Et l'amour, c'était encore la lune et les étoiles - Part 1
LIANE
Le visage sur le carrelage froid, mon corps sur les dalles, glaciales.
J'ouvre les yeux. La salle de bain de Stefan, baignée dans la lumière douce du lever de soleil, m'apparaît. Je demeure un instant inerte puis la réalité ne tarde pas à me flanquer une dérouillée. La récupération de mes habilités sensitives commence dans mes joues où éclosent de minuscules vagues de picotements. Le mal de tête ronronne. Les retombées des litres d'alcool que j'ai ingurgités hier me clouent sur place. Le contrecoup. J'ouvre les yeux, le carrelage m'apparaît, de trop près, puis il s'éloigne et je retombe dans l'inconscient. Sortie de route.
- ... j'aurais pu être à l'autre bout du monde que j'aurais entendu le cri qu'elle a poussé lorsqu'elle a vu qu'elle n'avait plus procuration sur mes comptes.
- Stefan...
Je grogne.
- Liane, j'ai dix-huit ans sérieux ! Je suis plus un enfant, ma mère doit comprendre qu'elle n'a plus le droit de me contrôler, de me dicter mes actes, c'est terminé.
- Stefan... arrête, il est à peine huit heures du matin...
Il me coupe :
- J'ai dix-huit ans et toi tu es encore une gamine !
Je voudrais me redresser mais j'en suis incapable. Ma tête me pèse. Les gouttes d'alcool aux yeux, les larmes dans le verre. Le carrelage est glacé contre ma joue. Il est assis sur la baignoire, je suis enroulée dans son rideau. Je voudrais rugir, maintenant. Ma voix se traîne, pâteuse :
- Tu déconnes ? Stefan tu vis encore chez tes parents et tu vas vivre chez eux encore un bon bout de temps, crois-moi ! Tu es autant un gamin que moi, voire beaucoup plus.
Il voudrait me rendre la pareille, mais je n'ai plus de parents. Alors il se tait, comme un enfant.
- Toi tu ne fais qu'écouter, tu es pas malin. Moi je parle au moins, je suis plus que ça.
Il se penche en avant, la mâchoire crispée. Son visage est si proche, je le vois à peine. Ma vue est trouble, cascade de fatigue et brume d'alcool.
- Comme hier soir c'est ça ?
Un poinçon glacé s'enfonce dans mon cœur. Il pose sa main sur ma tête. Ses doigts s'emmêlent dans mes cheveux en une caresse qui me révulse. Ce contact fait affleurer dans mon cerveau noyé, des bribes de souvenirs. Sous mes paupières défilent les fantômes d'hier soir : ma voix qui résonne sur la place, mon petit discours pathétique, l'attroupement qui me regarde et boit mes paroles, les bouteilles vides que j'ai, calées sous mon bras, mon vomi dans une ruelle, ma gorge qui brûle au contact de la vodka, le feu sur mes lèvres, le feu dans ma bouche, mon corps qui s'écroule et le blackout.
L'air se fait lourd dans la salle de bain. Enivrée et comateuse, je cherche à me redresser sur un coude. Stefan me saisit par le bras et m'adosse brutalement contre la paroi froide de la baignoire. Ma tête gîte au son de ses paroles :
- Hier soir.
Il ricane.
- Tu as vraiment pété un câble.
Il prend un silence. Je déglutis difficilement.
- Liane tu en as dans le ventre quand tu le veux. J'ai presque arrêté de te détester quand tu as déclamé. Mais presque, et d'ailleurs je veux que tu foutes le camp de chez moi.
Je ressens toute sa colère, sa honte de s'être fait berner de telle sorte et la tristesse de son cœur que j'ai brisé. Ma voix vrille, la tonalité douloureuse de la sienne me peine, me gêne. Plus que tout je m'en veux de l'avoir utilisé ainsi. Que ce se soit terminé comme ça.
- Stefan... je voudrais te dire que je suis désolée.
- Mais tu ne l'es pas Liane, non ? murmure-t-il d'une voix sourde.
J'observe ses yeux rétrécis, cerclés par ses lunettes rondes. Il se retient de quelque chose, si fort que j'ai l'impression qu'il inspire tout l'air de la pièce. Je bégaye :
- Ce n'est pas ça, Stefan... c'est que je l'aime tellement.
- Si fort pour le crier sur une place ? Pour partir en vrille ? Tu vois Liane, votre amour est malsain, il te fait péter les plombs, il te fout en l'air, c'est pas juste, c'est pas naturel, c'est pas...
Il fixe mon visage qui s'empourpre et suspend ses paroles.
- Stefan, redis encore une fois ça et...
Je grince des dents.
- Je l'aime Stefan, tu peux pas me dire ça. Tu peux pas dire ça à quelqu'un. On peut pas continuer à juger les gens comme ça, à donner son avis sur tout, à vouloir ranger les gens dans des cases !
- Si, je peux !
Sa voix dérape. La fureur qui l'anime est bien plus puissante que la mienne. La sienne est vivace, bondissante, elle fuse alors que celle qui me ronge est profonde, grondante, perpétuelle.
- Je peux parce que tu m'as fait au centuple le mal que je te rends ! Tu m'as utilisé ! Tu m'as fait croire que tu m'aimais ! Je t'ai ouvert mon cœur, je t'ai fait confiance, je t'ai tout donné ! Et tu as fait de moi ta chose, pour te couvrir, pour couvrir que ce que tu fais est dégueulasse et sale !
Des larmes gorgent mes yeux.
- Et tu te places en position de victime, Liane ?! Je devrais t'envoyer en hôpital psychiatrique ! On devrait appeler tes grands-parents pour qu'ils vous foutent tous les deux à l'hôpital pour vous soigner !
- On ne soigne pas ce genre de chose ! Aboyé-je. On ne soigne pas l'amour !
- C'est pas de l'amour, c'est un crime !
Je bascule en arrière, tire sur mes jambes pour m'éloigner de lui. Ne peut-il pas peser ses mots ?
- Alors pourquoi tu restes avec moi ? Pourquoi tu m'as ramenée chez toi après avoir découvert la vérité ? Crié-je.
Il part dans un rire sarcastique.
- Tu as vu l'état dans lequel tu étais ? Tu ne t'en souviens plus je suppose.
Honteuse, je baisse les yeux.
J'ai tellement bu la soirée dernière que mon cerveau a effacé la nuit. Je sais juste que Stefan a découvert que je ne l'aimais pas, qu'il m'a hurlé dessus, enragé et blessé. Que ses parents m'ont assise, hystérique, à l'îlot central de leur cuisine. Qu'ils m'ont dit que je devais aller me confesser alors que mes pieds claquaient l'un contre l'autre, intenables. Qu'ils allaient m'aider si j'acceptais d'aller dans un foyer de redressement pour jeunes en perdition. Qu'ils allaient parler à ma famille, qu'ils allaient exorciser mes pulsions démoniaques. J'ai vu sa mère se signer, plusieurs fois. J'avais bien choisi. Le fils de la famille fervente catholique de la ville comme couverture afin de cacher mon amour pour celui que le monde entier m'interdit d'aimer.
Et je me souviens de leurs visages, à la fois outrés et navrés, comme si j'étais devenue démente.
J'ai bu pour les oublier. J'ai bu jusqu'à plonger dans le coma. Stefan est revenu. Il m'a évité de me faire embarquer par des gars pas nets avec qui j'ai fait la fermeture du bar.
Je m'adoucis, détends mes doigts. Il ne veut pas me regarder dans les yeux. Il contemple le miroir en face de nous qui me renvoie mon reflet. Celui d'une tarée à la peau livide, aux yeux explosés, au nez qui fait de l'ombre à ses lèvres usées jusqu'au sang. J'essuie la salive qui pend à mon menton.
- Stefan...
La désolation qui liquéfie ses traits me coupe le souffle.
- Tais-toi Liane, putain... Je suis trop gentil avec toi. Je t'ai ramenée tout à l'heure parce que je suis pas un connard. Mais c'est tout. Je veux plus jamais te voir. Sinon je te ferai du mal. Je veux que tu dégages.
Sur ce, il se lève de la baignoire, traverse l'immense salle de bain d'un pas traînant et ouvre la porte aux moulures. Je demeure figée par la violence de ses propos que je sais pourtant légitime.
Avant de quitter la pièce, il m'accorde une dernière parole, le regard perdu dans le lointain du couloir, à des années lumière de la position dans laquelle je suis, recroquevillée et veule contre la baignoire :
- Je n'ai rien dit à personne. Pour toi et Oscar. Et mes parents ne diront rien à personne non plus. On gardera ton secret. Prononce-t-il d'un ton amer.
Il s'apprête à disparaître lorsque je le retiens pour une dernière seconde :
- Pourquoi ?
Pourquoi être tant sympathique avec moi ?
Il secoue la tête de droit à gauche et presque imperceptiblement ses joues s'affaissent.
- Tu as déjà démoli mon cœur, évitons de démolir ma dignité à la face du monde.
LIANE
L'air du dehors me glace les os. Je m'extirpe de la maison de Stefan comme une criminelle s'évaderait de sa prison. À pas lent je traverse son jardin aux bosquets finement taillés à la française. Mon corps entier souffre, courbatu. L'estomac noué, la tête brûlant en enfer, je rejoins le trottoir en face de la villa de Stefan et m'y laisse tomber. J'allume mon portable. La faible lumière qui se dégage de l'écran suffit à agresser mes pupilles. L'appareil vibre dans ma main sans discontinuer. Trente appels manqués d'Oscar. Aucun message sur mon répondeur.
Il me reste peu de batterie. Je décide de lui envoyer le nom de Stefan par message. Il me répond instantanément.
J'arrive. Ne bouge pas.
Je crois que j'en suis incapable, de toute façon.
C'est comme si j'avais d'énormes caillots dans les reins, des caillots de peur et d'amour et que mon corps moulinait pour les dissoudre, pour les digérer, des caillots d'alcool, peut-être, rouges comme le ciel au loin qui bute sur la montagne, s'y écorche et y saigne. Tout est flou. Ma perception visuelle ne cesse de se ralentir sous l'effet de la fatigue. Des nausées persistantes ravagent mon œsophage. L'horizon pâlit, l'atmosphère sent le feu de bois, la morosité de l'hiver qui nous tombe dessus sans crier gare, les journées sous la couette dans les bras chauds de l'être aimé. Des larmes s'échappent de mes yeux. Je les essuie d'un geste rageur.
L'Acadiane surgit en haut de la côte. Ses freins crissent à ma hauteur. Je passe mes mains frigorifiées dans mes poches et me glisse dans le véhicule.
Instantanément, son regard aux couleurs fauves s'arrime au mien. Ses mains quittent le volant et saisissent mon visage. Sa bouche sans préambule se fond à la mienne. Nous soupirons, exaltés, cherchant à s'attirer mutuellement l'un contre l'autre, tentant de réduire à néant l'espace qui sépare nos deux corps, la boîte de vitesse, les sièges, le monde. Mais je l'arrête, en quête de ma respiration. Il s'écarte lentement, le souffle lourd, précipité, et sa voix monte :
- Mais Liane qu'est-ce que tu faisais ?!
Je cligne des paupières, le lâche et m'enfonce dans mon siège. Le temps des explications est péniblement venu. Tentant de le retarder encore un peu, je pointe la villa de Stefan par la vitre.
- Ce n'est pas la question que je voulais poser. se rattrape-t-il. Pourquoi es-tu venue ici sans prévenir ? Normalement on se met d'accord sur les soirs où tu rends visite à Stefan !
Il accuse, ton dur, jalousie. En quête de mes mots, je respire lourdement avant de prononcer d'un ton que j'espère assuré :
- Je croyais que l'on en avait parlé...
Je tousse.
- Puis Stefan voulait me voir.
Il me dévisage et ses pupille s'agrandissent. Il saisit ma main - je retiens mon souffle - et de ses doigts libres tire sur la peau qui entoure mes yeux. Je me débats. Trop tard, il a repéré les veines saillantes dans mon regard saigné à feu et à sang.
- Putain Liane ! Tu as bu hier ?!
Je tente de nier.
- Ne mens pas !
Sa voix s'étoffe de tonalités brutes et grondantes, il s'emporte :
- Qu'est ce que tu as foutu hier Liane sérieux ? Dis-moi tout !
Dans l'habitacle surchauffé de l'Acadiane, sur mon siège autrefois rembourré, je fixe par la fenêtre le monde figé, mouillé et humide, glacé comme mes joues après mes crises d'angoisse. Je voudrais être là-bas, et non pas piégée, ballottée dans le tourbillon de son inquiétude. Je voudrais être à n'importe quel autre endroit où je n'aurais pas à lui rendre des comptes.
Il presse ma main avec puissance dans la sienne.
- Liane...
Je lâche un soupir avant d'expliquer, révélant mi-vérité et induisant mi-mensonge :
- Je... Stefan voulait me voir.
Vérité.
- Alors j'y suis allée, je crois qu'il commençait à se douter de quelque chose.
Vérité.
- On a commencé à passer la soirée ensemble...
Les jointures de ses poings blanchissent. Il sait que ma relation avec Stefan ne sert que de grotesque couverture à la nôtre, que je n'en tire aucun plaisir, aucun avantage, mais penser à me partager, penser que mon corps n'est pas seulement l'asphalte brûlante où courent ses mains suffit à lui procurer des envies de meurtre. Jamais je n'aurai autorisé Stefan à s'approprier autre chose que mes lèvres, mais il en brûle de l'intérieur, Oscar, de savoir que résignés, nous nous sommes mis d'accord pour proposer mon être en gage de protection des nuits silencieuses où nous flirtons avec la rupture.
Je caresse doucement l'arrête de sa joue et ses fossettes marquées. Il cale sa pommette dans ma paume et les yeux mi-clos sur la fureur ardente qui y tangue, m'incite à continuer.
- Puis... de fil en aiguille il...
Silence pesant. Sa respiration gutturale siffle à mes oreilles.
- Il a découvert que je me foutais de sa gueule.
- Il a découvert pour nous deux ? s'affole instantanément Oscar.
Il ne me faut pas plus que le temps de la foudre pour répliquer :
- Non.
Mensonge.
- Non, il n'a pas découvert pour toi et moi.
Mensonge.
- Juste... il sait que notre relation n'était qu'une façade pour moi.
Vérité ?
Oscar soupire à son tour.
- C'était prévisible, mais bon, tant qu'il n'a pas découvert pour nous deux, tout va bien, au moins c'est fini cette mascarade.
Je perçois une pointe vibrante de soulagement dans sa voix. Je demeure les yeux baissés, les mains mues par des tressaillements désagréables et incontrôlables. Je sais au rythme de sa respiration qu'il n'en a pas terminé avec moi.
- Mais Liane ça ne me dit pas pourquoi tu as bu hier soir. Et à ta tête je me doute que tu as dû t'enfiler plus que quelques verres.
Penaude, je me mure d'abord dans le silence.
- Je... je sais plus trop pourquoi, j'ai tout oublié...
- ... attends, quoi ?!
Je réalise instantanément ma grossière erreur.
- Tu as fait un blackout ou quoi ?!
La culpabilité se lit sur mon visage. Alors je me tais, je laisse le temps à l'ouragan qui le ravage de s'apaiser.
- Mais Liane, c'est irresponsable, c'est stupide, et tout ça pour quoi, je ne comprends pas !
L'intensité palpable de sa colère, de sa frayeur et de sa tristesse m'assène un violent uppercut au front. Je capte son regard tourmenté par son incompréhension maladive, son angoisse perpétuelle à l'idée d'assister encore une fois à un de mes trop nombreux déraillements. Il a peur, je le sais, que je quitte le monde pour les contrées obscures qui dansent sous mes paupières depuis que je suis une malade de la vie -dépressive-, pour là où il ne pourrait plus me rattraper.
- Je ne sais pas non plus. soufflé-je.
Mensonge.
Mensonge. Mensonge. Mensonge. Mensonge. Mensonge. Mensonge. Vomi.
L'air est irrespirable. Le silence qui nous englue soudainement brise ce qui nous lie et je suis à nouveau seule. Je ne peux pas lui dire la vérité. Je ne peux pas lui dire que j'ai voulu me noyer et disparaître parce que les parents de Stefan ont qualifié notre amour d'inacceptable, d'innommable, puis de pure déviance. Que le monde condamne notre amour d'emblée, sans chercher à le connaître. Qu'il fait de nos âmes échaudées et fusionnelles une plongée en eaux troubles.
Qu'il le voue à la nuit définitive.
LIANE
Ce perpétuel bras de fer avec moi-même commence à m'épuiser irrationnellement. Il draine toute conviction, toute volonté, hors de mon corps. D'ordinaire je sais lutter contre mes propres tourments, et quand la force pour y faire face m'abandonne, je les laisse simplement me submerger comme de la lave brûlante jaillirait d'un volcan en fusion.
Cependant Oscar m'accapare. Il me dissout en de minuscules gouttes frissonnantes d'amour et d'incertitude. J'ai peur de perdre le contrôle, d'être dépendante. Et c'est à la fois agréable et effrayant, car il me fait vivre autre chose. Il me fait sentir plus qu'un bloc glacé de peurs où s'enferment mes démons.
Mais il a mal au cœur, il effleure des croyances que je me hais de lui inspirer. Il pense qu'il n'est pas assez bien pour moi, pas assez bien pour que j'arrête de me faire du mal, mais dis Oscar, ce n'est pas une question de suffisance, c'est que je me taillade, et une plaie ça s'ouvre tellement que parfois ça ne fait plus mal.
Je fixe mes avant-bras. Ces cicatrices là ne disparaîtront jamais. Je pense à toutes celles qui saignent mon cœur et m'enduisent, poisseuses, empoisonneuses de tout ce que je touche.
Son profil dans les rayons du soleil pimpant, la route qui ouvre sa gueule et avale l'Acadiane. Aujourd'hui le jour a fait blanchir ses jointures et s'est mis aux prises des lueurs froides qui carapatent sur les courbes de la région. La lumière repousse les langues de brume râpant habituellement le bitume des voies.
Le fauve dans ses yeux m'indique l'état de son âme. Il appuie sur la pédale de l'accélérateur et le moteur feule avant de bondir. Les roues chevauchent la route qui se cabre, serpentant dans la vallée. Il fonce vers la maison. Son visage est habité d'émotions contradictoires. Habituellement il ne laisse pas transparaître ses préoccupations, murant ses inquiétudes et ses doutes dans une expression figée d'impassibilité rassurante. Je le scrute, ballottée par les cahots du chemin. Je pense à la maison et je sais que nous aurons d'autres discussions aujourd'hui avant que le jour ne meure. Je pense à la maison et je sais que mon petit frère m'attend, qu'Evan sera sûrement rentré du bal d'hiver qui se tenait hier soir pour les collégiens et qu'il aura pleins de choses à me raconter. Quand nous pourrons être seuls, nous nous pelotonnerons sur le balcon, je nous préparerai des chocolats chauds et des barquettes au chocolat et je l'écouterai me bercer avec sa voix.
Je m'étire.
- Tu as vu Evan ce matin, ça s'est bien passé hier soir ?
La voiture dévie de sa trajectoire. Je pousse un cri de surprise. La mine d'Oscar est blême. Il tousse sans discontinuer durant de longues secondes. Serrant les dents, je me tiens à la portière et fixe son visage, prête à enregistrer la moindre de ses expressions. La peur pousse en un deuxième cœur en surchauffe dans ma cage thoracique. Ses battements effrénés ne tardent pas à emplir mes tympans, ma tête, le monde. Je me raidis.
Il s'est passé quelque chose.
- Oscar. prononcé-je durement.
Nouvelle secousse. Il négocie mal son virage et nous manquons une sortie de route.
- Oscar ! crié-je. Arrête-toi !
Des gouttes de sueur perlent à son front. Il s'écoule un temps qui semble interminable entre le moment où sa main rétrograde le levier de vitesse et celui où les roues freinent pour arrêter l'Acadiane à la lisière de la forêt. Elle longe la route déserte. La ville en contre-bas semble retenir son souffle.
Oscar repousse lentement ses mèches en arrière. Sa respiration saccadée et forte trahit l'état de panique dans lequel il est en train de disparaître.
Je prononce son prénom, plusieurs fois, litanie, je suis clouée sur place. J'attends. J'attends qu'il avoue.
De longues minutes s'écoulent avant que d'une seconde à l'autre l'expression de ses traits change pour revêtir le voile cruel de l'indifférence programmée :
- Evan a disparu, en quelque sorte...
Un puissant écho se répercute jusqu'au plus profond de mon être. La lave de mon plus horrible cauchemar se cristallise dans mes veines. Je hurle tandis qu'il se plaque les mains sur les oreilles :
- EN QUELQUE SORTE ?!
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