva, Elrond de Fondcoombe, qui s'était déplacé pour les obsèques, l'attendait. Il était curieusement équipé de son armure en métal mordoré.

Elrond la salua et lui présenta à nouveau ses condoléances. La jeune femme détourna le regard pour refouler sa tristesse. L'elfe demanda à s'entretenir avec elle, et ils firent quelques pas ensemble :

- Jaheira, même si tu t'es exposée en grand danger à Elm, tu as en ce jour prouver ton engagement de guérisseuse, même par-delà la civilisation des elfes. Nous sommes tous très fiers de toi. Tu as ainsi su prouver en Rohan ton courage sur le front. 

La jeune femme ne réagit pas : c'était Haldir qui l'avait emmené, elle aurait suivi son mentor jusqu'au bout du monde pour le rendre fier. Elrond continua :

- Il y a là une guerre bien plus grande qui attend le monde des hommes... Le Mordor se lève contre le Gondor. Fondcombe va envoyer des hommes afin de soutenir le futur roi des hommes, qui ne t'es pas inconnu, Aragorn, Fils d'Arathorn.

- Était-ce cela dont l'objet du Conseil de Fondcombe ? Livrer le Gondor à Aragorn ?

Jaheira plongea dans l'incompréhension, il n'était pas chose commune que des elfes meurent pour l'accès au trône d'un homme. Elrond lui parla longuement, et lui expliqua tout ce que représentait l'accès au pouvoir d'Aragorn, et lui révéla l'existence de l'anneau de Sauron, ainsi que l'enjeu de la destruction de celui-ci. Jaheira apparut fébrile mais comprit toute l'ampleur de la tâche à laquelle elle avait involontairement prit part.

- Frodon ne reviendra pas, dit-elle à demi-mot.

Le seigneur elfe ne répondit pas.

- Vous les avez tous envoyé se faire tuer ! Conclut-elle avec des larmes de rage. 

Après Boromir, il était à présent question de tous ces hobbits, du nain, du magicien, voire même de Legolas. Frodon, lui, n'était qu'un hobbit, un innocent civil bien loin des affres de la guerre. Impuissant, il avait été propulsé sous les lames ennemies après avoir été blessé. Frodon était un civil de plus, comme elle en avait vu tant souffrir toutes ces années, après Haldir, Frodon serait la victime de trop.
Face au silence gêné d'Elrond, Jaheira s'emporta. Mais pour ne pas exposer le torrent de colère qui bouillonnait en elle, elle préféra s'isoler, seule. Jaheira entra dans l'apothèque et ferma la porte. Dans un accès de rage, elle balança tout dans la pièce, déchargeant sa colère, des livres volèrent et les pages se détachèrent de leurs couvertures en une envolée de papiers, elle renversa des bibelots, retourna une table avec d'un coup de pied féroce, et ne se calma que lorsqu'elle se blessa la main avec un bocal de verre brisé. Le sang coula, elle regarda avec indifférence sa paume ouverte et prit finalement une gaze pour la nettoyer. En allant chercher le linge, elle marcha sur quelque chose qui craqua sous son pas : sa flèche écarlate, unique souvenir de son passage à l'Académie. Elle la ramassa, la flèche était à présent en plusieurs morceaux. La mélancolie l'envahit et Jaheira s'appuya sur le rebord de la fenêtre, respirant bruyamment et refoulant la boule que sa rage avait créé en sa gorge. Elle regarda par la fenêtre : elle n'était pas venue ici depuis longtemps et les plantes avaient bien poussé, grimpant désormais le long du mur. Une feuille dépassait. Cette simple feuille, minuscule, délicate, bercée par le vent, la toucha en plein cœur : c'était une feuille de lierre. La voix d'Haldir résonna en elle : "Être libre ne veut pas nécessairement dire que l'on est affranchi de toute responsabilité".
Tout était dit. Jaheira se redressa, animée d'une nouvelle détermination, elle se retourna vers son établit où trônait encore son confortable paquetage pour Fangorn. Elle retourna son sac pour le vider et le remplit de ses affaires de combat. Elle boucla son sac en une seconde, enfila une tenue de voyage, plaça son sac en bandoulière et partit, laissant sur ses pas son bureau ainsi ravagé. Elle se rendit à l'écurie, équipa un cheval et quitta la Lórien plus tôt que prévu.

Elle était aujourd'hui seule, elle ne laisserait pas plus d'innocents mourir, et elle savait désormais vers qui se tourner pour la soutenir dans cette tâche.