Ulysse et Circé

Je lisais « Autant en emporte Eole » tranquillement dans ma très sympathique demeure lorsque mon téléphone sonna. Je décrochai le combiné et entendit :

- Allô ?

- Allô ? répondis-je à la manière des Hommes. Oh, c'est vous Ulysse ? En quoi puis-je vous aider ?

- Je suis actuellement chez la magicienne Circé. Mes compagnons sont partis voilà deux heures du navire pour explorer un peu l'ile mais aucun d'eux n'est revenu ! Euryloque, mon ami, est le seul à être retourné auprès de moi et il m'a raconté une histoire digne d'Alice au Pays des merveilles ! La sorcière aurait invité mes compagnons à entrer dans sa demeure pour y prendre le thé... Enfin d'après ses dires, elle les aurait métamorphosé en ânes, en cochons, en loups et en lions ! 

- Vraiment ? fis-je. A vrai dire, cela ne m'étonne guère sachant que la fille de Persée et d'Hélios excelle dans le domaine des poisons et de la magie.

- Connaissez-vous un remède ? 

- Pour sûr mon ami ! Je vous l'apporte de suite. C'est du moly, lui appris-je sur le ton de la confidence. 

- Merci ! 

Je sortis dans le jardin à la recherche de la précieuse fleur blanche. 

- Où te caches-tu ? marmonnai-je.

Je la trouvai derrière le parterre composé de lys, de pétunias et de lupins. Je les cueillis soigneusement et les déposai délicatement dans ma sacoche sans fond.

J'atterris un quart d'heure plus tard sur le pont du dernier navire d'Ulysse. Le bâtiment était en mauvais état : plusieurs rames étaient brisées, un trou béant à un mètre de la ligne de flottaison laissait passer de temps en temps un peu d'eau de mer, une voile était déchirée et des débris jonchaient le pont supérieur. 

- L'accostage n'a pas dû être facile, dis-je à Ulysse.

- Nous n'étions que vingt-quatre hommes en tout et pour tout sur un navire en nécessitant le double. Avez-vous le moly ?

- Nom d'un hibou ! Soyez un peu plus patient ! grondais-je.

Les fleurs posées dans sa main, je lui expliquai très précisément leur utilisation. 

- Pour un verre standard, trois pétales suffisent amplement. Par contre pour un chaudron entier, il faut mettre vingt pétales. Attention, la mixture doit être bue endéans les trois minutes sinon les propriétés curatives du moly s'annulent. 

L'époux de cette charmante Penny (Pénélope pour les moins intimes) me regarda avec gratitude.

- Merci beaucoup pour votre précieuse aide.

- De rien mon p'tit gars, grommelai-je. Quand tu auras sauvé toute ta joyeuse bande, n'oublie pas de remettre mes amitiés à la belle Circé.

- Je n'y manquerai pas, m'assura-t-il. 

Il me regardait avec un air étonné, croyant sans doute qu'on devait se voir tous les jours entre nous, entre dieux et déesses. La vérité est moins utopique que cela ! Il y a nos petites rivalités et querelles de voisinage qui assombrissent assez la vie sur le mont Olympe. Par exemple, Héra ne peut supporter Déméter car elle n'a pas été invitée à son mille-trois-cent-dixième non-anniversaire. 

Je rentrai chez moi une demi-heure plus tard et j'allumai la télévision que mon voisin Dionysos m'avait offert pour mon propre non-anniversaire. La chaîne de télévision « Anthroposcopie de l'Olympe » diffusait en ce moment le bulletin météorologique présenté par Eole. Je suivis ce programme avec attention étant donné que la veille, il nous avait annoncé de grosses perturbations dans les vents. L'émission suivante m'intéressait encore plus. C'était une télé-réalité appelée « L'Odyssée » qui nous invitait à suivre le parcours d'un Homme embarqué à travers plusieurs épreuves. Chaque épisode était une étape de plus vers son foyer. 

Cette année, c'était le petit bouclé Ulysse qui avait été retenu au casting. Il ne s'en sortait pas si mal pour un simple mortel confronté aux épreuves divines. L'épisode six, après les Cicones, les Lotophages, le Cyclope Polyphème, Eole et les Lestrygons, se déroulait chez Circé. Je grognai mon mécontentement quand je vis que j'avais été filmé à mon insu en train de remettre le moly au héro perdu. J'allais être la risée de toute l'Olympe ! 

J'observais avec curiosité Circé préparer son chaudron de poison. Elle mélangeait savamment la farine, le miel et le vin. Le fromage fut coupé avec précision et mélangé avec la mixture. Puis elle en versa une bonne louche dans vingt-deux verres à vin qu'elle posa sur un plateau en or, suivant la recette qu'elle avait trouvé sur marmiton.gr . Elle sortit de sa cuisine et se dirigea vers la véranda où étaient assis les compagnons d'Ulysse. 

- Voilà de quoi vous désaltérer, annonça-t-elle.

Pris au piège comme de vulgaires rats, ils burent le poison en pensant que c'était un excellent vin. Circé peaufina son plan machiavélique en les touchant de sa baguette magique qu'elle gardait toujours cachée dans les amples manches. 

- Lycamorphès ! Symorphès ! Onomorphès! Leomorphès !

Les compagnons laissèrent place à un troupeau du plus curieux des aspects : des loups, des porcs, des ânes et des lions grognaient au beau milieu d'une véranda remplie d'objets plus précieux les uns que les autres. La sorcière les conduisit vers un bâtiment annexe qui était en réalité une étable à porcs. Ensuite, elle revint dans la pièce où elle les avait reçus qui avait été saccagée par les hommes métamorphosés.

- Reparo ! Recurvite !  lança-t-elle.

Les débris reformèrent les différents vases, les sculptures, les bibelots, les miroirs, les chaises et les verres. 

- Sympathiques comme sorts, pensais-je à voix haute. Elle est vraiment douée pour les métamorphoses et les poisons. Elle mériterait bien une carte de chocogrenouille et son portrait dans un collège de sorcellerie !

Il me faisait penser à une saga littéraire que j'avais lue il y a quelques années. Harry Potter si mes souvenirs étaient bons. Vous savez, ces livres où un petit binoclard se dépatouillait dans ses ennuis ? Bref, Ulysse ma rappelait ce garçon-là.

Ensuite, je vis arriver le héros sans GPS sur le perron du petit palais. 

- Brave dame, salua le voyageur, vous avez reçu la visite de mes compagnons il y a de cela deux heures. 

- Entrez, dit-elle et venez-vous désaltérez. 

Mais le héros, prévenu par Euryloque et aidé par moi, ne tomba pas dans le piège de la sorcière car il laissa tomber quelques pétales de moly dans la breuvage. Il dégaina son glaive forgé par le meilleur artisan d'Ithaque et le pointa contre la jugulaire de Circé. 

- Audacieux le petit Ulysse, vraiment audacieux, commentai-je. 

A ce moment, je sus qu'elle avait eu vraiment peur mais se reprit immédiatement après. Je suppose qu'elle se disait qu'elle n'était pas n'importe qui ! Ses traits déformés par la colère s'apaisèrent peu après. 

- Vous êtes une personne qui prend des risques, l'entendis-je dire à son visiteur. Menacer ainsi ouvertement une divinité n'est pas une action banale pour le commun des mortels ! 

- Vais-je pouvoir libérer mes compagnons ? 

Circé parut réfléchir quelques temps. 

- Oui, vous et vos amis pourrez reprendre la route vers Ithaque dès ce soir.

Les dernières minutes de « L'Odyssée » montraient le petit bouclé Ulysse et ses compagnons reprendre la mer avec un navire réparé par les bons soins de Circé. Dyonisos qui était le présentateur vedette de la chaîne télévisée annonça à tous les téléspectateurs dont je faisais partie : 

- On se retrouve demain pour le prochain épisode de la captivante épopée du héros perdu ! Où se trouvera-t-il ? Peut-être les Enfers si inquiétant ? Ou se laissera-t-il envoûter par le chant des sirènes ? La réponse demain à treize heure vingt-cinq ! Et maintenant, faites place à « The Phone, la plus belle voix de l'Olympe » en compagnie de Thalie, Calliope, Erato, Euterpe, Terpischore, Polymnie, Melpomène et présenté par Apollon en personne ! En ce qui concerne les programmations de demain, « Danse avec les dieux »  fait son grand retour pour une saison pleine de promesses !

J'éteignis le poste de télévision et songeai à ce brave Ulysse qui devait en ce moment-même être en train de naviguer quelque part dans la mer Méditerranée. Un pressentiment m'envahit. Plus tard, des élèves apprendront son incroyable épopée et auront des sujets de rédactions dessus.




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