Commandant

- Approche, mon fils...

Doucement, je m'agenouillai au côté du vieux lit au matelas de paille. Bien qu'à nos efforts combinés la ferme fut devenue prospère, mon père n'avait jamais voulu se débarrasser de ce matelas. Peut importe qu'il jure avec la mouture du lit en bois sculpté, c'était celui sur lequel j'avais vu le jour... Et celui sur lequel ma mère s'était éteinte.

- Oui père... Je suis là... murmurai-je doucement.

Je plongeai les mains dans le seau d'eau tiède et en tirai un linge que j'essorai alors que mon père essuyait une unième quinte de toux. Je le posai ensuite doucement sur son front perlé de sueur.

- Mon... fils... Merci... mais...

Il toussa de nouveau sans pouvoir s'arrêter, crachant un peu de sang que je me précipitai pour enlever de la commissure de ses lèvres. Il se replaça et soupira.

- Mais pourquoi n'es-tu pas parti à la guerre?

Je me figeai, le tissu tâché de rouge à deux centimètres de l'eau. Je le lâchai et le laissai couler au fond du seau, le regardant tomber un instant avant de me retourner.

- Mais père... Vous aviez besoin de soins...
- Peut importe, me dit-il en toussant de plus belle. La fille de Cornéliane aurait pu venir... Elle est... infirmière, non?...

Divaguait-il?! Il avait presque fait pendre ces deux femmes en les accusant d'avoir caché... Caché...

- Tu aurais dû... partir... comme je te l'ai demandé il y a bien longtemps.

Nouvelle quinté de toux. Je gardai le silence, les yeux dans le vague.

- Pourquoi n'es-tu... pas... parti...? Viens... Approche encore...

Je me penchai doucement par dessus le corps squelettique de mon père qui respirait difficilement, essayant de s'empêcher de me tousser à la figure. Il battit des paupières et me scruta minutieusement. Je soutenus son regard couleur boue sans ciller.

- Si seulement... tu étais bien mon fils.

Mon sang se glaça dans mes veines.

- Quoi?
- Je crois... Que mon fils m'aurait écouté... Mon fils est parti à la guerre... combattre ces anglais qui ont apportés de leur vieux pays tous ces witches et ces gremlins et werewolves...
- Père, vous divaguez!
- Si seulement... me coupa-t-il. Mais tu... Vous... n'êtes pas mon fils... Vous avez manqué un détail crucial...
- Quoi... Quoi donc? soufflai-je les larmes aux yeux.
- Vous n'avez pas... pris... Vous n'avez pas... vieilli...

Que... Quoi?...

- J'ai enfin mis le doigt dessus... n'est-ce pas...? Ha... Haha... Vous croyiez que, comme vous me tenez alité, je... ne vois... plus le temps passer? Grave erreur... Vous m'avez sous-estimé... Haa... Mais vous ne... m'aurez... plus... avec vos... mirages... Je vais pouvoir partir en paix...

Non!... Non, non, non!

- Partez démon... Vous n'êtes pas... mon fils...

18 mai 17xx
Jour de ma naissance... Celle de la mort de ma mère, et maintenant celle de mon père.
Je pars. Je m'engagerai aujourd'hui au front. Plus rien ne m'attache à ce petit village. Je ne reviendrai pas. Croix de bois, croix de fer.

- James!

Je me retournai rapidement et les cordes de mon bagage me fouettèrent les côtes. Je grinçai des dents. De la galerie de leur magasin, Cornéliane et Ariel me fixaient, la première toujours courbée au-dessus de sa canne, s'entêtant à se tenir debout même si la chaise lui était prescrite depuis plusieurs mois, la deuxième bien appuyée sur la rembarre m'adressant de grands signes.

- Tu pars? me cria la plus jeune.
- Oui, répondis-je en essayant de sourire.

La vieille Cornéliane tira sur la jupe violette de sa fille qui se pencha doucement par-dessus sa tête. Elle hocha la tête, faisant cliqueter ses nouvelles tresses mêlant cheveux et perles, puis releva les yeux vers moi.

- Cornéliane me fait dire qu'on prendra soin de la ferme pendant ton départ!
- Oh... Je vous l'offre...

La vieille dame secoua la tête avant d'aller s'abriter à l'intérieur. Ariel, quant à elle, courut finalement me rejoindre.

- Et bien... Au cas où tu reviendrais... Ses portes te seront toujours ouvertes.
- Merci Ariel, merci pour tout.

Elle ne pus s'empêcher et me prit dans ses bras. Je me laissai faire, mais je savais ce qu'elle pensais. Jamais elle ne reviendra. Et, même si, je ne saurai que faire quand je la reverrai.

~•~

11 juin 17xx
Arrivée en ville.
Il était temps d'arriver, les repas chauds me manquent. J'ai pu trouvé une perdrix hier, mais rien ne vaut un ragoût bien assaisonné.
Il y a du bruit à la place de la cathédrale, je tombe visiblement sur la nouvelle série de recrutement. C'est bien, autant rentrer dans l'armée tout de suite.

- Suivant! Recrutement à quel nom?
- James Ductor.

L'officier releva ses yeux pochés de sa feuille et déposa sa plume. Il me scruta d'un œil mauvais et se racla la gorge.

- Ne me fait pas perdre mon temps, petit. Tu n'as pas 21 ans. Dégage de là.
- Mais si! rouspétai-je, outré. J'en ai même 22 depuis quelques jours!

L'homme aux joues grasses éclata de rire. Les autres gens derrière moi commencèrent à taper du pied et les murmures s'amplifièrent augmentant le brouhaha de la place publique.

- Oh, tu n'es même pas crédible, jeunot. Pense à quelque chose de plus... croyable la prochaine fois! Et je suppose que tu n'as rien pour prouver ce que tu dis de toute façon, je me trompe? grogna-t-il en se penchant par-dessus sa table table de bois.
- Euh... oui, mais...
- Mais, alors, dégage! me coupa-t-il. Allez, ouste!

Je tirai mon sac sur mes épaules et m'éloignai d'un bon pas. Je soupirai. Qu'allais-je bien pouvoir faire? Je n'avais plus grand chose sur moi, je n'avais pas de quoi tenir des mois en ville... Misère, et où allais-je trouver ces preuves que m'avaient demandé l'officier?

- J'ai entendu dire que l'Armée rouge enrôlait les jeunes comme toi... siffla une voix.

Je me retournai, mais personne.

- Et j'ai entendu dire que l'Armée rouge possédait même un bataillon secret contre des créatures... secrètes...
- Qui êtes-vous? demandai-je en sortant un couteau de main de ma manche. Montrez-vous!
- Personne d'intéressant... Mais... Vous cherchez du mauvais côté.

Je n'ai pas ré-entendu la voix, mais ces ragots se révélèrent vrais. Je n'allais peut-être pas combattre avec le bon côté, mais, peu importe puisque je ne combattrai pas des hommes. Et puis, mon père ne pouvait plus juger mes choix, de toute façon, il s'était délaissé de moi.

~•~

- Êtes-vous prêt mon commandant?

Sur le haut des remparts, je regardais l'escadron se préparer à la bataille. De l'autre côté allait arriver les créatures que nous combattions depuis si longtemps. Enfin, la masse de monstres arrivèrent de l'autre côté de la prairie autrefois couverte de trèfles qui me répandait quelque peu nostalgique. À elle aussi, j'espérais qu'elle produise le même effet. Ses cheveux blancs, que je n'avais pas vu depuis des années, se balançaient dans le vent tel un étendard macabre. Contrairement à moi, elle se tenait fièrement au devant de ses troupes. Il était clair que si j'avais été encadré d'une créature aux ailes noires et d'une autre à la paire d'ailes de plumes immaculés en plus d'une cinquantaine d'autres créatures, je m'afficherais sûrement avec autant d'assurance, mais, sur le moment, cette parade me dégoûta.
Soudain, une immense ombre balaya la plaine, mais, à la place de voir le familier dragon noir auquel je m'attendais, je croisai le regard glacial d'un immense dragon bleu couvert de pics de glaces gigantesques. Les rangs se déformèrent quelques peu sous l'effet de la panique avant de revenir former des rangés bien droites.

- Hommes! criai-je du mieux que je pus devant un amplificateur placé là à cet effet. N'ayez crainte! Vous vous battez pour l'honneur! Vous vous battez pour la liberté! Vous vous battez pour ne plus vivre dans la peur! Avancez fièrement! À mon signal.

Je pris une grande inspiration et cabrai mon cheval. Le camp ennemi s'élançait sur la plaine avec des cris de rage. S'appuyant sur ses pattes arrières, mon cheval se leva et j'attrapai au passage une torche au bord du rempart. Mes hommes crièrent à l'unisson et commencèrent à leur tour à avancer alors que je dévalais la pente pour les rejoindre. Je passai les portes quand d'immenses ailes me bloquèrent le passage.

- Hey, l'humain, si j'étais toi, je ne ferais pas ça, dit l'ange arrogant. La boss n'a pas l'air d'être dans le meilleur de ses états... Et elle fonce précisément ici.
- Ça tombe bien, grognai-je, parce que j'ai deux mots à lui dire...

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