Chapitre 44
Le sang et l'amour
Je cesse de gesticuler et les patrouilleurs me relâchent. Je suis encore sous le choc et ne bouge pas. Mes yeux n'arrivent pas à se détacher de Lhénaïc et du sang qui macule le sol. Johns ricane et continue d'essuyer son couteau sur sa chemise. Il est calme, très calme, comme si torturer son fils sous nos yeux avait chassé sa colère.
– C'est ça ton armée ? demande-t-il en désignant la fenêtre.
Je tourne les yeux vers le balcon. Des cris nous parviennent d'en bas. Je me demande s'il s'est approché de la fenêtre pour constater les dégâts sur sa cité ou s'il est resté toutes ces heures assis sur son trône. J'essaye de contrôler les battements de mon cœur. Johns cherche à me déstabiliser. En torturant Lhénaïc sous mes yeux, il veut me faire flancher. Lhénaïc ne bouge plus mais continue de gémir. Je n'ai qu'une envie : lui venir en aide. Mais d'abord, je dois tuer Johns !
– Tu pensais vraiment pouvoir gagner contre moi ? demande-t-il.
– Vous n'avez pas encore gagné, rappelle-je.
– Jeune insolente ! Tu penses être qui pour te dresser contre ma cité ?
Il s'avance et je ne bouge pas. Son visage, si calme l'instant d'avant, se teinte de rouge et ses yeux deviennent noir.
– Hein ? Qui es-tu, sale petite garce ? hurle-t-il.
Comme peut-il passer si vite du calme à la colère ? Il lève son bras pour me frapper mais j'esquive le coup. Le second m'atteint par contre en plein visage et je tombe sur le dos. Ma tête heurte le sol et je me redresse en m'appuyant sur mes coudes alors que Johns me fait face.
– Qui es-tu pour t'opposer à mon pouvoir ? Tu te crois plus intelligente que moi ? Tu as vraiment cru que tu pouvais me renverser ? J'ai massacré des milliards d'êtres humains pour parvenir au sommet de l'univers et il n'y a plus personne pour me faire barrière. Mon peuple est l'élite de la Terre. Si tu me tues, tout le monde devra mourir car rien ne peut subsister après moi tu entends ?
Il s'avance et je recule. Ses yeux et son corps expriment toute sa rage. Je prends une grande inspiration et plante mes yeux dans les siens.
– Pas de chance Johns, je crois que je suis l'élément défectueux de votre système, lancé-je.
Il s'arrête, ébranlé par mes paroles. Un rictus dessine mes lèvres. C'est à mon tour de lui faire peur. Il n'est fort que parce que personne ne s'oppose à lui. Je vais lui montrer que ce n'est pas parce qu'il a lâché des bombes par centaines et tué des milliards d'êtres humains qu'il a gagné.
– Vous voulez savoir qui je suis ? continué-je. Je suis la voix des milliers d'innocents que vous avez assassinée. Je suis le symbole de la résistance et du monde de demain.
– Petite prétentieuse !
– Regardez autour de vous Johns : vous êtes déjà mort. Tuez-moi si vous le voulez, tuez votre fils, cela ne les arrêtera pas ! Vous ne pouvez pas tous nous tuer. Vous ne pouvez pas briser notre désir de liberté. L'être humain n'est pas fait pour vivre prisonnier et la liberté finit toujours par l'emporter.
– Je vais te tuer, siffle-t-il entre ses dents. Je vais éliminer jusqu'au dernier de tes résistants.
– Alors vous mourrez avec nous.
– Je préfère cela plutôt que de vous laisser gagner.
Nous nous toisons du regard. Derrière, je vois Mathie se pencher vers plusieurs hommes et chuchoter. Je me demande ce qu'il leur dit. Mes yeux reviennent sur Johns qui sourit.
– C'est trop tard mademoiselle Evans, à l'heure où je vous parle, mon plan est déjà en court. Vous pensez avoir toutes les cartes en main mais j'ai toujours un coup d'avance. Vous avez perdu et j'ai gagné.
Je fronce les sourcils alors qu'il élargit son sourire. J'ai du mal à comprendre où il veut en venir.
– Où crois-tu que se trouve Lucas en ce moment ? ricane-t-il. Tu as peut-être détruit mes exterminateurs mais il me reste mes vaisseaux et ils sont prêts. Mon fils - mon vrai fils, pas celui qui gémit à tes pieds ! - est déjà dans les airs. Rassure-toi, il me restait quelques bombes atomiques et je vais les faire pleuvoir du ciel. Nous allons tous disparaitre : toi, moi, ce monde. Car, si je ne peux pas gagner, personne ne gagne.
Je fixe mon regard en direction de la fenêtre. Les vaisseaux ! Je les avais oubliés. Johns se penche vers moi alors que Mathie et ses hommes quittent la pièce. Mon ancien petit ami passe à côté de moi.
– Allez-y ! ordonne-t-il.
– Bien monsieur Lenark.
– Mathie ! Non !
Il s'arrête et tourne ses yeux verts dans ma direction.
– Tu ne peux pas faire ça, murmuré-je.
– Je dois le faire Anah, répond-t-il, c'est le seul moyen.
– Tu as raison Mathie, c'est le seul moyen, répète Johns. Je suis fier de te compter parmi nous.
– Il te manipule ! m'écrié-je. Mathie, tu vois bien qu'il est fou.
– Ne l'écoute pas, me coupe Johns. Tu sais bien que j'ai raison. Moi seul peut diriger ce monde et sans moi, il n'a pas de raison d'exister.
Les yeux de Mathie passent de moi à Johns. Je le sens hésiter. Pour la première fois depuis que je l'ai retrouvé, je vois qu'il ne sait plus où il en est. De la sueur coule le long de son front. Ses yeux se dirigent vers Lhénaïc, puis reviennent vers Johns, puis moi.
– Pense à ton père, lui dis-je. S'il te plait. Lhionel a combattu toute sa vie contre ça.
– Ton père a préféré la résistance à ses enfants, rappelle Johns. Il t'a abandonné.
– Non Mathie ! Non ! C'est faux. Il t'aimait, il combattait pour toi, pour ton frère. Pense à ton Jack. Arrête cette folie.
Une larme roule sur la joue de Mathie. Johns sourit, victorieux. Mon ancien petit ami fait un pas dans ma direction puis secoue la tête.
– Je suis désolé, me dit-il.
Il s'en va et m'abandonne avec Johns Lenark. Les exterminateurs le suivent et nous laissent seuls, avec les patrouilleurs qui tiennent encore Nicolas, et Lhénaïc toujours aux pieds de son père.
– Tu vois, je t'avais dit que je gagnerai, dit Johns.
– Vous êtes un monstre.
– Mais non, je suis le gentil.
Il éclate de rire. Derrière, j'entends Nicolas crier quelque chose à Mathie qui disparait dans les couloirs. C'est un mélange d'insultes et d'autres paroles inintelligibles. Je n'ai jamais vu mon meilleur ami comme ça.
– Dans quelques minutes, tout sera fini, susurre Johns.
Il s'approche de moi et je peux sentir les effluves de son parfum. Sa main remonte vers ma joue et je me dégage d'un geste brusque. Son sourire se fait encore plus large.
– Mais d'abord, vous allez souffrir. Vous avez voulu détruire mon monde mademoiselle Evans, en répandant votre poison dans ma cité.
– C'est vous qui répandez du poison...
– ... votre sort doit être pire que la mort.
Il s'écarte et je sens la peur s'insinuer dans mon corps. Johns est incontrôlable et ses actes imprévisibles. Il me considère comme pire que son ennemi. Notre entreprise de rébellion et de libération du monde va-elle se solder par une nouvelle catastrophe nucléaire ? Je tourne ma tête vers Nicolas qui fixe son regard dans le mien. Ses yeux expriment la crainte qu'il ressent. Lhénaïc continue de gémir sur le sol. Pendant que Johns me parlait, il a rampé vers moi, son visage couvert de sang. Nos yeux se croisent et je tressaille. J'ai envie de le serrer dans mes bras mais son père est entre nous.
Johns s'approche de son fils et s'arrête pour le regarder comme s'il n'était qu'une tâche sur le sol.
– Vous avez fait une erreur Mademoiselle Evans, vous n'auriez pas dû donner ces pilules à vos parents. Vous étiez destinés à devenir quelqu'un dans le nouveau monde. J'aurai pu faire de vous une très grande personne.
Il s'agenouille vers son fils. Je fais un pas mais les patrouilleurs se mettent en travers de ma route. Au moindre geste de ma part, ils m'attraperont. Johns trempe ses mains dans le sang de Lhénaïc et trace ses initiales en lettres rouge avant de les regarder d'un air attendri. Son fils se recroqueville sur lui-même. Johns se tourne vers moi en continuant de sourire, a main pleine de sang.
De calme, il redevient en colère lorsque ses yeux se porte sur Nicolas.
– Toi ! s'exclame-t-il en le désignant du doigt. Tu es la cause de tous mes tourments.
Je me tourne vers mon meilleur ami qui écarquille les yeux et secoue la tête. Le maitre de la cité s'avance vers lui et le patrouilleur qui le tient resserre ses doigts autour de ses épaules.
– Tes parents ont fait entrer des ouvrages interdits dans l'Odéon.
– Ils ont sauvé des livres ! riposte Nicolas.
– Ton père était chargé de les détruire. C'était sa mission. Aucune trace de l'ancienne mémoire ne devait subsister, hormis celles des héros que j'avais sélectionné. Ton père t'a lu ces ouvrages et tu les lui as fait lire à elle.
Il me pointe du doigt. Les patrouilleurs relâchent Nicolas et je le rejoins, me plaçant à côté de mon meilleur ami. Nous faisons face à Johns, côte à côte.
– Les livres influencent les esprits. Ce sont leurs mots empoisonnent. Je n'aurai pas dû faire confiance à ton père.
Il fait un pas en arrière, claque des doigts et deux patrouilleurs se précipitent vers Lhénaïc pour le forcer à se remettre debout. Johns les regarde faire d'un air attendri alors que son fils tremble. Il a du mal à respirer et se tenir droit. Son sang perle sur le sol et inonde ses vêtements. Johns se met à rire. Il frappe sa paume contre le visage de Lhénaïc et je ferme les yeux pour ne pas voir ce spectacle alors que la tête de mon petit ami ballote sur le côté. Je crois qu'il s'évanouit car son corps devient mou et il tombe en avant. Les patrouilleurs le retiennent et Johns continue de rire jusqu'à ce que Lhénaïc reprenne connaissance. Ce dernier se met à vomir sur le sol et son visage blanc contraste avec le rouge qui maquille son visage. Ce que Johns lui fait subir est un supplice gratuit.
– Arrêtez ! hurlé-je alors qu'il lève de nouveau son bras pour le frapper. Je vous interdis de continuer.
Il baisse sa main et se tourna vers moi, les traits déformés par la rage.
– Tu crois vraiment pouvoir me donner des ordres ?
– S'il vous plait.
Les mots sont sortis de ma bouche malgré moi. Je ne veux pas le supplier, mais je ne veux plus qu'il frappe Lhénaïc. Je ne le supporte pas. Il sait que la douleur de Lhénaïc est pour moi pire que s'il me l'avait infligée. Il m'offre un spectacle macabre et me force à le regarder sans pouvoir intervenir. Nicolas me retient par le bras alors que je fais un pas pour m'approcher et le sourire de Johns s'agrandit. Il se penche vers Lhénaïc et pose sa main gauche sous son menton. De sa main droite, il caresse doucement sa joue intacte.
– Mon cher enfant, susurre-t-il.
Des gouttes de sueur perlent sur le front de son fils qui regarde son père d'un air apeuré, comme un enfant effrayé.
– Je pensais pouvoir te faire changer et te convertir à ma vision du monde.
Il déplace son doigt vers la coupure qu'il lui a infligé. Lhénaïc hurle lorsque la main de son père se pose sur celle-ci.
– Tu es incapable de comprendre, grince-t-il. Tu continues à te bercer d'illusion avec tes beaux principes et tes rêves de démocratie.
En plus du sang, le visage de Lhénaïc est baigné de larmes. Ses beaux yeux bleus se posent sur moi et je le vois murmurer du bout des lèvres.
– Va-t'en.
Mais je ne peux pas le laisser là. Il est loin et j'ai peur que le moindre de mes gestes déclenchent la furie de son père. Son visage parfait est recouvert de sang, de sueur et de larmes. Ses joues sont tuméfiées par les coups.
– Je vais réparer tes fautes mon fils, murmure Johns. Je te le promets.
Il le saisit dans par le bras, passe ses mains autour de ses épaules et l'étreint avant de lui embrasser le front. Lhénaïc se débat pour se dégager.
– Tout va bien maintenant, papa est là.
Je n'ai pas le temps de crier.
Je ne pense même pas à courir.
Je ne vois pas le poignard qu'il tient dans sa main, cachée derrière son dos.
Pas avant que celui-ci ne s'enfonce dans la poitrine de mon petit ami.
Le maitre de la cité s'écarte de son fils et le corps de Lhénaïc s'effondre sur le sol.
Ses yeux fixent les miens.
Je ne bouge plus.
Je ne peux plus bouger.
Mon esprit refuse de croire ce que je vois, ce n'est pas possible, cela ne peut pas être arrivé.
Johns s'écarte en riant. Mon corps reprend vie et je cours vers Lhénaïc. Personne ne m'arrête. Je me jette par terre alors qu'il tombe dans mes bras et pose sa tête sur mes cuisses. Les larmes roulent sur mon visage sans que je ne puisse les arrêter. Le sang noie sa chemise et l'imbibe. Lhénaïc crache un filet rouge qui coule sur son menton. Je passe ma manche sur son visage pour essuyer le sang. Je me sens mourir avec lui. Je ne peux rien faire. Rien d'autre que le regarder sans aller. La douleur est si forte qu'elle m'empêche de penser. De respirer.
Je le berce contre moi et lui chuchote des mots à l'oreille. Lhénaïc tremble et lève sa main vers mon visage. J'agrippe ses doigts et les serre, pour le rassurer. Je veux qu'il sache que je suis là. Je l'accompagnerai jusqu'à son dernier souffle et ne le laisserai pas mourir seul. Je n'entends plus rien. Pour moi, il n'existe plus rien d'autre que moi et lui. Que son sang et nos larmes.
– Je t'aime, chuchoté-je.
Il resserra ses doigts autour des miens et cherche à répondre. Je pose un doigt sur ses lèvres ensanglantés. Ne parle pas mon amour, préserve tes forces. Il ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Je le berce comme je l'aurais fait avec un enfant. Je l'aime tellement.
– Je construirai le monde dont tu as toujours rêvé, murmuré-je en essuyant son sang. Je t'en fais le serment. Le monde de demain sera le tien.
Il me sourit. Ses doigts tressautent et serre plus fort les miens.
– Nath... Nath... Les vai... virus... Les vai..., balbutie-t-il.
Il tousse et du sang éclabousse mon visage. Je pose mes doigts sur ses lèvres et hoche la tête. J'ai compris, mais lui doit se taire pour préserver le peu de temps qu'il nous reste. Je me mets à fredonner, doucement, comme si j'étais avec un bébé. Le chant de la résistance, notre hymne de combattants. Lhénaïc est un héro à mes yeux, je ne l'oublierai jamais. Jamais.
Sa main devient molle et retombe sur le côté. Sa tête bascule en arrière. Je l'appelle par son prénom pour le ramener à la vie, mais il est parti. La mort l'a emportée. Son corps sans vie s'écroule contre ma poitrine et mes larmes coulent, infatigables.
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