Chapitre 16 : Le Rohan
Des semaines plus tard, alors que Jaheira travaillait à Fondcombe, Haldir lui fit la surprise de la visiter à l'apothèque. Tous deux ne s'étaient pas revus depuis des mois et beaucoup de choses s'étaient passées depuis. L'elfe avait notamment pris le commandement d'une nouvelle mission à l'Est en vue de soutenir le Mirkwood.
Jaheira fut ravie de revoir Haldir et l'accueillit avec un immense sourire :
- Que fais-tu ici ? Demanda-t-elle.
- Elrond convoque un conseil militaire.
- Comment ? Pourquoi ?
- Je l'ignore encore.
- Combien de temps restes-tu ?
- Juste assez pour prendre de tes nouvelles, dit-il posément.
Le cœur d'Haldir chavira en croisant les yeux brillants de la jeune femme, plus belle que jamais.
- Je reviendrai te voir dès la fin du conseil, dit le capitaine en tournant les talons.
- Je t'attendrai là.
***
Après plus d'une journée de débat, le conseil se termina. Haldir s'entretint brièvement avec Elrond et salua son ami avant de quitter le palais. Il rejoint l'apothèque pour s'enquérir de sa protégée :
- Est-ce qu'il y a quelqu'un ? Appela-t-il dans l'apothèque déserte.
La guérisseuse sortit d'entre les étagères en s'essuyant les mains dans son tablier.
- Haldir ? Qu'y-a-t 'il ?
- La guerre. La guerre est déclarée.
- Comment ? S'écria-t-elle. Où ?
- Au Rohan, le peuple des hommes a besoin de notre aide.
Elle accusa le coup. A la fois parce que son mentor se rendait une nouvelle fois en guerre, mais aussi parce qu'elle n'avait pas encore reçu son affectation : elle raterait cette nouvelle bataille. Une fois encore, elle resterait en arrière-front, enfermée dans sa cage dorée, incapable de soutenir le front. Elle regarda le sol avec dépit, profondément déçue de ce qu'elle prenait à présent comme une forme de désertion de sa part. Dévastée de chagrin, la culpabilité s'empara d'elle.
Bien au fait de sa déception, Haldir vit la jeune femme s'effondrer. Il s'approcha d'elle et lui souleva le menton :
- Viens avec moi.
- Quoi ?
- Il existe un moyen.
- Quel est-il ?
Haldir avait du mal à trahir ainsi ses valeurs.
- De par ton statut de pupille, tu es soumise à l'autorité de Galadriel et de Celeborn.
- Que veux-tu dire ?
- Prête-moi allégeance, et je t'affecterai dans le cadre de mes fonctions militaires.
Jaheira n'en revint pas. Il lui offrait là une affectation en tant que membre de la garde royale de la Lórien, c'était plus qu'une allégeance, c'était là une adoption. Si elle lui prêtait allégeance, Haldir deviendrait son tuteur légal et Jaheira abandonnerait irrémédiablement son statut de pupille du royaume de Lórien. En tant que tuteur, Haldir pourrait consentir à son émancipation. Bouleversée par cette proposition, elle regarda Haldir qui s'était réfugié devant les fenêtres de l'apothèque, dos à elle. En cet instant, l'elfe se maudissait : il ne voulait nullement trahir les siens, et exposer Jaheira à pareil danger n'était pas ce qu'il désirait, mais elle seule était apte à prendre une telle décision, qu'il savait mûrie depuis des années.
- Je vais devoir... quitter Fondcombe ?
- Tu quitteras la cour et tu devras renoncer à tes titres ainsi qu'à tes biens. Tu iras sur le front et tu pourras te battre, ils ne pourront te renier car tu seras affectée à leur armée. Tu te battras pour eux, sous leur fanion. L'armée sera ta nouvelle maison, les soldats seront ta nouvelle famille.
Elle réfléchit, elle n'avait nullement pensé à ce qu'impliquait de s'enrôler et de prendre les armes, pas plus à ce qu'elle deviendrait si elle quittait son statut de protégée. Elle n'avait pas de possession et aucun titre, mais cette séparation semblait brutale, même violente, elle n'était pas prête. Pour ainsi dire, elle désertait de son poste au palais et reniait par la même occasion tout ce que les elfes lui avaient apporté durant toutes ces années. Elle se leva, tremblante.
- Je te laisse une heure pour y réfléchir. Nous partirons pour le front, avec ou sans toi.
- J'accepte, trancha-t-elle.
Haldir se figea.
- "Par conviction, par devoir, par fierté, par allégeance." dit-elle, tremblante.
C'était le mantra de l'Académie de la Garde Royale. Haldir se retourna et découvrit la jeune femme au garde à vous, les mains dans le dos et le regard déterminé. Haldir éprouva des difficultés à contenir son émotion, il s'approcha d'elle et lui répondit avec le même salut militaire solennel, avant de poser son visage sur le front de sa désormais pupille.
- Prépare ton paquetage, nous partons pour le gouffre de Elm.
Sans attendre et sous le regard dépossédé du capitaine Raggenstone, la guérisseuse se débarrassa de son tablier et partit en courant vers ses appartements où elle rangea à une vitesse folle ses affaires dans son sac. Elle prit soin de sortir son armure de plates, son épée ondulée, son précieux arc et ses flèches, elle sortit la dague de Haldir et la rangea dans sa botte. Elle s'attacha les cheveux en plusieurs nattes qui lui dégageaient le visage et retira le fard qu'elle portait aux yeux. La jeune femme avait attendu ce moment des années si ce n'est des siècles, il n'était pas question d'oublier quelque chose. Après avoir fait le tour de sa chambre, elle porta son sac à l'apothèque où elle le déposa sur l'établi, rédigea une succincte lettre d'excuse à Elrond, l'informant de son allégeance ainsi que de son enrôlement volontaire, avant de saisir un sac en toile et de se retourner vers les étagères : « à présent, les médicaments. » dit-elle avec détermination avant de s'élancer dans les rangées de fioles avec le même empressement.
Le soir même, Haldir partit avec plusieurs centaines d'hommes direction le gouffre de Elm, au Rohan. La guérisseuse se glissa dans les rangs et se dissimula sous sa cape pour ne pas attirer l'attention, elle se plaça non loin de Haldir qui lui remit son équipement comme à tout autre. Elle prit part au convoi militaire en partance vers le Rohan et arriva après des heures de voyage. Jaheira était éreintée, mais sa fatigue s'envola dès qu'elle aperçut au loin le gouffre qu'elle n'avait imaginé que dans les livres. La pierre était certes terne, mais la cité surplombait fièrement toute la vallée malgré son timide ancrage dans la montagne. Jaheira sourit devant cette superbe apparition et se rappela qu'elle ne s'était jamais aventurée aussi loin de ses terres. Elle ressentit un court sentiment d'effroi, mais une galvanisante sensation de liberté.
Ils débarquèrent dans la cité. Créant la surprise, ils furent tous accueillis en grandes trombes sous les regards reconnaissants des gens qui s'étaient réfugiés là, fuyant les pillages de leurs terres. Haldir escorta la guérisseuse au palais et partit s'entretenir avec le roi Theoden du Rohan, laissant Jaheira seule dans la salle du trône. Elle profita de ce moment pour admirer les splendides voûtes de l'édifice : l'architecture des hommes divergeaient grandement de celle des elfes. La jeune femme profita de cette accalmie de courte durée pour se reposer un instant et, pour la première fois de sa vie, se délecta d'un hydromel offert par un serviteur. Épuisée de son voyage et désormais bien loin de chez elle, Jaheira décida de finalement retirer le artifices qui lui camouflaient le visage. Elle savoura ce semblant de liberté en savourant l'air froid sur son visage désormais à découvert.
Dans le silence, une femme l'apostropha :
- Il est très rare de voir une elfe en ces lieux.
Jaheira se retourna, la femme qui s'adressait à elle était d'une grande beauté, de longs cheveux blonds ondulés encadrait un visage angélique aux yeux bleus.
- Je n'avais jamais vu d'elfe aux cheveux brun, continua la jeune femme, jusqu'à dernièrement je n'avais rencontré que des elfes aux cheveux blonds.
- Est-ce vous ? Questionna une autre voix venant de l'obscurité.
Un homme sortit de l'ombre, et Jaheira s'illumina en reconnaissant le visage familier d'Aragorn.
- Vous ? Ici ? Demanda-t-il.
Il s'approcha d'elle et lui prit les mains avec élégance et douceur, comme pour la rassurer. A moins que ça soit lui-même qu'il essayait de calmer par sa présence.
- Quelle folie vous a fait venir ici ?
- Je suis venue avec les armées elfiques, pour soutenir le Rohan. Mais vous que faites-vous ici ? Où sont les autres ? Je vous croyais...
- Pas ici, coupa-t-il. Venez.
Aragorn conduisit Jaheira jusqu'à Gimli qui se préparait dans l'armurerie. Le nain salua la jeune femme avec bonhommie. Il ne put dissimuler un certain scepticisme de la voir, mais se radoucit lorsqu'elle s'assit à côté de lui et lui proposa de finir sa boisson. Jaheira se fit conter les derniers déboires de la troupe qui avait quitté Fondcombe il y a de cela des mois. Elle fut profondément chagrinée d'apprendre le trépas de Boromir du Gondor qu'elle connaissait peu mais qu'elle estimait au plus haut point. Cette épopée semblait particulièrement singulière à la jeune elfe, qui ne comprenait pas là ce qui motivait une aventure si dangereuse.
- Où est-il ? Demanda-t-elle lorsque le nain mentionna Legolas.
- L'elfe est avec ses amis aux oreilles pointues ! Répondit Gimli avec un sarcasme non dissimulé.
Aragorn et Gimli furent appelés par les hommes de Theoden. Ils laissèrent Jaheira seule un instant. Elle profita de cette nouvelle solitude pour marcher un peu dans les couloirs de l'armurerie et fut attirée par une douce lumière. Elle s'avança sur un balcon éclairé par les dernières lueurs du jour, elle profita du soleil pour contempler de haut les étages de la cité et respira profondément pour ancrer cet instant au plus profond de sa mémoire. Elle était là, enfin, et dans son cœur se mélangeait excitation et peur. Tout serait improvisé, elle serait surement seule à soigner, mais malgré tout, elle était exactement là où elle avait toujours voulu être et se sentit soudainement galvanisée à l'idée d'enfin en découdre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top