Rencontre
Je flottais avec comme seul compagnon la lune qui refusait toujours de me parler. La petite fille à laquelle j'ai jadis offert une maison devait maintenant être devenue une belle femme si je me fiais au nombre de coucher de soleil que j'avais vu, mais, curieusement, mon corps n'avait pas l'air de subir les marques du temps. J'étais toujours aussi petite et aucune ride n'était venue gâcher mon visage d'enfant... Je rêvais souvent, comme la rousse, d'une maison et d'un village bien à moi, mais j'étais condamnée à errer de maisons en maisons. Non seulement j'étais une démone, mais, en observant les humais, j'avais remarqué qu'ils grandissaient tandis que moi je ne gagnait pas un pouce. N'allaient-ils pas trouver ça suspect? En plus, je ne possédais pas ce qu'ils appelaient "argent" et, sans ça, je ne pouvais vivre convenablement. Je n'avais pas besoin de me nourrir ni de me chauffer, mais je pouvais consommer des aliments comme eux. C'était juste que je pouvais survivre à de longues périodes de jeûne... Je me tournai pour observer mon amie qui était énorme en ce jour de pleine lune. Le dragon, lové autour de mon poignet, se resserra à ce moment-là comme pour me signaler qu'il était toujours bien présent.
Je continuais à observer lune quand une ombre passa devant le disque lumineux. Ce n'était qu'un faucon, mais, pour la première fois depuis des lustres, la lune me chuchota quelque chose. "Suis-le" dit-elle. Je me demandais bien pourquoi, mais, à bien y penser, que pouvait bien faire un faucon au milieu de l'océan? Je suivis donc le conseil de mon ange gardien. À l'horizon, j'aperçus une île qui flottait sur la grande étendue d'eau calme. Elle n'était pas bien grande; elle possédait un petit volcan dont un petit filet de fumée sortait, une chute d'eau qui apparaissait sur son flanc et une grande forêt émeraude. Je remarquai aussi un deuxième filet de fumée très mince et beaucoup plus petit qui s'élevait au cœur de la forêt en m'approchant. Le faucon s'y dirigea et je dus me dépêcher pour ne pas le perdre de vue. Trop tard. Je me posai à l'endroit où il avait disparu et je scrutai les branches à sa recherche. Il n'était nul part. Jamais je ne trouverai la source de la fumée! Au moment où le désespoir envahit mon cœur, je remarquai que je me tenais sur un sentier. Quelle idiote je faisais! À trop scruter la cime des arbres, je ne l'avais même pas remarqué! Il devait bien mener quelque part!
Au bout du chemin se tenait donc une unique chaumière ronde. Elle se trouvait dans une charmante clairière naturelle avec un puits et était entourée de cultures diverses. Il y avait même des pousses de légumes dont j'ignorais le nom. Je continuai ma route vers la petite maison sur le pavé de pierres multicolores. Devant la porte, une mosaïque représentant un phénix en envol renvoya mon reflet. Zut, mes oreilles et ma queue avaient réapparu sans oublier mes yeux! Je fis un mouvement pour les faire disparaître quand une vieille femme me dit de l'intérieur :
- Reste comme tu es, mon enfant. J'en ai vu des biens pires!
Surprise, ma main resta suspendue dans les airs. Reprenant mes esprits, je la laissais retomber contre ma hanche au moment où la porte de la petite cabane s'ouvrait devant moi. Assise dans un vieux fauteuil près du feu, une dame dont le visage était marqué de nombreuses rides me regardait. Elle me détailla de la tête au pied, tellement que ça me mit mal à l'aise...
- Hum, que vois-je? marmonna-t-elle. Une jeune démone renard? Non, malgré les apparences, tu as un cœur d'humaine... Tu étais l'une des leurs je suppose? Ah oui! Je vois! Tu es une ressuscitée! s'exclama la vieille dame.
- Pardon?!
- Oui, oui! Tu es morte et tu es revenue à la vie pour une raison très spécifique! Ce n'est pas comme les fantômes, toi, on peut te voir.
- Ça, je l'avais remarqué, grommelai-je.
- Alors ça, j'en avais jamais vu, continua-t-elle en m'ignorant. Nom d'une pipe!
- Quoi encore? grognai-je.
- Et gardienne à part ça! Du jamais vu!
- Une minute, c'est quoi ça? Gardienne de quoi?
- Euh, tu ne sais pas c'est quoi? Normal, tu étais humaine, tu ne pouvais pas savoir. En tout cas, écoute-moi bien. Tu es une gardienne de la lune. Les gardiens de la lune protègent les humains et les créatures magiques depuis la nuit des temps. Le seul fait que tu aies la marque du dragon et que tu parles à la lune en est la preuve.
- D'ac... cord. Mais dans le cas où je ne veux pas sauver le monde et que je veux continuer à vagabonder? répliquai-je.
- Le destin nous rattrape toujours, jeune fille.
- Bon, ben, si c'est tout, je dois aller sauver le monde moi! dis-je sarcastiquement.
- Attends, dis la vieille dame. Qu'est-ce qu'il te donne comme pouvoir?
- De quoi?
- Le dragon.
- Ah, euh, il transforme la matière, je crois.
- Hum, le pouvoir de l'échange équivalent... Et bien, bonne chance!
Je me précipitai hors de la maison. Quelle vieille folle! Pour qui se prenait-elle, celle-là?! Pff... Et merde! Je croyais que j'étais sur une île flottante moi! Qu'est-ce que je foutais maintenant dans un village?! Je me retournai et vis un magasin. "Voyance et herbes magiques"... C'était bizarre, de plus en plus bizarre... J'observai le village autour de moi. Étais-je déjà venue ici? De toute façon, ça ne changeait rien, j'allais aller lui montrer ma façon de penser à cette vieille fripée! Si on n'avait pas été au beau milieu de la nuit, on m'aurait vu! J'entrai en trombe.
- Non, mais ça va pas? Ramène-moi sur l'île...
Je laissai ma phrase en suspens. Non, mais qu'est-ce qui m'arrivait?! Ce n'était plus chez cette vieille sorcière que j'étais, mais plutôt dans un de ces magasins humains remplis de boules de cristal, d'herbes séchées pendant au plafond à travers des cristaux et de bibliothèques remplies à craquer de livres usés.
- Qui est là? demanda une femme à l'étage.
Zut de zut! Il allait falloir jouer la comédie. Du bout des doigts, je fis disparaître mes oreilles et ma queue et fis redevenir normaux mes yeux. Une chance que je ressemblais à une enfant et que j'étais sale, ça n'allait que me rendre plus crédible! Une jeune femme descendit d'en haut et me vit.
- Je, je me suis perdue. Je ne me souviens plus de rien et j'ai très peur, dis-je en pleurnichant.
- Oh! Pauvre toi! Viens, tu dormiras avec moi à l'étage. Nous verrons demain avec ma mère ce qu'on pourra faire pour toi. Tu verras, elle est très gentille. As-tu faim?
- Euh... Oui, mentis-je.
Je montai à l'étage avec la jeune fille. Il était composé d'une seule grande pièce avec une table d'osier et des bibliothèques qui tapissaient la moitié des murs. Un coin de la chambre à coucher était séparé par des rideaux aux motifs d'étoiles. Mon regard fut automatiquement attiré par un objet posé sur une des armoires. C'était une simple bouteille de bière verte, mais une boule de lumière flottait à l'intérieur... Mon cœur arrêta de battre.
- Qui, qui t'as offert ça?
- Oh, c'est à ma mère. Elle dit que c'est un ange qui lui a donné quand elle était jeune, mais elle n'a plus toute sa tête depuis que mon père est mort. Au fait, je m'appelle Ariel.
Je n'en revenais pas. Merde, il fallait vraiment que je quitte cet endroit au plus vite si je ne voulais pas me faire repérer, mais je ne pouvais pas laisser Ariel en plan comme ça! Qu'est-ce que j'allais faire?
- Hé! Ça va? Tu ne m'as pas dit ton nom encore, me demanda-t-elle.
- Je m'appelle Fatum.
- Ce n'est pas un nom de garçon, ça?
- Ça veut dire destiné en latin, dis-je en ignorant sa question.
- Ah bon.
Elle se dirigea vers le coin cuisinette. Je n'avais pas particulièrement faim, mais les fruits frais me firent saliver. Je la regardai les couper et observai le mouvement de va-et-vient hypnotisant de la lame du couteau. En m'accotant sur le comptoir, j'accrochai un bol décoratif qui se cassa par terre. Zut.
- Qui est là? dit une voix derrière les rideaux. C'est toi, Ariel?
Je me mis à paniquer. Instinctivement, je me cachai derrière l'armoire. Dans le meilleur des cas, Ariel allait m'oublier.
- Oui, mère, c'est moi! Par contre, nous avons une invitée spéciale.
Une personne assez âgée sortit de derrière les rideaux. Ses cheveux gris conservaient des traces de leur couleur rousse d'antan. Elle était comme dans mes souvenirs, mais en plus ridée. Je ne pouvais plus me cacher, alors je me levai, tête baissée. Mes cheveux cachaient une partie de mon visage. Le silence s'installa. Je relevai doucement la tête et fixa la vieille femme. Pendant un instant, je levai le charme, mais pas assez longtemps pour qu'Ariel le remarque. Contre toute attente, la vieille dame tomba à genoux et agrippa le bas de ma robe en pleurant. Je restai plantée là sans savoir quoi faire.
- Ça faisait si longtemps.
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