Chapitre 17 : La guérisseuse de Elm

Sur le balcon, Jaheira s'étonna de sentir ses mains moites. Au fond d'elle-même, l'angoisse montait, une sensation nouvelle. Alors qu'elle se murait dans une profonde concentration pour retrouver de l'apaisement, une voix lui parvint :

- Dame Jaheira ?

Elle se retourna. Legolas était là, arborant une lourde amure de plates qui lui conférait une carrure impressionnante. Il la dévisage à un instant, c'est la première fois qu'il la voyait à visage découvert aux yeux de tous : sa peau, d'un blanc immaculé, tranchait avec la noirceur de la nuit qui s'abattait sur le Rohan. Ses longs cheveux bruns étaient attachés en plusieurs tresses dont plusieurs boucles voluptueuses s'échappaient. Elle était magnifique, bien que le décor de vieilles pierres humides, lui, soit sinistre.

- Que faites-vous ici ? Interrogea l'elfe.

- Je suis venue avec la Lórien soutenir l'armée du Rohan, déclara-t-elle.

L'allégeance de Jaheira avait-elle donc changée ? Ne devait-elle pas être affectée au Mirkwood en guise de premier poste ? 

- Vous ne devriez pas être ici, déclara l'elfe d'un ton grave.

Jaheira se sentit rabaissée.

- Je fais partie de la Garde Royale. 

- Être prête à mourir ne signifie en aucun cas que vous soyez prête à vous battre... Vous n'êtes pas prête pour la guerre.

Devant pareil fatalisme, la peur envahit soudainement la guérisseuse. Elle se mura subitement dans un silence pesant, son visage se ferma, elle concentra son regard sur l'apaisant horizon qui s'affichait face à elle. Legolas interpréta ce soudain silence comme une vexation, et souhaitant s'excuser de sa maladroite réaction, se plaça à ses côtés près de la balustrade pour appuyer de ses deux mains sur la pierre fraîche. Après un instant de silence, l'elfe céda à son indignation :

- Je dois parler à Haldir, dit Legolas, presque en colère.

- Ne faites pas ça...

- Jaheira, votre don est unique et vos connaissances sont précieuses. Nous ne pouvons prendre le risque de vous exposer aux forces de Sarumane ! 

- Je suis guérisseuse de guerre. Que vous le vouliez ou non, j'irai prêter mains fortes aux soldats de Elm ! S'emporta-t-elle.

- Votre générosité est appréciable, mais vous ne pouvez-vous mettre en danger ainsi, ceci n'est nullement votre guerre !

- En quoi cette guerre est-elle la vôtre seigneur Legolas ?

Ne pouvant répondre à un tel argument, l'elfe s'immobilisa, puis se ravisa de partir. Jaheira le suivit du regard alors qu'il se replaça à ses côtés, scrutant l'horizon, le commandant clôt le débat avec abattement :

- Je serai bien mal placé pour vous dissuader de livrer bataille aujourd'hui, quand les raisons qui me portent aujourd'hui sont les mêmes que les vôtres. 

Jaheira se remit à observer le ciel, satisfaite de son éloquence malgré la peur qui l'envahissait. Alors qu'un nouvel escadron essentiellement composé de jeunes gens se mettait en position sur les murs d'enceinte, Jaheira se révulsa de leurs très jeunes âges :

- Comment en sommes-nous arrivés là ?

Legolas resta silencieux, regardant les enfants se saisirent de pierres bien trop lourdes pour eux.

- Nous avons pour point commun de ne supporter de laisser les sans-défense exposés à l'ennemi...

Jaheira regarda l'elfe. Ils avaient peu de point en commun, mais celui-ci en était bel et bien un. L'homme continua :

- Je vous ai vu vous battre. Vous êtes une excellente combattante, peut-être meilleure que la plupart des hommes de ces rangs. Mais faire la guerre est tout autre chose...

- Je resterai prudente.

- L'infirmerie sera protégée...

- Je n'ai nullement l'intention de m'isoler à l'infirmerie, je me rendrais sur le front.

Legolas la regarda, atterré. Il voulut réagir, mais visiblement piquée de sa nouvelle réaction, elle s'emporta :

- Seigneur Legolas, je suis ici de mon plein gré. Je suis un soldat et je me battrais sur le bastion, comme vos hommes. Je serai là pour mieux les soigner, je ne suis d'aucune utilité à encadrer les vieillards ou les veuves, je fais partie de l'Académie Royale et si cela est nécessaire, je me battrai.

Legolas regarda Jaheira et, malgré la confiance en elle qu'elle dégageait, ressentit une certaine angoisse chez elle.

- Je vais affecter des hommes à votre protection.

- Cela n'est pas nécessaire, balaya Jaheira.

- Alors je resterai à vos côtés, dit l'elfe.

- Ne soyez pas ridicule, vous aurez bien mieux à faire que jouer au garde du corps.

- Jaheira, restez à mes côtés. Je vous aiderai à accéder aux fronts les plus exposés pour mieux venir en aide aux soldats du gouffre. Je serai garant de votre protection, mais vous devrez suivre mes ordres, dit-il en lui présentant sa main afin de conclure leur pacte.

Jaheira regarda la main que lui présentait Legolas, mais se ravisa de cette tentante proposition : elle était confortable pour elle, mais suicidaire pour lui. Qui plus est, elle priverait leur camp d'un grand guerrier.

- Seigneur Legolas, je ne souhaite en aucun cas être un poids pour vous.

- Je ne vous laisserai pas dire ça !

C'était la première fois que Jaheira voyait l'elfe s'emporter, voire, qu'elle voyait un elfe s'emporter.

- Vous ne pourrez tous nous protéger ! Répondit-elle à son tour en haussant le ton. 

- Ma tête est peut-être convaincue de vous laisser aller combattre, mais je refuse d'envisager la possibilité de vous perdre.

Les yeux de Legolas avaient viré aux bleu sombre et trahissaient un profond bouleversement. Jaheira resta silencieuse devant le tourment palpable du commandant, mais ne regretta pourtant pas ses paroles empruntes de sincérité.

Ils étaient là, tous deux à se dévisager silencieusement. Legolas tenta de retrouver son calme, mais son souffle trahissait son agacement, il détourna son regard.

- J'ai promis à Elrond de veiller à votre sécurité, se justifia Legolas. Qu'elle soit au royaume ou sur le front, quelle différence ? 

Jaheira regarda Legolas, il tremblait.

- J'accepte, souffla-t-elle, à court d'arguments.

Legolas la regarda dans les yeux et lui prit les mains pour sceller leur pacte. Elle sentit son pouls se calmer sous ses doigts. 

Un cor retentissant les arracha de leur accalmie, l'heure était au rassemblement des forces armées. 

Quelques heures d'organisation millimétrée plus tard, Haldir Raggenstone prit place à l'angle de son escadron en tant que commandant. Jaheira prit place à ses côtés en première ligne, non loin du commandant Legolas. Il fut décidé que Haldir et lui se relayeraient pour la défendre. Elle, avait pour l'occasion remis son bandeau qui lui couvrait les yeux, elle portait une large besace de nécessaires aux premiers soins et se tint prête, armée de son arc en bois blanc. 

Le ciel s'était assombri, au loin se dessinaient l'armée d'Isengard, bardée de lances noires. Les tambours firent trembler le sol et une appréhension palpable envahie les rangs. La tension infusa l'air. Les elfes de la Lórien étaient certes venus en nombre, mais cela ne signifiait en aucun cas que la bataille serait gagnée d'avance. 

Haldir sentit la guérisseuse fébrile à côté de lui et s'en voulu de ne pouvoir l'apaiser. Alors que les armés approchaient rapidement, dans un tremblant réflexe, Jaheira saisit la main de son tuteur, qui y entrelaça ses doigts pour lui serrer fort afin de la conforter au mieux. C'était un moment puissant. Ils contemplèrent silencieusement l'armée qui avançait vers les portes de Elm.

- En joue ! Cria Haldir une fois l'armée à portée.

Jaheira et les soldats s'exécutèrent machinalement. Une centaine d'arc elfiques se tendirent vers le ciel, près à tirer. Legolas prit une flèche de son carquois.

- Leurs armures ont une faille sous le bras et au cou, prévint Legolas. 

- Tirez ! Cria Haldir. 

Une salve de flèches s'envola dans le ciel puis tomba en pluie sur les uruk-hai qui les assaillaient, les tuant par vague. Le ciel tonna et une pluie battante s'invita sur le front, rendant glissante la pierre de Elm.

- Tir à volonté ! Cria Haldir. 

Les soldats s'exécutèrent et les salves de flèches se succédèrent, tuant plus d'ennemis. Les uruk-hai contre-attaquèrent, et Haldir et Jaheira entendirent les premières flèches de riposte siffler vers eux. Tous se réfugièrent derrière les créneaux de l'enceinte pour éviter la salve. Sans attendre, Jaheira rangea son arc et se précipita pour porter secours aux premiers blessés à sa portée et fit évacuer de justesse plusieurs archers vers le bastion afin que des soins leur soient prodigués.

L'ennemi atteint le mur d'enceinte à une vitesse phénoménale. Bien vite, tous sortirent leurs épées pour éliminer les ennemis dont les premiers passaient déjà le mur d'enceinte. Les blessés pullulèrent comme jamais Jaheira n'en avait vu auparavant. Elle se débrouilla au mieux, priorisant toujours l'assistance au combat. Haldir se chargeait efficacement de l'isoler de tout attaquant.

Au bout de plusieurs heures d'affrontement, alors que Jaheira arrachait une énième flèche d'un soldat, une puissante explosion éclata, faisant trembler le sol et renverser les soldats. La détonation propulsa Jaheira de deux étages, l'éloignant d'Haldir. Le mur d'enceinte venait d'être fracturé à l'explosif et d'énormes gravas s'écrasaient de toute part dans un grand fracas terrifiant sur le poste de défense. La guérisseuse se mit à l'abri un bref instant et, sans attendre et se précipita pour porter secours à plusieurs soldats blessés par les jets de pierres fumantes qui s'abattaient encore autour d'elle. Alors qu'elle préparait au plus vite son matériel pour se précipiter auprès d'un jeune homme, la jeune femme fut tirée avec force dans une petite alcôve de pierre, juste avant que de nouveaux gravats ne lui tombent dessus. Legolas venait de la tirer à l'abri à ses côtés dans un renfoncement près du mur d'enceinte, il lui fit signe de garder le silence. Sonnée par le vrombissement ambiant, elle eut tout juste le temps de rassembler ses esprits alors que de nouvelles lourdes échelles métalliques de l'ennemi vinrent solidement s'attacher sur les créneaux près d'eux, déversant un flot ininterrompu d'uruk-hai. D'autres soldats s'étaient cachés dans plusieurs abris voisins. Visibles depuis leur cachette, Legolas exécuta le signal et une nouvelle embuscade s'opéra avec violence.

Avant de lui aussi s'élancer au combat, l'archer prit le temps de s'assurer que la guérisseuse allait bien, elle était tremblante et recouverte de sang d'orque. Même teintés de peur, ses yeux demeuraient magnifiques. Touchée par la délicate attention de l'elfe et aussi portée par ce semblant de promiscuité, profitant du silence retrouvé, comme pour se donner du courage, Jaheira s'approcha de Legolas et lui donna un furtif baiser. L'elfe la regarda, puis s'arracha hors de l'abri pour sauvagement repousser les uruk-hai qui approchaient. A son tour, Jaheira rejoignit un nouveau blessé qu'elle évacua après une sommaire cautérisation de sa plaie. Elle était encore en train de ramasser son matériel alors qu'un soldat lui hurla de se retourner. Dans un puissant réflexe, Jaheira sortit son épée et décapita le gobelin qui s'élançait sur elle. Il avait une tête ignoble. Ses yeux se révulsèrent sur sa tête, désormais détachée de son corps. Jaheira cria de dégout : c'était son premier mort au combat. Le soldat, voyant que l'elfe se débrouillait, retourna en besogne. Jaheira resta sans bouger, elle qui était plus coutumière de préserver la vie que de la détruire, trembla un instant. Mais à peine eut-elle reprit son souffle qu'elle aperçut d'autres victimes en contre-bas et s'élança pour les rejoindre. Sur le bastion supérieur, Haldir la cherchait désespérément, criant son nom. Soudain, elle apparut, gracile silhouette qui sautait vers la cour intérieure, saine et sauve, s'attelant à l'assistance de nouveaux blessés. Rassuré, le capitaine reprit le combat sans demander son reste, mais essaya néanmoins de s'approcher d'elle. Jaheira de son côté, chercha à se frayer un chemin jusqu'aux blessés entre corps et gravats, alors que plusieurs orques se jetaient sur son passage, elle les combattit sans hésiter et les élimina seule. La guérisseuse glissa vers un nouveau blessé qui s'était abrité dans un coin, tétanisé de peur. Un uruk-hai les surprit, sans attendre, Jaheira se leva avec sa lame, prête à se battre, mais l'uruk, plus rapide, lui affligea un violent revers qui la projeta à plusieurs mètres de là. Étourdie par la violence de sa frappe, Jaheira en eut la vision troublée. Mais la bête, bien décidée à en découdre, la rejoint et se saisit de la jeune femme par le cou pour la soulever du sol, la dévisageant de ses yeux blancs dépourvus de pupilles. L'uruk lui assigna alors un violent coup de tête qui lui explosa l'arcade sourcilière et lui ouvrit la pommette, puis, il projeta Jaheira sur le niveau inférieur où elle s'écrasa sur la pierre froide. Etourdie, la guérisseuse ne réussit pas à se relever, gênée par le sang qui lui coulait dans les yeux, elle arracha le bandeau de sa tête. Legolas avait assisté à la scène, il décapita un nouvel assaillant pour se précipiter au plus vite au secours de la guérisseuse. 

Plus bas, la guérisseuse se releva juste à temps pour éviter un coup de gourdin, dans sa roulade, elle se saisit de la dague de Haldir dissimulée dans sa botte et la planta profondément dans la cuisse du monstre à sa portée. L'uruk blessé plia le genoux, ce qui laissa à Legolas le loisir de décapiter l'uruk en un net coup d'épée. L'elfe aida rapidement la guérisseuse à se relever, mais elle perdit l'équilibre et s'appuya contre la pierre. Jaheira se hissa sur ses jambes, cracha le sang qui lui inondait la bouche et essuya d'un revers de manche le filet de sang qui lui coulait de la tempe. Le sol accusa une nouvelle secousse. A peine Legolas reprit son équilibre que la guérisseuse avait déjà filée, titubante, vers un autre garde blessé.

La constatant affaiblie, mais encore d'attaque, Legolas reprit le combat, laissant Jaheira faire son office. Elle était passablement remontée de son précédent duel et remotivée. Elle évacua le soldat et récupéra son épée ondulée avant d'assister une nouvelle victime. Elle s'élança à nouveau, éliminant en deux coups d'épée un orque qui s'approchait de Legolas par derrière. Ce dernier la gratifia d'un regard entendu en guide se remerciement. Le parvis était désormais sécurisé, le commandant sauta sur le niveau inférieur, transperçant un nouvel ennemi tandis que Jaheira s'occupa de soldats blessés qu'elle fit évacuer vers l'infirmerie après les avoir grossièrement examinés puis bandés avec d'efficaces garrots.

Alors qu'elle regarda un nouveau soldat s'éloigner sur un brancard, cherchant d'autre victime à secourir, Jaheira sentit près d'elle une massive et hostile présence, croyant à un troll, elle se raidit pour ne pas attirer l'attention. Un orque immense, juché sur un warg se trouvaient là, juste au-dessus d'elle, marchant lentement en équilibre sur les créneaux, le warg sentait son odeur mais ne semblait pas la voir. Isolée et seule sur le bastion, sans geste brusque, elle fit un pas contre le mur afin de ne pas être vue puis fila se cacher dans un recoin. Le warg ne l'aperçut pas, mais il descendit à son niveau pour retrouver son odeur. Jaheira se glissa en silence jusqu'au fond d'une alcôve. Elle dégaina son épée puis se mit en position d'attaque, prête à bondir lorsqu'ils seraient à portée. Elle se tapit dans l'ombre et retint son souffle : cet endroit était loin d'être une bonne stratégie pour s'attaquer à un warg, mais le renfoncement était juste assez exigu pour les bloquer. Le visage de la bête apparu dans l'alcôve, guidée par son flair, il frôla Jaheira, mais la bête était borgne et ne remarqua pas la jeune femme cachée juste à droite de sa mâchoire. L'animal, ne trouvant pas son dû, rebroussa chemin et s'éloigna sans demander son reste avec son cavalier. Jaheira se releva sans faire un bruit et se saisit de son arc en silence. C'est Legolas qui lui avait appris comment tuer un cavalier d'une seule flèche, elle ne l'avait jamais testé en réel, il était donc plus que temps d'essayer cette tactique qui avait pour avantage de pouvoir prendre l'avantage sur la monture. Jaheira sortit de l'alcôve, se concentra, elle n'avait pas le droit d'échouer. Fin prête, elle se lança : sa flèche partit en un souffle et se logea dans la nuque du cavalier qui s'effondra sur sa monture en une seconde, mort. Le warg eut à peine le temps de réagir que Jaheira lui grimpa sur le dos, renversa le cadavre du cavalier et se saisit des rênes avec fermeté, les enroulant solidement autour de ses mains pour ne pas les lâcher. Le warg comprit la manœuvre et se débattit vivement pour se débarrasser de l'intruse montée sur son dos. Jaheira se cramponna et profita de l'énergie de la bête pour la guider vers la cour Ouest où se battait encore plusieurs gardes. Descendant les étages trois par trois, le poids massif de la bête écrasa plusieurs orques en contrebas. S'énervant, le warg se mit à courir à en perdre haleine le long du bastion intérieur en renversant tout sur son passage, se débattant de sa cavalière d'infortune.

Haldir était sur le bastion, il se battant contre deux uruk-hai jusqu'à ce que ses deux assaillants soient fauchés par un mystérieux mais puissant warg qu'il découvrit être dirigé par Jaheira. L'elfe ne crut pas ses yeux de la voir là, en armure, en soldat, couverte de sang, au galop sur la terrible bête qui balayait tout sur son passage. Alors que l'elfe la contemplait avec joie, il aperçut un uruk tendant son arc sur elle, il hurla son nom, mais celle-ci ne l'entendit pas, trop absorbée à maîtriser sa sauvage monture. Haldir se précipita sur une hâche en vue de la tirer sur l'archer, mais avant que l'arme ne l'atteigne, l'uruk fut tué d'une flèche entre les deux yeux tirée par Legolas qui, armé de son arc, exécutait tout ennemi qui tentait de s'attaquer à la guérisseuse. Les deux elfes échangèrent un regard entendu avant de se remettre en besogne. 

La guérisseuse, toujours juchée sur son warg, se dirigea à présent vers l'enceinte de la citadelle et dirigea la puissante bête vers un rassemblement ennemi plus bas dans la cour. Sa monture, aux pattes puissantes, s'élança du haut de plusieurs étages avec fureur, mais Jaheira tira sur les rênes pour retourner la bête en plein vol, assurant le décès de la bête à l'atterrissage. Dans les airs, Jaheira sauta hors de scelle et attrapa une poutre en bois. La lourde bête vint s'écraser la tête la première sur le petit peloton d'ennemis qui s'était formé en contre-bas, se brisant la nuque au passage et écrasant ses cibles. Jaheira se hissa sur la poutre, sur laquelle elle courut en équilibre pour revenir jusqu'au bastion afin de glisser vers de nouveaux blessés, elle avait perdu sa besace, elle œuvrerait sans, elle avait prit le coup. 

La guerre avait duré toute la nuit, le soleil commençait à se lever. Soudain, un cor se fit entendre. Les soldats décimèrent les quelques uruk-hai restants, Jaheira termina de s'occuper de plusieurs blessés plus ou moins graves et tous furent satisfaits de découvrir la cour vide de tout ennemi. Les orques restant battirent lâchement en retraite et des cris se firent entendre au loin : c'étaient des acclamations de joie. Les soldats grimpèrent le mur d'enceinte pour admirer le spectacle qui se déroulait par-delà les murs : les cavaliers du Rohan étaient là, la garde du roi Theoden était revenue. Ils affluèrent de l'Ouest, menée par leur capitaine Eomer et Gandalf. Les cavaliers massacrèrent les uruk-hai dans une violente et compacte offensive, décimant les rangs ennemis encore en place. Ils étaient là, enfin. La victoire était proche, et les forces armées, paniquées et désordonnées étaient désormais en sous nombre face à l'ennemi. 

Les soldats de Elm encore debout eurent un regain de rage et s'élancèrent à la poursuite des derniers orques et uruk coincés au gouffre. Legolas termina sa lancée, puis entreprit de rejoindre la guérisseuse restée avec Haldir, ne les trouvant pas dans la cour où ils les avaient laissés, l'elfe se mit à les chercher. Il finit par la retrouver elle, trimant sur le sol boueux, finissant de soigner un tout jeune soldat. Alors qu'il admirait la guérisseuse trimer, bien loin des festivités ambiantes des alliés, un uruk-hai caché là profita de la seconde d'inattention de Legolas pour dans son dos se jeter sur lui. L'uruk-hai se saisit de l'elfe par la clavicule et entreprit de lui broyer les côtes. Mais l'elfe se débattit et lui assigna un coup d'épée de dos en pleine poitrine. La bête eut tout juste le temps de planter une courte dague dans la jointure de l'armure de Legolas, au niveau de l'épaule. L'elfe ragea de douleur et planta de dos sa lame dans la gorge de la bête qui s'effondra, décapitée. Legolas se releva et ragea de sa stupide mais bénigne blessure à l'épaule.

Bien vite, on entendit les armées du Rohan jubiler par-delà les murs de Elm. L'intérieur du fort était désormais sécurisé. Les cris de joie résonnèrent dans la cité et le sang fit place à une euphorie telle qu'elle résonna en écho dans la montagne. Jaheira ne prit pas le temps de célébrer la victoire, le soldat qu'elle gérait fut évacué, et la jeune guérisseuse fut bien vite absorbée par les victimes qui affluaient désormais par poignées vers l'infirmerie. N'ayant le temps de s'occuper des cas les plus bénins, sur le chemin qui menait à l'hospice, elle distribua des instructions et s'attela aux cas les plus graves, sans même s'apercevoir de la présence de Legolas qui la regardait impuissant, incapable de l'aider. Une fois qu'elle eut terminé avec les blessés de la cour, elle se précipita vers l'infirmerie pour leur prêter main forte. Là où certains célébraient la victoire, Jaheira, elle, ne faisait que commencer son combat. Legolas l'arrêta sur son chemin, alors qu'elle courrait vers l'apothèque. Sans plus de timidité aucune, ayant dépassé ce stade avec le combat qu'ils venaient de partager, Jaheira et lui se jetèrent dans les bras l'un de l'autre avec fraternité. Il lui glissa avec minutie un bandeau d'anonymat propre sur ses yeux, elle le remercia d'un regard. Lorsque Jaheira posa sa main sur l'épaule du capitaine, elle la constata maculée de sang, elle dévisagea Legolas, pleine d'inquiétude, mais l'elfe la rassura :

- Rien qu'une égratignure, dit-il en indiquant son épaule.

- Rejoignez-moi à l'infirmerie, je vous soignerai, dit-elle rapidement.

Elle s'éloigna de Legolas et courut au dispensaire, où les blessés affluaient.

                                                                                             ***

Encore d'attaque, Jaheira s'occupa des elfes et des humains par dizaines, les stabilisant avec une efficacité déconcertante. Mais après toute une nuit de guerre, la jeune femme se fatigua vite. L'afflux de blessés étant désormais maîtrisé, mais Jaheira ne lâchait rien. Elle titubait, épuisée par le combat et les soins prodigués en urgence, encore portée par l'adrénaline et incapable de laisser quelqu'un sur le carreau. Alors qu'elle déambulait à la recherche de nouveau cas à s'atteler, une femme s'approcha d'elle :

- Madame, allez donc vous reposer. Votre guerre est terminée à présent.

Ne trouvant pas de nouveau cas nécessitant ses compétences, Jaheira se résigna, il est vrai que ses gestes n'étaient plus sûrs à présent et les plus grosses urgences étaient gérées. Elle se lava les mains, renonça à se rendre à la fête qui célébrait la victoire et quitta l'infirmerie pour aller se reposer, tout ce qu'elle voulait à présent, c'était s'effondrer sur une couche et dormir.

En sortant de la pièce, Jaheira se poussa pour laisser passer deux soldats avec un brancard, portant un corps recouvert d'un drap blanc. Les yeux de Jaheira furent attirés par la couleur carmin du tissu qui dépassait du corps. Foudroyée, elle se jeta sur le brancard pour examiner le corps. A peine eut-elle retirée le linge blanc qu'elle s'effondra en découvrant le visage livide d'Haldir. Il était mort. Tout autour d'elle, le monde s'écroula en une seconde. Sous son poids, ses jambes vacillèrent et Jaheira tomba à genoux en hurlant de douleur, sans retenue aucune, elle pleura de rage sur le corps désormais sans vie de son mentor. Soignants et patients, impuissants témoins de la scène, observèrent impuissant le spectacle de la douleur cette jeune anonyme qui pleurait son proche.

Le silence s'abattit sur l'infirmerie, tous furent touchés par cette elfe qui leur rappela en leur cœur que bon nombre d'alliés étaient venus leur porter secours au péril de leurs vies. Jaheira resta ainsi à pleurer, à même le sol et le cœur brisé, ne cessant de caresser d'une main tremblante le visage du soldat. La guérisseuse resta là à pleurer auprès de lui des heures durant, ne parvenant pas à se calmer. Elle refusant que quiconque l'approche, désabusée et plus seule que jamais. Alors que la nuit retombait déjà, Jaheira exorcisa sa peine en préparant le corps d'Haldir en vue de son transport vers la Lórien, traitement protocolaire pour les soldats tombés au combat, qui devaient être incinérés sur leurs terres d'appartenance. Minutieusement, elle le lava, lui essuya le sang qui avait coagulé sur ses mains et le coiffa avec minutie. Pour finir, elle lui ouvrit les doigts et toujours en pleurs, lui glissa son épée sur l'abdomen. Jaheira observa Haldir et se recueillit, puis récita une prière avec une voix faible, alors que les larmes perlaient encore sur ses joues.

Deux gardes vinrent la déranger pour finalement emporter le corps. Épuisée, résignée et surtout abattue, Jaheira déposa un dernier baiser sur le front de son parrain et lui recouvra le visage de son linceul.

- Je saurai me montrer digne de vous, lui glissa-t-elle avec douleur, embrassant une solitude nouvelle et emplie de chagrin.

Il était tout, et elle, en cet instant, n'était plus rien.

                                                                                                  ***

Telle l'ombre d'elle-même, Jaheira quitta l'infirmerie pour s'isoler. Elle pénétra d'un pas mal assuré dans la petite chambre qui lui fut mise à disposition, toujours bouleversée et tremblante. La pièce était toute en pierre, avec un unique lit aux draps blancs, une coiffeuse et une fenêtre plein l'Ouest. Ce semblant de commodités lui apporta un bien moindre réconfort comparée à la peine qui la dévastait. Jaheira s'approcha de la fenêtre, elle remarqua le soleil couchant et comprit qu'elle avait passé plusieurs jours enfermée dans la pénombre de l'infirmerie. Jaheira se retourna et croisa son regard dans le miroir. Elle s'approcha pour contempler le déplorable spectacle de son reflet qui s'offrait à elle et défait sa ceinture pour la laisser tomber au sol. Son visage lui-même en guerre : ses yeux étaient rouges et gonflés. Ses cheveux étaient en bataille, encore plaqué par la pluie qui les avait rincés, sa peau d'habitude très blanche était noircie par le sang noir des ennemis, et une ecchymose violacée lui barrait la joue et la pommette, ses plaies, au crâne et au visage, étaient sales. La seule propreté de sa peau était le sillon de ses larmes, qui avaient coulé à flots ces dernières heures. Jaheira se nettoya le visage et les cheveux. Elle était en train de se sécher doucement le visage avec un linge propre lorsqu'elle aperçut Legolas dans le reflet du miroir.

L'elfe avait trouvé le temps de se changer. Malgré une fatigue apparente, cette même rigidité l'habitait encore. Seule sa main gauche brandée d'un pansement au sang séché, pouvait trahir de son récent combat.

- Jaheira, je suis vraiment désolé, dit-il en s'approchant, très confus. 

Elle lui fit signe de ne pas s'avancer. Elle n'avait ni l'envie, ni l'énergie de se lancer dans une nouvelle torpeur ou une quelconque démonstration de chagrin. Pour éviter toute conversation inutile, elle préféra soigner l'elfe et l'invita à s'asseoir sans un mot.

D'abord Legolas refusa, culpabilisant de la solliciter, il n'était pas venu pour ça mais elle prépara le matériel de suture sans un mot et l'invita à s'assoir. L'elfe, sentant que le débat serait vain, s'approcha lentement, défit son veston avec une grimace et s'assit sur le bord du lit. Il retira ensuite sa tunique souillée de sang séché et Jaheira observa sa plaie. La lame y avait fait une entaille de plusieurs centimètres, cela devait probablement le faire souffrir mais il ne s'en plaignait pas. En examinant l'elfe, elle ne put s'empêcher de remarquer les nombreuses cicatrices qui lui parcouraient le dos. Elle étudia chaque plaie du bout des doigts pour évaluer la cicatrisation de celles-ci. Legolas lui décrivit chaque blessure.

- Une chute de cheval... Trois côtes brisées à Esgaroth...

- Cela explique votre faiblesse au bras droit, dit-elle.

Legolas approuva, il poursuivit en suivant le parcours de ses doigts :

- Une flèche dans la bataille sous les arbres...

Cette dernière blessure semblait lui avoir frôlé cœur.

- Cette flèche aurait pu vous être fatale, constata la guérisseuse.

- Je crois qu'elle l'aurait été si je n'avais pas été soigné à temps. C'est grâce à un guérisseur tel que vous que je suis encore en vie.

Ainsi était la raison pour laquelle l'elfe s'attachait tant à recruter des guérisseurs pour le Mirkwood. A cet instant, tous deux choisirent sans se le dire de ne pas aborder leur intime étreinte sur le bastion. Un silence s'installa. Jaheira nettoya sa plaie et lui sutura en quelques points à l'aide de l'un de ses propres cheveux. Même sans calmant, l'elfe ne bougea pas.

- Tendez le bras, pour vérifier la souplesse des points.

Legolas tendit le bras en hauteur, Jaheira lui pressa sur la paume de la main pour tester le serrage des points. Il reproduit l'exercice sur le côté, puis en tendant le bras face à lui. Jaheira se plaça face à Legolas et lui appuya sur la paume de la main, bras tendu. Il la contempla. Malgré le chagrin qui la dévastait et son récent combat, il admirait la force avec laquelle elle restait dévouée et concentrée. Legolas se sentit à son tour porté par leur intimité et referma doucement ses doigts sur la main de la guérisseuse en continuant de la regarder, espérant ainsi un peu la consoler. Jaheira réagit timidement à cette initiative.

Un soldat vint se présenter sur le seuil de la porte ouverte de la chambre de Jaheira. Les deux se lâchèrent la main.

- Madame, on m'a dit de vous porter ceci, dit l'elfe en lui tendant un grossier emballage. Jaheira le reçut puis remercia le soldat qui quitta les lieux.

Jaheira s'assit sur le lit et le déballa, elle y trouva une étoffe rouge épaisse. La cape d'Haldir, encore maculée de son sang.

Legolas s'était revêtu. Il s'approcha :

- Puisse-t-il reposer en paix.

Les larmes coulèrent sur les joues de Jaheira. L'elfe se sentit désemparé de ne pouvoir la soulager :

- Il n'y avait pas de soldat plus valeureux que cet homme. Le Lórien subit aujourd'hui une profonde perte, ainsi que toute la race des elfes.

Jaheira n'entendit pas ce que l'elfe disait. Elle était perdue dans ses pensées. Legolas lui posa sa main sur l'épaule et quitta la pièce pour la laisser se recueillir. Sans prévenir, la guérisseuse l'interpella, affligée :

- Ainsi donc, la fin de toute une vie. Contemplez, toute la malédiction de la guerre...

Legolas se retourna pour l'écouter. Elle, regardait fixement le sol. Les mains tremblantes, la colère l'envahit.

- La guerre n'est que rupture. La guerre n'est pas que la fin de la paix, c'est le début du cauchemar, le déchirement des familles, la destruction de cités et la dislocation de l'Histoire, c'est la menace qui plane et le plus profond des espoirs d'un jour pouvoir retrouver l'ennui. La guerre n'est ni un sport, ni une performance, elle n'est qu'un avant-goût de l'enfer. 

- Jaheira...

- Répondez Legolas ! Vous qui ne vivez que pour la guerre. Quelle gratitude y trouvez-vous ?

Jaheira avait un regard noir.

- La guerre en elle-même est une chose horrible, et perdre vos être chers et innocents est la plus grande injustice qui soit....

- Ce n'était nullement notre guerre..., souffla Jaheira.

Legolas répondit, irrité :

- Nous sommes de la garde royale, nous ne sommes que des armes pour quiconque mérite qu'on se batte pour le défendre. Vous ne voyez là qu'une bataille, je vois là toute une guerre qui se prépare ! Sauron est puissant et il doit être détruit. Depuis des siècles, hier, aujourd'hui et demain, des centaines si ce n'est des milliers de gens ont péri et périront sous ses lames !

La jeune femme lui tourna le dos. L'elfe mit ses vives paroles sur le coup du chagrin et préféra la laisser seule un moment :

- Prenez le temps Jaheira. Seul le temps pourra vous apaiser de cette tristesse, conclut-il d'une voix posée.

Il quitta la pièce, laissant la guérisseuse seule. Elle rangea délicatement la cape de Haldir dans ses affaires et découvrit une enveloppe, cachetée de la chevalière de Haldir. Elle s'en saisit et l'ouvrit, l'émotion la saisit en lisant les quelques lignes de son précepteur.

« Moi, Haldir Raggenstone, fils d'Atar, Capitaine de la Garde Royale du Royaume de Lothlórien,

Sain de corps et d'esprit,

Vous fais part de mes dernières volontés.

A mon trépas, je souhaite que tout mon héritage personnel revienne à la cité d'Argent de Fangorn.

Avec mon éternelle loyauté.

Haldir Raggenstone, fils d'Atar.

Capitaine de la Garde Royale du Royaume de Lothlórien. »

Une nouvelle vague d'émotions envahit la jeune femme. Jaheira ressentit le besoin de marcher et sortit dans les couloirs de la cité. Sur son parcours, Aragorn lui présenta ses condoléances. Gimli et Gandalf lui adressèrent également des regards compatissants. La guérisseuse avait une mine affreuse.

Gandalf trancha dans la lourdeur ambiante :

- Mes amis, je crains qu'il ne soit temps de partir. Nous sommes attendus. Merry et Pippin sont en Isengard. Il semblerait que les deux hobbits se soient faits de précieux amis en nous attendant.

- Qu'attendons-nous ? demanda Gimli toujours enjoué.

- Venez avec nous, glissa Aragorn à Jaheira, restée en retrait. 

Elle le regarda, dubitative de sa proposition.

- Je dois retourner en Lórien, dit-elle.

Aragorn respecta son choix. Ne connaissant toujours pas son nom, il la salua avec fraternité :

- Merci, dame guérisseuse.

Le matin même, la compagnie prit la route vers Isengard, avec la hâte de retrouver leurs compagnons. Jaheira repartit en Lórien avec le cœur lourd, accompagnant les hommes du régiment de son plus proche parent et ami. 

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