Chapitre 13 : L'apothèque
Des mois plus tard.
Les temps étaient agités en Terre du Milieu. Une nouvelle guerre était proche : tous ici sentaient la menace grandir en Mordor mais sans en connaître l'origine réelle. Des armées elfiques avaient été dépêchées pour soutenir les postes d'éclaireurs afin de surveiller tout mouvement ennemi. On suspectait une potentielle inclusion du Mordor sur les terres alliées, tous devaient se tenir prêts.
Fondcombe avait été informé de la soudaine mobilité de la créature Gollum qui avait entamé une migration. Cette-fois, il était passé outre les frontières des terres d'Elrond. La traque de cette créature était stratégique, car Gollum demeurait très sensible aux troubles magiques, ces mêmes troubles qui pouvaient secouer en un battement de cil toutes les alliances établies entre les grands de ce monde.
Après des jours de traque, Gollum fut aperçut. Réfugié dans une sombre grotte à l'Ouest de Fendeval. La créature n'en sortit plus et on conclut à une fausse alerte. Mais les hommes et le commandant Vertefeuille, en charge de sa traque, durent à maintes reprises faire face aux à l'ennemi qui rôdait dans la région. Lorsque la situation demeura maîtrisée, par sécurité, le roi Thranduil accorda le repli de sa garnison qui se vit ouvrir le passage par Fendeval afin que soit reportée la situation à Elrond, souverain de la région.
Jusque-là préservé des persécutions de l'ennemi, un semblant de paix régnait encore à Fondcombe. Mais il n'était pas rare de voir des soldats lourdement armés quitter le territoire pour des missions d'exploration, puis revenir épuisés et dévastés. La mobilisation des soldats était telle que Jaheira avait désormais du mal à absorber la quantité de blessés qui revenait avec chaque retour de garnison. Coïncidence ou pas, la majorité d'entre eux étaient à présent des soldats du Mirkwood. Ces hommes étaient éreintés, ce qui les exposaient d'autant plus aux blessures. La jeune femme témoignait du déclin de la puissance de frappes des alliés un peu plus chaque jour mais tenait du mieux qu'elle pouvait, renouvelant sa dévotion à son peuple à travers ses soins. Elle avait conservé de très bons restes de son dur entrainement de l'Académie qui l'avait fait gagner en endurance, ce qui lui permettait de tenir le rythme pour le salut de ces hommes.
Dans son malheur, ce flux constant de nouveaux blessés lui donnaient l'occasion de se perfectionner pour son prochain poste de guérisseuse de guerre, dont l'affectation se faisait attendre, temporisée par l'afflux constant de travail dans la région et le féroce instinct de préservation d'Elrond qui connut un vif regain avec la guerre.
Terminant leur discussion, Elrond invita le commandant Vertefeuille à se reposer à Fendeval avec son régiment, afin qu'ils recouvrent leur énergie avant leur retour à l'Est. Elrond s'engagea à prendre la relève de la traque de Gollum avec ses hommes qui composaient régulièrement avec l'hostilité de ses terres.
Legolas décida de profiter de sa permission à Fondcombe pour s'accorder un peu de temps hors de la vie militaire qui avait occupée chacun de ses gestes et de ses pensées au cours des derniers mois. Il passa quelques jours à disposition pour lire, hobby qu'il avait du mal à concilier avec son quotidien de commandant.
En déballant ses affaires, il décida de se rendre à l'archerie pour faire retendre la corde de son arc. Une fois réparé, il souhaita en tester le résultat et se rappela sa blessure à la main, aujourd'hui parfaitement cicatrisée grâce aux bons soins de cette anonyme guérisseuse. Ne sachant si elle serait encore là, il décida néanmoins d'acheter un cadeau pour la jeune femme, car il n'aurait surement pas pu si bien se défendre si sa vive écorchure lui avait barré la main. De plus, il était toujours utile d'obtenir les faveurs d'un guérisseur en ces temps, lui-même cherchant désespérément à en recruter pour le Mirkwood.
L'elfe se mit en chemin vers l'apothèque, dont les portes grandes ouvertes laissaient entrer quelques feuilles mortes portées par le vent d'automne. Il contempla à nouveau la beauté de la pièce déserte. Mais la salle apparut plus dérangée qu'à l'habitude, témoignant de l'afflux constant des blessés dans la région désormais mobilisée à la guerre : des bocaux manquaient sur les étagères, de gros paquets de plantes attendaient d'être traités et les lettres et courriers s'empilaient sur les établis.
L'elfe s'avança dans l'allée d'un pas lent, appréciant chaque angle de la bâtisse, la lumière et les milliers de reflets des fioles de verre qui constellaient les murs de petites particules colorées. Le commandant s'émerveillait à nouveau de l'endroit, mais bien que son ravissement fût tout aussi agréable, il ne retrouva pas ses ressentis du début car les lieux étaient aujourd'hui froids et vides. Legolas avança ainsi jusqu'au fond de la pièce où trônait un grand établi chargé de manuscrits, de plumes, de cahiers de dessin, d'herbiers et de travaux, surement le bureau d'un des guérisseurs. Il regarda les croquis du corps humain et des plantes qui y étaient dessinés, étalés dans ce qui semblait être un désordre organisé. Le prince leva les yeux sur les papiers aux murs, des dizaines de lettres de remerciements, des faire-part de naissance, des bons de commande pour des plantes ou de messages de grands mestres... Puis, ses yeux furent attirés par un élément accroché au mur, une flèche écarlate qui lui sembla familière.
Il entendit un bruit de porte provenant de l'alcôve attenante, Jaheira entra dans la pièce et fut surprise de découvrir le commandant dans son apothèque.
- Mes hommages, salua Legolas.
Jaheira se courba poliment.
- Seigneur Legolas. J'ignorai votre présence à Fondcombe. Est-ce que tout va bien ?
Pensant avoir affaire à un autre guérisseur, il fut ravi de la revoir elle.
- Oui, je ne suis que de passage...
- Comment va votre main ?
- Parfaitement rétablie, dit-il fièrement en étirant sa main doigt par doigt un par un. Je dois vous remercier, la réputation de cette institution est plus que méritée.
Jaheira se sentit légèrement intimidée, elle posa sa livraison de plantes sur une table vide.
Soudainement, l'elfe eut un délic, son sang ne fit qu'un tour.
- Quand avez-vous obtenu votre diplôme de l'Académie de la Garde Royale ? Questionna-t-il.
Jaheira se figea. Était-ce son poste de commandant qui lui avait donné accès à une telle information ? L'elfe était très haut gradé, Jaheira préféra ne pas mentir mais se sentit mal à l'aise.
- Onze mois, deux semaines et... quatre jours.
- Vous êtes la recrue qui a sauvé ce soldat lors de l'épreuve finale, souligna Legolas.
La jeune femme tomba des nues. Elle avait gardé l'anonymat tout au long de sa formation et seule une poignée de personnes savaient pour son diplôme ici, Jaheira n'avait rien révélé de son identité à l'apothèque. Comment l'elfe pouvait-il avoir été mis au courant de cet infime détail concernant sa formation ? Même Elrond était dans l'ignorance de cette anecdote !
- Quelle utilité pour une guérisseuse de faire partie de la Garde Royale ? Questionna Legolas, visiblement extrêmement bien renseigné.
- "Savoir se battre revient parfois à réduire le nombre de blessés de votre camp." répondit-elle.
Legolas acquiesça de cette phrase bien connue du milieu militaire.
- Est-ce cela la raison pour laquelle vous vous entraîner au tir à l'arc ? Pour devenir guérisseuse de guerre ?
Jaheira resta sans répondre. Le commandant était certes un homme de confiance, mais elle ne s'était jamais retrouvée ainsi exposée à un étranger. Elle continua à tergiverser et se demanda si elle ne devait pas appeler Elrond. L'elfe ne se montrait pas menaçant, bien au contraire... Après tout, pourquoi ne pas tout lui dire ? Il pourrait l'enrôler en un instant dans ses rangs. Incapable d'agir, Jaheira resta tétanisée.
Son silence tint pour réponse. La rare aspiration de la jeune femme força l'admiration du commandant : ce titre était plus que courageux à endosser pour un guérisseur, qui plus est, compte tenu des menaces liées à leur type de profils.
- Trop peu de femmes s'enrôlent et je le déplore... Je dois vous avouez que vous avez été une des rares qui m'est été donné de former.
Jaheira ne comprit pas, jusqu'à ce que Legolas la dévisage de ses yeux bleu qu'elle reconnut soudainement :
- Capitaine Eryn ? Souffla-t-elle.
- Je forme les élites de la Garde Royale depuis plus de trois siècles. Vous êtes la seule recrue qui n'ait jamais soigné un camarade durant l'épreuve finale. Je comprends mieux votre geste à présent.
Jaheira resta silencieuse. Elle ne comprit pas comment elle avait pu ne pas reconnaître ce regard d'un bleu perçant si caractéristique. Quant à sa voix, elle la trouva changée, cela était sans doute dû au fait que le capitaine Eryn ne s'exprimait qu'en ancien elfique tandis que Legolas ne lui avait jusqu'ici parlé qu'en langue universelle.
Legolas reprit :
- Accompagnez moi au pas de tir.
- Veuillez m'excuser mon seigneur, J'ai encore des soins à prodiguer, répondit-elle.
- Rejoignez-moi plus tard, nous devons poursuivre votre entraînement, dit-il.
Jaheira disposa du commandant d'un signe de tête et repartit vers une chambre attenante.
***
Sur le chemin du terrain de tir, Legolas fit un détour par l'office du seigneur Elrond, avec qui il souhaita s'entretenir.
Après l'avoir salué, il pesa chaque mot pour ne pas paraître trop abrupt :
- Seigneur Elrond.
- Commandant Legolas. Que puis-je faire pour vous ?
- N'y voyez là aucunement de mauvaises intentions...
- Parlez. Je vous en prie.
- J'ai rencontré l'une des guérisseuses de votre apothèque.
Elrond apparut mal à l'aise, même s'il avait toute confiance en Legolas, il n'en était pas moins le prince du Mirkwood et le commandant d'une puissante armée, l'elfe était donc en contact plus que régulier avec son roi qui pourrait être informé de l'existence de Jaheira plus vite que prévu.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, Legolas le rassura :
- Je connais bien la convoitise que suscite son profil. Je tenais à vous dire que je ne révélerai nullement son existence à mon père, du moins, pas tant que vous ne l'autoriserez pas. Je tiens néanmoins à ce que vous sachiez que mon passage ici n'était nullement désintéressé. Vous n'êtes pas s'en savoir que nous cherchons du soutien pour le front sylvestre...
- Legolas, trancha Elrond. Cette femme est la seule guérisseuse que nous ayons, pour cela, elle nous est plus que précieuse, et je vous remercie pour votre loyauté envers moi. Je tiens à vous rassurer, bien qu'il m'en coûte de vous en informer : mais sachez que cela est sa décision, elle a déjà manifesté ses intentions quant à prendre l'uniforme pour soutenir les armées sylvestres au front. Je ne fais que temporiser son affectation en attendant qu'elle soit prête au combat.
- Est-ce cela ? Est-ce là la raison de son diplôme de la Garde Royale ?
Elrond apparut surprit que l'elfe soit au courant.
- Comment... ?
- Je l'ai moi-même certifié à East Bight, se justifia Legolas. J'étais le capitaine de sa promotion. Elrond, vos guérisseurs...
- Il n'y a pas "des" guérisseurs Legolas, trancha Elrond. Elle est la seule, insista-t-il.
Le commandant apparut surpris.
- C'est elle qui gère l'apothèque, seule. Et ce, depuis des années. Voilà l'unique raison de ma réticence quant à la mener au combat. Si elle meurt, tout tombera avec elle. Son savoir est unique, son expérience est un don, elle ne peut former personne à l'exercice, cela serait trop dangereux et bien trop long. Sachez, commandant, qu'elle vous sert déjà depuis des années, chaque soldat envoyé ici est soigné par elle et elle seule.
Legolas resta silencieux : il n'en croyait pas ses oreilles. Toute la renommée de la médecine elfique, toutes les dernières avancées ne tenaient donc qu'à une seule et même personne ? Cela avait tout d'irréel.
- Elle a été formée au combat par le capitaine Haldir Raggenstone. Elle ne bougera pas d'ici sans notre accord à tous les deux.
Voilà donc la raison de la présence du capitaine à East Bight. Tout était clair à présent. Legolas apparut déconfit et fit un signe de tête à Elrond, comprenant soudainement tout le danger qui menaçait cette femme.
- Suivez-moi Legolas, je crois qu'il est donc temps de vous la présenter officiellement.
Elrond et lui se rendirent à l'apothèque. Sur le chemin, l'elfe préféra avertir le commandant :
- Comme je vous le disais, pour l'heure et malgré son talent, elle n'est pas encore prête au combat. Mais nous prenons sa demande d'affectation très au sérieux. Si elle doit un jour quitter ces murs, ça sera pour le Mirkwood, à moins qu'elle ne change d'avis.
Legolas fut ravi d'entendre une telle nouvelle, mais il s'agissait là de ne pas se précipiter :
- Elrond, je m'engage envers-vous à la protéger autant que possible, que ça soit ici, ou sur le front.
Le seigneur elfe acquiesça d'un signe de tête en guise de remerciement.
Elrond et Legolas arrivèrent à l'apothèque et patientèrent. Jaheira arriva un peu plus tard et fut quelque peu surprise de découvrir cette fois-ci Elrond en compagnie du commandant, il était clair que quelque chose se tramait.
Sur ses ordres, elle suivit Elrond et les trois s'isolèrent dans une pièce fermée.
- Il me semble que tu as déjà rencontré le commandant Legolas Vertefeuille du Mirkwood. Je tenais à ce que tu lui sois présentée officiellement. Si ta mobilisation s'opère, il te sera un atout précieux sur le front.
Sur autorisation d'Elrond, Jaheira retira alors son voile et son bandeau qui lui couvraient la tête et le visage, et salua l'elfe avec une fervente révérence.
Elle était des plus ravissantes, ce qui ne gâchait en rien son talent.
- Je suis Jaheira de Lórien, mon seigneur.
- C'est un honneur que de vous rencontrer, Jaheira de Lórien, salua Legolas en retour.
L'elfe s'étonna une seconde du patronyme de la jeune femme, devinant son interrogation, elle se justifia :
- Je suis pupille de la cour de Galadriel et de Celeborn de la Lothlórien.
Legolas acquiesça, désolé d'apprendre son orphelinat. Seuls les dépossédés n'avaient qu'un seul prénom et pour seul nom de famille les terres qui les accueillaient.
Une fois les présentations faites, les deux elfes disposèrent pour la laisser travailler, et discutèrent encore un moment. Legolas renouvela sa promesse de silence auprès d'Elrond avant de disposer pour, comme prévu initialement, s'entraîner un peu au tir à l'arc.
Il le savait : l'exercice l'aiderait à digérer cette nouvelle et lui ferait du bien. L'elfe se rendit sur le pas de tir et s'entraîna à tirer deux flèches sur des cibles qui se balançaient silencieusement au bout de cordes. Pour corser l'exercice, il décida de tourner le dos aux cibles et de se retourner avant de tirer, il mit dans le mille à chaque tir avec une facilité déconcertante.
Quelques heures plus tard, alors que la fin de journée approchait, Jaheira jeta un coup d'œil par la fenêtre de l'apothèque : le commandant était encore à l'entrainement. Elle respira un grand coup et prit le chemin qui rejoignait le pas de tir. Cette journée ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait vécu au cours de sa vie et ne savait à quoi s'attendre. Serait-elle affectée à l'issue de cette session de tir ? Était-ce un test ? Elle vit au loin l'elfe, dos aux cibles, les yeux fermés, profondément concentré. Elle s'arrêta pour l'observer et ne pas le déranger. Alors, l'elfe pivota, tendit son arc et tira les deux flèches dans le mille sur une cible. Sa réputation d'excellent tireur était plus que justifiée. La jeune femme avança avec une certaine timidité, très impressionnée.
Legolas sentit la présence de Jaheira et la vit sortir d'entre les arbres, elle avait repris son uniforme militaire.
- Venez, dit-il en posant son arc.
Ils s'approchèrent d'une table abîmée laissée là, l'elfe retira son gant de tir en cuir puis déposa délicatement un caisson plat sur l'établi. Il ouvrit le coffre. Jaheira y découvrit un arc en bois blanc brillant décoré d'une fine bague dorée et une corde à la finesse incroyable. Elle en resta sans voix.
- Ainsi vous irez au combat avec un arc digne de ce nom, dit-il.
Jaheira avait les yeux qui brillaient, elle n'avait jamais vu un arc aussi beau et hésita devant ce cadeau.
- Je ne peux l'accepter, dit-elle avec regret.
- Considérez cela comme un présent du Mirkwood pour avoir soigné leur commandant, répondit-il.
Elle resta silencieuse.
- Essayez-le, l'encouragea Legolas en sortant l'arc du coffre et en lui donnant.
Jaheira ressentit désormais un mélange de gêne et d'excitation. Finalement, elle prit l'arc et se positionna sur le marquage du pas de tir. L'arc était d'une légèreté et d'un équilibre sans pareille.
Legolas lui tendit un gant de tir en cuir clair, délicatement ciselé avec un motif naturel. Jaheira découvrit timidement ce nouveau cadeau, mais l'elfe ne lui laissa guère le choix et lui glissa sur la main pour lui régler les liens de serrage. Il lui tendit une flèche de belle qualité : très fine, solide et parfaitement profilée, puis l'elfe recula de quelques pas pour la laisser s'exécuter.
La guérisseuse se mit en position de tir et se concentra, elle tendit la corde. Legolas se rapprocha, lui souleva délicatement le coude pour un angle plus optimal et recula à nouveau. Jaheira expira doucement et lâcha la flèche. Un souffle aigu se fit entendre, en un éclair, la flèche vint se loger en plein cœur de sa cible. Jaheira se réjouit et se retourna vers Legolas avec un sourire radieux.
- A présent, passons aux cibles plus éloignées, annonça-t-il.
Legolas montra à Jaheira une cible, située à plus de trois cent cinquante mètres. Elle ne distinguait rien de plus qu'un petit point blanc à cette distance. L'elfe tendit son arc juste à côté de Jaheira, y décocha immédiatement deux flèches, qui atterrirent en plein dans la cible en deux minuscules tâches foncés sur le cœur rouge, puis invita Jaheira à en faire en même.
La jeune femme voulut essayer, mais elle ne voyait déjà plus les deux flèches tirées par l'elfe. Elle s'exécuta, à sa grande surprise, la flèche toucha la cible mais sur le dernier cercle. Le capitaine resta silencieux. La guérisseuse se saisit d'une autre flèche et se mit en joue.
En position de tir, l'elfe l'examina attentivement :
- Ne faites pas attention, lui dit-il.
Elle s'efforça de se concentrer sur sa cible, malgré l'elfe qui la dévisageait avec insistance.
- Vous plissez des yeux ? Remarqua-t-il malgré le bandeau qu'elle portait.
Jaheira resta concentrée.
- Attendez, dit-il en posant sa main sur sa flèche, la forçant à relâcher son arc.
L'elfe se plaça juste à côté d'elle :
- Décrivez-moi ce que vous voyez.
- Quoi ?
- Jusqu'à quelle distance percevez-vous les choses ? Arrivez-vous à voir le papillon sur le bouleau situé derrière la cible, sur la dernière branche ?
La jeune femme se concentra, malgré ses efforts, elle ne vit même pas le bouleau qui était juste devant elle d'après les indications de Legolas. Elle secoua la tête et l'elfe apparut décontenancé.
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle, inquiète.
- Lequel de vos parents n'était pas de sang elfique ?
- Pardon ?
- Vous n'avez pas la vue elfique, cela signifie que vous êtes de sang mêlé.
- Je ne comprends pas..., dit-elle, subitement mal à l'aise.
- Toutes les épreuves de tir de l'Académie sont basées sur des capacités elfiques pures, déplora Legolas. La vision en fait partie. Vous n'avez pas la pleine capacité de vision propre aux sangs purs. Jamais vous n'auriez pu vous certifier à cet exercice.
Jaheira se sentit mal à l'aise. Elle déplora cette nouvelle inaptitude dont elle n'avait jamais eu idée avant ce jour. Déçue et presque triste, elle essaya à nouveau de trouver le fameux bouleau qu'il lui indiquait.
Legolas se condamna d'avoir organisé les épreuves de tir sans prendre en considération les sans-mêlés et leurs possibles défauts de vision. Il aurait pu passer à côté de cette guérisseuse si elle n'avait pas été diplômée.
- Voyez le bon côté des choses dame Jaheira... De mémoire d'elfe, vous êtes la première recrue de sang mêlée à être diplômée de l'Académie Royale. C'est une véritable performance, cela relève même de l'exploit.
Jaheira se sentit honorée mais toujours aussi honteuse de son handicap. Legolas reprit :
- Souhaitez-vous vous entraîner sur des cibles en mouvement ?
La jeune femme se consola. Visiblement, le handicap de la jeune femme ne semblait pas perturber l'elfe dans la poursuite de son accompagnement. Ils continuèrent à s'entraîner ainsi quelques heures. Legolas lui fit faire l'exercice des cibles mouvantes ou jetait des pommes en l'air pour que Jaheira décoche des flèches en vue de les transpercer. Elle y arriva par deux fois.
La nuit tombée, Jaheira ne distinguait plus grand chose autour d'elle, à la grande surprise de Legolas qui lui pouvait voir dans le noir. Lorsqu'ils remontèrent silencieusement le chemin jusqu'à Fondcombe, Jaheira brisa le silence :
- Je me sais demi-elfe, mais j'ignore qui sont mes parents. J'ai été abandonnée juste après ma naissance, d'où mon adoption par Celeborn et Galadriel.
Legolas adressa un regard désolé à la guérisseuse qui elle, fixait le sol.
Ils arrivèrent à l'esplanade de l'apothèque. Legolas raccompagna la jeune femme et entrèrent tous deux dans l'apothèque, elle posa ses affaires sur la table habituelle, en prenant grand soin de ranger son nouvel arc si précieux.
Soudain, Legolas et Jaheira détectèrent une agitation venant de l'extérieur. Une inquiétude traversa leurs visages et saisit l'air.
Quelques secondes plus tard, un rôdeur arriva sur le seuil de l'apothèque, portant dans ses bras un corps inanimé. L'homme était grand, brun, vêtu d'une cape et de bottes, il avait une allure sombre. Un grand trouble traversa Jaheira quand l'homme s'approcha, mais elle se reprit.
- Aidez-nous s'il vous plaît, dit-il précipitamment en posant le corps d'un semi-homme inanimé sur une table de travail.
Sans aucune sécurité, Jaheira s'approcha pour examiner le semi-homme, il avait une plaie béante sur l'épaule qui suintait d'un liquide noir et épais.
- Une lame noire, dit Jaheira, se parlant à elle-même. Reculez !
Elle se précipita pour chercher du matériel de soin. Elle revint de suite vêtue de son tablier et d'un récipient d'eau chaude. Elle s'adressa au rôdeur :
- Tenez-le fermement.
Aragorn l'interpella :
- Que faites-vous ?
Jaheira s'emporta :
- Faites ce que je dis, ou il mourra ! Menaça-t-elle.
- Qu'avez- vous dit ? Gronda le rôdeur en sortant une lame de sa manche et en la pointant vers la gorge de Jaheira, qui eut un mouvement de recul.
En une seconde, Legolas désarma le rôdeur, la lame fut balancée au sol à quelques mètres de là.
- Menacez-la encore une fois et c'est vous qui mourrez ! Gronda Legolas en prenant le rôdeur par le col, furieux.
Aragorn leva les mains en signe de paix.
- Qui êtes-vous ? demanda Legolas avec autorité, tirant à nouveau sur le col du rôdeur.
Le rôdeur retira son capuchon, dévoilant à Legolas un visage familier :
- Estel..., souffla-t-il.
- Je me nomme Aragorn, dit le rôdeur pour se présenter à Jaheira, voici Frodon, c'est un hobbit, il est blessé...
- Tenez-le fermement, coupa la guérisseuse.
L'elfe libéra le rôdeur et les deux hommes s'exécutèrent, les bras et les jambes du semi-homme furent immobilisés.
Jaheira appliqua un liquide transparent sur la plaie du petit homme qui se réveilla en un sursaut dans un râle effrayant, il se débattit avec des yeux révulsés. Jaheira saisit un petit pot rond en verre, dont le fond était tapissé de gaze, elle alluma une allumette, enflamma la gaze et retourna le pot sur la peau, autour de la blessure.
Le petit homme avait des spasmes. Elle maintint fermement le récipient collé à la peau autour de la plaie, et le maintint en contact. Peu à peu, la gaze s'enflamma, la peau du petit homme fût aspirée par le fond du pot, tendue, la plaie se purgea de son liquide noir et épais qui vint se coller sur la gaze, sous le regard médusé des deux témoins qui n'avaient jamais vu pareille démonstration. Aragorn et Legolas eurent de plus en plus de mal à garder le semi-homme immobile. Le blessé se mit à convulser.
- Ne le lâchez pas ! Gronda-t-elle.
A ce même moment, Arwen entra dans l'apothèque et resta immobile sur le pas de la porte, spectatrice impuissante de la terrifiante scène qui se déroulait sous ces yeux. Deux hommes maintenaient le semi-homme qui convulsait, pendant que Jaheira lui purgeait sa plaie de sang souillé. Trois autres semi-hommes vinrent la rejoindre du dehors en courant, elle leur fit barrière pour ne pas qu'ils entrent. Les trois petits hommes aperçurent leur ami au plus mal et livide. Ils paniquèrent :
- Frodon ! cria l'un d'eux,
- Vous êtes en train de le tuer ! Cria un autre.
Jaheira leva les yeux brusquement vers Arwen et les trois semi-hommes, Arwen acquiesça d'un regard et la porte de l'apothèque se ferma dans un claquement, la repoussant elle et les trois semi-hommes au-dehors.
La plaie termina de s'assainir, mais le corps de Frodon était toujours piqué de violents spasmes.
- Qui est-il ? Que lui est-il arrivé ? Demanda Jaheira au rôdeur.
- Nous avons été attaqués par des cavaliers noirs au Monts Venteux.
- Des cavaliers noirs ? Répéta Legolas.
- Avez-vous récupéré l'arme ? Le coupa Jaheira.
Aragorn n'eut pas le temps de répondre, le corps du hobbit se raidit puis il tomba inconscient. Jaheira retira le récipient presque rempli de liquide noir et le plongea à l'envers dans le récipient d'eau chaude, le liquide resta prisonnier du bocal.
Jaheira épongea la plaie de Frodon, dont s'écoulait du sang désormais rouge.
- Il aura des séquelles toute sa vie, regretta la guérisseuse.
Jaheira entreprit de lui combler la plaie avec des plantes aseptisantes et lui posa un pansement. Legolas et Aragorn restèrent debout à la regarder faire, impuissants.
Au même moment, Elrond se précipita dans l'apothèque par l'intérieur du bâtiment. Il s'approcha du hobbit, puis interrogea Jaheira du regard.
- Elrond, salua Aragorn respectueusement.
- Qu'est-il arrivé ? Demanda-t-il à Jaheira.
- Une lame noire, déclara Jaheira.
Elrond regarda Frodon un instant, lui caressa le front, donna quelques ordres à Jaheira et repartit avec Aragorn, sans dire un mot. Une fois son intervention terminée, Jaheira fit installer Frodon dans une chambre attenante.
La guérisseuse prit un instant pour recouvrer ses esprits après cette décharge d'adrénaline, l'intervention l'avait épuisée. Legolas resta avec elle, même s'il conservait son calme habituel, il semblait lui aussi secoué. L'elfe observa Jaheira et ressentit sa fébrilité.
Lentement, elle s'approcha du récipient d'eau chaude qui contenait encore le bocal empli de liquide noire. Elle partit chercher une fiole spécifiquement scellée, opaque et entreprit de transvaser le liquide visqueux à l'intérieur. Jaheira était déçue. Les armes maléfiques de ce genre ne couraient pas les rues, si seulement ils avaient pu récupérer la lame, la guérisseuse aurait pu progresser dans ses recherches.
Une fois remplie, elle scella la fiole solidement avec de la cire, puis partit la ranger dans un meuble discret et sécurisé.
Lorsqu'elle revient, elle s'adressa à Legolas.
- Merci de votre aide, dit-elle avec sincérité.
Legolas lui répondit d'un signe de tête et disposa après s'être assuré que tout allait bien et, soudainement pressé, il quitta Fondcombe le soir même.
Jaheira termina de ranger l'apothèque seule. Elle ramassa la lame d'Aragorn au sol. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle s'était faite menacer. Les humains étaient décidément des êtres traîtrement imprévisibles.
Une nouvelle personne pénétra dans l'apothèque. Elle se retourna pour l'accueillir. Cette fois, il s'agissait d'un vieil homme aux longs cheveux blanc, il portait un vieux chapeau. Lorsque Jaheira se retourna pour le saluer, le vieil homme marqua un temps d'arrêt. Il la regarda fixement, stupéfait et un silence s'installa.
- Où est-il ? Demanda-t-il sans même la saluer.
- Que puis- je faire pour vous ? Demanda-t-elle gentiment en espérant que le vieil homme se présente.
- Le hobbit, où est-il ? Répéta-t-il.
- Il est hors de danger, mais il doit se reposer, dit-elle en s'éloignant.
L'homme la suivit lentement, ce qui ne rassura pas la jeune femme.
- Qui êtes-vous ? demanda Jaheira, interloquée que l'homme lui emboîte le pas.
- Veuillez m'excuser ma dame, je suis Gandalf le Gris, répondit-il doucement avec une révérence.
- Gandalf ! Salua Elrond qui venait d'entrer dans l'apothèque.
Ces deux-là se connaissaient donc aussi. Elle n'y comprenait plus rien. Jaheira se retira pour laisser les deux hommes s'entretenir. Elle tourna les talons tandis que le magicien la dévisageait encore, puis quitta l'apothèque.
Cette journée était définitivement inattendue, Jaheira ne se rappela pas en avoir vécu de telle dans sa longue vie.
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